mardi 28 avril 2015

Escapade à Porto, 2

Pour apprécier pleinement l'architecture de Porto, il faut s'informer sur l'art de la céramique, los Azulejos, des carreaux de faïence émaillée typiquement hispano-mauresque à l'origine. On en trouve partout : dans les parcs, les jardins, les églises, les immeubles, les gares, les magasins. Ces azulejos jouent avec la lumière, dispensent la fraîcheur, colorent la ville de bleu, jaune, blanc, vert. Cet art est toujours vivant comme l'indique la présence des azulejos dans le métro lisboète. Que représentent-ils ? Des motifs abstraits, des scènes champêtres, des personnages religieux, des gens du peuple, des navigateurs conquérants, des oiseaux, des animaux domestiques, des fleurs, des parures, etc. Tous ces éléments composent des fresques monumentales comme celles de la gare Sao Bento de Porto ou de simples panneaux. Ces images de céramique à la portée de tous, forment un art populaire expressif et instructif. Partout mon regard se tourne vers ces vestiges du temps et l'on feuillette ainsi à loisir des images minérales surprenantes. J'ai constitué une collection de détails et de motifs, dans chaque lieu visité. Cette ville portuaire regorge d'églises baroques, dont les façades sont couvertes d'azulejos. Le côté vintage des boutiques, souvent tenues par des "anciens" apporte un charme suranné à la cité et ses  trois lignes de tramway, utilisés par les touristes et parfois par les habitants pour rejoindre l'océan et le centre-ville, complètent le tableau citadin, teinté de nostalgie même si les terrasses de restaurants, les caves de vin, les balades en bateaux pour passer les six ponts de la ville, animent les quais de Porto.  Dans le centre, j'ai repéré la célèbre librairie centenaire Lello e Irmao, fondée en 1869 par une famille de libraires-éditeurs. Sa façade blanche Art nouveau attire le regard et quand j'ai pénétré dans la librairie, quelques touristes se faisaient prendre en photo pour immortaliser l'instant... Ils ne regardaient ni les livres, ni la décoration art nouveau, mais il leur fallait cet image triomphale de leur séjour car j'ai su que cet endroit avait inspiré la bibliothèque d'Harry Potter ! J'ai quand même admiré les boiseries anciennes, l'escalier rouge monumental, les livres d'art et de littérature bien présentés, une ambiance de cabinet de curiosités avec des fauteuils et un petit bar pour déguster un café. La célébrité du lieu, classé au patrimoine, gâche un peu l'esprit d'une librairie, plus voué au silence et au recueillement qu'au cirque touristique. Dommage... Mais, les livres apportent une touche tellement magique que l'on peut s'abstraire du tourbillon pour admirer cette librairie, qui n'a pas changé depuis plus de cent ans : une rareté dans notre monde d'aujourd'hui ! 

lundi 27 avril 2015

Escapade à Porto, 1

J'ai toujours envie de partir au printemps et le Portugal m'a semblé une étape adéquate en avril. J'ai donc loué un studio avec vue sur le Douro pour vivre au plus près du fleuve "d'or". J'avais découvert Lisbonne en 2005 et j'ai retrouvé dans cette ville portuaire du Nord, la même ambiance, imprégnée d'air marin, peuplée de mouettes virevoltantes, parsemée de bateaux en bois appelés rabelos, électrisée par une circulation automobile intense et la présence chaleureuse des Portugais, hommes et femmes  vraiment gentils, simples et naturels, souvent âgés. Dès la première soirée, le paysage de Porto se distingue par ses ponts d'une hauteur impressionnante. La ville se rénove sans cesse, des chantiers et des grues ponctuent l'espace. Dès que j'ai aperçu une église, j'ai compris que l'identité de la ville se nichait dans l'espace religieux.  Le Baroque triomphant du XVIIe au XVIIIe s'exprime sans retenue à l'intérieur alors que les façades extérieures sont recouvertes d'azulejos racontant la vie des saints et de Jésus. L'imagination s'est libérée en créant des autels en bois dorés torsadés (talha dourada), des statues expressives à outrance dans des mises en scène délirantes de la piété catholique. Ces églises racontent la foi profonde des Portugais. Les "igrejas" se nomment Sao Nicolau, Sao Lourenço, Sao Francisco, Dos Clericos, Das Carmelitas, et la cathédrale porte le nom de Sé avec son cloitre gothique. J'ai admiré les orgues magnifiques se déployant avec majesté et grâce sur les balcons de l'église et quelquefois situés dans l'autel. Le lendemain, tout en découvrant dans tous les quartiers traversés, une église baroquissime, j'ai photographié un nombre incalculable de façades à azulejos dont la très célèbre gare de Sao Bento. Mais j'ai réservé ma première halte de la soirée sur les quais du Douro ou Cais da Ribeira sur une terrasse où j'ai savouré mon premier porto blanc en contemplant le pont Dom Luiz I, réalisé par un collaborateur de Gustave Eiffel en 1877. Comme j'aime tout particulièrement les atmosphères maritimes, Porto ne pouvait que me plaire car dès que je vois des mouettes dans le ciel, l'océan est proche et j'avais reconnu son odeur dès que j'ai mis les pieds à l'aéroport...  

