lundi 30 décembre 2013

Rubrique cinéma

Mon dernier film de l'année 2013 s'appelle "Suzanne" de la réalisatrice Katell Quillévérè. La comédienne Sara Forestier interprète un rôle de fille à la limite de la marginalité. Au fond, elle n'en fait "qu'à sa tête" sans trop réfléchir aux conséquences de ses actes. Elle incarne donc une certaine jeunesse qui a beaucoup de mal à accepter le "principe de réalité". Suzanne est élevée par un père courage, chauffeur de poids lourd, chaleureux et attentif car il éduque ses filles tout seul. Ses deux filles s'entendent à merveille, malgré l'absence d'une mère, morte trop tôt de maladie. Le milieu social de Suzanne ne l'encourage pas à faire des études pour changer sa vie. Elle va choisir la pire des solutions : tomber enceinte à 17 ans parce qu'elle "en avait envie". Son père et sa sœur assument la situation, contraints mais toujours patients. Quand Suzanne rencontre son "amoureux", elle ne lui résiste pas longtemps et comme c'est un jeune délinquant, elle s'enfuit avec lui pour vivre une cavale qui va la conduire en prison après un vol avec agression. Et Suzanne, toujours dans l'improvisation, a abandonné son fils qu'elle aime pourtant. Quand elle quitte la prison, elle tente de revivre avec son fils mais son compagnon resurgit et elle reprend sa vie marginale en l'accompagnant dans ses trafics de drogue. Ils vont même donner naissance à un enfant qu'ils mêlent à leurs minables opérations. La vie aurait pu continuer ainsi, mais Suzanne veut présenter son enfant à sa mère au cimetière quand elle se rend compte que sa sœur est décédée, victime d'un accident de la route. Cette révélation va changer le cours de sa vie... La réalisatrice montre le déterminisme familial et social de Suzanne,  l'ennui d'un destin tout tracé dans des travaux ingrats. Suzanne préfère la liberté et l'amour sans se poser de questions.  Son père l'aime malgré tout ce qu'elle lui fait subir, un père Goriot, un personnage exemplaire et bouleversant joué par l'excellent François Damiens. Sa sœur joue le rôle de l'aînée, sérieuse, travailleuse et patiente envers sa sœur rebelle. Suzanne et son copain délinquant forme un couple de paumés, d'égoïstes et d'inconscients. Le père et la sœur sont les véritables héros du film pour leur abnégation, leur solidarité et leur dignité. Un bon film réaliste, un beau portrait de famille disloquée, dévastée et pourtant soudée.

vendredi 27 décembre 2013

"Eclats d'insomnie"

J'ai déjà mentionné cette écrivaine, Diane de Margerie,  dans mon blog, à propos de "La passion de l'énigme". Je l'ai retrouvée avec beaucoup de plaisir en lisant son dernier récit, "Eclats d'insomnie", paru chez Grasset en 2013. Il s'agit d'un journal intime sur un an, de septembre 2011 à septembre 2012. Ce récit autobiographique ne contient aucun événement sensationnel, bouleversant ou tragique même si elle traverse de graves soucis de santé. Elle évoque, avec sa musique stylistique irremplaçable, sa vie quotidienne à Chartres où elle habite, ses fréquents déplacements à Paris pour des raisons professionnelles (elle est membre du jury Femina), les nombreux voyages et les pays de prédilection sans oublier ses amis en souffrance. A plus de quatre-vingt ans, cette femme de lettres au sens le plus intelligent du terme, décrit ses moments "d'éclats d'insomnie" avec une lucidité rare, sans fard, avec une simplicité déroutante et une délicatesse profonde. Sa raison de vivre, elle l'a trouvée dans l'écriture sous toutes ses formes : l'essai, la traduction, la fiction et la critique littéraire. Ses multiples talents ont forgé une personnalité où l'amour de la vie l'emporte sur les inquiétudes et les interrogations. Elle nous communique un élan vital quand elle écrit ces mots : "Et la vie est un tel don (pour ceux qui ont le privilège de pouvoir la vivre comme moi) que je ne dois pas la laisser filer sans en garder une trace. Trop d'années ont ainsi disparu dans un gouffre, des années de formation, de bonheur ou encore des années ternes, mornes, comme si rien ne s'était passé, alors que, si justement, : tantôt l'espoir lové dans les moments merveilleux, tantôt la répulsion des désenchantements." Son journal intime rassemble des notations de son quotidien souffrant mais aussi de son émerveillement devant la nature et les oiseaux, de Paris et de Chartres, et surtout de ses nombreuses lectures et remarques sur des écrivains qu'elle affectionne tout particulièrement comme Proust, Edith Wharton (qu'elle a traduit), Antonio Tabucchi, Roland Barthes, etc. Diane de Margerie évoque fréquemment sa nouvelle sérénité peut-être ressentie grâce à son âge, où tous les moments sont comptés, gagnés et vécus pleinement. Lire cet ouvrage confirme la certitude que la littérature peut aussi nous embarquer vers des rivages heureux et sereins surtout en compagnie de Diane de Margerie...

lundi 23 décembre 2013

"L'écrit dure"

Il est rare qu'un quotidien consacre sa "une" sur le livre et l'écrit. Libération l'a donc fait ce samedi 21 décembre avec une illustration en couleurs d'une sculpture spectaculaire d'un artiste contemporain pragois, Matej Kren, qui érige des tours monumentales en livres, matière vivante et colorée, tel des remparts protecteurs contre les agressions de la vie extérieure... Le journal constate l'effondrement des grandes enseignes en citant la fermeture d'une cinquantaine de librairies "Chapitre" dans des villes moyennes. La lutte entre le Grand Ogre dévoreur du moment, Amazon, et l'ensemble des librairies ne fait que commencer. Seules, les librairies indépendantes et de qualité résisteront à la vague d'achats sur Internet. Faut-il aussi, près de chez soi, trouver une librairie qui sort ses griffes et attire le lecteur potentiel. Quelquefois, on peut entrer et sortir d'une librairie sans avoir rencontré un regard de la part des employés. Il faut aller vers eux pour avoir des renseignements et le hasard joue son rôle : soit la requête est traitée avec gentillesse et intérêt, soit elle tombe à plat et laisse le demandeur sans voix... Il n'est pas évident de rencontrer des passionnés de littérature, ou de livres d'art, sans parler des sciences humaines, de philosophie et d'histoire pour vous guider et vous informer. Cela ne me gêne pas car j'aime butiner sur les rayons et feuilleter les nouveautés sur les tables. Malgré un manque de conseils avisés, il ne faut jamais renoncer à ces visites de librairies dans nos villes car, si l'on n'est pas toujours accueilli avec attention, les livres, eux, nous attendent et espèrent se faire adopter et vivre dans notre foyer... La survie des librairies dépend de ces achats sur "place" et Libération montre un certain optimisme en évoquant un chiffre réconfortant : 45 % des ventes se réalisent dans les librairies indépendantes. Dans l'éditorial d'Alexandra Schwartzbrod, j'ai apprécié ce passage : "Après tout, peu importe le support-liseuse, tablette numérique ou livre papier-, l'important est de lire. Dans notre époque flottante et fragilisante, entre crise économique et conflits rampants, accélération du temps et sollicitation des écrans, le besoin de respiration, de cette parenthèse de calme et surtout de cet indispensable recul sur la frénésie de l'actualité que représente la lecture devient vital." Pour Noël, n'oubliez pas d'offrir des livres et des... chocolats, deux gourmandises essentielles, l'une pour l'esprit et l'autre pour les sens !

jeudi 19 décembre 2013

"Le goût des mots"

Françoise Héritier est professeur honoraire au Collège de France. Cette immense scientifique dans les sciences sociales avait déjà écrit un best-seller complétement inattendu avec son petit opuscule, "Le sel de la vie", édité chez Odile Jacob. J'avais évoqué ce bijou de l'art de vivre dans mon blog en 2012. Elle récidive avec "Le goût des mots", un hommage à la langue française, aux mots et aux images du langage. Elle est nomme cet exercice, "une fantaisie"... Elle compare la "parlure", ces mots qu'elle entend dans sa tête, à l'écriture et raconte son émerveillement de petite fille devant le langage parlé et écrit. Elle propose deux registres pour savourer les mots : un premier registre où les mots peuvent avoir un sens multiple et un deuxième registre qui regroupe les mots à sens unique, partagé par tous, comme les expressions toutes faites, proverbes, aphorismes, argot,  dictons, etc. Elle ne veut pas se substituer à une savante linguiste. Ses explications sur la manière d'appréhender les mots sont claires, amusantes, non pédantes. Bien au contraire, le lecteur(trice) suit son discours avec une curiosité gourmande. Je cite un exemple sur le mot armoire : "J'ai ainsi avec le mot armoire, aux résonances profondes, sombres et soyeuses, semblables à celles de la massive chose bourguignonne doublée de faille jaune safran de mon enfance, un rapport de doute, d'inquiétude et d'émerveillement". Françoise Héritier poursuit sa démonstration sur ces mots qui déterminent un objet banal mais dont la sonorité appelle des images plus riches et évocatrices. Je ne peux pas résister à vous citer cette deuxième phrase : "Je suis entourée de mots dans une forêt bruissante où chacun se démène pour attirer l'attention et prendre le dessus, retenir, intriguer, subjuguer, et chacun aspire à ces échappées belles". Ce livre d'un prix modeste (10.90 €) possède une valeur sans prix pour tous les amoureux du langage. Un conseil pour sa lecture : ne pas l'avaler en une heure, mais le conserver dans sa bibliothèque et le feuilleter comme un dictionnaire sur la vie tumultueuse et romanesque des mots, un bien commun et une source d'émerveillement sans fin. Merci, Madame Héritier !

lundi 16 décembre 2013

"En mer"

Je viens de découvrir le Prix Médicis étranger 2013, "En mer" du néerlandais Toine Heijmans aux éditions Bourgois. Ce roman m'a laissée songeuse. Pourquoi ai-je éprouvé un malaise en lisant ce livre, écrit à l'économie, compact et angoissant ? Je peux, sans dévoiler la fin de l'histoire, résumer l'atmosphère très oppressante du texte. Donald, un cadre supérieur, est las de sa vie stressante de bureau et commence à comprendre que sa hiérarchie ne le "récompensera" pas. Il prend un congé sabbatique pour réaliser son rêve : naviguer sur son voilier pendant trois mois dans la mer du Nord. Dans la dernière étape, sa femme accepte de lui confier leur fille de sept ans, Maria, qui va le rejoindre sur le voilier. Le narrateur raconte son périple dans les moindres détails : une météo incertaine, des nuages lourds de menaces, une mer agitée, et tous les actes techniques de la navigation. Sa fille Maria est toujours présente dans son champ de vision mais un soir, il ne la trouve plus dans sa cabine et elle est peut-être tombée par dessus-bord. Le père, paniqué à l'idée de la disparition de sa fille, se jette à l'eau pour la récupérer. Il s'éloigne du bateau pour la rechercher, mais il ne l'aperçoit pas dans la mer. Il remonte, après les pires difficultés, sur le voilier et sa fille Maria réapparaît. Mais, je ne donnerai pas les raisons de la panique du personnage. Le roman illustre la paranoïa d'un père qui se sent abandonné par la société, par sa femme, et le seul lien humain qui lui reste, lui échappe aussi dans cet espace pourtant protégé. Ce texte relève de l'hallucination, du cauchemar et de la perte. La fin du livre révèle un événement surprenant pour comprendre l'attitude de ce père, trop aimant, maladroit et malheureux. Sa femme pense qu'il existe "deux catégories de pères. La première catégorie se fiche pas mal des enfants, n'y comprend rien et ne veut rien savoir-ce sont des pères stables qui voient leur famille comme une chose à entretenir. (...) Des enfants comme il faut, qui réussiront, sont aussi importants qu'une nouvelle  BMW. La seconde catégorie ce sont les pères pleins d'entrain, qui se jettent avec enthousiasme sur leurs enfants et s'attendent à toutes sortes de choses en retour. Ils ont été élevé dans l'idée qu'hommes et femmes sont égaux. Si tout le monde est égal dans une famille, le chaos s'installe spontanément. Les enfants ne comprennent pas cette notion. Les enfants trouvent leurs comptes dans la clarté, et la hiérarchie". Ce roman appartient à une catégorie littéraire très contemporaine, héritière de Kafka où la folie rôde et déforme les perspectives.
Un livre à découvrir et un prix Médicis mérité, amplement mérité.

