lundi 29 juin 2020

Philosophie Magazine

Le mensuel, "Philosophie Magazine", daté de juillet, s'intéresse ce mois-ci au "Goût de la vie". Après la crise épidémique, voilà une bonne question à se poser. Dans le dossier principal, la revue propose une analyse très intéressante de ce sujet si ample.  Epicure définissait le bonheur comme un état "ataraxique", où l'on n'éprouve ni douleur, ni joie, un mode de vie tranquille. Mais, cet idéal ne se pratique pas facilement car, nous dit Vincent Delacroix : "Il est relativement rare que nous n'ayons réellement aucun trouble, aucune agitation en nous". Tensions, frustrations, angoisse de la maladie, maux corporels, corvées diverses entament souvent notre humeur et si on ajoute le "cours des événements du monde", le tableau semble complet. Le philosophe mentionne aussi Socrate, Diogène Laërce et termine avec Clément Rosset, l'apôtre de la joie de vivre sans raison particulière comme si l'on possédait un talent né. Un tableau récapitule tous les formes du goût de la vie : les éthiques de la joie, les hédonistes chrétiens, les éthiques du bonheur et les éthiques du plaisir. Un troisième article propose "le sel du rituel" qui "scandent et magnifient nos journées. De la tasse de café aux mots croisés, de la cigarette à la méditation, six philosophes confient leurs manies. "L'épreuve du négatif renforce-t-elle notre appétit de vivre ?" , question essentielle exposée en particulier par Dorian Astor et François Jullien. Un dernier article concerne deux personnalités atypiques, Philippe Mangeot, ex-président d'Act Up et d'Annie Le Brun qui prônent l'esprit de subversion, un art libertaire de vivre face aux lourdeurs sociales. La revue ne s'intéresse pas seulement à ce "goût de la vie", sujet ô combien passionnant. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'enquête sur le quartier sensible de la Villeneuve à Grenoble, une utopie urbaine qui se délite et se défait sous les yeux impuissants de certains militants à l'origine de ce projet du "vivre ensemble"... On peut lire aussi un reportage sur les Indiens d'Amazonie, un portrait de Sartre. Le cahier central présente l'œuvre d'une écrivaine japonaise du Xe siècle, Sei Shonagon, avec ses notes de chevet. Cette revue se lit donc avec un plaisir certain, stimule notre curiosité, apporte des connaissances en philosophie et s'adapte aux lecteurs(trcies) sans adopter un langage hermétique de bon aloi qui pourrait rebuter certains lecteurs(trices). Un très bon numéro de juillet. 

vendredi 26 juin 2020

"La bibliothèque idéale existe-t-elle ?"

Télérama a mis les bibliothèques à l'honneur cette semaine. Tant mieux et je me félicite quand la presse évoque le monde merveilleux des livres. Dans l'article consacré à la bibliothèque idéale, la journaliste revient sur la Bibliothèque d'Alexandrie aux 700 000 rouleaux de papyrus envolés lors de l'incendie. "Si la bibliothèque d'Alexandrie a finalement disparu, la quête de la bibliothèque idéale, elle, est restée", rappelle Christian Jacob, auteur d'un ouvrage qui vient de paraître, "Des mondes lettrés aux lieux du savoir" aux Belles Lettres. La Bibliothèque Nationale de France possède plus de 40 millions de documents et n'arrive plus à réceptionner les nouveautés qui affluent jour après jour. Ces bibliothèques institutionnelles engrangent les connaissances humaines et sont indispensables pour notre mémoire collective. Les bibliothèques des lecteurs appartiennent à ce mythe de l'idéal et Alberto Manguel qui disposait d'un fonds de 40 000 ouvrages définit ce projet ainsi : "Il n'est rien de plus vivant, de plus libre, de plus évolutif que la bibliothèque d'un particulier. Parce qu'elle reflète son état d'esprit, par définition non figée". Des bâtiments solides aux collections numériques, le concept évolue en fonction de l'imagination humaine. William Marx se réjouit de la "survivance" de ces établissements : "Des bibliothèques de toute beauté continuent à ouvrir partout dans le monde, témoignage touchant d'une fascination, d'une nostalgie très contemporaine et qui montrent à quel point il est difficile de sortir d'un monde de livres". Télérama propose aussi sa liste des 100, liste confectionnée par l'équipe de l'hebdomadaire. J'ai remarqué déjà dans les romans contemporains l'incontournable "La peste", mais le choix devient plus éclectique avec un Ernaux, "Mémoire de fille", un Gracq, "Le Balcon en forêt", un Duras, "Le ravissement de LoL V. Stein", un Houellebecq, "La possibilité d'une île", Charlotte Delbo, "Aucun de nous ne reviendra". Cette liste me semble vraiment intéressante et plus originale que beaucoup d'autres que l'on peut trouver dans la presse. J'ai relu récemment Gracq et Camus, Delbo et Ernaux… Belles coïncidences. Je vais donc relire Duras, et surtout me replonger dans l'univers de Houellebecq… L'été a toujours été pour moi un temps de lectures et de relectures. Suivons les conseils avisés de Télérama !

jeudi 25 juin 2020

"Berta Isla"

