samedi 8 septembre 2018

"La sauvagerie maternelle"

Anne Dufourmantelle, psychanalyste et écrivain, nous a quittés l'été dernier après avoir sauvé deux enfants qui se noyaient sur la plage de Ramatuelle. Elle a succombé à une crise cardiaque après tous les efforts fournis lors du sauvetage des enfants. J'ai lu récemment son ouvrage, "La sauvagerie maternelle", publié chez Payot. J'ai retrouvé dans ce livre le monde feutré et doux de la psychanalyste qui évoque les histoires de ses patients anonymes et prend des exemples fictifs tirés de la littérature. Elle s'interroge sur le maternel : une mère est-elle sauvage par moments ? Tout le temps, répond Anne Dufourmantelle. La toute puissance maternelle s'exerce sur leurs enfants en imprimant leurs marques sur leur psychisme : "La sauvagerie (…) est un territoire de rituels, de traces, d'emblèmes, de frontières, de pulsions chaotiques et violentes, submergé par d'étranges raz-de-marée auxquels les rives de notre identité furent de tous temps exposés". Elle évacue tout de suite la notion de monstre en précisant bien que le lien unique, mère-enfant, s'apparente à une "forme de folie". Pour illustrer son concept, la psychanalyste raconte des vies, celles de ses patients. Sa méthode d'analyste se dévoile dans ces portraits : les mots, les rêves, les silences, les attitudes forment un terreau sur lequel elle va déterrer des secrets de famille, des non-dits, des oublis. Elle écrit : "Laissez le temps à l'inconscient de revenir à la surface, c'est comme l'enroulement des vagues, un jour ou l'autre, si vous ne brusquez rien, elles remontent avec le secret et déposent sur la plage". La psychanalyste explore des mères sauvages dans la littérature comme Anna Karénine et le personnage de la mère dans le roman de Marguerite Duras, "Un barrage contre le Pacifique". Comment se défaire d'un lien aussi unique ? Comment se libérer de l'emprise ? Naître une deuxième fois après avoir brisé le serment secret de la mère qui souffle à son enfant : "Reste avec moi, ne m'abandonne pas". Anne Dufourmantelle n'hésite pas à se confier : "Etre psychanalyste, c'est écouter la musique blanche des vies désertées, de la joie empêchée, de la peur d'aimer, de l'attente, du refus de pleurer". L'ouvrage se lit assez facilement mais, il vaut mieux connaître le vocabulaire de la psychanalyse qu'elle intègre naturellement dans son texte. Son art de l'écriture facilite la rencontre avec son lecteur(trice). Anne Dufourmantelle marchait sur les traces de J.B. Pontalis, au service de la littérature et de la psychanalyse mêlées …