jeudi 12 décembre 2013

Atelier de lecture, 2

J'avais donc préparé, pour la deuxième partie de l'atelier, un lot de livres ayant obtenu un des quatre prix littéraires les plus populaires : le Goncourt, le Renaudot, le Femina et le Médicis. Michèle avait fait une lecture sérieuse et approfondie avec une prise de notes de "La carte et le territoire" de Michel Houellebecq, Goncourt 2010. Elle a donc conté l'intrigue complexe de ce roman contemporain assez dérangeant pour beaucoup de lecteurs qui "n'accrochent pas" au style de cet écrivain si particulier dans le panorama littéraire hexagonal. Son personnage central, un double de Houellebecq, artiste photographe de cartes routières et des métiers, rencontre une femme russe, Olga, dont il tombe amoureux, règle ses comptes avec son père, évoque le pays comme un parc touristique, mêle des faits réels à la fiction. Un livre surprenant et atypique à découvrir malgré le manque de "charisme" de cet écrivain français mal aimé... Geneviève avait tiré au sort Gilles Leroy, "Alabama song", Goncourt 2007. Ce livre raconte l'histoire déjà très utilisée du couple mythique Zelda et Francis Scott Fitzgerald dans les années 20, le tourbillon de leur vie mondaine, le succès littéraire, leurs problèmes de couple, un roman jugé superficiel et creux selon Geneviève. Régine a lu et peu apprécié "La vie est brève et le désir sans fin" de Patrick Lapeyre, Femina 2010. Encore une histoire d'amour entre deux hommes et une femme, un peu lassant et répétitif dans la production romanesque. Mylène n'était pas non plus très enthousiasmée par "Personne" de Gwenaëlle Aubry, Femina 2009, mais au fur à mesure de sa présentation, elle a reconnu l'originalité de ce récit autofictionnel sur le père de l'écrivaine, dépressif chronique écrivant son journal dont elle a utilisé des extraits dans son livre. Un roman-abécédaire, un récit singulier à découvrir. Evelyne a  vraiment apprécié "Suite française" d'Irène Némirovsky, Renaudot 2004. Ce roman posthume dépeint l'exode de juin 1940, vécue dans des familles bourgeoises ou modestes où la solidarité semblait fragile et la lâcheté manifestement plus répandue. Evelyne a évoqué "Le silence de la mer" de Vercors dans la dernière partie du livre où une mère et sa fille reçoivent par obligation un gradé allemand dans leur maison. Rappelons qu'Irène Némirovsky a écrit de nombreux romans dans les années 30 et qu'elle est morte assassinée à Auschwitz en 1942. Janine a beaucoup aimé "Le soleil des Scorta" de Laurent Gaudé, Goncourt 2004. Ce roman qui a rencontré un grand succès auprès du public. Il évoque une lignée patrimoniale des Pouilles en Italie du Sud, les Scorta, depuis 1870 à nos jours où les secrets de famille sont cachés. Janine avait pris soin de noter des phrases qu'elle nous a citées et qui, je crois, ont donné un avant-goût du style poétique de Laurent Gaudé. Véronique a lu avec plaisir "Peste et choléra" de Patrick Deville, Femina 2012. Les aventures picaresques d'Alexandre Yersin, découvreur du bacille de la peste en 1894, ont semblé conquérir notre lectrice ainsi qu'un vaste public en 2012. Danièle a terminé la séance en évoquant un livre fort et douloureux de Jean-Louis Fournier, "Où on va, papa ?", Femina 2008. Un père raconte la vie de ses deux fils handicapés, un enfer quotidien où l'humour décalé et décapant de l'écrivain allège ce récit bouleversant. Conclusion, les prix littéraires peuvent plaire ou déplaire comme l'ensemble des parutions d'une rentrée littéraire lambda... Mais, ils ont une place d'honneur dans la presse et les médias, ce qui les rend beaucoup plus visibles que leurs confrères, hélas, trop vites oubliés.

mercredi 11 décembre 2013

Atelier de lecture, 1

Je tiens à remercier vivement et chaleureusement mes dix "camarades" en lecture qui ont assisté à la séance du mardi 10 décembre. Le compte rendu démarre toujours par les coups de cœur et demain, je parlerai des lectures tirées au sort concernant les prix littéraires de ces dix dernières années. Régine nous a dévoilé, avec son enthousiasme habituel, un écrivain juif américain, Chaïm Potok, et son roman "Le don d' Asher Lev", édité dans la collection 10/18. Il faudrait peut-être lire son premier volume, "Je m'appelle Asher Lev", avant celui-ci. Ecrit à la première personne, Chaïm Potok retrace l'itinéraire d'un jeune homme, Asher Lev, doué sur le plan artistique. Il veut traduire dans son art, les images de la Crucifixion alors que la religion de ses parents, issus de la communauté juive assidique de Brooklyn, lui interdit ce blasphème. Il quitte les siens et s'exile à Paris. Il vit sa vie d'artiste et fonde une famille. A la mort d'un oncle, il retourne à Brooklyn et entame un bras de fer avec sa famille. Régine a trouvé ce roman passionnant sur l'ambivalence du personnage : choisir sa foi ou son art ? Un écrivain à découvrir... Mylène a mentionné l'ouvrage de Jeanne Benameur, "Comme on respire", écrit à l'occasion de la journée du livre et de la rose en 2004. Elle a cité cette fort belle phrase : "Je ne cesserai pas de lire et d'écrire, c'est ma façon d'aimer". Elle a aussi aimé un des derniers livres de Doris Lessing, "Alfred et Emily", biographie inventée de ses parents dans une première partie et des explications réelles en seconde partie. Dany nous a conseillé une écrivaine islandaise, Kristin Marja Baldursdottir, avec une suite en deux volumes, "Karitas" et "Chaos sur la toile" aux éditions Gaïa. Karistas se sent une âme d'artiste et rêve d'une autre vie. Cette fresque se déroule au début du XXème et rend hommage à l'émancipation des femmes.  Evelyne a apprécié un livre d'un écrivain... islandais, Gudbergur Bergsson, édité chez Métailié, sombre et amer mais lucide et beau comme le dernier chant du cygne, un vieil homme solitaire relate sa vie, scandée par le bruit de sa bouilloire et confie ses regrets. Evelyne a montré un beau livre d'art comme idée de cadeau, "Le voyage d'un peintre chinois dans les Alpes" aux éditions Ouest-France. Janine, qui aime beaucoup la poésie, a sorti de son sac "Les cents poèmes du bonheur", anthologie illustrée et agréable à offrir. Véronique a aimé de Blandine Le Callet, "La pièce montée". Danièle a évoqué avec émotion le roman de 500 pages de Philippe Forest, "Le siècle des nuages", paru chez Gallimard. Ce livre l'a concernée personnellement car son propre père a connu le père du narrateur comme navigant à Air France et elle était émue aux larmes en lisant les cent dernières pages. Elle nous a conseillé de patienter pendant les 400 premières pour éprouver ce grand coup de cœur... Je me promets de lire ce "Siècle des nuages", si prometteur. Elle a aussi présenté un livre magnifique de photographies de Sebastiao Salgado, "Genesis", un hymne à la vie sur notre belle et fragile planète. Geneviève a mis à l'honneur un écrivain quasi oublié, Henri Barbusse, en résumant "Le feu", prix Goncourt en 1916, un livre sur les horreurs de la guerre de 14-18, avec un style reprenant le parler populaire des soldats, un message de paix, pour Henri Barbusse, compagnon de route de Romain Rolland. Elle a lu un classique "La Religieuse" de Diderot, roman passionnant à ses yeux. Régine a terminé cette première partie de l'atelier en mentionnant brièvement le merveilleux J.-B. Pontalis, "En marge des nuits" et Jean Sullivan, "Abécédaire", écrivain aussi à découvrir. Rendez-vous demain pour la suite...

mardi 10 décembre 2013

Rubrique cinéma

J'aime bien les histoires concernant les immigrants en Amérique. J'ai connu des hommes (en majorité) au Pays basque qui partaient faire fortune en Californie et revenaient souvent riches dans leur village natal. Pourtant, ils étaient bergers, agriculteurs, artisans, et leur goût du travail, leur force physique et morale, leur ténacité les ont aidés à s'intégrer et à devenir des américains. J'ai pensé à eux et à mes grands-parents d'origine aragonaise qui ont fui la misère de leur pays pour trouver du travail et mener une vie digne et honnête. L'héroïne du film de James Gray peut symboliser ce mythe de l'immigration européenne aux Etats-Unis dans le début du XXème siècle. Ewa et sa sœur Magda débarquent à Ellis Island en 1921. Elles ont perdu leurs parents pendant la guerre en Silésie. La délivrance approche et elles espèrent retrouver une tante, installée à New York. Mais Magda a attrapé la tuberculose et elle est mise en quarantaine sur l'île. Ewa se retrouve seule et elle est expulsée. Dans la file d'attente, un homme la remarque pour sa beauté et la sauve car elle parle anglais. Ce Bruno en question n'est qu'un souteneur-proxénète mais Magda n'a pas le choix. Elle ne pense qu'à sa sœur et elle accepte à contrecœur de se prostituer. Elle se sauve un jour pour rejoindre sa tante et son oncle mais ils la rejettent. Plus tard, elle rencontre un magicien, Orlando, qui, lui, la respecte et veut l'aider pour récupérer sa sœur. Elle reprend espoir et se met à rêver d'une vie nouvelle. Va-t-elle libérer sa sœur sur Ellis Island ? Bruno sera-t-il son sauveur ou son malheur ? Je ne dirai pas plus sur ce film classique, qui offre à la fois une reconstitution historique et sociale très réaliste sur l'immigration européenne en Amérique et un beau portrait de femme, victime de la rapacité sexuelle et qui, malgré tout, n'est pas atteinte par la dégradation morale que cela implique. Son obsession (sauver sa sœur) la protège de la déchéance et lui donne une énergie toute féminine.  Le réalisateur traite ses personnages avec subtilité et avec une certaine ambiguïté, en particulier pour le personnage de Bruno, jaloux et possessif. Pour moi, ce n'est pas le film de l'année mais, le sujet du film -le rêve américain- résonne au plus profond de l'identité européenne, et même mondiale... et mérite une séance sur grand écran.

lundi 9 décembre 2013

"L'invention de nos vies"

Ce roman de Karine Tuil aurait mérité le prix Goncourt (il était en deuxième position) car il correspondait à "l'air du temps". Fresque sociale, fresque politique, fresque générationnelle, ce livre de 492 pages se lit d'une traite, sans pause et sans temps mort. Amours, ambitions, trahisons, mensonges composent ce livre, l'un des meilleurs de la rentrée. Le personnage principal, Sam Tahar, expatrié français, est un avocat riche et célèbre aux Etats-Unis. Il a épousé une héritière d'une grande famille juive américaine dont il a deux enfants. Son ascension fulgurante cache un secret inavouable : Sam Tahar n'est pas juif comme il le fait croire, mais arabo-musulman. A partir de ce mensonge, Sam Tahar jongle avec ses deux identités. Il s'est aussi séparé de ses meilleurs amis, restés en France, Samuel, l'intellectuel juif, et Nina, sa compagne, une très belle jeune femme que Samuel ne peut oublier. Samuel et Nina végètent dans la banlieue, lui est animateur social et elle, mannequin dans les catalogues de grandes enseignes. Sam Tahar va déclencher une descente aux enfers en renouant avec Nina qui part avec lui à New York et en contactant sa mère et son demi-frère, François, instable et inquiétant. Cette famille encombrante va le poursuivre au-delà de l'océan. Karine Tuil possède un talent romanesque incontestable. Le lecteur(trice) suit avec intérêt la vie de ces trois personnages qui vont finir par se retrouver et surtout, reprendre les rênes de leur destin. Samuel va enfin connaître le succès littéraire, Sam va perdre sa vie de nanti à cause d'un frère infréquentable et Nina sera libérée de ces deux hommes qui l'ont étouffée dans leur passion... On ne peut qu'apprécier le style percutant du texte, la clarté de la construction, les personnages tourmentés, les tensions identitaires et les résonances ultra-contemporaines (la chute spectaculaire de cet homme politique français à New York)... Un roman où l'ennui est complétement banni ! Si vous voulez offrir un bon roman de qualité, choisissez "l'invention de nos vies".

vendredi 6 décembre 2013

"Roma/Roman"