Javier Marias, écrivain espagnol, né en 1951, est une des figures majeures de la littérature européenne. Son roman, "Berta Isla", publié dans la prestigieuse collection "Du Monde entier" chez Gallimard, se lit comme une enquête d'une ambiguïté toute borgésienne. Les deux personnages principaux s'appellent Berta, une jeune Madrilène, et Tomas Nevinson, hispano-britannique. Quand ils se rencontrent, ils poursuivent des études supérieurs à Madrid. Leurs destins semblent tout tracés : un mariage, de belles situations, des enfants… Mais, il suffit à Tomas de partir à Londres pour changer la trajectoire de sa vie. Ils s'étaient tous les deux permis quelques infidélités dans ces années post-franquistes et Tomas entretient une relation amoureuse avec une employée de librairie à Oxford. Berta, de son côté, rencontre un homme alors qu'elle s'était écorchée le genou. Tomas, un matin, alors qu'il sortait de l'appartement de sa maîtresse, voit un homme monter chez elle. Plus tard, il apprend que la jeune fille est assassinée. Sa présence à quelques heures de cet événement le désigne comme le meurtrier potentiel. Un de ses professeurs, qui a détecté des talents inouïs sur l'apprentissage des langues, lui conseille de régler au plus vite ce problème délicat. Un officier du Foreign office lui rend visite et il finit par accepter de collaborer avec lui pour échapper à l'interrogatoire d'un policier. La vie de Tomas bascule après cette décision fatale. Son destin est scellé : il devra cacher à tout son entourage qu'il est devenu espion. Il retourne à Madrid et retrouve son grand et son premier amour, Berta. Ils se marient, ont deux enfants et leur couple fonctionne bien malgré les absences répétées de Tomas, de plus en plus longues. Il raconte qu'il travaille au Ministère des Affaires étrangères comme diplomate. Or, un jour, Tomas disparaît sans donner des nouvelles. Commence alors pour Berta une attente sans fin, une attente angoissante : est-il mort ? Vivant ? A-t-il refait sa vie ? Toutes ces questions restent sans réponse… Javier Marias donne la parole à une femme abandonnée, éperdument éprise de son mari. Qui est vraiment Tomas ? Comment aimer un homme qui vous échappe ? Tomas, dans son rôle d'espion, est condamné au silence, à la dissimulation, au simulacre. Il devient lui-même un personnage fictif sans réalité, sans ancrage au service de l'Histoire. Berta se pose mille questions sur ses missions. La fin de l'intrigue dévoilera le passé de Tomas. Très bien traduit par Marie-Odile Fortier-Masek, ce livre se lit comme un roman policier mais étoffé par les thèmes de l'identité faussée, de la vérité cachée, de l'illusion. Berta, une Pénélope des temps modernes, se bat pour ses enfants, n'oublie jamais son mari, même si elle essaie de refaire sa vie. Un roman symphonique, ample et ambitieux… 

mercredi 24 juin 2020

"La Compagnie des Oeuvres"

Quand je marche près du lac, je branche mes oreillettes pour écouter France Culture. Pour les amateurs de littérature, l'émission, "La Compagnie des Œuvres", animée par Matthieu Garrigou-Lagrange, constitue une mine d'or depuis 2016. Grâce aux podcasts ou rediffusions disponibles à tout moment, sur son téléphone mobile, la littérature, mais aussi l'art, le cinéma s'offrent à l'écoute des curieux de culture. Cette exploration en quatre parties du lundi au jeudi à 15h représente pour moi un des signes les plus réconfortants de notre mode de vie à l'occidentale. Consacrer autant d'heures à notre patrimoine culturel relève d'un pari audacieux. Je me doute que l'audience de l'émission ne doit pas dépasser quelques milliers de personnes, mais je me dis aussi que tant que durera cet air délicieux sur les ondes, je me félicite que nos impôts servent à financer ce type de médias comme l'existence des bibliothèques, des théâtres publics, des musées, des conservatoires de musique. J'ai démarré cette écoute avec les écrivains que j'adule particulièrement : Virginia Woolf, Marguerite Yourcenar, Annie Ernaux, Marguerite Duras. Et aussi Jorge Semprun, Zweig, etc. Des spécialistes issus de l'université française relatent les éléments biographiques, les thèmes des œuvres, les influences littéraires, etc. J'engrange beaucoup de connaissances grâce à la compétence de tous ces professeurs et de tous ces critiques. L'excellence intellectuelle de tous ces "accompagnateurs"  nous introduit dans la planète "Littérature". On se heurte parfois à des écrivains difficiles à lire, à des œuvres compactes et opaques, à des idées neuves et Matthieu Garrigou-Lagrange vous prend par la main et vous pilote dans ces labyrinthes mystérieux. J'ai ainsi écouté les émissions sur Toni Morrison que je ne lisais pas et depuis, j'ai compris son monde violent et puissant. Je ne connaissais pas Roberto Bolano et j'ai eu envie de le lire. Beckett a besoin aussi d'une présentation comme Victor Segalen, Julien Gracq, Kafka, Claude Simon et tant d'autres. J'ai beaucoup apprécié les heures consacrés à Milan Kundera, un écrivain magnifique qu'il faut lire à satiété comme Philip Roth. La Compagnie des Œuvres s'attache aussi aux peintres  (Louise Bourgeois, Warhol, Le Greco, Bacon), aux poètes, aux musiciens et à des sujets comme les Années folles, par exemple. La semaine dernière, j'ai passé quelques moments avec Stefan Zweig et cette semaine, "ma" Marguerite Yourcenar est à l'honneur. Des retrouvailles avec cette grande dame des Lettres françaises. Se cultiver tout en marchant, un exercice physico-intellectuel bon pour le moral et pour la santé. A consommer sans modération. 

