jeudi 22 septembre 2016

Escapade à Lisbonne, 1

Je pars bientôt à Lisbonne et j'ai préparé ce voyage de fin d'été (il fera 35 degrés à la fin de septembre) avec de nombreux guides. J'ai consulté le fameux Routard indispensable, le Guide bleu de Hachette et le Guide Voir, très culturels et astucieux pour les plans des quartiers. J'emporte le Cartoville de Gallimard, le plus original, essentiel et ultra pratique.  Pour moi, Lisbonne, que j'ai visitée en 2004, représente tout ce que j'aime dans une ville : de nombreux musées, des places immenses, des rues étroites sillonnées par des vieux trams, des trottoirs pavés d'ornements floraux et marins, des églises et des monuments couverts d'azulejos. Et le Tage grandiose et océanique me chante un fado nostalgique. Deux créateurs majeurs, Vieira da Silva, peintre lyrico-abstraite et Fernando Pessoa, poète-écrivain viennent de Lisbonne et je vais sur leurs traces pendant une semaine. J'ai déjà évoqué Vieira dans ce blog car cette femme peintre, bien qu'ayant vécu en France, symbolise le génie portugais avec ses toiles aux espaces vertigineux. J'ai déjà visité son musée et j'y retourne comme si je me rendais à un pèlerinage... Pour Pessoa, je l'avais lu grâce à Antonio Tabucchi, amoureux fou de ce double littéraire. J'ai donc relu cet été les recueils de poésie, "Le gardien de troupeaux" et "Ode maritime", "Fragments d'un voyage immobile" et "Le livre de l'intranquillité". Cet écrivain singulier possède plusieurs identités fictives et ces inventions biographiques, d'Alberto Caeiro à Ricardo Reis, forment un cortège de ses doubles fantômes. Octavio Paz dans une préface écrit : "Son secret est inscrit dans son nom, Pessoa, en portugais, signifie personne et vient de persona, le masque des acteurs romains. Masque, personnage de fiction, fiction : Pessoa." Il menait une vie de somnambule dans une Lisbonne des années 30 et multipliait ainsi sa vie avec ses hétéronymes. Déprimé ou euphorique, Pessoa considère la vie comme une aventure ennuyeuse voire absurde et seule la littérature la rend "vivable". Il a écrit cette belle formule : "La littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas". Lire Pessoa, c'est se laisser bercer par l'esprit de la saudade, ce sentiment de nostalgie propre à Lisbonne. Il décrypte les méandres de l'âme humaine oscillant entre une immense fatigue de vivre et une fusion philosophique avec la nature, la ville, le cosmos. Je vais donc visiter sa maison-musée, ses bars préférés et je vais peut-être rencontrer son fantôme dans les rues de Lisbonne... En octobre, je reprendrai le blog pour conter mon escapade lisboète...

mercredi 21 septembre 2016

"La Succession"

Dans les nouveautés de la rentrée littéraire, le roman de Jean-Paul Dubois, "La Succession", a déjà, dès sa sortie, attiré de très bonnes critiques et je n'avais pas besoin de la presse spécialisée pour me précipiter en librairie et l'acquérir au plus vite. J'ai toujours aimé la musique mélancolique de la prose "duboisienne",  si j'ose m'exprimer ainsi. J'ai tout lu de cet écrivain, né en 1950, grand reporter au Nouvel Observateur et ressemblant comme un petit frère à Richard Ford, chantre du réalisme désabusé de la littérature américaine. Dans son dernier opus, le personnage principal, le narrateur, se nomme Paul Katrakilis. Il vit à Miami dans les années 80. Il s'est trouvé une vocation originale alors qu'il possède un diplôme de médecin : Il a choisi la pelote basque, plus précisément la cesta punta, un sport national qui se pratique dans le Pays basque français et espagnol, en Floride, et dans les pays d'Amérique du Sud. Ce professionnel de la chistera gagne sa vie et s'est fait des amis dans ce milieu. Il tombe amoureux d'une norvégienne plus âgée que lui. Mais, un jour, il reçoit un appel du consulat de France qui lui annonce la mort de son père, médecin à Toulouse. Il apprend presque sans surprise son suicide car cette façon de mourir fait partie d'une tradition familiale. Son grand-père, mythomane, se disait médecin de Staline et s'est suicidé. Sa mère et son oncle se sont aussi suicidés à trois mois de distance. La famille du narrateur se compose de membres plus que perturbés et d'une insensibilité troublante... Paul décide de revenir en France pour solder la "Succession" de son père. Il vide la maison, trouve des carnets de son père où il découvre les actes d'euthanasie sur certains patients en fin de vie. Il décide de reprendre le cabinet de son père et s'installe dans cette maison hantée par la mort. Il vit seul en compagnie d'un petit chien et passe son temps libre sur la Côte basque. Dix ans plus tard, il quitte tout et repart en Floride... Je ne veux pas révéler la fin du livre plus sombre que prévu. Jean-Paul Dubois nous touche avec son humour désespéré, sa lucidité ironique et distanciée sur une famille en faillite, pathologique et suicidaire. Il évoque dans son roman la dynastie des Hemingway dont on connaît les fins tragiques. Les seules béquilles du narrateur pour tenir debout prennent la forme d'un petit chien empathique, sauvé des eaux, d'un gant de chistera, d'un ami cubain exilé à Miami et d'un amour impossible. Paul ne porte pas une grand amour envers le genre humain et sa fragilité psychologique, ses doutes et ses obsessions morbides, dues à un héritage douloureux ne peuvent que l'empêcher de vivre... Un grand et beau roman, un des meilleurs de la rentrée de septembre. 