Quand on a séjourné récemment à Rome, lire ce livre, écrit par Philippe de la Genardière et publié chez Actes Sud en 2013, prolonge le bonheur du voyage. J'ai retrouvé toute la beauté de cette ville dans ces 300 pages où les quartiers (dont le Campo dei Fiori où j'ai séjourné) sont mentionnés ainsi que les places, les églises, les sculptures, les peintures, les fontaines, les lieux antiques, et bien d'autres monuments romains. Rome est vraiment le personnage central du livre et ce superbe portrait urbain, on ne le trouve pas dans un guide touristique ou un essai.  L'écrivain s'adresse aux trois personnages en les vouvoyant et cette construction du roman peut dérouter le lecteur(trice) mais, cette forme d'écriture donne un souffle dramatique au texte. Ariane, psychanalyste, est invitée à Rome pour fêter les vingt ans d'un film culte, réalisé par Adrien, cinéaste sur le déclin. Un troisième protagoniste intervient dans le film. Il se nomme Jim et s'est installé à Rome pour écrire un roman qu'il n'a toujours pas terminé. Ariane accepte ce séjour avec appréhension. Est-elle amoureuse de Jim, vingt ans après ? Ils ont été amants à cette époque. Jim se pose la même question : Ariane représente la femme fatale, idéale, fantasmée. Adrien aime aussi Ariane mais n'a jamais osé lui déclarer cette passion. Ils se retrouvent donc tous les trois face à leur passé, en tentant l'impossible : le revivre en éprouvant les mêmes sentiments amoureux dans cette ville magique, envoûtante et fascinante. Le roman de Philippe de la Genardière parle du temps, du souvenir, de la nostalgie de la jeunesse. Ce texte "proustien" brasse des thèmes sur l'amour, sur le rôle d'une ville comme Rome dans le mystère de la création artistique, sur le cinéma, sur les liens entre tous ces mondes concrets et virtuels. Un beau livre, écrit dans un style somptueux, ce qui est rare de nos jours. Je cite un passage : "Or, c'était cela qu'il fallait introduire dans le livre que vous écrivez, ce rire romain que vous entendez chaque jour, qui vient du fond des âges, remonte au temps de César, d'Auguste et aussi de Tibère ou de Caligula, et qui s'est perpétué au cours des siècles (...)".

mardi 3 décembre 2013

Atelier d'écriture

Mylène a proposé deux exercices basés sur l'anagramme et les voyelles. Elle a évoqué le livre "Anagrammes renversantes ou le sens caché du monde" d'Etienne Klein, physicien, et de Jacques Perry-Salkow, musicien de jazz. Ils s'adonnent à un jeu de mots farfelu et ludique consistant à mélanger les lettres d'un mot pour en former un autre. J'ai surtout apprécié l'anagramme sur "la madeleine de Proust" qui se transforme en "la ronde ailée du temps"... J'avoue que j'ai manqué d'imagination et de temps pour en fabriquer un alors que mes collègues en écriture ont réussi leur anagramme.  Pour le deuxième exercice, Mylène nous a lu le poème magnifique de Rimbaud sur les voyelles et un texte savoureux de Françoise Héritier sur "Le goût des mots", paru récemment. Il fallait écrire un texte sur le caractère des voyelles. Certaines participantes ont construit leur exercice sur des images animalières, florales ou voyageuses... Voilà le mien :
Le A, mon alpha, le monarque de l'alphabet,  le premier exclamatif de curiosité, le point de départ, les deux pieds plantés dans la terre des mots. Mon E, discret, indispensable, exploité, exposé, corvéable, les deux bras tendus vers l'autre, l'altruisme, termine les mots au féminin.  Mon I, sûr de lui, copilote adoucisseur de sons et de sens, trait d'union entre le ciel et la terre. Mon O, sa rondeur assumée et parfaite, indépendant et exotique, mon soleil de l'alphabet. Mon U, le mal-aimé, le marginal, deux bras tendus vers le ciel pour se faire pardonner, et mon Y, complexe et hermaphrodite, à la fois voyelle et consonne, quel destin !
 

lundi 2 décembre 2013

Revue de presse

La revue Lire propose en décembre sa fameuse liste des 20 meilleurs livres, le guide des beaux livres et un entretien avec Jared Diamond, historien américain. Dans cette liste des primés, le meilleur livre de l'année, toutes catégories, concerne "La fin de l'homme rouge" de Svetlana Alexievitch, qui a reçu aussi le prix Médicis étranger (essai).  Dans la liste, j'ai remarqué Pierre Lemaître et son "Au revoir, là haut" prix Goncourt 2014 dans la catégorie "meilleur roman français". C'est dommage qu'ils attribuent cette distinction à un roman déjà amplement sollicité... Joyce Carol Oates et son dernier roman, "Mudwoman" a été choisi dans la catégorie du meilleur roman étranger. Pour les autres rubriques, on retrouve les noms suivants : Kevin Powers, Delphine Coulin, Loïc Merle, Michel Winock, James Sallis, etc. Le Magazine littéraire célèbre ce mois-ci, Stendhal, un classique à lire et à relire. On trouve aussi un choix de beaux livres à offrir et un grand entretien avec Imre Kertesz. Pages, revue des libraires, met à l'honneur "des livres et des fêtes", en suggérant aux lecteurs d'aller en librairie particulièrement pendant les fêtes pour les soutenir dans cette période de crise économique. J'évoquerai aussi la revue Philosophie magazine qui, en cette fin d'année, s'intéresse à une question originale : "Peut-on vivre plusieurs vies en une ? Nous cherchons à occuper le plus intensément possible le temps dont nous disposons. Faut-il se méfier de la dispersion ou se jeter dans l'aventure ?". Ce dossier central apporte des réponses (entre autres) de Florence Aubenas, Sylvain Tesson, Emmanuel Carrère. Un dialogue entre Christiane Taubira et Frédéric Gros porte sur la punition et la prison. La revue se termine par une étude sur Dostoïevski. Voilà pour cette revue de presse de décembre qui donne envie d'acheter plein de cadeaux dans sa librairie préférée.

jeudi 28 novembre 2013

"Je ne retrouve personne"

Arnaud Cathrine a déjà écrit des bons romans. Je citerai surtout "Le journal intime de Benjamin Lorca", édité en 2010 et disponible en Folio. Son dernier opus de cet automne est passé un peu à la trappe face à la marée des prix littéraires, des nouveautés de la rentrée et des poids lourds incontournables. Son "Je ne retrouve personne" mérite bien notre attention de lecteur(trice). Le personnage principal, Aurélien Delamare, écrivain (le double d'Arnaud ?), tient un journal intime. Il quitte Paris et se réfugie dans la maison de famille en Normandie. Ses parents retraités sont partis vivre à Nice et ils veulent vendre cette villa de bord de mer. Le narrateur doit se charger de la mettre en vente. Il accepte cette mission familiale et cette fuite loin de Paris lui permet de faire le bilan de sa vie. Il traverse une crise de la "quarantaine". Sa compagne l'a quitté car il ne voulait pas d'enfant. Il retrouve en Normandie son passé grâce à un agent immobilier qui s'avère être un ancien copain de lycée. Que sont-ils devenus ? Ils ont vieilli, ont fondé une famille, travaillent. Sa proche voisine, amie de ses parents, le reçoit pour renouer des liens d'amitié, mais cette rencontre s'avère décevante. Il apprend que son meilleur ami, Benoît, est mort jeune, après avoir séjourné en hôpital psychiatrique. Sa solitude lui permet de comprendre qu'il a lui-même changé, que sa vie d'écrivain à Paris l'a transformé et l'a définitivement éloigné de son passé normand. Alors qu'il sombrait dans l'amertume, sa ex-compagne lui confie sa fille pour quelques jours et cette relation de quasi père avec cette petite fille va combler son sentiment de solitude. Son frère le rejoint pour concrétiser la vente de la maison et le narrateur va enfin "tourner la page" sur un passé qui, au fond, n'a pas tenu ses promesses. Ce roman doux-amer illustre le sentiment que l'on peut ressentir quand on revient sur les traces de son enfance, de son adolescence. Les liens d'amitié et d'amour se sont perdus au fil du temps et sans aucun espoir de retour. Une lecture agréable, empreinte de nostalgie et de regret, un roman "saudade"... Arnaud Cathrine cite un écrivain qui a certainement influencé son univers, Georges Perros... Et j'apprécie cette fidélité littéraire.

mercredi 27 novembre 2013

Rubrique cinéma

Le film de Guillaume Gallienne, "Les garçons et Guillaume, à table !", se laisse voir avec plaisir et intérêt. Réalisateur et acteur, Guillaume nous offre une performance dans son double rôle de fils efféminé et de mère bourgeoise, autoritaire et tranchante. Guillaume se sent "fille" depuis qu'il est né. Ses deux frères ont bien une identité masculine conforme et normale : ils aiment le sport, possèdent un physique musclé, ne font pas de sentiment, etc. Des hommes parfaits comme son père.
Lui aime Sissi, le personnage le plus mièvre d'une féminité exacerbée jusqu'à se déguiser en jeune fille totalement kitsch. La mère à la personnalité forte et omniprésente désirait une fille, d'où le titre du film, "Les garçons et Guillaume, à table" tellement son Guillaume semblait vivre une vie à part dans une recherche identitaire féminine. Il part en Andalousie et apprend le flamenco comme une femme. Le monde masculin l'attire : il est envoyé dans une pension anglaise où il tombe amoureux d'un beau garçon mais cette attirance n'est qu'unilatérale. Le réalisateur raconte avec humour et cocasserie les quiproquos et les malentendus d 'un garçon à la recherche de son identité sexuelle. Ses tentatives d'intégration dans un milieu homosexuel "macho" ne font que le déstabiliser. Sa féminité désarmante l'éloigne des hommes, homos ou hétéros... Ce film dénonce avec humour et légèreté le malaise du conformisme sexuel et revendique un certain romantisme dans les relations amoureuses. Je ne dévoilerai pas le dénouement un peu surprenant,  va-t-il enfin rencontrer son âme sœur du côté des hommes ou du côté des femmes ? Ce n'est pas le grand film de l'année mais il a le mérite d'aborder la délicate et éternelle question de l'identité sexuelle, sujet à la fois psychologique, sociétal et philosophique. La lecture du film peut déboucher sur une analyse psychanalytique du rôle maternel dans la construction de la personnalité, mais on peut aussi prendre le film à la "légère" sans trop se poser de questions. Le réalisateur-comédien nous laisse le choix...

mardi 26 novembre 2013

"Les complémentaires"

Dès que le dernier roman de Jens Christian Grondahl arrive en librairie, je me fais un plaisir de le découvrir. J'ai écrit quelques billets sur l'œuvre de ce grand écrivain qui nous vient du Danemark. Dans "Les complémentaires", paru en octobre chez Gallimard, dans la classique et éternelle collection "Du monde entier", je retrouve des thèmes "grondahliens" comme une musique pénétrante et obstinée : la crise du couple, la difficulté de comprendre l'évolution inéluctable de ses enfants, la coupure des générations, le poids de la famille, les liens  fragiles,  la mélancolie du temps qui passe... David Fischer, avocat bien installé dans sa vie, remarque avec effroi une croix gammée sur sa boîte aux lettres. Il est bouleversé par ce geste qu'il ne comprend pas. Il cache ce forfait à sa femme, Emma, artiste amateur, anglaise d'origine. Elle aussi traverse une crise dans sa vocation d'artiste non reconnue. Ils reçoivent un soir leur fille Zoë, vidéaste, inscrite aux Beaux Arts, et son petit ami, Nabeel, Pakistanais, étudiant en médecine. Cette soirée va s'avérer lourde de non-dits et de maladresses pour les quatre personnages du roman. Comment accepter que leur fille fréquente un musulman alors que David est lui-même juif ?  Les identités se disloquent au fil des pages et mettent en péril les relations tissées dans la famille. Les parents sont invités au vernissage de Zoë où elle présente une performance dans une vidéo,  la mettant en scène avec Nabeel, exposés dans leur nudité. Le père de Nabeel, chauffeur de taxi, invite David chez lui et lui fait part de sa réprobation concernant la vision du couple étalé dans le film. Les certitudes des parents concernant leur propre relation vacillent et ils remettent en question leur mode de vie à l'aune des préjugés religieux et culturels. Ce roman, au cœur de notre époque en crise, pose la question de l'appartenance, de l'héritage familial, du multiculturalisme, de l'immigration, sans apporter des réponses. "Chacun fait comme il peut", semble nous dire Jens Christian Grondahl. Un beau roman mélancolique, profond, intimiste et grave. A lire, sans tarder...

