jeudi 8 février 2018

"Tout un monde lointain"

Le personnage central de ce roman, "Tout un monde lointain" de Célia Houdart, se nomme Greco, un prénom emblématique de la chanteuse Juliette G. ou du peintre espagnol. Mais, une villa célèbre E-1027, dessinée par l'architecte et designer, Eileen Gray (1878-1976), imprègne de sa présence toutes les pages du livre. La décoratrice est amoureuse de cette maison blanche, construite en L sur pilotis, à Roquebrune-Cap Martin, un des lieux les plus mythiques de la Côte d'Azur. Abandonnée depuis des années, Greco rêve de l'acquérir même si cet achat semble irraisonnable. Elle même travaille dans la décoration haut de gamme et veut mettre ses magasins en vente pour rénover cette villa d'art nouveau. Le propriétaire des lieux a été assassiné dans des circonstances troubles. Greco va se donner le rôle de gardienne vigilante alors qu'il ne reste rien de la splendeur de cette demeure. Elle connaissait Eileen Gray car elle lui avait demandé son accord pour copier des meubles modernistes. Sa retraite solitaire se greffe sur ce rêve : vivre dans cette villa mystérieusement belle. Or, un jour, alors qu'elle se promène sur le sentier qui longe la villa, elle remarque la disparition du cadenas de la porte d'entrée. Elle pénètre dans le jardin et aperçoit vite la présence d'un couple de squatters. Ces jeunes gens, deux baroudeurs insouciants, se sentent vraiment bien dans cet espace caché et blotti dans la colline. Louison et Tessa vont apprivoiser Greco, la dame âgée solitaire qui voit d'un mauvais œil cette intrusion. Ils vont se baigner ensemble, partager des repas, et la vie de la décoratrice sera bouleversée par cette rencontre improbable. Le couple cultive l'art de la danse, du corps, des retrouvailles avec la sensualité de la vie. Ce portrait d'une femme, qui va retrouver le goût de vivre alors qu'elle baignait dans une certaine mélancolie vagabonde, se lit avec plaisir et l'écriture soyeuse de Célia Houdart participe de ce bonheur de lecture même si le milieu de Greco semble "tout un monde lointain". Un beau roman singulier, stylisé, édité par le regretté Paul Otchakovsky-Laurens, P.O.L, disparu cette année.