samedi 25 avril 2015

Littérature au féminin, 7

Notre dernière romancière étudiée, se nomme Françoise Sagan. Je vais seulement évoquer sa vie et rendre compte du cours, donné par Daniel, notre professeur de littérature. Dans les années 50 et 60, Sagan devient la coqueluche de la presse people, s'affiche en voiture de sport,  scandalise en flambant sa fortune au casino, symbolise la nouvelle vague, incarne une littérature de désinvolture, légère et agréable, frémissante de désillusion polie et maîtrisée. Evidemment, elle n'est pas considérée par la critique comme un grand classique à l'égal de Yourcenar ou Beauvoir. Son roman, "Bonjour tristesse", publié en 1954 a séduit plus de 500 000 lecteurs dès sa parution. L'histoire de cette jeune fille de 18 ans ressemble à une romance mélancolique : l'héroïne qui s'ennuie beaucoup, est jalouse de la maîtresse de son père, et cette jalousie cessera à la mort de cette femme dans un accident de voiture. Bonjour, tristesse... Que reste-t-il de Françoise Sagan ? Une légende du siècle dernier, une liberté audacieuse, un sens de la fête, de la dérision, mais aussi des addictions, une vie inscrite dans une adolescence assumée. Sur le plan politique, elle signe le Manifeste des 343 salopes pour l'avortement, soutient Solidarnosc, se lie d'amitié avec Mitterrand et Sartre, défraie la chronique judiciaire dans l'affaire Elf. A la fin de sa vie, elle est ruinée. Dans le dossier de notre professeur, il écrit : "Sagan, c'est le cynisme, la désinvolture, la sensualité, l'oisiveté, l'indifférence. Mais aussi, l'écriture romanesque et théâtrale, le cinéma, la chanson. Elle est la légèreté, la générosité, la bande de copains et la fête sans fin." Son œuvre autobiographique m'intéressera davantage que ses romans, en  particulier ses souvenirs, "Toxiques", "Avec mon meilleur souvenir", "Derrière l'épaule". Elle est morte en 2004 à l'âge de 69 ans d'une embolie pulmonaire. J'ai donc terminé l'évocation de ce cours de littérature au féminin avec Colette, Sarraute, Beauvoir, Yourcenar, Duras et Sagan : six femmes d'une importance capitale dans la littérature française du XXe siècle, à lire, ou à relire sans tarder.

mercredi 22 avril 2015

Littérature au féminin, 6

Je terminerai mon compte-rendu sur la littérature au féminin par deux femmes amoureuses : Marguerite Duras et Françoise Sagan. Marguerite Duras n'a plus besoin d'être présentée tellement son œuvre a rencontré son public. Elle a pris légitimement sa place dans le Panthéon de la Pléiade et, même si elle n'a pas eu l'influence de Simone de Beauvoir dans la vie des femmes, elle a suivi son propre chemin en littérature en représentant une avant-garde d'exception dans les lettres françaises. Elle est née en 1914, à Saigon,  car ses parents sont instituteurs et ont voulu réussir en Indochine. Mais, ils se ruinent et Marguerite retourne à Paris où elle suit des études de droit.  Elle se marie avec Robert Antelme (un grand Résistant arrêté et déporté). Sa vie va alors suivre une courbe littéraire singulière et une ligne politique à gauche. En 1950, son roman "Un barrage contre le Pacifique" rencontre un succès immédiat. Plus tard, elle se lancera dans le cinéma, le journalisme dans Libération, préside le prix Médicis, s'engage pour la décolonisation, l'avortement, défie la droite au pouvoir.  Elle traversera des épreuves difficiles comme son alcoolisme récurrent et trouvera un dernier compagnon en la personne de Yann, dont elle a 38 ans de plus. Ecrire et aimer ont été les deux grandes affaires de sa vie. Ses romans ont gardé une modernité avant-gardiste. Pour la connaître mieux, il faut lire "Le Barrage contre le Pacifique" en priorité, "Les petits chevaux de Tarquinia" et tous les ouvrages publiés chez Minuit dans lesquels, elle déconstruit le style, le sujet, les personnages. Elle peut agacer, déplaire, crisper mais, dès qu'elle apparaissait à l'écran, sa présence magnétique subjuguait et sa parole toute perlée de fulgurances fascinait. Au fond, cette femme écrivain, pétrie de désespoir, était une grande romantique. Une femme exceptionnelle, étrange, libre et sauvage, amoureuse et détruite, un voix géniale de la littérature au féminin...