lundi 25 novembre 2013

"L'identité française"

Alain Finkielkraut s'avoue très inquiet, même malheureux face à un monde occidental qui change, change beaucoup et tellement vite. Il s'interroge sur la perte du monde d'avant, du monde d'hier où l'identité française était liée à la culture française, à une certaine idée de la nation homogène et rassemblée. Son essai, "L'identité française", peut crisper, dérouter, irriter le lecteur(trice) mais il faut écouter ce cri d'amour d'Alain Finkielkraut pour une France littéraire et éternelle, inscrite dans les valeurs universelles, la laïcité et les Droits de l'homme. Je ne vais pas évoquer les nombreux chapitres concernant sa peur du communautarisme, du voile intégral, d'un Islamisme fasciste, et de la non-mixité, de la fragilité démocratique. La presse et les interviews nombreux de ce philosophe contesté ne parlent que de cet aspect de sa pensée. On retrouve dans l'essai de nombreuses anecdotes alarmistes sur ce "vivre ensemble" compromis par l'intolérance et l'incompréhension. J'ai surtout été intéressée par les passages où il déclare son pessimisme radical sur l'héritage patrimonial et la transmission culturelle. Ce que j'apprécie chez Alain Finkielkraut, c'est son amour inconditionnel pour les livres, l'écrit sur "papier", pour un monde culturel classique. Je cite ce passage : "Le livre propose un monde ; l'écran fluidifie le monde ; lire un livre, c'est suivre un chemin ; la lecture sur écran est un sport de glisse. Le livre déploie un temps où il est interdit au présent de pénétrer". Toutes les réflexions sur la place du livre dans notre société me semblent lumineuses et tant pis, si les gardiens du "temple" frôlent la ringardise et l'archaïsme. Alain Finkielkraut fait partie comme il dit des "étrangers", des "empotés", des "culs-terreux"  "que les "digital natives regardent du haut de leur cybersupériorité incontestable". Le philosophe décrit donc un monde clivé où la culture classique, ancienne, ne trouve plus sa place. La médiocrité et l'égalitarisme ont produit ce monde fluide et sans profondeur où tout se vaut, aussi bien un air des Rolling Stones qu'une cantate de Bach... Son essai n'apporte pas de solutions, la crise du vivre-ensemble s'installe et s'accentue et il va bien falloir accepter ce nouveau monde, comme en 1492, quand Christophe Colomb a posé un pied en Amérique. Nous sommes donc des Indiens du livre, si j'ose m'exprimer ainsi... en gardant mon humour et ma passion intacte.  Mais les geeks, les internautes et les fans de l'écran ne peuvent pas s'imaginer comme ils sont privés d'une culture "livresque" essentielle pour comprendre notre monde et "nous-mêmes"... Tant pis pour eux !

vendredi 22 novembre 2013

"Vertiges"

Lionel Duroy poursuit son aventure littéraire en exploitant avec un stylo-scalpel, les relations amoureuses. Les 468 pages de son dernier opus, "Vertiges", suit la veine de son œuvre autofictionnelle. Il gagne de l'argent en louant son talent aux autres en composant des mémoires, des récits et des autobiographies de gens connus. Au début du roman, Cécile, sa femme, le quitte car elle a choisi de vivre avec son amant, ami de son mari.  Il se sent trahi par cette infidélité mais, cet échec ne l'empêche pas de nouer une nouvelle relation avec Esther, une femme qui lui semble mystérieuse et troublante. Lui, qui ne voulait plus d'enfants (car il était déjà deux fois père), lâche prise et donne naissance à deux petites filles. Familles séparées, familles recomposées, construction et  déconstruction, fonder des liens et les voir s'écrouler, départs et arrivées, le roman brasse des moments de vie familiale et amoureuse, parfois cocasses, parfois angoissantes. Le narrateur se noie souvent dans son discours sur sa mère qu'il vit comme une mante religieuse et sur ses épouses qui le quittent. Il ressent un sentiment d'angoisse en analysant, en disséquant son attitude de fuite avec les femmes aimées. Je cite un passage de son livre très éclairant sur son projet littéraire : "J'ai besoin d'écrire sur ce qu'il y a d'infiniment douloureux, dans une disparition, l'interruption, sans que rien ne soit formulé, de désirs et de sentiments qu'on imaginait éternels dans notre bêtise, ou notre ingénuité. Bien sûr, il y a de la souffrance de ne  plus pouvoir se toucher, de ne plus pouvoir s'embrasser ni faire l'amour, mais le plus cruel, et le plus mystérieux aussi, c'est le basculement du souci permanent qu'on avait de l'autre dans un vide abyssal où l'on doit s'accoutumer à ne même plus savoir s'il est vivant ou mort. (...) Est-ce que ça n'est pas la chose la plus stupéfiante qui soit ? Celle qui nous renvoie le mieux l'image de notre insignifiance, de la précarité de nos attachements, et sur laquelle nous n'aurons jamais fini d'écrire ?". Lionel Duroy maintient constamment l'intérêt du lecteur(trice) en utilisant l'écriture pour comprendre, se comprendre et s'accepter. La description de son univers amoureux et familial pourrait servir la sociologie contemporaine... Un roman à découvrir si on apprécie l'analyse pointilliste d'un homme tourmenté par les échecs amoureux...

jeudi 21 novembre 2013

Rubrique cinéma

Ce film de Martin Provost ne manque pas d'audace. Le réalisateur s'était déjà intéressé à une femme originale, "Séraphine", femme de ménage et peintre amateur de grand talent, interprétée par la comédienne Yolande Moreau. Il nous offre dans le film "Violette" un regard attachant sur deux femmes écrivaines singulières, Violette Leduc et Simone de Beauvoir. On connaît la vie de Simone de Beauvoir, jouée par Sandrine Kiberlain, mais le public méconnaît celle de Violette Leduc dont l'œuvre est peu lu de nos jours. Le film raconte une histoire d'amour et de malentendu entre ces deux femmes. Violette est malheureuse dans ses relations amoureuses. Elle s'entiche de Maurice Sachs, un écrivain homosexuel, qui la rejette. Ils vivent ensemble à la campagne pour fuir la pénurie alimentaire de Paris. Quand il part, elle retourne en ville où elle organise un marché noir qui lui permet de survivre. Elle aperçoit Simone de Beauvoir dans un café et cette rencontre changera sa vie. Elle lui confie un manuscrit, "L'asphyxie", qui sera accepté chez Gallimard grâce à l'appui indéfectible de Simone de Beauvoir. Violette se prend de passion pour son mentor en littérature qui ne cesse de l'encourager dans les projets d'écriture. Elle est même aidée par Jean Genet et le parfumeur Jacques Guérin. Martin Provost montre comme un leitmotiv l'extrême solitude de Violette Leduc, dans son studio, à la campagne, auprès d'une mère difficile et même avec ses soutiens amicaux. Seule, l'écriture la maintient en vie. Elle finira par connaître un certain succès à la fin de sa vie, ou du moins une estime littéraire certaine. Ce film, en quelque sorte, réhabilite cette femme écrivaine, qui mérite vraiment d'être lue, en particulier son ouvrage le plus fort, "La bâtarde", disponible en librairie. Violette, écrivaine sulfureuse à son époque, faisait partie des "maudits" de la littérature, ceux et celles qui évoquent des sujets tabous comme l'homosexualité, la marginalité, la difficulté d'aimer, la violence des relations, la non-reconnaissance. La performance d'Emmanuelle Devos apporte un souffle à ce film un peu austère dans sa construction et dans ses images. Le cinéma n'exploite pas assez le monde de la littérature, surtout celui des années 50, et ce film retrace avec justesse l'ambiance de cette période quand Simone de Beauvoir défendait une certaine idée de la littérature, fondée sur la vérité, la lucidité et le courage.

lundi 18 novembre 2013

Doris Lessing

Doris Lessing vient de disparaître à l'âge de 94 ans, à Londres. Elle avait enfin obtenu le prix Nobel de Littérature en 2007 et avait conservé tout son humour en s'exclamant : "Oh ! mon Dieu!, Ils ont pensé, là-bas les Suédois : celle-là a dépassé la date de péremption, elle n'en a plus pour longtemps. Allez, on peut le lui donner !".  Pourtant, le jury Nobel a longtemps hésité à lui offrir ce prix car Madame Doris Lessing présentait un profil quelque peu iconoclaste et radical. Elle est née en 1919 en Perse dans une famille de la classe moyenne et immigre en Rhodésie du Sud. Elle quitte l'école à 13 ans pour se former sans influence extérieure. Elle se marie à 19 ans, divorce, se remarie avec un certain Lessing dont elle gardera le nom. Et redivorce plus tard. Elle s'éloigne du parti communiste de son pays après les événements de Hongrie.
à l'annonce de l'obtention du prix Nobel de littérature, le 11 octobre 2007. | AFP/SHAUN CUR
En 1949, elle quitte l'Afrique pour Londres et commence pour elle, sa carrière littéraire : une soixantaine de romans, des poèmes, des pièces de théâtre et même des opéras. Son cycle romanesque en cinq volumes, le plus connu, s'intitule "Les Enfants de la violence", publié de 1952 à 1965. Son regard sur la condition des femmes à travers le personnage emblématique de Martha Quest  marquera des générations de lectrices (dont moi, évidemment). Je me souviens surtout de ma lecture fascinante du "Carnet d'or" dans les années 70 (prix Médicis étranger en 1976). Mon féminisme a pris racine avec Simone de Beauvoir et, peut-être aussi avec Doris Lessing. Il ne faut pas cantonner cette immense écrivaine au  féminisme. Elle refusait de s'enfermer dans cette école de pensée. Pour beaucoup de ses lecteurs fidèles, elle représente un souffle de liberté, de non-conformisme et d'indépendance. A travers ses ouvrages, elle construit une critique fondamentale contre un monde injuste, violent et patriarcal. S'il fallait choisir un livre pour la connaître, je conseille "Le Carnet d'or", mais aussi "La Terroriste", publié en 1985. A la fin de sa vie, elle s'est tournée vers le soufisme et a composé des romans plus courts mais tout aussi dérangeants.  Ce billet s'est inspiré d'un excellent article de Josyane Savigneau dans le monde d'aujourd'hui, article très instructif à base de citations de Doris Lessing. La fin d'une époque littéraire, celle des années 70 à 90, une époque fertile pour la littérature.
La romancière britannique Doris Lessing à Londres, le 30 janvier 2008. | REUTERS/TOBY MELV

 

vendredi 15 novembre 2013

Revue de presse

En ce mois de novembre, j'aime écrire mon billet sur la presse culturelle que je feuillette avec plaisir au fil des jours. Je lis donc des critiques de films, je saute les pages pour retrouver une critique sur un livre ou sur un écrivain. Je pourrais les consulter sur Internet, ou même dans le catalogue de la médiathèque qui propose la presse en ligne. Je suis décidément un cas à part, quelque peu archaïque, en avouant que les revues en papier me conviennent très bien, éparpillées dans la maison, avec une envie soudaine d'en ouvrir une pour consulter un article intéressant. Cela représente un petit budget mensuel d'une vingtaine d'euros et beaucoup moins quand on s'abonne annuellement (30 à 40 % de réduction). J'ai reçu Lire, qui, en ce mois de novembre, met en photo sur sa couverture un portrait dessiné de Camus avec un dossier central sur ses correspondances, ses amitiés, le témoignage de sa fille Catherine et d'André Brink. Je retrouve donc avec un plaisir immense un de mes écrivains préférés. On peut lire aussi un entretien avec Jaume Cabré, l'écrivain catalan, dont le "Confiteor" a été remarqué très favorablement à la rentrée littéraire. Le Magazine littéraire a choisi Denis Diderot, le philosophe heureux, car on fête son tricentenaire cette année, un anniversaire trop discret à mon avis dans les médias. Il est temps de découvrir l'œuvre de ce génie littéraire, éclectique, singulier, inspirateur des Lumières. La revue propose aussi un entretien avec Jaume Cabré comme son confrère Lire. Transfuge a mis l'accent sur les romans de New York, offre un grand entretien avec l'écrivain japonais Kenzaburo Ôé et beaucoup de critiques sur les nouveautés de la rentrée. Je salue le retour de la  Nouvelle Quinzaine littéraire avec une nouvelle maquette plus claire mais qui conserve son format traditionnel. Cette revue possède un charme particulier pour une lectrice fidèle depuis de nombreuses années. Je note le sérieux des articles, le souci de la découverte intellectuelle dans le monde de la littérature, de l'art, des sciences humaines. Je regrette quand même la disparition des dernières pages qui sélectionnaient les nouveautés éditoriales... J'espère que cette liste thématique reviendra dans les prochains numéros. 

