mercredi 2 février 2022

"Anéantir", 2

 Le roman de Michel Houellebecq prend des formes littéraires variées : thriller politique, essai sociologique, fragments journalistiques, romances diverses, drame, comédie. Pour ma part, j'ai suivi le fil que me tendait Paul, le héros de ce texte hybride. Cet homme assez banal et assez sympathique se conduit "moralement" bien : il regrette l'échec de son mariage, il se préoccupe de son père malade, il a de l'affection pour sa sœur d'un catholicisme affirmé, il aide son frère malheureux et surtout, il éprouve une amitié rare et sincère pour son patron de Bercy. Un homme bienveillant, un contre modèle quand on relève les choix d'autres personnages : le nihilisme meurtrier des terroristes, le suicide du frère, trop malheureux et poussé au suicide par Indy, son ex-femme, haineuse, revancharde, un tyran domestique. La religion serait le refuge idéal pour la sœur de Paul et le service de l'Etat pour son père. Son patron ministre voue sa vie à la politique. Chacun essaie de trouver du sens à sa vie. Mais pour cet écrivain, la vie n'a aucun sens... Mais, coup de théâtre : le ton change dans la troisième partie du roman quand Paul est atteint d'un cancer de la mâchoire. Le texte se resserre, ne divague plus en digressions diverses et se concentre sur le renouveau du couple, Paul et Prudence. Le sentiment de la maladie mortelle les submerge. Face à l'échéance finale, ils retrouvent l'unité perdue de leur relation amoureuse. Au fond, l''amour est vécu comme une ultime lueur. Les critiques se sont divisés en deux camps : les pessimistes  ont aimé alors que les optimistes ont détesté. Cette grille de lecture ne me semble pas adapter en littérature. On ne lirait pas Flaubert, Proust, Beckett, Céline et tant d'autres génies si on commence à lire avec des lunettes idéologiques. Cet écrivain français incontournable décrypte une réalité souvent déprimante et sa vision de la société française sonne souvent juste. Il est convaincant dans sa description de la solitude urbaine à la manière d'un Edward Hopper avec des personnages cabossés et mal aimés. Il analyse aussi le malaise d'une société désorientée par une modernité à marche forcée. Un roman intéressant, complexe et déroutant.