mardi 20 septembre 2016

Atelier d'écriture

Ce mardi, nous nous sommes retrouvées à l'AQCV de Chambéry pour le premier atelier d'écriture de la saison 2016-2017. Nous étions très nombreuses à cet atelier : une quinzaine de participantes et il faut ajouter trois absentes. Peut-on bien écrire quand on va bientôt ressembler à une classe ? Les deux animatrices ne prennent pas la situation au "tragique" et comptent sur les absences récurrentes des unes et des autres. Le groupe est souvent complet en début de saison et commence à dégonfler en novembre.  Comme l'atelier est ouvert sans restriction, les anciennes et les nouvelles s'additionnent au fil des années... J'avoue ma nostalgie du petit nombre car écrire et prendre le temps de s'écouter, de commenter les textes  n'est plus possible. Mais, il faut bien accueillir les nouvelles sans exclure les anciennes. Marie-Christine joue son rôle de médiatrice en s'adaptant à la situation sans vouloir trancher et organiser le groupe en deux parties, ce qui semblerait plus raisonnable. Nous allons peut-être recourir à deux salles pour écrire en respirant mieux et nous lirons nos textes à la fin de la séance. Le premier exercice, que Marie-Christine a proposé, concernait les raisons et les empêchements d'écrire. Ensuite, elle a proposé un sujet classique : la rentrée des classes. Quand le tour de table a commencé, la lecture des quinze textes a demandé une attention accrue et parfois, notre esprit pourtant tendu, peut décrocher à certains moments... Le premier exercice n'a duré que quelques minutes et le deuxième une bonne heure. Une pause a permis d'évoquer nos vacances d'été pour introduire un moment de convivialité. Je livre mes réponses à la question : écrire ou ne pas écrire ? J'ai répondu : l'écriture existe depuis trois mille ans, pourquoi ne pas s'en servir ? Travailler le langage comme une partition de musique. En écrivant, j'organise ma pensée avec des mots. J'aime le silence de l'écriture dans un monde "bruital". Partager les textes, se retrouver en bonne compagnie. Pour un souvenir de rentrée de classe, j'ai choisi mes années lycéennes :
"Un tablier rose ou bleu, un tableau vert ou blanc, un cartable fermé ou ouvert, des cahiers avec des petits ou des grands carreaux, des livres couverts ou pas, des heures de cours ennuyeuses ou passionnantes, la sonnette pour changer de classe, la chimie et la physique en horreur, le français, l'histoire et l'espagnol en bonheur, dispensée de sport, refugiée à la bibliothèque, des couloirs, des étages, une ruche, des pions affairés, des professeurs empressés, une directrice stressée, une cantine bruyante, je travaille, j'étudie, je suis à la tâche, je fais mes devoirs, temps du lycée, temps du lissage. Rupture soudaine, bonjour Arthur Rimbaud, j'ai 17 ans, le mois de mai, les maîtres se cachent, les élèves se lâchent, les têtes se lèvent, rien ne sera plus comme avant..."