mardi 21 avril 2015

Littérature au féminin, 5

Après Simone de Beauvoir, la féministe essentielle, notre professeur nous a proposé l'universelle Marguerite Yourcenar. Elle est née en 1903 à Bruxelles, de naissance noble, "Cleenewerck de Crayencour", Yourcenar étant l'anagramme de Crayencour. Son père l'éduque en autodidacte et enfant, elle traduit le latin, le grec ancien. Elle possède une culture vaste, historique et littéraire. Elle mène une vie de bohême à la mort de son père, rencontre sa compagne américaine, Grace Frick et part vivre aux Etats-Unis dès 1939. Elle écrit des romans très forts et emblématiques de son style classique : "Alexis ou le vain combat" en 1929, "Le Coup de grâce" en 1939. La consécration arrive en 1951 avec "Mémoires d'Hadrien". Ce roman philosophico-historique, un chef d'œuvre absolu, relatant l'histoire d'Hadrien (76-138), "est une méditation de l'empereur à la fin de sa vie, sous forme d'une longue lettre adressée, depuis sa villa au futur Marc Aurèle : il retrace les principaux événements de son existence, qui fut la plus libre et la plus lucide possible" (Wikipédia). Son amour pour Antinoüs, mort noyé à 17 ans, montre l'humanité d'Hadrien. Ce livre ne se lit pas d'emblée sans une solide culture du monde antique romain et grec mais, une fois que l'on s'est familiarisé avec les sources historiques, le lecteur ne peut que s'émerveiller de lire un tel roman, érudit, passionnant, vivant et puissant. J'ai souligné plusieurs phrases dont celle-ci, que j'aime tout particulièrement :  " Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-même : mes premières patries ont été les livres". Marguerite Yourcenar a intégré l'Académie française en 1980, fait exceptionnel pour une femme... Son deuxième chef-d'œuvre, Prix Femina en 1968, "L'Œuvre au noir" met en scène Zénon Ligre, un médecin, philosophe, alchimiste qui se suicide pour échapper à l'Inquisition. Cette grande, très grande dame de la littérature s'est déclarée citoyenne du monde. Férue d'Histoire, de philosophie, elle amène son lecteur(trice) vers des sommets d'intelligence et de culture qui font, de son œuvre entière, un bonheur de lecture incommensurable !

lundi 20 avril 2015

Littérature au féminin, 4

Après Colette, la terrienne sensuelle, et Nathalie Sarraute, la cérébrale géniale, nous avons étudié Simone de Beauvoir. Que reste-il d'elle aujourd'hui ? Indéniablement, beaucoup d'influence, évidemment dans les cercles féministes et dans la société toute entière. Tous les amoureux de littérature connaissent la "Beauvoir", qui en anglais, "beaver", désigne un castor. Elle est née en 1909 et a consacré sa vie à la littérature. Elle rencontre le grand amour de sa vie, Jean-Paul Sartre après avoir obtenu deux agrégations. Elle est mutée au Havre en tant que professeur de philosophie. Elle est mêlée à l'existentialisme sartrien et voyage beaucoup avec son "égal" sans pour autant vivre avec lui. Ils ne s'empêcheront jamais d'avoir d'autres amours tout au long de leur vie commune. En 1949, elle écrit son œuvre majeure par sa dimension politique, "Le Deuxième sexe", mis à l'index par le Vatican. Elle porte désormais le "flambeau" de la lutte féministe en dénonçant l'état d'infériorité des femmes dans une société française corsetée et archaïque. Depuis cette analyse fondamentale de la situation des femmes à travers les mythes, les civilisations, la religion, les traditions, le corps, Simone de Beauvoir soutient activement le MLF.  La phrase célèbre, "On ne naît pas femme, on le devient" est un hymne à la liberté de la femme, à son existence en tant que personne humaine. En étant une femme, utilise ta liberté, nous dit-elle... Elle reçoit le Goncourt pour "Les Mandarins" en 1954. Son engagement politique à gauche toute, la conduira à signer des manifestes comme celui des 121 contre la Guerre d'Algérie et celui pour l'avortement en 1971. Si on me demandait, que faut-il lire en priorité ? Je réponds sans hésiter : ses œuvres autobiographiques, "Mémoires d'une jeune fille rangée", "La Force de l'âge", "La Force des choses", "Une mort très douce", "Tout compte fait". Pour comprendre cette immense écrivain, je conseille aussi la très passionnante biographie de Danièle Sallenave, "Castor de guerre", chez Gallimard. Elle est morte en 1986 et elle est enterrée à côté de Sartre...