jeudi 14 novembre 2013

Atelier de lecture, 2

Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons donc abordé les lectures dites "imposées" tirées au sort. J'ai demandé à Régine son avis sur "L'éducation libertine" de Jean-Baptiste Del Amo qu'elle a relu pour l'occasion avec le même plaisir. Elle a retrouvé l'atmosphère du Paris au XVIIIè avec les odeurs, les effluves caractéristiques de cette époque et un personnage central, un héros sans scrupules, immoral, ambitieux, qui ne songe qu'au pouvoir et à la réussite sociale. Elle a aussi lu "La femme aimée" d'Andréi Makine en nous conseillant de sauter les 80 premières pages, trop lourdes pour une lecture confortable. Le roman se rapproche de la biographie d'un personnage hors du commun, Catherine de Russie,  passionnante à découvrir. Marie-Christine a découvert "L'amant de Patagonie" d'Isabelle Autissier sans éprouver un emballement particulier. Véronique a parlé du roman difficile et curieux de Soazig Aaron sur la vie d'une rescapée des camps. Sylvie-Anne est allée sur Wikipédia pour rechercher des informations sur Marie Curie car le roman du suédois Per Olov Enquist traitait de la relation entre Blanche Wittman et Marie Curie. Marie se confie à Blanche, son assistante, et raconte sa liaison avec Paul Langevin : entre la réalité et la fiction, ce livre semble très singulier, à mi-chemin de l'essai, du reportage scientifique et du roman. Nicole a apprécié le "Némésis" de Philip Roth, histoire d'un jeune homme juif pendant la guerre de 39-45, réformé pour des raisons de santé et en proie à la culpabilité. Il diffuse malgré lui la polio dans un camp de jeunes, ce qui l'entraîne dans une spirale du renoncement pour le restant de sa vie. Un grand Philip Roth. Mais Nicole n'a pas aimé le roman de Clara Dupont-Monod, "La passion selon Juette", histoire d'une jeune fille au Moyen Age, trop religieuse, trop sainte à son goût. Janine a relaté avec précision et force détails intéressants le roman vraiment historique d'Anne Cuneo, "Le Maître de Garamond", ou la vie d'un intellectuel, Antoine Augureau, au XVè siècle à Paris, imprimeur, libraire, trop audacieux pour les théologiens de la Sorbonne qui ordonnent sa pendaison pour hérésie. Geneviève a évoqué le livre de Laurent Binet, "HHhH" ou l'histoire d'un criminel de guerre, Heydrich, chef de la gestapo, l'organisateur de la Shoah, que des Résistants tchèques veulent assassiner. L'écrivain intervient à tous moments pour construire son livre en vérifiant sans cesse l'exactitude des faits. Michèle avait tiré au sort "Le héron de Guernica" d'Antoine Chopin, ou l'histoire d'un jeune garçon, qui peint des hérons en aquarelle et qui se retrouve dans le rôle de témoin après le bombardement du village basque, Guernica, immortalisé par Picasso. Rencontre entre l'Histoire et l'Art. Danièle a beaucoup aimé "La Conquistadora" d'Eduardo Manet, un écrivain cubain, une histoire haute en couleurs d'une nonne, soldate dans l'armée espagnole et guerroyant dans le Nouveau Monde. Nous avons terminé avec Evelyne qui a lu avec intérêt le livre de Claude Pujade-Renaud, "Le désert et la grâce", où il est question de l'Abbaye de Port-Royal sous Louis XIV, avec des personnages emblématiques, luttant pour préserver leur héritage intellectuel, celui de Pascal et de Racine, ouvrage très érudit qui n'a pas effrayé Evelyne, sensible déjà à l'univers de la littérature classique. Le thème de la sélection concernait le poids de la Grande Histoire dans la littérature, et les romans  lus correspondaient bien à l'influence de l'Histoire sur les petites histoires individuelles. Des idées de lecture pour nos soirées hivernales qui se rapprochent...

mercredi 13 novembre 2013

Atelier de lecture, 1

En ce mardi 12 novembre, nous étions quatorze à nous rassembler autour des livres à la Maison de quartier du centre ville de Chambéry (AQCV). J'ai évoqué les résultats des nombreux prix littéraires décernés à l'automne dont le Goncourt à Pierre Lemaître pour son "Au revoir, là-haut", qui va certainement avoir beaucoup de succès auprès d'un large public sensible au thème de la guerre 14-18 et au retour difficile des soldats dans la France des années 20. Comme le veut la tradition, nous avons démarré par les coups de cœur. Geneviève a évoqué un ouvrage de Dany Laferrière, "Le charme des après-midi sans fin", paru en 1997, rempli d'anecdotes succulentes sur la vie à Haïti dans les années 50, avec des personnages truculents, dans une mosaïque d'instants de vie, propre à la culture de ce pays si touchant. Sylvie a découvert avec intérêt l'excellent roman de Tracy Chevalier, "Prodigieuses créatures", déjà évoqué dans l'atelier. Sylvie-Anne a voulu nous faire connaître un écrivain-chanteur du groupe Dionysos (?), Mathieu Malzieu, influencé par le monde onirique de Tim Burton dans son livre "Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi", un récit sur la mort de sa mère et sur la capacité de faire son deuil. Danièle a mentionné le roman de Claudie Gallay, "Une part du ciel", et un très bon roman policier japonais et "poétique", "Un café maison" de Keigo Higashino dans la collection Babel noir d'Actes Sud. Véronique a parlé de Nancy Huston et de son ouvrage "Les visages de  l'aube", avec des belles photos de nouveau-nés. Marie-Christine a aussi apprécié "L'immortelle randonnée" de Jean-Christophe Ruffin, où l'écrivain académicien relate son parcours sur plus de 800 kilomètres entre Saint Jean Pied de Port et Compostelle. Mylène a choisi "Quatre jours en mars" de Jens Christian Grondahl, paru en Folio. Elle a surtout apprécié la structure du texte, rythmée en quatre temps, le sujet (une femme en déplacement professionnel apprend que son fils a commis une agression sur un immigré), le portrait de notre époque contemporaine. Nicole a présenté un écrivain qu'elle aime bien, Marcello Fois, et son roman "Sang de ciel", qui se passe en Sardaigne. Régine a relaté sa déception concernant la lecture de plusieurs premiers romans (elle fait partie d'un comité de lecture du festival du Premier roman de Chambéry) et a montré un opuscule de Thomas Scotto, "Pensées en suspension" pour se détendre en souriant... Evelyne a relu des pièces de Racine, pour la beauté d'une langue française classique et intemporelle. Deuxième billet, demain pour la seconde partie de l'atelier.

lundi 11 novembre 2013

Retour de Rome

Je reprends mon blog après une bonne semaine d'interruption. Après toutes mes lectures sur Rome, j'ai confronté les images concoctées dans mon cerveau à la réalité... J'avais réservé une chambre avec une petite terrasse dans le Campo dei Fiori, près du Tibre dans le centre historique. Tous les lieux que je voulais visiter étaient donc à ma portée en utilisant la marche ou les transports publics. Les quartiers prioritaires en cinq jours : Campo de Fiori,  Navona, Panthéon, Forum, Colisée, Capitole, Borghèse, Trastevere, Aventin et un peu de Vatican... Evidemment, j'éprouve une allergie à fleur de peau quand j'aperçois sur les sites les plus touristiques des hordes de Japonais et Chinois, toujours en groupe et jamais seuls, avec des appareils photos super perfectionnés qu'ils utilisent à chaque seconde, comme si la réalité concrète à base de pierre, de ciel et de pins parasol les intimidait. La fontaine de Trévi m'a donné un spectacle loufoque : on était loin de l'atmosphère "Dolce vita" avec des centaines de touristes qui jetaient des pièces par dessus l'épaule... Je me suis donc "refugiée" dans les beaux palais des cardinaux aux plafonds baroques pour admirer des peintures des écoles siennoise, florentine, lombarde, des Caravage puissants, des Raphaël, etc. L'amoncellement des richesses culturelles de l'art italien donne le vertige, un vertige délicieusement vécu. J'ai arpenté des musées-galeries (Spada, Pamphili, Corsini, Barberini, Altemps, le Palais des Conservateurs du Capitole) très peu fréquentés en ce mois de novembre, qui  recèlent des merveilles en fresques murales, statues, meubles, objets, toiles immenses, des Vierges et des Christs, des Saints et des Saintes, des gens du peuple, des paysages, des natures mortes, des œuvres profanes. J'ai visité une vingtaine d'églises, aussi belles les unes que les autres, avec des plafonds peints, des toiles de maître, une atmosphère recueillie et rafraîchissante. J'ai surtout été quasiment fascinée par la Rome antique, décrite dans les guides et les livres que j'avais lus avant de partir. Quand vous découvrez au détour d'une rue, l'Area  d'Argentina, le Forum romain, le Marché de Trajan, le Colisée, le Palatin, l'Aventin, les siècles s'effacent devant nous et on se prend à rêver des Empereurs romains, des Sénateurs, du petit peuple et aussi des millions d'esclaves qui ont élevé ces murs, ces colonnes, ces chapiteaux, ces fondations : un voyage dans le temps, un retour aux sources de notre patrimoine culturel, une ville merveilleuse, magique et pleine de charme... Pour boucler ce rapide parcours d'une amoureuse de l'Italie, j'avoue que j'ai évité le Vatican, trop de monde, trop d'attente pour voir la Chapelle Sixtine. J'ai quitté la ville éternelle avec regret et nostalgie et me suis jurée d'y retourner et de conserver dans ma mémoire ces pins parasol, qui s'élèvent dans le ciel comme des cierges verts ennoblissant les centaines de monuments qui forment le paysage romain.

mardi 29 octobre 2013

Rome en préparation

En ce moment, je prépare un séjour à Rome que je vais effectuer en début novembre. Dès que je m'embarque pour une escapade, je me plonge dans un bain continu de lectures : guides très bien informés sur les sites, musées, hôtels, palais, églises, à voir en un jour (pourquoi pas ?), en trois ou six jours... Pour la ville de Rome, j'ai donc examiné le "Top 10", le Rome dans la collection Cartoville, très pratique pour les plans de quartier et les adresses de restaurants et magasins, le Rome en quelques jours de Lonely Planet, léger pour se promener, un "Rome insolite et secrète" dans l'édition Point2 au drôle de format, qui donne des adresses en particulier de quelques bibliothèques patrimoniales à admirer. Pour terminer sur les guides, je préconise la collection "Guides voir" chez Hachette, très clair, bien documentée sur la culture et le patrimoine en intégrant des plans, des dessins en trois dimensions, des explications historiques assez pointues et une iconographie de bonne qualité. Partir, c'est aussi voyager à travers des centaines de pages, surfer sur des quantités d'informations que l'on recoupe, synthétise, enregistre et valide pour organiser son séjour dans les meilleures conditions. Non seulement, j'avale des guides mais je me documente à satiété pour comprendre et apprécier les lieux visités. J'ai donc aussi emprunté à la bibliothèque des ouvrages sur Rome. Je citerai en priorité Lucien Jerphagnon avec son "Histoire de la Rome antique", un grand classique incontournable et surtout son dernier livre "Connais-toi toi-même... et fais ce que tu aimes", édité chez Albin Michel en 2012. Cet ouvrage, écrit dans une prose simple et compréhensible, raconte des anecdotes sur la civilisation romaine, sur la philosophie platonicienne. Ce grand philosophe, disparu en 2011, nous fait revivre cette époque comme si c'était hier... J'ai feuilleté des livres d'art sur la peinture romaine, sur l'architecture, sur les églises, et même sur l'histoire des femmes à Rome ! Une boulimique de lectures préparatoires, voilà ma marque de fabrique d'ancienne libraire et de bibliothécaire... J'ai fini aussi par reprendre ma Pléiade de Julien Gracq où j'ai relu le texte "Autour des sept collines", récit de voyage sur Rome en 1988 : un guide littéraire et historique dans une langue française d'une rare beauté. Je vais maintenant essayer de tout oublier, les livres et les mots, et les images, et les conseils, pour vivre en temps réel, cette escapade dans le temps romain à venir.

lundi 28 octobre 2013

"Nager nues"

