jeudi 18 mars 2021

"L'effet maternel"

 A la bibliothèque de La Motte-Servolex, j'ai trouvé par hasard sur la table des nouveautés récentes, le récit de Virginie Linhart, "L'effet maternel", édité chez Flammarion en février 2020. Cette écrivaine et documentariste porte un nom connu dans le monde du gauchisme. Son père n'est autre que Robert Linhart, philosophe et militant politique, leader du courant maoïste, initiateur du mouvement des "établis", ces intellectuels qui renonçaient à leurs privilèges pour rejoindre les ouvriers dans les usines. Il a même témoigné de cette expérience dans un ouvrage culte, "L'établi", édité chez Minuit.  Sa fille prend la plume pour la première fois en disant "Je" et ce témoignage s'ancre dans une franchise abrupte qui donne toute sa valeur dans ce portrait de famille entre un père trop absent et une mère trop envahissante. La narratrice règle ses comptes avec cette mère qui lui demande d'avorter quand elle annonce sa grossesse : "Et, c'est cette femme, qui brandissait haut et fort sa liberté sexuelle, son mépris des conventions, nous stupéfiant matin après matin, nous ses enfants, par ses conquêtes renouvelées, c'est cette femme qui hurle à la cantonade que j'aurais dû avorter parce que E. n'en voulait pas de ce gosse". La narratrice choisira d'élever cet enfant toute seule. Le ton est donné : sa mère d'un égocentrisme affiché préfère sa vie amoureuse intense à ses propres enfants. La petite Virginie grandit dans cette atmosphère libertaire et anarchique, héritée de la culture soixante-huitarde où le slogan "Il est interdit d'interdire" rythme le milieu de l'extrême-gauche. Elle raconte la mort de sa grand-père, le suicide raté de son père qui rentrera dans un silence obstiné, une démission existentielle à ses yeux. Etudiante à Sciences Po, Virginie quitte le foyer maternel et intègre une chambre de bonne à Paris. La jeune femme se construit loin de ses parents et subit des déceptions amoureuses. Elle rencontre un notaire sur lequel elle prépare un documentaire et tombe enceinte. Mais, il refuse la naissance de cet enfant. La narratrice découvre la maternité en élevant son bébé seule d'autant que sa mère a décidé d'adopter une petite fille à l'aube de sa cinquantaine. La narratrice sous emprise de sa mère finit par s'éloigner de ce lien toxique. L'écrivaine a déclaré dans la presse : "Je voulais dire comment, dans les années 1970 et 1980, grâce au féminisme et à la révolution sexuelle, nos mères se sont émancipées de l'asservissement dans lequel étaient tenues leurs propres mères. Certes, notre histoire familiale est particulière, mais il me semble qu'elle rencontre l'expérience commune des femmes". Elle précise aussi qu'elle ne rejoint pas la cohorte des enfants qui ont mal vécu cette période libertaire. Au contraire, ses parents lui ont donné le goût de la liberté, même  avec excès. Ce témoignage raconte une histoire de famille un peu exceptionnelle dans une ambiance historique et sociologique, si proche pour moi (les années 68) et si lointaine, pour les jeunes générations. A découvrir.