lundi 22 juin 2020

Une belle amitié masculine

J'avais proposé dans le cadre de l'atelier lectures une liste sur la correspondance littéraire. Mais, comme les librairies étaient fermées ainsi que les bibliothèques, les lectrices de l'atelier n'ont pas lu les livres conseillés à part Annette qui a beaucoup aimé la correspondance entre deux créateurs uniques et géniaux : Albert Camus et René Char. Cette amitié littéraire se vivait plus dans les lettres que dans les rencontres ponctuelles. A cette époque, la correspondance tenait une place centrale dans la communication sociale. Rappelons-nous les longues missives que nous envoyions à la famille, aux amis, aux relations. Ecrire une lettre aujourd'hui ressemble à un acte du passé. Les textos, les méls, les messages ont remplacé ces belles pages en papier. Heureusement, dans les années 50, les écrivains et les poètes se liaient d'amitié grâce à ce procédé, déjà pratiqué dans l'Antiquité. Quelque cent quatre-vingt quatre lettres sont échangées sur plus de quatorze ans de 1946 à 1960, date de la mort accidentelle d'Albert Camus. Leur amitié fraternelle nait d'une admiration mutuelle pour leurs œuvres respectives. Leurs relations se renforcent au fil des années tout en restant pudiques. René Char écrit : "Le paysage comme l'amitié est notre rivière souterraine. Paysage sans pays". Ils suivent tous les deux des itinéraires politiques qui les rapprochent : ils soutiennent le Front populaire, se sont engagés dans  la Résistance. Ils portent le même regard sur leur époque. Mais, le plus important, c'est leur travail d'artiste : la poésie pour Char, la littérature pour Camus. Dans ces lettres, le lecteur(trice) découvre des éléments biographiques très marqués par le quotidien. Francine, l'épouse de Camus, subit une dépression sévère et René Char soutient son ami : "Je voulais vous dire, Albert, que Francine tenait en naissant, dans son petit poing, l'aiguille qui la tourmente aujourd'hui dans son âme et dans sa tête". De son côté, Albert Camus lui parle aussi de sa mère : "Ma mère part pour Alger le 5. Elle a vieilli et cela me serre le cœur. Mais elle est ce qui ne change pas et qui survit à tout". La correspondance fourmille de détails sur les problèmes qu'ils rencontrent aussi dans leur métier littéraire : les publications, les manuscrits, les difficultés d'écrire. Albert Camus se confie à son ami solaire : "La vie d'aujourd'hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu'on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. A la fin, on mourrait de chagrin, littéralement. Et il faut que nous vivions, que nous trouvions les mots, l'élan, la réflexion qui fondent une joie, la joie". Pour tous ceux et toutes celles qui aiment Camus et Char, il fait lire ce Folio par curiosité et par admiration pour ces deux "guérisseurs" de la mélancolie. Ils nous ont transmis leur belle lumière de mots et sans leurs œuvres, la littérature française serait beaucoup plus sombre. Ils aimaient la Provence, Lourmarin et l'Isle sur Sorgue, et ces paysages ont modelé leur hymne à la vie et à l'amitié. 

vendredi 19 juin 2020

Atelier Lectures, 3

Véronique a bien aimé un roman de Nathacha Appanah, "Tropique de la violence", publié en Folio. A Mayotte dans l'Océan indien, les enfants errent sans foi, ni loi. Le petit Moïse a été recueilli à la naissance par Marie, une infirmière qui le couve comme un don du ciel. Mais, l'adolescence du garçon bascule dans les mauvaises fréquentations. Il se lie avec un chef de gang qui l'embarque dans l'enfer des rues. Un roman qui a obtenu le Prix France Télévisions en 2017. Mylène a beaucoup aimé le récit autobiographique de Fabienne Verdier, "Passagère du silence ou dix ans d'initiation en Chine", paru en Livre de Poche. Au début des années 80, Fabienne Verdier, étudiante aux Beaux-Arts, part en Chine pour apprendre l'art de la calligraphie. Mais la Révolution culturelle ne va pas simplifier son voyage. Elle affronte la langue et la méfiance des Chinois, la misère, la promiscuité, la maladie et l'administration tatillonne. Elève de très grands artistes méprisés par leur pays, elle est initiée aux secrets de cet art millénaire. Ce récit d'aventures artistiques et personnelles permet de comprendre les œuvres de cette artiste fascinante. Mylène a aussi évoqué "La vie parfaite" de Silvia Avallone, un roman intense sur la maternité. Une jeune adolescente ne veut pas garder son bébé alors qu'une jeune femme désire un enfant depuis des années. Le parallèle entre ces deux personnages pose la question : que veut dire cette expression, être mère ? Danièle a présenté un livre de poche, très divertissant à lire, "Ciao Bella" de Serena Guiliano. Anna, femme moderne, mariée et mère de deux jeunes enfants, entreprend une thérapie pour tenter d'exorciser ses peurs. Elle parle aussi de son pays, l'Italie... Danièle a cité aussi "Moi, Jean Gabin" de Goliarda Sapienza. Un récit autobiographique sur l'enfance de cette fabuleuse écrivaine sicilienne. Régine a beaucoup apprécié le roman d'Arnaud Delagrange, "Le Huitième soir", publié chez Gallimard. Dans l'enfer de la bataille de Dien Bien Phu, un jeune homme se retourne sur sa vie. Le temps lui est compté et il se souvient de sa mère qui se meurt, de ses amours, de ses rêves. Malgré cette guerre absurde, l'auteur célèbre la fraternité et la solidarité. Régine le conseille vivement pour le portrait du jeune parachutiste et pour l'écriture. Janelou a terminé les coups de cœur avec "Le tiers temps" de Maylis Besserie, publié chez Gallimard. Le Tiers Temps est une maison de retraite où réside Samuel Beckett, l'écrivain irlandais. Ce premier roman raconte la fin de vie de cet homme, son quotidien et des épisodes qui ont marqué son existence. Voilà pour les coups de cœur de juin, de très bonnes idées de lectures pour cet été. 