Ce roman, écrit par Carla Guelfenbein, traduit de l'espagnol et publié chez Actes Sud en 2013 nous vient du Chili. Le coup d'état de Pinochet et le suicide d'Allende ont marqué la mémoire collective. Carla Guelfenbein a choisi cette toile de fond historique, tragique pour beaucoup de militants politiques qui ont disparu à tout jamais dans des fosses communes. Les personnages du roman forment un trio amoureux (très porteur en ce moment comme élément romanesque) : Diego, le père de Sophie et collaborateur du Président Allende, Sophie, sa fille artiste, et Morgana, l'amie intime de Sophie. Les deux jeunes femmes vivent une complicité rare et précieuse, mais cette amitié amoureuse vacille quand Sophie apprend l'histoire d'amour entre son père, à la quarantaine bien avancée, et Morgana, fascinée par la personnalité de Diego. La situation politique se dégrade au fil des pages : coups de téléphone anonymes, voiture suivie, vol dans l'appartement. Les deux amants se cachent et n'avouent pas leur liaison à Sophie. Le danger se précise mais le couple clandestin formé par Diego et Sophie résiste à cette pression politique. La première partie du roman se déroule en 1973. Quand Sophie apprend la vérité sur les liens amoureux de son père avec sa meilleure amie, elle refuse de les voir, et s'envole en France près de sa mère. Morgana attend un enfant de Diego et la situation politique exige une séparation. Mais les militaires interceptent le couple qui venait de se retrouver et les exécutent froidement. La deuxième partie du livre se passe en 2001. Sophie est devenue une artiste confirmée et elle voit à la télévision les images de l'attentat du 11 septembre à New York. Elle pense à la disparition de son père et de Morgana. Elle se lance à la recherche de l'enfant du couple maudit à ses yeux car elle s'est sentie trahie par leur mensonge. Sophie retrouve la petite fille, qui avait été récupérée par ses grands-parents espagnols, aujourd'hui âgée de 28 ans, mariée et mère de deux enfants . Va-t-elle lui dire la vérité sur ses parents assassinés par les militaires de Pinochet ? Avouera-t-elle son lien de parenté ? Carla Guelfenbein offre une version toute personnelle de la tragédie que son pays a vécu. Malgré le destin malheureux du couple, et la survie de Sophie, l'espoir peut renaître...
Un très beau roman...

vendredi 25 octobre 2013

Atelier de lecture, 3

J'avais donné une consigne en septembre : lire ou relire des œuvres d'Albert Camus dont on commémore le centenaire de sa naissance. Albert Camus est né le 7 novembre 1913 à Mondovi (Algérie) et il est mort dans un accident absurde de voiture en 1960, à 47 ans. Il existe des milliers de pages sur lui : biographies, revues critiques, témoignages nombreux d'amis, de compagnons et surtout de sa fille Catherine Camus. Son ouvrage sur son père, "Solitaire et solidaire" est un document unique et essentiel pour connaître dans son intimité, cet écrivain si proche de ses lecteurs(trices). Dans le cadre de l'atelier, j'ai surtout retenu deux interventions : celle de Janine qui a découvert "Le premier homme", manuscrit retrouvé dans une sacoche au moment de l'accident mortel. Le roman posthume, quasi autobiographique, a été édité en 1994 et fut un formidable best-seller (400 000 exemplaires en quelques mois). Janine a relevé la limpidité classique du récit : son enfance pauvre à Alger, la présence muette de sa mère aimante et perturbante de sa grand-mère autoritaire, la rôle de son instituteur Monsieur Germain, sa vie de jeune homme. Ce récit l'a touchée comme il a ému tous ceux qui apprécient son œuvre globale. Régine avait choisi le roman le plus sombre et le plus énigmatique de Camus, "La chute", publié en 1956. Un avocat se retrouve à Amsterdam près d'un pont et raconte sa déchéance morale, ses doutes et ses questionnements sur le sens de l'existence. Ce récit avait étonné son public par sa noirceur, sa désespérance. Mais Camus, comme l'a écrit son ami Roger Grenier, pouvait vivre heureux et malheureux, soleil et ombre. J'ai relu pour ma part, "L'Etranger", et après de nombreuses années, je l'ai trouvé encore plus profond qu'à ma première lecture de jeunesse. J'ai compris la dimension philosophique du livre, la notion de l'absurde, la part de hasard, de liberté et de libre-arbitre de l'anti-héros, n'éprouvant qu'indifférence pour sa mère et ses relations, et forçant son destin en assassinant un Arabe sur une plage. Le style de Camus n'a pris aucune ride et la modernité du sujet reste permanent dans le comportement humain. Pour terminer le billet sur cet écrivain magnifique, je citerai deux phrases emblématiques : "Créer, c'est vivre deux fois", "qu'il n'y ait pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre". Je reviendrai en novembre sur la coffret des "Carnets" en trois tomes publiés chez Folio que je savoure à petites doses pour retrouver régulièrement ce compagnon de littérature, toujours aussi vivant pour ses lecteurs(trices)...

jeudi 24 octobre 2013

Atelier de lecture, 2

Dans la deuxième partie de la rencontre, nous avons abordé les lectures "imposées" par le tirage au sort et que j'ai choisies sur les rayonnages de la bibliothèque municipale. Côté "bonne pioche" : Janine a beaucoup aimé  "La joueuse d'échecs" de Bertina Henrichs, un premier roman très réussi sur une femme qui découvre le jeu d'échecs au détriment de son mari, jaloux de cette passion exclusive. Elle vit dans une île grecque plutôt rétrograde sur le rôle des femmes et se libère du poids des traditions grâce à son talent particulier pour ce jeu. Ce livre avait été sélectionné dans le cadre du Festival du Premier roman de Chambéry. Evelyne a aussi apprécié le roman de Jean-Philippe Blondel, "6h41", titre évocateur d'un horaire de train où les deux protagonistes se rencontrent 27 ans après leur histoire amoureuse et les rôles sont renversés : l'homme a mal vieilli et la femme s'est épanouie... Les retrouvailles, dues au hasard, vont-elles aboutir à une nouvelle histoire entre eux ? Régine a lu avec attention le "Kosaburo, 1945" de Nicole Roland, l'histoire de trois jeunes Japonais enrôlés dans le corps "sacré" des Kamikazes pendant la guerre. L'auteur décrit le quotidien de ces jeunes fanatiques qui combattent pour l'honneur de la patrie et pour l'amour de l'empereur. Dans le trio, s'est glissée une jeune fille qui se déguise en jeune homme pour suivre son compagnon. Ce premier roman est donc un essai complétement réussi. Geneviève s'attendait à lire un roman ennuyeux qu'elle avait tiré au sort, "Tangente vers l'Est" de Maylis de Kerangal. Mais, au fil de la lecture, elle a découvert un univers mythique, celui du Transsibérien où un jeune homme russe en partance pour le service militaire obligatoire tente d'échapper à sa "garde" et se réfugie dans un compartiment occupé par une Française... Voilà pour les lectures "bonnes découvertes". Du côté des déceptions, Sylvie-Anne a lu "par devoir" le "Crépuscule" de M. Cunningham, roman trop "new-yorkais" nombriliste à son goût. Nicole a lu avec peu d'enthousiasme "Quelque chose en lui de Bartleby" de Philippe Delerm, trop guide touristique sur Paris. Marie-Christine a terminé la séance avec une appréciation mitigée sur le livre de Geneviève Brisac, "Une année avec mon père". Demain, j'aborderai les lectures concernant Albert Camus.

mercredi 23 octobre 2013

Atelier de lecture, 1

Pour cette deuxième séance de la saison, nous nous sommes retrouvées une bonne douzaine de lectrices autour de la table avec l'accueil de trois nouvelles  : Danièle, Michelle et Véronique. La première partie de l'atelier était consacrée aux coups de cœur de la rentrée. Geneviève a démarré en nous présentant  "Une mystérieuse fiancée",  de l'écrivaine irlandaise Kate O'Riordan, roman drôle, sensible et déjanté. L'histoire est riche en rebondissements et quiproquos amoureux avec des personnages hauts en couleurs comme une mère supérieure aimant fumer et boire du gin... Elle a aussi évoqué rapidement le récit autobiographique de l'excellente romancière Jeanette Winterson, "Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?". Evelyne a pris le relais en parlant d'un livre étrange, "Les jardins statuaires" de Jacques Abeille, difficile de prime abord mais qui a fini par la subjuguer. Longtemps refusé par les éditeurs, ce récit d'aventure initiatique raconte l'histoire d'un voyageur qui visite des domaines dans lesquels les hommes cultivent des statues. Un deuxième coup de cœur concerne le roman de l'islandais Bergsveinn Birgisson, "La lettre à Helga" ou la confession d'un vieil homme qui sent sa fin proche et adresse une lettre à la seule femme aimée qu'il n'a pas voulu suivre afin de rester sur ses terres loin de la ville. Il raconte sa vie rude et rustique d'éleveur et de pêcheur sous un ciel glacial et sur cette île sauvage, l'Islande. Danièle a choisi un très bon roman de la rentrée, "L'invention de nos vies" de Karine Tuil, déjà sélectionné pour le Goncourt. L'imposture et le mensonge traversent la vie d'un trio amoureux. Régine a fait preuve d'une grande conviction en nous parlant d'un premier roman saisissant, sans pathos, "Sauf les fleurs" de Nicolas Clément, une histoire de famille avec un père violent. Elle a mentionné un deuxième "premier roman" mais très dur à lire, "La petite fille monstre" de A. S. Nebojsa, sur le thème de la violence gratuite dans la guerre des Balkans. Pour conclure, Régine a aussi évoqué un documentaire de Laure Adler, "Les femmes qui lisent sont dangereuses", un hommage aux femmes lectrices... Nicole a terminé le tour de paroles avec deux coups de cœur : "La rebelle" de Valeria Montaldi ou l'histoire d'une femme médecin au Moyen Âge et "La belle vie" de Jay McInerney, un roman-culte sur l'après 11-septembre 2001 dans un New York où tout est remis en cause. Demain, la suite...

jeudi 17 octobre 2013

"Canada"

Quand j'ai remarqué la publication d'un roman de Richard Ford à cette rentrée littéraire, je l'ai mis en tête de ma liste des lectures. Hier, j'ai donc terminé les quasi 500 pages de "Canada", publié aux Editions de l'Olivier. La première phrase est décisive pour la compréhension de l'histoire : "D'abord, je vais raconter le hold-up que nos parents ont commis. Ensuite, les meurtres, qui se sont produits plus tard." Le narrateur, professeur à la retraite, raconte la vie de ses parents, de sa sœur jumelle dans une ville américaine au fin fond du Montana. Pendant les années 60, Dell Parsons a quinze ans. Son père est un ancien militaire de l'Air Force qui a mis fin à sa carrière trop tôt. Il galère pour faire vivre sa famille. Sa mère travaille dans une école. Famille de la classe moyenne, famille banale et sans histoires. Mais Bev Parsons, le père, va servir d'intermédiaire entre des Indiens et un responsable de cuisine dans un trafic de viande. Comme il sera berné lui-même, les Indiens lui réclament les deux mille dollars du trafic en question. Acculé, il prend une folle décision : braquer une banque pour sauver sa famille du harcèlement et des ennuis. Sa femme, pourtant raisonnable, le suit dans cette funeste aventure. Le jeune Dell décrit avec réalisme et pointillisme le quotidien de cette famille en proie aux difficultés que provoque le manque d'argent.  Il remarque le manège de ses parents dans l'organisation du braquage, seule solution selon eux pour refaire leur vie. Ce choix s'effectue dans une inconscience totale. Le jour fatidique arrive et les parents réalisent leur projet avec une naïveté confondante. Ils réussissent leur coup de folie et reviennent chez eux comme si rien ne s'était passé. Ils remboursent les Indiens et se sentent libres. Mais, la réalité les percute et la police vient les arrêter. Le destin est bouclé pour eux : case prison et abandon des enfants. La sœur jumelle prend la fuite et rejoint des marginaux. Le jeune garçon est pris en charge par une vague amie de sa mère et il passe la frontière vers le Canada. Il est confié à un homme mystérieux et ambigu, qui le met au travail. Que va-t-il devenir ? Je ne vais pas raconter la fin de ce grand roman. Richard Ford nous parle surtout de solitude dans un monde sauvage et brutal : les parents sont dépassés par le poids du réel, par leur manque d'amour et leur mésentente, leur inconscience et leur paranoïa, l'environnement familial semble indifférent. Le narrateur, devenu professeur, raconte ce naufrage familial et revient sur son passé traumatisant. Et pourtant, il a survécu à ce drame et écrit à la fin du roman : "On essaie, comme disait ma sœur. On essaie, tous tant que nous sommes. On essaie". Un des meilleurs romans de la rentrée...