 

vendredi 17 avril 2015

"Et tu n'es pas revenu"

Marceline Loridan-Ivens est née en 1928 et pour commémorer la libération des camps, 70 ans après, elle compose une élégie à son père qui, lui, n'est pas revenu de l'enfer nazi. Ce témoignage très fort sur sa déportation à Auschwitz-Birkenau en 1944, relate son arrestation et celle de son père pour Drancy et la vie horrible qu'ils vont subir. Ce texte prend la forme d'une lettre bouleversante qu'elle adresse à ce père adoré. Il faut lire ce document et le relire car Marceline Loridan-Ivens s'inquiète des relents délétères de l'antisémitisme qui polluent le mental de certains de nos concitoyens et empoisonnent la société française. Ce petit livre intense, avec ses cent pages, est une piqûre de rappel historique, pour ne jamais oublier la souffrance insupportable des victimes du nazisme. Dans le camp, son père lui transmet un message écrit par l'intermédiaire d'un électricien, envoyé dans le bloc de la jeune fille de quinze ans.  Ils s'étaient croisés à deux reprises et il lui avait mis dans sa poche, une tomate et un oignon, produits rarissimes dans cet endroit inhumain. Marceline est mutée dans le triage des vêtements de "ceux qui étaient partis en fumée et dont l'odeur de chair brûlé planait sur le camp, pénétrait nos narines, nos os, nos pensées de jour comme de nuit, en nous promettant le même sort". Elle décrit avec un réalisme frappant, les travaux du camp, les humiliations, les assassinats glaçants, perpétrés par les nazis. Ce billet reçu, elle l'oublie tout de suite pour survivre dans cette jungle humaine. Elle écrit : "Il fallait que la mémoire se brise, sans cela, je n'aurais pas pu vivre". En 1945, les Russes libèrent le camp. Elle se retrouve à Paris, seule, sans les siens. Elle se reconstitue au Lutetia, "Nous étions des miracles". Elle retourne à Bollène chez sa mère et ne pense qu'à son père disparu. L'Etat français "décide de la disparition de Rosenberg Szlama" en 1948. La suite du récit relate sa survie à Paris, ses liens de famille éclatée, ses rencontres, mais, surtout, son désespoir et sa rage d'avoir vécu cette expérience indicible, inimaginable. Elle évoque la présence lumineuse de Simone Weil qui se trouvait dans le même convoi à Drancy pour l'Allemagne. Il lui a fallu du temps pour se remettre à vivre, à aimer, à respirer... Elle confie dans la dernière phrase de son texte, que, "Oui, ça valait le coup", de survivre... pour témoigner.

jeudi 16 avril 2015

Hommage à François Maspéro

François Maspero est parti à 83 ans. Cet éditeur, traducteur, écrivain, homme de gauche, de conviction sans faille a marqué ma génération.  J'ai des souvenirs sur l'éditeur Maspero, sulfureux et audacieux. Il publié des écrits révolutionnaires dans sa maison d'éditions et quand j'étais libraire dans les années 70 à Bayonne, j'avais des clients espagnols qui venaient acquérir avec impatience les "Maspero" car ses livres étaient interdits à 40 kilomètres de la frontière. Quelques éléments biographiques (source Wikipédia) sont nécessaires pour évoquer cet homme à la vie, marquée par un destin consacré aux livres et à la littérature engagée. Son père, un grand historien sinologue est mort à Buchenwald, son frère au combat et sa mère est internée à Ravensbrück (elle survivra). A 23 ans, il ouvre une librairie "La Joie de lire" en 1955. Il crée, en 1959, les Editions Maspero, engagées à gauche, anticolonialiste et révolutionnaire. Il rencontre des difficultés financières et en 1982, passe la main à François Gèze qui poursuit son œuvre en baptisant la nouvelle maison d'édition, "La Découverte". Après cette expérience d'éditeur engagé, il se lance dans l'écriture de romans. Il publie au Seuil "Le Sourire du chat", "Le Figuier". Il voyage beaucoup et effectue des reportages pour Radio-France.  Il se confie dans un texte autobiographique, "Les Abeilles et la guêpe". François Maspero a publié des chroniques sur la Bosnie, l'Amérique du Sud, la Palestine, dans le journal Le Monde. Homme de combat politique, épris de justice et d'égalité, sensible à toutes les luttes de libération sur la planète, François Maspero a voulu témoigner, toujours témoigner de l'histoire humaine dans ses (r)évolutions. Parallèlement, il traduit John Reed, Alvaro Mutis, Joseph Conrad, etc. Même si on ne partage en rien les idées de cet intellectuel engagé et enragé, j'ai voulu rendre hommage à un homme, éditeur de livres-combats, écrivain de romans intimes et forts, traducteur de grands écrivains, un homme-orchestre des mots ancrés dans la vie...