mercredi 17 juin 2020

Atelier Lectures, 2

Nous nous sommes retrouvées hier après-midi une bonne dizaine de participantes sur la terrasse du Mojito dans le Carré Curial. La météo s'est révélée clémente pour nous toutes et même un beau soleil caressait nos visages. Avant de parler des coups de cœur, nous avons partagé nos expériences du confinement. Pour certaines, ce moment suspendu s'est avéré une période heureuse pour le calme, le retour sur soi, un certain ralentissement de la vie quotidienne, la contemplation de la nature. Pour celles qui vivent au centre ville, une certaine solidarité régnait dans les immeubles et les voitures avaient disparu. Nous étions convaincues d'avoir vécu quelques semaines inédites, exceptionnelles où se sont mêlés des sentiments contradictoires : une sensation d'un repos obligé et aussi une inquiétude sur notre santé. Ces deux mois nous ont certainement marquées à vie… Même en respectant la distanciation physique, la convivialité s'est manifestée dès que nous nous sommes revues avec plaisir. Janine a démarré les coups de cœur avec J-M.G. Le Clezio et "Sa chanson bretonne suivi de l'enfant et de la guerre". A travers ces "chansons", l'auteur évoque son enfance en Bretagne dans les années 50, la magie de cette nature magnifique, une ode à un certain art de vivre à "l'ancienne". Danièle a aussi beaucoup aimé ces deux nouvelles. Annette a découvert le philosophe Baptiste Morizot et son ouvrage, "La piste animale". L'auteur part sur les traces des ours, des loups, des panthères des neiges, dans les forêts du Yellowstone, sur les crêtes du Kirghizstan, dans les steppes du Haut-Var. A travers ces différents récits de pistage, l'auteur nous invite à nous "enforester" selon les Canadiens du Grand Nord, à observer le vivant autour de nous et en nous. Il faut apprendre à cohabiter avec lui. Le passage du philosophe dans "La Grande Librairie" a marqué les téléspectateurs et il a suscité beaucoup de curiosité. Annette a proposé un deuxième coup de cœur, celui pour "La matière de l'absence" de Patrick Chamoiseau, publié en 2016. Man Ninotte, la mère de l'auteur, meurt en 1999. Cet événement provoque une vaste réflexion poétique sur la Martinique, les origines de l'homme, l'évolution du monde. La vie de cette femme énergique lui sert de symbole pour raconter le destin du peuple antillais. Le récit se structure sur la vie de cette héroïne anonyme et explore la petite enfance de l'auteur. (La suite, demain). 

lundi 15 juin 2020

Atelier Lectures, 1

Mes retrouvailles avec les amies lectrices de l'Atelier Lectures vont peut-être se réaliser demain après-midi. Avec le virus fatal, la saison 2019-2020 s'est révélée particulièrement perturbée : d'octobre à février soit cinq séances en continue, une fois par mois. Ce rendez-vous régulier rythmait ma vie de lectrice passionnée par la littérature. La réunion de demain sera un peu exceptionnelle car la Maison de Quartier ne peut accepter que cinq personnes dans la salle qui m'est accordée. Le réglement sanitaire devient presque un carcan tellement excessif que la vie sociale va finir par disparaître. Comme nous sommes une dizaine de participantes, j'ai trouvé presque par hasard une terrasse dans le Carré Curial pour nous retrouver autour d'une table. Le service social par excès de zèle ne joue plus son rôle de médiateur. Le principe de précautions nous prive aussi de l'ouverture de la médiathèque qui va proposer un "drive" pour les lecteurs(trices). Il faut commander les livres, faire la queue pour les récupérer et surtout, ne pas accéder aux rayonnages. Je me demande si ce comportement face au virus tient plus du délire que de la raison raisonnable… En octobre, personne ne pouvait s'imaginer que la saison s'interromprait de cette façon : le confinement en mars jusqu'au 11 mai… Ce passé si proche ressemble à un paradis perdu. Pourtant, la société était aussi troublée par la pauvreté, les gilets jaunes, le terrorisme, les communautarismes, les tensions internationales, les extrémismes de tous les bords, les femmes battues, etc. Mais, le virus est arrivé et a suspendu pour quelques semaines tous ces problèmes de société. Tout revient maintenant avec encore la menace virale tant que nous n'avons pas de vaccin. La distance physique se transforme en distance psychologique… La société masquée n'a rien de séduisant, de charmant, de civilisationnel. J'ai donc proposé de nous retrouver demain pour évoquer nos coups de cœur pendant cette période de latence. Je rappelle les thèmes de la saison d'octobre à mars : trois grandes écrivaines italiennes, Elena Ferrante, Elsa Morante, Goliarda Sapienza en octobre,  la rentrée littéraire en novembre, la littérature et la ruralité en décembre, la collection Folio ,"Les petits éloges", en janvier, la fabuleuse Anna Enquist en février, le silence en mars. J'avais proposé la littérature épistolaire pour avril… A tous ces thèmes, il faut ajouter les coups de cœur de mes amies lectrices. J'avoue que les livres et la littérature m'ont accompagnée encore plus fortement pendant ces semaines d'immobilité physique obligatoire et ils m'accompagneront toujours. Grâce à ces nourritures spirituelles, la crise sanitaire s'est déroulée avec une angoisse calmée par la lecture. Evidemment, je continuerai à la rentrée mon périple sur les terres littéraires en compagnie des lectrices de l'atelier… 