mercredi 16 octobre 2013

"Les renards pâles"

J'avais évoqué l'œuvre singulière de Yannick Haenel après avoir lu son récit autobiographie "Le sens du calme", dans la collection "Traits et portraits" au Mercure de France. Son roman "documenté" sur le résistant polonais "Jan Karski" avait touché un lectorat plus élargi à cause d'une polémique, lancée par Claude Lanzmann. Yannick Haenel utilise la littérature comme un art du "dérangement", du "dérèglement", un absolu, un horizon infini. Dans son dernier roman, le personnage récurrent, Jean Deichel, poursuit sa quête de la solitude extrême, de l'isolement social, de la marginalité physique et intellectuelle. Il vit dans sa voiture dans une rue de Paris, n'a aucun revenu, se lave dans les douches d'une piscine, lit gratuitement dans une bibliothèque et fréquente des sans-papiers, des SDF, des "sans-travail". Sa radicalité du "rien", du vide va peu à peu se transformer dans un "nous" des "laissés pour compte" de la société capitaliste, mondialiste et égoïste. Il évoque les "renards pâles", des divinités Dogons, qui servent d'emblème à la nouvelle révolution anarchiste qui mettra le feu à Paris. Ces Communards, les "Misérables" du XXIème siècle, portent un masque comme les Anonymous du Net. Ils veulent détruite la notion d'identité, d'appartenance, d'ancrage social. Le projet de Yannick Haenel dans cette théorisation d'une nouvelle révolution m'a laissée sceptique. J'avoue que ce roman, pourtant très soutenu par la presse, en particulier dans le Monde des livres du 23 août, provoque soit une adhésion enthousiasmante, soit un rejet total. J'ai essayé de comprendre sa démarche de "d'écrivain-militant anarcho-révolutionnaire"  mais je déclare forfait pour ce dernier opus de Yannik Haenel, malgré le style, malgré la critique souvent juste d'une société inhumaine...

lundi 14 octobre 2013

Rubrique cinéma

"La vie d'Adèle", chapitres 1 et 2 dure trois heures, et le temps semble suspendu. Ce film de Abdellatif Kechiche a obtenu la Palme d'or à Cannes en 2013. Le réalisateur a choisi de traiter un sujet délicat, celui de la relation amoureuse entre deux femmes, en pleine controverse du mariage pour tous, qui a clivé les citoyens en deux camps : les "pour" l'extension des droits aux couples de même sexe et les "contre" pour le droit des enfants à avoir un père et une mère... Il faut aller voir ce film pour la beauté des images, de l'histoire et de la mise en scène. Adèle, interprétée par Adèle Exarchopoulos, est une lycéenne intégrée dans une bande de copines, toutes obsédées par l'amour, et surtout par le premier rapport sexuel. Un élève de première la drague et ils sortent ensemble sans passion de sa part. Elle est même déçue par leur relation physique. Un jour, Adèle croise Emma, une jeune femme aux cheveux bleus, fascinante à ses yeux. Elle la rencontre par hasard dans une boîte de nuit où les homos se retrouvent. La vie d'Adèle bascule à partir de cette soirée. Emma vient la chercher au lycée et leur liaison démarre dans un tourbillon de gestes amoureux, sensuels et érotiques. Elles vont vivre en couple dans le chapitre 2 du film. Mais, le réalisateur ne montre pas seulement le désir éblouissant entre les deux femmes, il film leur différence "socio-culturelle" : Adèle ne fait pas partie du même monde qu'Emma. Emma est une artiste peintre, inscrite à l'école des beaux-arts, vit dans un milieu ouvert, cultivé, tolérant. Les parents d'Emma les reçoivent en couple qu'elles forment alors qu'Adèle ment à ses parents, à ses collègues et cache son homosexualité. Emma ressent une lassitude et leur relation s'étiole. Le désir s'émousse du côté d'Emma. Adèle va finir par tromper sa compagne avec un collègue de son école. Ce sera pour Emma le prétexte de leur rupture. Elle rejoint une compagne qui vient d'avoir un bébé et forme une famille alors qu'Adèle se perd dans un désespoir inconsolable. Je ne dévoilerai pas la fin du film : Adèle va-t-elle oublier Emma ? J'ai aussi remarqué avec plaisir la place de la littérature dans le cheminement intellectuel d'Adèle. Le réalisateur film des scènes où les lycéens parlent de Marivaux, Emma évoque Sartre avec Adèle. Emma peint Adèle, elle l'initie à l'amour, à la passion, à la vie... Une chance pour Adèle d'avoir rencontré sa belle Emma, même si la perte est au bout du chemin. Un très beau film, une palme méritée et une leçon de tolérance bien à propos après la polémique du printemps sur le mariage pour tous.

vendredi 11 octobre 2013

"Les poissons ne ferment pas les yeux"

Erri de Luca est un des écrivains italiens les plus lus dans le monde. Il est né à Naples en 1950 et vit à la campagne près de Rome. Je viens de terminer son dernier livre avec ce drôle de titre, "Les poissons ne ferment pas les yeux", paru chez Gallimard. D'emblée, l'écriture d'Erri de Luca vous saisit par sa simplicité, son économie, son évidence. Le narrateur du récit semble bien correspondre à l'écrivain lui-même à l'âge de dix ans. Je le cite : "À travers l’écriture, je m’approche du moi-même d’il y a cinquante ans, pour un jubilé personnel. L’âge de dix ans ne m’a pas porté à écrire, jusqu’à aujourd‘hui. Il n’a pas la foule intérieure de l’enfance ni la découverte physique du corps adolescent. À dix ans, on est dans une enveloppe contenant toutes les formes futures. On regarde à l’extérieur en adultes présumés, mais à l’étroit dans une taille de souliers plus petite.»  L’enfant de la ville passe les vacances estivales sur une île, proche de Naples. Il aime profondément le monde de la mer, la pêche, les baignades. Il vit avec une mère courage, restée seule après le départ de son mari en Amérique. Sur la plage, il rencontre une fillette qui le fascine et elle le choisit comme compagnon. Il ne comprend pas trop ce qui le pousse vers elle. Mais, il découvre aussi la bêtise cruelle et la violence gratuite de trois garçons de son âge qui convoitaient l'adolescente. Leur jalousie éclate et ils se jettent sur le jeune garçon et l’expédient à l’infirmerie le visage en sang. Le narrateur ne se défend pas, oppose aux assaillants une non-violence consentie. Ce passage douloureux entre l'enfance et l'âge adulte relève d'une initiation, d'une naissance au monde et à l'amour. Ce récit d'enfance est un conte moral et philosophique à interpréter de mille façons. A lire, absolument...

 

jeudi 10 octobre 2013

Revue de presse

Après quelques jours de vacances dans mon Pays basque natal, je reprends la plume. (J'aime cette expression ancienne du temps d'avant quand on écrivait avec un stylo plume). Je reprends donc mon clavier pour présenter les revues du mois d'octobre. Lire présente sa sélection des romans étrangers, et l'on retrouve les mêmes grands noms de la littérature : Javier Marias, Richard Ford, Louise Erdrich, Richard Russo, etc. Le grand entretien de la revue concerne Anna Gavalda. Transfuge propose aussi la rentrée littéraire étrangère avec un choix plus original et en mettant l'accent sur des écrivains non anglophones pour la plupart et plus audacieux dans leur style et leur vision du monde : les argentins Martin Caparros et Alan Pauls, la russe Svetlana Alexievitch, J.M. Coetzee, le catalan Jaume Cabré, etc. Une nouvelle rubrique intitulée "remous littéraire" évoque la figure contestée de Guillaume Dustan. La revue parle beaucoup de cinéma avec des critiques sérieuses, documentées et subjectives. Le Magazine littéraire a choisi Jean Cocteau, "L'enfant terrible" dans son dossier central à l'occasion du cinquantenaire de sa mort en 1963. J'ai lu Cocteau quand j'étais jeune, et je l'ai jamais considéré comme un écrivain "majeur". En lisant le dossier, je vais peut-être changer d'avis... On retrouve aussi la rentrée littéraire étrangère et un entretien avec J.-J. Pauvert. Ma dernière revue, Page, élaborée par des libraires, analyse les essais de la rentrée, les nouveautés dans divers secteurs (littérature, policiers,  bande dessinée, jeunesse), toujours avec une maquette remarquable, ce qui devient rare de nos jours... Je viens d'apprendre l'attribution du Prix Nobel de littérature à Alice Munro, une écrivaine canadienne qui compose exclusivement des nouvelles. Enfin, une femme... 

mercredi 2 octobre 2013

Atelier d'écriture

Premier atelier d'écriture de la saison 2013-2014 ce mardi 1er octobre à 9h30. Mylène nous a préparé deux exercices inspirés des lieux de vacances. Nous avons listé des lieux de prédilection visités cet été et Mylène nous a demandé de construire un acrostiche (poème composé de telle sorte qu'en lisant dans le sens vertical, on retrouve le nom du lieu visité). J'ai choisi la Fondation Bodmer à Genève.
"Bodmer, bibliothèque patrimoniale, lieu de beauté, réserve intellectuelle de manuscrits, incunables et livres anciens
Oubli, lutter sans cesse contre l'oubli, se souvenir des anciens, de l'ancien temps, des hommes et des femmes, écrivains, civilisateurs du monde
Délices de l'esprit, écritures de Montaigne, de Proust, le geste de la main noircissant les pages blanches
Manuscrits, éclairés par une lumière diffuse, le monde des origines, la matrice essentielle
Ecrivains, aux étranges coutumes, enfermement, isolement, observation, vigilance, guides spirituels
Rêve, une vraie maison pour les livres, une bibliothèque de rêve, incontournable pour les passionnés de la littérature."

Ensuite, Mylène nous a lu un passage du livre de Jean-Paul Kauffmann, "Remonter la Marne" pour nous donner un exemple de description d'une scène. Ensuite, nous devions choisir dans notre mémoire une scène vécue ou inventée d'un fait divers ou d'un évènement surprenant.
Voilà donc mon deuxième texte :
"Ma table
Il y a assez longtemps, je me baladais régulièrement dans les brocantes des bords de route, chez Emmaüs, dans les magasins chics des antiquaires, toujours à la recherche d'un meuble original, d'un objet singulier, de livres anciens dont je faisais la collection. Un jour, dans un fouillis indescriptible, je tombe sur une petite table en bois blond, une table si mignonne à mes yeux, petite mais pas trop, pas encombrante, idéale pour mes exercices d'écriture, une table-bureau pour mon salon. Cette table, en fait, avait déjà une vie assez longue car elle possédait une originalité qui me touchait droit au cœur. C'était une table de bistrot... De quel bistrot ? mystère. Elle avait au bout de ses quatre pieds une couverture chromée et dorée, une longue tige en fer de la même couleur qui reliait la base et une tablette en bois en dessous du plateau, constitué  de quatre planches encadrées par un rebord. Les messieurs, qui fréquentaient les bars, déposaient leur chapeau sur cette tablette. J'avais enfin trouvé mon bureau idéal, moi qui suis un enfant de bar-café dans les années 50. J'ai acheté cette table sans discuter le prix tellement je sentais qu'elle m'attendait dans ce hangar poussiéreux et obscur d'un village en Savoie. Elle m'a suivie dans mes déménagements successifs : mobile, légère, pratique et jolie. Maintenant que je vis à Chambéry, ma table s'est enracinée dans mon salon, entourée de livres et de CD. Sous mes yeux, une reproduction d'un tableau de Vieira da Silva, "Bibliothèque". A ma droite, le jardin avec ses deux oliviers, des cyprès et un grand massif d'hortensias. J'observe parfois quelques rouge-gorge et des merles, de plus en plus rares dans ce quartier proche de la ville. Je me souviens d'un texte de Virginia Woolf, "Une chambre à soi", manifeste féministe sur la condition des femmes, qui m'avait fortement impressionnée. J'intitulerais plutôt  cet ouvrage, "Un bureau à soi", car ce mot évoque trop le monde masculin, et ce bureau, les femmes ont dû le conquérir... Ma petite table bistrot devient ainsi ma planche de salut, mon espace de liberté et une envie permanente d'écrire !"

