vendredi 7 septembre 2018

"Civilisation"

Régis Debray analyse l'hégémonie américaine dans cet essai, "Civilisation ou comment nous sommes devenus américains", publié récemment dans la collection Folio. Dès que j'ai ouvert le livre de cet écrivain et médiologue, j'avais envie de le lire d'une seule traite, ce qui est particulièrement rare pour un essai. Il faut souvent du temps, de la patience et une lenteur de lecture pour s'aventurer sur le terrain des sciences humaines. Régis Debray appartient à la catégorie des écrivains qui aiment profondément les mots, le style, la langue française. La grande thèse du livre repose sur un constat : notre vieille Europe sur le déclin est devenue une province des Etats-Unis. L'auteur traque les influences américaines dans notre culture nationale où les anglicismes pullulent, où les traditions changent comme Halloween à la Toussaint, où Disneyland attire toujours autant de touristes européens. Pour illustrer avec humour la perte de notre identité, il se met en scène en Hibernatus, cryogénisé dans les années 60 et raconte son retour à Paris :  il déambule dans le quartier latin et tombe sur les coffees, les Mac Do. Les librairies disparaissent, surtout celle des Presses Universitaires de France, remplacée par Nike… Et horreur, le hamburger dépasse le jambon-beurre ! Comme Régis Debray manie l'humour avec un talent fou, sa nostalgie d'un monde disparu se teinte d'une ironie lucide. Archéologue du présent, il décrit une société française américanisée surtout à Paris. Il montre que la civilisation européenne a changé dans son paradigme symbolique. Il dénonce le tout économique, l'homo oeconomicus, car il préfère le politique, l'homo politicus. Peut-on accuser Régis Debray d'antiaméricanisme ? Non, car il admire trop la littérature dont Faulkner,  le cinéma et la culture américaines. Il analyse aussi les notions de civilisation et de culture en proposant ses définitions : "Une culture est célibataire, une civilisation fait des petits". Il dialogue avec ses maîtres, Fernand Braudel et Toynbee, et rassure les lecteurs(trices) en évoquant l'islamisme radical qui ne peut pas se définir comme une civilisation… Régis Debray ne se décourage pas quand il écrit : "Qui a dit que sortir de l'histoire oblige à broyer du noir ?". Il faut donc imaginer Régis-Sisyphe comme un homme heureux…