vendredi 12 juin 2020

"Dévorer le ciel"

Paolo Giordano, né à Turin en 1982, est aussi docteur en physique nucléaire. A l'âge de 26 ans, il décroche le prestigieux prix Strega pour son premier roman, "La solitude des nombres premiers". Son talent s'est confirmé avec deux autres romans. Son quatrième, "Dévorer le ciel", est sorti en 2019. L'histoire se passe dans une ferme des Pouilles où grandissent trois jeunes garçons sous la houlette de Cesare, un père charismatique, écologiste avant l'heure et fervent croyant. Il est convaincu d'apporter une meilleure éducation à Nicola, son fils unique, à son cousin Bernardo dit Bern et Tommaso, un enfant albinos dont le vrai père est en prison. Une de leurs voisines, Teresa, venue pour passer ses vacances dans la maison de sa grand-mère, remarque la présence des jeunes hommes turbulents, plongeant dans la piscine de la villa avec une audace toute naturelle. La jeune fille envie la vitalité rebelle des trois garçons et elle tombe follement amoureuse de Bern. Teresa prend la parole dans ce roman et se met à conter la relation passionnelle qui la lie à Bern, particulièrement exalté et radicalement idéaliste. La narratrice s'engage dans une voie escarpée avec ce jeune militant imprévisible. Cet amour à la fois exaltant et malheureux se vit dans une atmosphère inquiétante où l'activisme du jeune homme met en danger leur couple. Avec un groupe de militants, il libère des abattoirs, tente de sauver des oliviers centenaires, transforme la ferme de Cesare en lieu alternatif. Nicola a choisi un destin différent en devenant policier. Tommaso s'est rangé en fondant une famille. Leur trio amical bascule souvent dans un conflit permanent mais les liens demeurent malgré tout. Seule, Teresa se rend compte que sa vie avec Bern ne peut pas continuer dans un chaos provoqué par l'extrémisme du jeune homme. Leur séparation semble inévitable. Pourtant, Teresa ne peut se détacher de Bern et le jeune homme finit par commettre des actes répréhensibles qui l'obligent à fuir. La construction du récit permet de reconstituer l'ensemble du parcours mortifère de Bern. L'écrivain brouille les pistes en adoptant un abandon des règles classiques du récit. Ce roman fort, puissant, brasse des thèmes contemporains comme l'activisme écologique et brosse les destins contrariés d'une génération. Teresa trouvera-t-elle la paix ? Bern survivra-t-il à son idéalisme ravageur ? Il faut lire "Dévorer le ciel" pour connaître le dénouement… Paolo Giordano, un écrivain italien de premier plan à suivre dorénavant. 

mercredi 10 juin 2020

"La leçon des ténèbres"

Ecrivaine et violoniste, Léonor de Recondo est née dans une famille d'artistes. Ses six romans portent tous en eux une certaine ferveur : "Pietra viva", "Amours", "Point cardinal", "Manifesto". Dès que l'on ouvre un de ses livres, on ne les quitte pas des yeux et la magie de la lecture opère. Chacune de ses œuvres ressemble à une partition musicale. Son dernier opus, "La leçon des ténèbres" s'intègre dans la collection très originale, "Ma nuit au musée" chez Stock. J'avais évoqué dans ce blog l'ouvrage de Lydie Salvayre, "Marcher jusqu'au soir" où elle racontait sa nuit dans le musée Picasso. Leonor de Recondo est invitée à Tolède à la rencontre de Doménikos Theotokopoulos, dit El Greco, (1541-1614), l'un des peintres les plus marquants du XVIe siècle. Elle n'oublie surtout pas son violon : "Le violon pour faire vibrer l'espace vide, pour mettre en transe les particules de l'air, pour les mettre en danse afin que Doménikos me rejoigne. Et je ne doute pas de sa venue, comme il ne doute pas de mon désir. Mon seul désir". L'écrivaine aime particulièrement l'Espagne, le pays de ses ancêtres, la langue, les saveurs, les paysages. Arrivée à Tolède dans une chaleur suffocante, elle relate les petits imprévus de son projet. Les gardiens vont l'observer, les tableaux du peintre ne seront pas éclairés, les alarmes ne favoriseront pas les déplacements. Elle interpelle le Greco en l'associant constamment dans son texte, brossant par touches éparses une biographie sensible. Le peintre, né en Crète, s'est exilé à Venise et à Rome. Il s'installe à Tolède où son talent sera enfin respecté et admiré. Les heures au musée se déroulent au rythme de ses rencontres avec les tableaux de l'artiste. Reviennent aussi ses souvenirs d'enfance, des moments passés avec ses parents en Espagne, surtout avec son père artiste peintre, un père qui lui manque cruellement. Déambuler dans ce musée apaise son chagrin. L'écrivaine avait retrouvé dans son carnet un dessin inspiré d'une toile d'El Greco. Le titre du livre, la leçon des ténèbres, était un genre musical du XVIIe accompagnant les messes de Pâques. Son double hommage à un peintre ancien et à son père devient un chant d'amour pour l'art et pour la création artistique. Après avoir lu cet ouvrage, je n'avais pas le même regard sur les œuvres mystiques d'El Greco, un génie novateur dans l'expression des visages, des couleurs, des attitudes corporelles. Ferveur et ascétisme caractérisent la vie du peintre espagnol d'adoption. Leonor de Recondo ne pouvait pas mieux choisir ce compagnonnage à travers les siècles. Son récit de fascination se lit avec un plaisir certain. 