mardi 1 octobre 2013

Rubrique cinéma

Evidemment, j'attendais avec gourmandise le dernier film de Woody Allen, "Blue Jasmine", qui est sorti mercredi dernier. Comme souvent avec Woody Allen, le charme opère et je suis sortie de la séance avec des questions et des interrogations existentielles. J'ai lu des critiques positives unanimes. Servie par une actrice mythique, venue d'Australie, Cate Blanchett, le film raconte l'histoire d'une femme riche, très riche, d'une insupportable vacuité et vanité, possédant un sentiment de classe, snob et détestable. Mais sa vie de femme idéale, d'une beauté froide bascule dans le dénuement le plus complet. Elle se refugie chez sa sœur, adoptée comme elle. Le film est construit entre présent et passé. L'humour grinçant de Woody Allen repose sur la confrontation des milieux sociaux, celui de Jasmine, un monde à part, doré et distingué, futile et vain, méprisant et insolent, un univers d'imposteurs et de parvenus. Royale et mondaine, cette femme ne voit rien venir, ne peut même pas imaginer les turpitudes de son mari, ni l'origine de sa richesse à la "Madof". Cette naïveté semble confondante, stupéfiante. Elle vit dans sa bulle confortable et douillette, un univers parallèle, virtuel. Dans son présent de femme déclassée, elle traverse avec angoisse l'univers de sa sœur, populaire, prolétaire, loin du confort matériel et social. Peut-être pour le cinéaste, une vie authentique, simple et moins superficielle que celle de Jasmine. Notre héroïne va tenter de se reconstruire, loin du milieu "vulgaire et brutal" de sa sœur. Elle accepte à contrecœur un travail dans un cabinet dentaire et entreprend une formation en informatique. Une collègue l'invite dans une soirée où elle rencontre un homme raffiné, riche et disponible. Jasmine se lie à cet homme sans lui dévoiler son passé désastreux. Va-t-elle enfin reconquérir sa place dans sa classe supérieure ? Pile ou face, allez voir ce film troublant, sérieux et ironique, et surtout émouvant. Cette femme perdue, infantile et immature reste digne dans sa nouvelle vie de misère. Sa dérive et sa défaite en font une victime touchante et quand Woody Allen la film dans son délire verbal, sa solitude la rend poignante d'humanité...

vendredi 27 septembre 2013

"En marge des jours"

J'avais écrit un billet sur J.-B. Pontalis concernant son dernier ouvrage posthume "Marée basse, marée haute". J'avais même citer un passage pour montrer l'art d'écrire de ce psychanalyste-écrivain, disparu cette année. Il dirigeait aussi une collection à la lisière de l'autobiographie, collection attachante, originale, unique, "L'un et l'autre" chez Gallimard. Cette semaine, j'avais envie de retrouver ce grand compagnon de littérature et j'ai donc lu deux de ces récits : "Le songe de Monomopata" (2009), et "En marge des jours" (2002). Evidemment, en parcourant ces mini-textes qui composent les deux recueils, j'ai ressenti le même sentiment d'adhésion, d'empathie et d'admiration pour cet écrivain, mélangeant des considérations psychanalytiques à des notations quotidiennes, comme deux vies superposées, deux vies cumulées, deux vies pleinement vécues. Je ne peux absolument pas relater des faits, des sujets, des événements, tirés de ces ouvrages. Pas de fil narratif, pas de construction rigide, mais des fragments, des impressions, des anecdotes, des idées, des réflexions, des rêves surtout. Le premier récit évoque l'amitié, son rôle dans la société, ses différentes formes, mais J.-B. Pontalis n'écrit pas un document sociologique, il parle des ses propres amis, en particulier de Jean-Pierre Vernant. Il évoque ses premiers compagnons rencontrés dans ses premières lectures et raconte l'amitié comme un art d'être. Le deuxième ouvrage "En marge de jours" procure le même bonheur de lecture et je ne peux pas m'empêcher de vous citer un passage qui résume l'esprit et le style "Pontalis" : "Si c'était quand le corps commence à se déglinguer qu'on ressentait que l'âme n'a pas d'âge. Les deux perceptions vont de pair. La perception d'un corps diminué, malade, mortel s'accompagne du sentiment que notre "âme" ignore le temps qui passe, qu'en nous-même tous nos âges sont présents, se mêlent et ne font qu'un. L'impérissable, l'indestructible, à défaut de l'immortel, est comme appelé en contrepartie de la conscience devenue plus évidente qu'on a de son corps déclinant. Refus de la défaite." Il faut lire ou relire cet écrivain rare et subtil, que je ne cesse de découvrir au fil de ses nombreux recueils, tous édités dans la collection Folio, et à glisser dans sa bibliothèque comme des présences amicales...

mercredi 25 septembre 2013

"La vie à côté"

Les éditeurs ne prennent pas trop de risques quand ils publient des romans étrangers, écrits par des écrivains confirmés et connus. La collection "La Cosmopolite" chez Stock propose un premier roman italien de Mariapia Veladiano, événement assez rare surtout dans la période prolifique de cette rentrée littéraire 2013. La presse spécialisée n'a pas fourni de critiques à l'exception notable de la revue des libraires, "Page". Cette invisibilité va se retrouver dans les bibliothèques qui, malheureusement, achètent les titres les plus demandés par le public ou les plus médiatisés par la presse professionnelle. Evidemment, on ne peut pas tout lire, mais je conseille vivement ce roman "décalé" et singulier. Le personnage central se nomme Rebecca, et elle avoue d'emblée "qu'elle est laide, vraiment laide". Cette disgrâce du corps la condamne à la solitude, à l'isolement familial et social, au rejet permanent des enfants et des adultes. Malgré ce lourd handicap de naissance, Rebecca nous raconte sa vie et se bat pour exister. Sa mère est tombée dans la dépression à la naissance de son "monstre" de fille et son père médecin fuit la réalité en travaillant.  Elle n'est pas tout à fait abandonnée grâce à sa tante Erminia, la sœur de son père, et à Maddalena, sa servante nounou. Dans son école, elle rencontre Lucilla, une petite fille fougueuse et joyeuse. L'univers de Rebecca semble rétréci, mais, il va se déployer par l'irruption d'un piano qui va changer sa vie. La présence de la musique va adoucir les tourments de Rebecca. Elle sera éduquée musicalement par un professeur de piano et cette passion va lui faire accepter son sort de "laideron" que tout le monde repousse. Mariapia Veladiano a voulu dénoncer la dictature de l'apparence physique, l'hypocrisie familiale, la lâcheté des adultes. Ce premier roman aborde des thèmes universels : la solitude, le rejet des autres, la méchanceté et le mensonge familial. A découvrir...

lundi 23 septembre 2013

Rubrique cinéma

Je suis allée voir par curiosité le film d'Emmanuelle Bercot, "Elle s'en va", road-movie à la française qui met à l'honneur notre gloire nationale du cinéma métropolitain, Catherine Deneuve. Bettie, le personnage central, cumule les malheurs dans sa vie : son amant la quitte pour une fille plus jeune (quelle banalité), son restaurant bat de l'aile, sa mère partage son espace, sa fille est fâchée avec elle, son petit-fils lui est inconnu. Elle se remet à fumer pour se "détendre", mais en voulant acheter du tabac, elle part avec sa voiture et le hasard l'amène à rencontrer un vieux paysan mutique, des filles paumées dans une boîte-western, un jeune gigolo marginal, un agent de sécurité prévoyant, et enfin son petit-fils qu'elle doit accompagner dans l'Ain chez son grand-père. Sa vie prend alors une tournure plus heureuse. La confrontation "petit-fils roublard et grand-mère maladroite" est un des passages les plus charmants pour sa fraîcheur, sa cocasserie et sa tendresse. Bettie va enfin rencontrer un homme bourru mais séduisant, (il est maire de son village). La famille "bancale" va devenir "normale" : les retrouvailles vont culminer dans un banquet champêtre avec la présence de sa fille, enfin apaisée, sa mère toujours aussi pimpante, et un nouveau complice, enfin gentil. Cette escapade s'avère salutaire pour Bettie. Le film ressemble un peu trop à un conte de fées moderne et frôle l'optimisme mièvre et béat. Mais, en ces temps de morosité, ce n'est pas négligeable de filmer la libération d'une femme "mûre", qui peut changer sa vie à problèmes en essayant de retrouver un équilibre familial et affectif. Catherine Deneuve traverse le film avec une légèreté amusante et étonnante. Sympa, sans plus.

vendredi 20 septembre 2013

"Une part de ciel"

J'aime bien la "petite musique" de Claudie Gallay, surtout dans un de ses romans les plus réussis, "Seule Venise". Dans cette rentrée littéraire, Actes Sud publie "Une part du ciel", un gros pavé de 445 pages où j'ai retrouvé cette musique particulière, empreinte de retenue, de pudeur, de simplicité. Carole, le personnage principal, revient dans sa vallée natale, dans le massif de la Vanoise. Elle attend son père, Curtil, éternel voyageur et père absent. Il a annoncé qu'il revenait pour les fêtes de Noël. Carole s'installe dans un gîte et va revivre un certain mode de vie lié à la montagne, un microcosme étouffant. Son frère et sa sœur n'ont jamais quitté ce village endormi mais sauvage et naturel malgré des projets de piste de ski. Son frère est garde-forestier et s'occupe de Gaby, l'autre sœur à problèmes. Gaby vit dans un bungalow, s'est liée avec un garçon qui sort de prison, a adopté une petite fille et galère de petit boulot en petit boulot. Gravitent autour de Carole des personnages secondaires qui rythment le quotidien. Carole s'intègre dans cette communauté, cet entre soi si particulier des villages en montagne, malgré sa différence "culturelle". Elle a fait des études, traduit un livre sur l'artiste Christo, prend des photos. Elle vit une rupture avec son mari et ses filles sont partis au Canada. La fratrie va ainsi se reconstituer et ils vont revivre des moments de leur passé commun : l'incendie de leur maison quand ils étaient enfants, les fuites perpétuelles de leur père, la dépression de leur mère. Claudie Gallay a écrit un roman impressionniste teinté de nostalgie et d'espoir. Cette "part de ciel" que chacun mérite de vivre est difficile à atteindre pour chaque personnage. Gaby va-t-elle sortir de la précarité ? Carole reverra-t-elle son père ? Vont-ils se comprendre et s'accepter ? Ce roman (un peu trop long à mon goût) mérite tout de même le détour surtout si on aime... la vie rude et rustique des petits villages en montagne. 

jeudi 19 septembre 2013

Atelier lecture, suite

Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons abordé les romans écrits par des écrivaines anglaises et américaines. J'avais établi une première liste, côté anglo-saxon avec Tracy Chevalier, Anita Brookner, Margaret Drabble, Zadie Smith, Angela Huth, Doris Lessing, Monica Ali, Esther Freud, Penelope Lively et Rose Tremain. Du côté américain, j'avais choisi Paula Fox, Anne Tyler, Alison Lurie, Louise Erdrich, Barbara Kingsolver, Lionel Shriver, Laura Kasischke, Siri Hustvedt, J.C. Oates, Toni Morrison.Verdict plus que mitigé pour "La bonne étoile" d'Esther Freud (petite fille de Sigmund), lu par Régine, mais elle a "adoré" le "Blonde" de J.C. Oates, portrait époustouflant d'une Marilyn Monroe fantasmée.  Sylvie a trouvé le roman d'Anne Tyler, "Une autre femme", fade, dépassé, sans intérêt. Sylvie-Anne a peu goûté "Les grands-mères" de Doris Lessing, un roman qui est loin de représenter le talent de cette écrivaine nobélisée et "Le café Paraiso" de Monica Ali. Janine n'est pas rentrée facilement dans le roman "La Couronne verte" de Laura Kasischke, trop tourmenté, inquiétant. Elle a préféré les "Prodigieuses créatures" de Tracy Chevalier, un livre original à l'ambiance très british, à la Jane Austen où il est question de fossiles dans les falaises, repérés par une femme courageuse et curieuse. Marie-Christine a bien aimé "Un fils exemplaire" d'Angela Huth. Nicole a vraiment apprécié le roman puissant de Siri Hustved. Ces deux heures d'échanges autour des livres, de la littérature et de l'écriture se déroulent toujours dans une ambiance conviviale et chaleureuse... Le mot "partage" semble bien correspondre au mot "atelier". Quand la lecture, acte solitaire, se transforme en acte collectif, l'objectif que je me suis fixée, est atteint, peut-être...