lundi 13 avril 2015

Littérature au féminin, 3

Le deuxième écrivain, Nathalie Sarraute, étudiée dans le cours de littérature, ne ressemble en aucun cas à Colette. L'une a une image de sensualité et de familiarité, l'autre appartient à la sphère intellectuelle et élitiste. Mais elles partagent la même vocation : la passion d'écrire. Nathalie Sarraute fait partie de l'avant-garde du  "Nouveau roman" avec Bernard Pinget, Michel Butor, Robbe-Grillet pour citer les plus connus. Née en 1900 et morte en 1999, elle a donc traversé le siècle dernier. Issue d'une famille bourgeoise russe, d'origine juive, elle entreprend des études à Oxford, Berlin et Paris. Elle devient avocate mais se fait radier du barreau à cause des infamantes lois anti-juives sous Pétain. De culture cosmopolite, elle découvre très tôt Proust et Joyce et entre en "littérature". Elle se consacrera toute sa vie à l'écriture. Il faut retenir quelques dates de ses œuvres : "Tropismes" en 1939, "Portrait d'un inconnu" en 1947, "Les fruits d'or" en 1963.  Elle signera une pétition sur le droit à l'insoumission dans la Guerre d'Algérie en 1960. Nathalie Sarraute a élaboré le concept littéraire de tropismes, ces mouvements de la pensée qui échappent à la conscience, "la source secrète de notre existence".  La révolution freudienne a marqué son inspiration et elle a utilisé dans ses romans un nouveau langage, un nouveau style, une nouvelle approche de la structure romanesque. La déconstruction des personnages est un parti pris dans ses œuvres ainsi que les non-dits, les lapsus, la sous-conversation. Elle définira le roman comme une tentative d'explorer ces "mouvements intérieurs que sont les phrases stéréotypées, les conventions sociales, qui, sous les apparentes banalités langagières, expriment la violence, génère l'angoisse ou la peur." (citation de mon professeur).  Cette théorie littéraire, "L'ère du soupçon", peut éloigner les lecteurs de cette œuvre dense, éminemment intelligente, assez hermétique pour le lecteur(trice), amateur d'intrigues et d'action. Dans la préface lumineuse de son roman, "Portrait d'un inconnu", Jean-Paul Sartre évoque la vision de Nathalie Sarraute sur le "mur de l'inauthentique", la seule relation de fuite des individus, de soi à soi et de soi aux autres... Je conseille pour approcher cette femme écrivain singulière et complexe, son chef d'œuvre, "Enfance", écrit en 1983, un texte autobiographie sur la petite Nathalie.

vendredi 10 avril 2015

Littérature au féminin, 2

La troisième séance était consacrée à Colette (1873-1954). Elle s'est mariée trois fois : à 20 ans, à 32 ans  (elle a une fille, Gazou) et à 62 ans... Daniel s'est appuyé sur la biographie très bien écrite d'Hortense Dufour et nous a conseillé deux ouvrages de Colette : "Le blé en herbe" et "La naissance du jour". J'avoue que je n'ai pas eu le temps de relire les deux titres car j'ai préféré relire Yourcenar et Sarraute... J'ai pourtant hérité des Pléiades de ma mère qui adorait cette femme audacieuse dans sa façon de vivre (danseuse de cabaret, nombreux amants et amantes). Colette représente une conception "naturaliste" de la littérature. Elle a décrit à merveille la nature, la campagne, les chats, les fleurs, les arbres : tout un univers naturel, plus près du XIXe siècle que du XXe. Dans le dossier documentaire sur Colette, Daniel la décrit comme une "écolière espiègle, à l'imagination aussi fantasque que fertile, un écrivain au style savoureux et poétique, une danseuse impudique et scandaleuse." Femme terrienne, attachée à sa Bourgogne natale, elle est toujours restée fidèle à sa famille et surtout à sa mère, Sido. Ce cours m'a redonné envie de lire quelques pages de "La naissance du jour", un récit autobiographique "à l'automne de sa vie" où elle avoue qu'il "va falloir vivre sans que ma vie et ma mort dépendent de l'amour. J'y arrive, c'est prodigieux." Ce livre bilan mérite le détour, même si on considère son œuvre, vieillotte, archaïque, dépassée, démodée comme un sous-Mauriac féminin sans les affres de la religion ou comme un sous-Giono paysan sans le tellurisme stylistique. Colette fait partie, à juste titre, de notre patrimoine littéraire français et les femmes écrivains sont tellement minoritaires dans ce monde des lettres, dominé par les hommes, qu'il ne faut pas les oublier. Notre professeur a donc réussi à "réhabiliter" Colette, un auteur classique accessible à tous, proche, familière, intimiste dont la vie et l'œuvre se télescopent sans cesse. Daniel nous a rappelé qu'à sa mort, en 1954, la République lui fait des funérailles officielles et l'entrée de l'église lui fut interdite...

