mardi 12 juillet 2022

"La Force des choses", 1

 Comme tous les étés, je reviens souvent vers mes chers classiques, j'ai repris ma Pléiade de Simone de Beauvoir pour relire "La force des choses", le troisième tome de ses mémoires après "Mémoires d'une jeune fille rangée" et "La Force de l'âge". Les sept cents pages couvrent les dix-huit années de sa vie, de 1944 à 1962. Simone de Beauvoir évoque évidemment Jean-Paul Sartre, son influence littéraire et politique sur cette période si clivante en France où la philosophie marxiste régnait en maitre dans les rangs des intellectuels sauf du côté d'Albert Camus et de Raymond Aron. Les écrivains dits "engagés" comme on les définit encore aujourd'hui réagissaient sans cesse sur toutes les crises que le pays traversait, en particulier, la colonisation et la guerre d'Algérie. L'écrivaine consacre de nombreux passages de son livre sur cet événement tragique et fratricide. Elle analyse la situation en soutenant radicalement la rébellion algérienne et ces réflexions politiques montrent une France très clivée.  Il n'est pas toujours facile de la suivre sur ses engagements politiques qui frôlaient un aveuglement politique qu'ils n'ont jamais renié. La revue "Les Temps modernes" a vu le jour pour approfondit toutes les idées sartriennes. Autour du couple, gravitent des personnalités exceptionnelles comme Albert Camus, Merleau-Ponty, Claude Lanzmann, Michel Leiris, Arthur Koestler et tant d'autres intellectuels de l'époque, oubliés aujourd'hui. Ce monde ancien d'une gauche radicale semble bien renaître aujourd'hui comme un éternel retour. Elle déteste De Gaulle et la bourgeoisie, se mettant toujours du côté des vaincus, des "dominés", de la classe ouvrière. Cette fibre marxiste révolutionnaire, sans adhérer au parti communiste, résume son engagement total qui semble bien appartenir à l'Histoire. Ces développements politiques présentent malgré tout un intérêt documentaire évident, en particulier sur la Guerre Froide. Malgré toutes les crises sociales du pays, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre vivent aussi des moments de fête avec leur bande d'amis : "Nous buvions dur à l'époque ; d'abord parce qu'il y avait de l'alcool ; et puis, nous avions besoin de nous défouler ; c'était fête ; une drôle de fête ; proche, affreux, le passé nous hantait ; devant l'avenir, l'espoir et le doute nous divisaient".  Sur sa vie intime, Simone de Beauvoir ne renonce pas à son contrat de vérité : tout dire sur sa vie aussi bien sociale que privée. Et son obsession première demeure sa relation avec Sartre, un couple atypique, libertaire mais d'une solidité de marbre. (la suite, demain)