lundi 8 juin 2020

Milan Kundera, toujours

Sur France Culture, j'ai écouté l'émission "Répliques" d'Alain Finkielkraut et ce samedi, il était question de Milan Kundera. J'ai toujours lu cet écrivain français d'origine tchèque depuis les années 70. Il fait partie de mon Panthéon littéraire personnel. Je le considère comme un des plus grands écrivains du XXe siècle, si ce n'est le plus grand en France. Cet immense Européen m'a plongée dans un monde littéraire nimbé de philosophie. Ses romans dont l'inoubliable "L'insoutenable légèreté de l'être" m'ont procuré des moments de lecture intenses, intelligents, déroutants. J'apprécie en particulier son ironie, son humour, sa désillusion et son extrême lucidité sur la vie et sur la société. Il a dénoncé l'illusion lyrique de tous les dogmatismes dont le communisme dans son pays, ennemi de la liberté. Sa description des relations amoureuses illustre sa vision paradoxale et sceptique des sentiments entre libertinage et fidélité. Sa passion de la littérature se manifeste aussi dans ses essais comme "L'art du roman", des ouvrages qui sont des repères indispensables pour tous les amoureux de l'écrit. Au détour d'une conversation avec un des deux critiques, présents dans l'émission, j'ai rétrouvé une des grandes idées de Milan Kundera. A la question : comment voyez-vous l'actualité politique d'aujourd'hui avec le regard de l'écrivain ? Guy Scarpetta a répondu que l'appel de Nicolas Hulot, lancé en mai dans le journal Le Monde était un texte d'un kistch absolu. Ce mot, né au XIXe en Allemagne et en Europe centrale, désigne "l'attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre. Le Kitsch, c'est la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l'émotion". En lisant l'appel hulotien, je n'en revenais pas de découvrir des slogans creux et vagues comme "Le temps est venu d'applaudir la vie, le temps est venu d'honorer la beauté du monde, le temps est venu de se rappeler que la vie tient à un fil, etc." Du kitsch politique d'une grande ampleur à soulever des soupirs accablés. Comment peut-on adhérer à un tel programme ? Le monde de demain me semble aussi complexe que celui d'aujourd'hui. Voilà pourquoi Milan Kundera peut nous tenir éveillé(e)s devant les impostures politiques, la comédie des sentiments amoureux excessifs, la bêtise des attitudes conformistes, le ridicule des comportements lyriques. La littérature sert à se dévêtir des idées recues, à fuir les pensées moutonnières, à se méfier des avis radicaux. Elle nous apprend l'art de la nuance et la mélancolie de la lucidité. En écoutant cette émission sur Milan Kundera, j'ai ressenti le besoin pressant de relire un de ses romans, sans doute "L'ignorance" et"Les testaments trahis". L'émission peut s'écouter en podcast. Quel dommage de s'en priver...