jeudi 9 avril 2015

Littérature au féminin, 1

J'ai suivi un cours de littérature féminine, organisé par l'Université savoisienne du temps libre (USTL) et assuré par Daniel Caffiers. Il nous a proposés six séances le lundi après-midi de février à fin mars. Je viens de terminer ce parcours et même si je connaissais assez bien les écrivains choisis, j'ai beaucoup apprécié ces rencontres hebdomadaires. Je vais essayer dans ce blog de retranscrire les notes prises lors de ces cours. Je vais, évidemment, cité notre professeur, et en relisant ces notes éparses, je désire conserver une trace écrite de ces séances en plusieurs billets. Le programme sur le roman féminin (ou le roman au féminin ou le roman féministe) concernait Colette, Nathalie Sarraute, Marguerite Yourcenar, Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Françoise Sagan. Daniel (j'utiliserai son prénom par cordialité) a évoqué l'irruption de la littérature féminine au XXè siècle. Les femmes s'émancipent, travaillent, prennent en charge leur famille. Elles ont bénéficié de l'école obligatoire, ont obtenu le droit de vote en 1945, le droit à l'avortement dans les années 70, etc. Les luttes féministes pour l'égalité des droits ont définitivement imprégné la société occidentale (en étant optimiste et vigilante)...  Il faut rappeler aussi les grandes figures littéraires féminines des siècles précédents : Sapho, Louise Labé, Christine de Pisan, Madame de Sévigné, etc. Daniel a parlé de toutes les femmes écrivains des années 60 à 80 que l'on ne lit plus aujourd'hui comme Marie Cardinal, Christine de Rivoyre, Françoise Mallet-Joris, Benoîte Groult, etc. Dans un dossier envoyé par Daniel, je relève cette citation : "Elles disent avec véhémence leurs humiliations, frustrations, rancunes. Elles font usage de la littérature pour affirmer leur identité et de dire bien haut leurs revendications." Cette littérature de circonstances, de militantisme a perdu son aura et son influence. En 1973, la maison d'édition "Des Femmes" a été créée et a diffusé des écrivains emblématiques comme l'immense Hélène Cixous. Annie Ernaux, elle-même, revendique une voix féministe. La question centrale des deux premiers cours se résumait ainsi : écrire, est-ce masculin ou féminin ?   Les femmes écrivains choisies par Daniel représentent peut-être la quintessence de la littérature féminine du Vingtième Siècle et apportent peu-être la réponse à la question.

lundi 6 avril 2015

Eloge de la philosophie

Je viens de terminer l'ouvrage de Marcel Conche, "Le sens de la philosophie", publié chez Encre Marine en 2003. Depuis que j'assiste à un cours de philosophie le mercredi matin, donné par Daniel Caffiers, (le même professeur qui donne au Relais du Covet des cours de littérature et d'histoire ancienne), la compréhension des textes philosophiques me semble un peu moins intimidante que par le passé. Il faut peut-être un peu d'audace ou d'inconscience pour se lancer dans une lecture plus ambitieuse qu'à l'habitude. Marcel Conche évoque donc dans son ouvrage très accessible une définition de la philosophie qu'il nomme une école de vérité et du questionnement sans vouloir trouver la réponse ou les réponses. Les trois textes proviennent de conférences et elles sont écrites avec une simplicité et une limpidité remarquables. Même sans une grande culture spécialisée dans ce domaine, les nombreuses citations de philosophes n'intimident pas le lecteur occasionnel. Marcel Conche cite un grand nombre de ses confrères : Montaigne, Descartes, Hegel, Heidegger, Kant mais il a un amour inconditionnel pour les Grecs, surtout Platon, Aristote, Parménide, Epicure. Pour tous ces penseurs, vivre ne peut que rimer avec philosopher, "Ce qui est normal pour l'homme, c'est de ne pas vivre sans philosopher". Il ne faut pas essayer de comprendre d'emblée la pensée profonde de l'auteur mais d'apprécier quelques phrases fortes et belles sur le temps qui passe, la vie et la mort, l'amour et le désamour. Tous les philosophes cités peuvent apporter des bribes de réponses aux questions lancinantes, que l'homme (et la femme !)  se posent sans le secours des religions consolantes ou des systèmes dogmatiques. Pour conclure ce billet-éloge de Marcel Conche, je cite ce passage : "Abstraction faite de l'expérience religieuse, (...) l'homme est seul. Il n'est personne pour écouter ses questions et sa plainte. La "lumière naturelle" lui sert surtout à ressortir, de tous côtés, des ombres. Il lui reste, ayant laissé le sacré sur sa route, à assumer sa solitude, et c'est cela, philosopher." Le philosophe dresse, dans la troisième conférence, un portrait attachant du plus grand des philosophes à ses yeux : Socrate... Cet essai est une porte d'entrée, vraiment ouverte, sur la culture philosophique, et même si certains passages sont plus difficiles à comprendre, Marcel Conche accompagne le lecteur avec une empathie manifeste pour le rassurer et l'encourager à poursuivre la lecture... 

samedi 4 avril 2015

Visites en bibliothèque

Je ne peux pas m'empêcher de visiter les bibliothèques quand je voyage, tellement les livres font partie de mon univers mental et sensible. Les espaces consacrés aux livres comme les librairies et les bibliothèques m'attirent à la façon d'un aimant à qui on ne résiste pas. Je suis à Anglet dans ma famille et ma sœur m'a prêtée sa carte de lectrice de la médiathèque d'Anglet pour emprunter quelques documents. Pourtant, j'ai d'autres activités comme mes nombreuses balades à la Chambre d'Amour à Anglet, à la grande plage de Biarritz, à Bayonne, sur les bord de la Nive et de l'Adour. Mais, je ressens un besoin permanent d'arpenter aussi des espaces livresques, mes vagues de papier, mon écume de fiction, mes galets pensifs, mes bouts de bois documentaires, mes mouettes poétiques et mes bateaux d'art. J'ai revu la médiathèque d'Anglet, un bâtiment accroché au sol, sans étage, et s'étalant comme une étoile de mer dans une distribution intelligente : secteurs adulte, enfants, médias, exposition s'enroulant les uns aux autres avec une accessibilité agréable. Cette bibliothèque ne se prend pas pour un vaisseau amiral comme la médiathèque imposante de Biarritz qui fête ses dix ans de vie, toute en bois et d'une dimension extravagante. Il faut bien plaire aussi à la masse des touristes et des retraités nantis de la ville océane et réputée chic de la côte basque. Je préfère la modeste, celle d'Anglet, où on se sent bien accueilli à la Biarrote, trop ostentatoire et un peu arrogante dans sa dynamique architecturale. Il ne faut pas intimider les lecteurs potentiels et il vaut mieux encourager la fréquentation de ces lieux essentiels dans une cité, trop souvent délaissés par la grande majorité de la population (seulement, 15 à 20 % d'habitants inscrits dans une bibliothèque). Dans ma pêche miraculeuse, je suis sortie de la médiathèque d'Anglet avec un ouvrage du philosophe Marcel Conche, un beau livre d'art sur les vases grecs, deux guides sur Porto (ma prochaine destination),  des CD de Bach, Haendel, bref, une manne de bonheur de lecture et de musique. Tous ces trésors sont en plus, gratuits car la ville d'Anglet, voulant rendre la culture accessible à tous,  a choisi la gratuité totale. J'ai envie de dire que la lecture est un bienfait pour la santé au même titre que le sport, et quand je vois la multitude de stades de football et de rugby, de salles sportives, partout en France, j'ose penser que les mairies se doivent de financer er d'encourager le maintien vital des bibliothèques, paradis laïques, légitimes et indispensables pour muscler notre mental, éclairer notre esprit et affirmer notre existence en tant que citoyen du monde...