vendredi 5 juin 2020

Lectures au pluriel

Le matin, j'ai un rituel quand je consacre quarante-cinq minutes à mon vélo d'appartement. J'essaie de maintenir mes jambes en forme pour mes balades pédestres et mes escapades urbaines. Pendant que mon corps bouge, mon esprit bouge aussi et ce moment matinal de mise en forme physique et culturelle constitue presque une parenthèse contemplative active dans ma journée. J'ai donc pris l'habitude de picorer dans des lectures variées. En ce moment, dans la chambre d'ami qui abrite ma deuxième bibliothèque après celles de mon salon, je dispose d'une pile de livres où je pioche un titre selon mon humeur du matin. J'ai commencé Hannah Arendt et sa "Condition de l'homme moderne", ardue et ardente, cette histoire du travail humain à travers les siècles. J'ai retenu cette citation au fil des pages : "Les Français sont passés maîtres dans l'art d'être heureux au milieu des "petites choses", entre leurs quatre murs, entre le lit et l'armoire, le fauteuil et la table, le chien, le chat et le pot de fleurs, répandant en tout cela un soin, une tendresse qui, dans un monde où l'industrialisation rapide ne cesse de tuer les choses d'hier pour fabriquer celles du lendemain, peuvent bien apparaître comme tout ce qui subsiste de purement humain dans le monde". Belle réflexion au détour d'une page. J'avance à petits pas dans ce volume fondamental de la philosophe allemande. Puis, je me mets à lire le journal intime de Charles Ferdinand Ramuz, un écrivain suisse bien oublié aujourd'hui. Je me retrouve au début du siècle et je partage les doutes du narrateur, sa mélancolie, sa modestie et sa passion de l'écriture. Il décrit beaucoup de paysages et parcourir de temps en temps ses pages me replonge dans un temps bien différent d'aujourd'hui. Une curiosité littéraire assez rare et cet ouvrage reposait dans mes étagères depuis très longtemps. Je l'ai enfin ouvert… J'ai aussi à portée de ma main la correspondance entre Albert Camus et René Char. Ils évoquent souvent Lourmarin et l'Isle sur Sorgue. Cette lecture me donne envie de revoir la Provence et de pousser vers la mer. J'ai décidé de lire tout Nietsche. Je ne sais pas si je vais y arriver… J'ai déjà lu "La naissance de la tragédie", "Le gai savoir", "Ecce homo" et je m'attaque au "Crépuscule des idoles". Vivifiant, mordant, insolent et toujours des aphorismes percutants… J'ai retrouvé dans ce folio la célèbre citation sur la musique : "Sans la musique, la vie serait une erreur !". Je me familiarise avec la philosophie nietzschéenne et ce n'est pas toujours évident. Je m'accroche… J'ai aussi eu envie de lire le journal intégral de Virginia Woolf, une œuvre monumentale de plus 1700 pages… Je lis quelques pages par semaine pour rester en contact avec cette immense écrivaine anglaise. Quelques notes sont particulièrement cocasses sur sa vie quotidienne et elle relate avec une précision d'orfèvre sa vie ultra-sociale. Cela fait des années que je voulais le lire dans son intégralité et je me suis plongée dans ces pages avec une gourmandise toute littéraire. Mes lectures matinales fragmentaires me permettent de redonner vie à certains livres un peu abandonnés dans mes bibliothèques.  A chaque moment de la journée, une lecture adaptée, particulière selon mon humeur du jour… Je lis en picorant, je picore en lisant… La lecture est un bonheur sans fin. 

jeudi 4 juin 2020

"Le monde n'existe pas"

Le huitième roman de Fabrice Humbert, "Le monde n'existe pas", pose le problème de la vérité et du mensonge, du réel et du rêve, de la vie et de l'art. Situé aux Etats-Unis, l'écrivain raconte le destin de deux personnages principaux : le narrateur, Adam Vollmann et Ethan Shaw, son amie du lycée. Un jour, Adam, journaliste au New Yorker, voit sur un écran géant à Times Square, le portrait de son ex-ami. Abasourdi par cette nouvelle, il décide de mener une enquête sur Ethan. La police le recherche car il a violé et tué une jeune fille d'origine mexicaine. Qui est Ethan Shaw ? Le bel Ethan était devenu un ami très proche d'Adam : "Autrefois, j'avais un ami. Je l'ai rencontré il y a bien longtemps, par un jour d'hiver, sautant de sa voiture et grimpant quatre à quatre les marches du lycée Franklin. C'est le souvenir le plus vivace que j'ai de lui, une impression inégalable d'éclat et de beauté". Adam refuse de croire que son ami en fuite correspond à ce jeune homme solaire, un grand sportif, une star du lycée. En fait, Adam ne portait pas ce nom à l'époque du lycée dans la ville de Drysden. Il s'appelait Christopher Mantel. Il avoue son homosexualité et relate les nombreuses brimades de certaines brutes épaisses de son lycée. Seul, Ethan le protégeait en le choisissant comme ami. L'adulte d'aujourd'hui se souvient de cet adolescent torturé, tourmenté, culpabilisé : "Il y a, dans les flottements et les errances de cet âge, une fragilité mêlée d'affirmation qui détermine l'existence toute entière". Adam arrive à convaincre son patron de presse pour se rendre dans la petite ville où il mène une enquête complexe. La victime, Clara, rêvait de devenir cosmonaute et avec ce meurtre, elle est devenue la petite fiancée de l'Amérique. Adam rencontre la mère de Clara, essaie de contacter d'anciennes élèves pour mieux connaître la jeune fille. Au fil du temps, il va découvrir des secrets cachés dans cette ville américaine typique. Je ne dévoilerai pas où se cache Ethan, sa culpabilité ou son innocence. Derrière la vision médiatique, la vérité va finir par se dévoiler.  Ce roman aux allures manifestes de polar interroge le monde des médias mensongers, de son cynisme généralisé. Le titre du roman résume la portée universelle des faux semblants, des identités troubles, de l'effet fiction dans la réalité. Tout est fiction pour Fabrice Humbert : "Je prétends que tout ce que nous vivons est un livre ou un film. En tout cas, une fiction, recomposée ou non". Ce livre questionne notre rapport à l'actualité, aux "fake news", à l'imagination complotiste, à une certain vertige de l'imposture. Un très bon roman de ce début d'année.

mardi 2 juin 2020

Enfin, la liberté !