jeudi 2 avril 2015

Joë Bousquet à Carcassonne

Je suis partie au Pays basque et sur le long trajet de Chambéry à Biarritz, j'ai fait une halte... littéraire à Carcassonne, célèbre pour sa cité médiévale, son centre ancien et sa culture de la vigne. Mais, dans cette ville qui ne vit que du tourisme "passant", il existe un lieu singulier, intimiste et émouvant, je veux parler de la chambre de Joë Bousquet, exposée derrière une vitre. Le Conseil Général de l'Aude finance cet espace culturel, "Le centre Joë Bousquet et son temps", une "Maison des Mémoires" située rue de Verdun, en plein centre ville. A côté de la chambre très sombre du poète surréaliste, le visiteur traverse trois petites salles où une exposition retrace la vie du poète. Sur les panneaux des vitrines, on peut lire des poèmes, des plans de lecture car Joë Bousquet était un lecteur passionné. Les murs sont couverts de peintures surréalistes,  de nombreuses photos de famille et d'amis. Le poète a vécu dans cette maison familiale "après avoir fait à la patrie le sacrifice de sa jeunesse et s'est voué pendant vingt ans à la seule vie de l'esprit". Né en 1897, il est blessé en 1918 pendant la Première Guerre mondiale. Atteint à la colonne vertébrale, il perd l'usage de ses jambes. Il demeure alité le reste de sa vie (réf. Wikipédia).  Il crée la revue "Chantiers" et dans les années 1940, il collabore aux "Cahiers du Sud". Il entretient des relations épistolaires avec Paul Eluard, Max Ernst, Jean Paulhan. Il écrit cette phrase limpide : "Je cherche une clarté qui change tous les mots", résumant sa vocation de surréaliste. Bien qu'handicapé, il a vécu amoureusement sa vie et son œuvre entière reflète cette recherche de l'absolu. Sa chambre est restée dans sa parfaite ordonnance, pleine de livres et de tableaux, avec un lit étroit, des meubles modestes, et une seule lampe de chevet car le poète vivait dans une sorte de grotte spirituelle sans ouverture sur l'extérieur. Un lieu à découvrir si vous passez à Carcassonne...J'ai eu la chance aussi de visiter une exposition sur les livres d'artiste que le responsable m'a permis de découvrir alors qu'elle était fermée au public. Je n'ai pas perdu mon temps dans cette étape de trois heures pour marcher dans la ville, visiter la "Maison des Mémoires" et parcourir un itinéraire autour du livre d'artiste ! 

mercredi 1 avril 2015

"Seule la mer"

Il peut arriver dans une vie de lectrice de passer à côté d'un écrivain (ou de plusieurs), de faire preuve d'incuriosité, de préjugés, de méconnaissance... Pourtant, cette lectrice lambda baigne sans cesse dans la culture littéraire et  ne comprend pas d'avoir été paresseuse, pas assez audacieuse dans ses choix. J'ai découvert récemment une femme écrivain d'Israël, Zeruya Shalev, et son dernier roman est d'une telle puissance narrative, psychologique que j'ai eu envie d'en savoir plus sur leur littérature. J'avais entendu parler d'Amos Oz et j'ai donc emprunté quelques-uns de ses ouvrages à la bibliothèque municipale. J'ai commencé par "Seule la mer" et je compte poursuivre la découverte, pleine de promesses, de ce grand écrivain. Il est né en 1939 à Jérusalem, a reçu de nombreux prix littéraires, est traduit en trente-cinq langues. Il milite pour la paix dans son pays et il intervient souvent dans la presse internationale. "Seule la mer", publié en 1999, démarre ainsi : "Non loin de la mer, rue Amirin
             Monsieur Albert Denon vit seul. C'est un amateur
             d'olives et de feta."
Le personnage central se nomme Albert, conseiller fiscal. Il vient de perdre sa femme, morte d'un cancer et son fils est parti pour le Tibet. Une voisine amie, Bettine, se soucie de lui et sa belle-fille, Dita, vient s'installer dans sa maison. Le narrateur-auteur met en scène ses personnages dans une suite de chapitres sous forme de poèmes ou de prose poétique. Certains textes sont très courts, d'autres plus longs.  Cette démarche littéraire peut déranger le lecteur(trice) car un roman se lit habituellement d'une façon linéaire. Dans le résumé proposé par Gallimard, je cite cet extrait : "Un chassé-croisé de voix et d'histoires que le narrateur, affranchi de toute contrainte formelle, tisse, tout en nous parlant de lui, en un poème bouleversant qui se lit comme un roman (ou comme un poème ?) pour serrer au plus près la quintessence de nos vies, le désir, la nostalgie d'un bonheur perdu, la mort qui nous cueille." A la page 78, l'écrivain intervient pour résumer l'intrigue entre les personnages qui forment des trios : père-fils-mère, père-belle-fille-fils, père-voisine-Dita, Dita et ses deux amants, etc. Une atmosphère mélancolique nimbe le texte-poème et les sentiments les plus universels, ressentis par les hommes et les femmes de tous les pays, dessinent une mosaïque vivante composée d'amour, d'amitié, de joie sans oublier l'envers de ces mots, la haine, le désamour, la tristesse, la trahison, le mal de vivre. Et surtout dans ce texte, en filigrane, la douce musique mélancolique de la solitude, une solitude plus existentielle que vécue. Je suis heureuse d'avoir découvert un tel écrivain, et seulement avec ce premier titre lu, j'aime savoir que les romans d'Amos Oz que l'on qualifie de "tchékhoviens", m'attendent avec patience, en librairie et en bibliothèque...