La règle des cent kilomètres a enfin disparu et c'est un soulagement supplémentaire après l'interdiction de sortir à plus d'un kilomètre de chez soi... Et pourtant, je n'ai pas pris ma voiture pour me lancer sur les routes de France. Comme la pandémie commence à se calmer sérieusement chez nous, interdire la circulation à l'intérieur du pays me semblait un abus de pouvoir… Mais, les effets du confinement m'ont un peu coupé les ailes. Quand on subissait le confinement, je rêvais de partir dès que le gouvernement lèverait l'interdit. Cette profonde envie de faire mes valises et d'aller voir la mer, la montagne, une belle ville, etc. me donnait le vertige. J'avoue à ma grande surprise qu'un soupçon demeure dans ma tête, celui du virus invisible qui traîne encore dans certains lieux. A mon âge déjà bien avancé, (et les médias ne se sont pas gênés pour nous dire et nous redire à longueur de journée que les plus de soixante-cinq ans étaient particulièrement visés par le Covid-19), la prudence s'est installée. Je me suis rendue compte avec plus d'acuité que d'habitude que je ressentais l'effet de l'âge dans cet épisode dramatique, je me sentais plus vulnérable et plus fragile. Donc, dans ces conditions, partir loin de chez soi n'est plus aussi évident. Rappelons-nous l'époque précédent le virus, comme c'était facile de s'évader, de visiter nos magnifiques capitales européennes, de prendre l'avion, le train, de monter à Paris, d'aller à Genève pour une journée. J'ai la sensation que le temps d'après le virus comportera des contraintes difficiles à supporter comme ce masque que l'on met dès que l'on rentre dans un magasin… Le temps de la mobilité joyeuse s'estompe pour le moment et le monde s'est rétréci depuis la pandémie. Il faut apprendre à se satisfaire de notre liberté retrouvée et de rêver à de nouveaux départs d'ici quelques semaines. Cet après-midi, je me suis baladée au bord du lac, vers Aix-les-Bains. Les restaurants du port ont ouvert et les terrasses m'ont semblé bien occupées. La vie reprend des couleurs et peut-être qu'elle redeviendra normale dans six mois. Quand les frontières entre les pays européens vont s'ouvrir, le monde sera déjà un peu plus vaste…  Le monde d'avant, le monde d'après, quel monde aujourd'hui ? Un monde vraiment déroutant, étonnant, surprenant et peut-être toujours aussi passionnant à découvrir ! Le jour où je franchirais à nouveau les portes d'un musée, de la médiathèque de Chambéry toujours close, d'un train et d'un avion, de revoir l'océan Atlantique, la Méditerranée, de revoir mes amies de l'atelier Lectures, je pourrais susurrer : "Le virus mauvais a disparu, la vie bonne est revenue" ! 

lundi 1 juin 2020

"Un matin d'hiver"

Philippe Vilain déclare dans un entretien que le sujet de son dernier roman, "Un matin d'hiver", publié chez Grasset, s'est emparé de lui : "C'est quelque chose de magique pour ainsi dire et fatal en même temps qui ne me donne pas d'autre choix que d'écrire". En avant-propos du roman, il rappelle la matrice de ce livre. Lors d'un colloque universitaire, une femme lui a raconté une drôle d'histoire : son mari avait disparu sans laisser de traces. Cette conversation a submergé l'écrivain et, quelques mois plus tard,  il a alors demandé à cette femme "héroïque" selon lui, de se saisir de son destin en le romançant, en l'arrangeant pour lui donner une force romanesque. Philippe Vilain manifeste un intérêt passionné pour la "disparition de l'amour". Il s'agit d'un travail de "recomposition et d'ensecrètement inhérent à celui du roman". Quinze ans ont passé et la narratrice, trentenaire, revient sur la disparition de son mari. Elle est professeur de littérature. Son futur mari enseigne la sociologie dans la même université. Leurs différences les attirent car elle aime la solitude et lui préfère le social, les relations. Ils se rencontrent, s'aiment, se marient et une petite Marie est née. Une histoire banale et courante pour des millions de couples. Dan cache peut-être un mystère car il vient d'Atlanta et il retourne régulièrement dans cette ville américaine où vivent ses parents. Ses recherches le maintiennent régulièrement absent du foyer parisien. La narratrice raconte sa passion amoureuse pour cet homme qui garde sa part de mystère. Elle tombe enceinte et relate sa grossesse avec une vérité toute universelle : "J'apprenais le métier de mère avec passion". Ils achètent un appartement, vivent sur un petit nuage, celui de la naissance de Marie et la vie semble bien merveilleuse. Dan se révèle un père attentif, prévenant, organisé avec son bébé. Dan obtient une bourse de recherche à Atlanta pour étudier les ghettos de la ville. Ses absences se multiplient et sa femme ne se pose pas trop de questions sur ces allers-retours permanents : "Sans doute, n'avais-je pas vraiment cherché à savoir, par pudeur, par manque de curiosité ou peur de découvrir une part obscure de lui, je ne sais pas". Un jour, Dan part aux Etats-Unis et ne donne plus de nouvelles. Un bout d'un moment, sa disparition est enfin prise au sérieux et la police amorce une enquête. Une enquête qui ne donnera rien. Dans notre monde hyperconnecté, comment peut-on disparaître ? Je ne dévoilerai pas les hypothèses de la narratrice… Il faut lire ce roman précis, dense, romanesque. Philippe Vilain écrit sur l'absence, sur la disparition, sur la séparation amoureuse, sur le deuil de l'être aimé. Un roman d'une sincérité poignante et d'une modernité littéraire digne d'Annie Ernaux et de Marguerite Duras.