lundi 19 septembre 2016

Les livres et la télévision

Heureusement, la télévision n'a pas encore lâché la littérature malgré l'absence d'une émission emblématique comme celle d'Apostrophes de Bernard Pivot. Pour les lecteurs(trices) de ma génération, nous avons eu la chance de suivre pendant des années l'actualité littéraire médiatisée par Pierre Dumayet, Michel Polac et d'autres journalistes talentueux, oubliés aujourd'hui. Parler des livres dans ce média populaire me semble indispensable pour stimuler la curiosité des téléspectateurs. J'en veux pour preuve deux excellents magazines culturels :"La Grande Librairie", animée par François Busnel et "Bibliothèque Médicis", animée par Jean-Pierre Elkabbach. La première émission passe sur la 5 le jeudi soir à 20h45 et dure une heure trente minutes. La semaine dernière, j'ai revu avec plaisir des extraits sur Patrick Modiano, écouté avec attention Jean-Paul Dubois (je lis son roman en ce moment), Lionel Duroy (l'archiviste sans concession de sa famille). J'ai découvert un premier roman de Négar Djavadi, "Désorientale" dont j'avais remarqué une bonne critique dans la presse littéraire. François Busnel peut irriter certains tellement il se montre un peu trop enthousiaste et cherche toujours des slogans pour "vendre" les livres présentés. Mais, l'animateur communique son goût des découvertes littéraires. Mon attention et mon écoute se portent sur les créateurs, les écrivains qui nous révèlent souvent leurs façons d'écrire et de vivre. Jean-Paul Dubois s'est illustré particulièrement en relatant sa façon de composer un roman pendant un mois dans une concentration totale et un isolement volontaire. Chaque numéro de l'émission n'est pas aussi dense que celui de mercredi. Mais, pour ceux et celles qui aiment la littérature, ce rendez-vous hebdomadaire encore maintenu malgré une audience modeste mérite le détour. La deuxième émission, "Bibliothèque Médicis", est diffusée par LCP, la chaîne parlementaire, le dimanche à 17H. Jean-Pierre Elkabbach pilote le magazine culturel avec maestria et compétence. Les choix du journaliste s'avèrent plus orientés vers des thématiques historiques, sociologiques, scientifiques mais de temps en temps, il invite des écrivains de fiction. Tout ce qui concerne les livres et la littérature m'intéresse et j'avais envie de promouvoir ces émissions de qualité. Je suis très étonnée qu'une chaîne culturelle comme Arte, ne propose pas un rendez-vous hebdomadaire littéraire... La télévision réputée distrayante et ludique, peut servir une bonne cause, celle de la lecture. Quand elle médiatise les livres, elle remplit une de ses missions de service public.  

vendredi 16 septembre 2016

Apprendre à philosopher

Le journal Le Monde propose depuis le mois de mars une collection baptisée "Apprendre à philosopher", dirigée par Jean Birnbaum, responsable du supplément "Le Monde des Livres". Cette initiative heureuse peut intéresser les apprentis philosophes qui désirent approfondir leurs connaissances qui datent souvent de la terminale au lycée. Ces monographies sur les plus grands philosophes de l'Antiquité à nos jours ont été écrites par des spécialistes issus des universités espagnoles. Chaque ouvrage de la collection se vend dans les bonnes maisons de la presse et souvent il est difficile de se procurer le numéro désiré. Le libraire que je connais n'en reçoit qu'un seul exemplaire par semaine. Il fallait donc être vigilant pour les trouver dans la jungle des publications hebdomadaires. J'en ai acquis quelques uns dont le premier consacré à Platon, le père de la philosophie occidentale. La collection ne se présente pas selon la chronologie, et chaque semaine, on découvre les monographies sans lien entre elles. De Platon à Descartes, de Nietzsche à Foucault,  de Pascal à Héraclite, la collection n'a oublié personne. J'ai feuilleté le Platon et j'ai été vraiment convaincue par la qualité de l'ouvrage composé de schémas, de graphiques, d' illustrations avec un texte critique très accessible. Ce "passionnant voyage au cœur du monde des idées et des grands esprits qui les ont enfantées" se décline en thématiques traditionnelles comme la justice, l'éthique, la connaissance, la vie en société, le sens de la vie et de la vérité. Le journal Le Monde propose un abonnement sur son site internet et j'ai préféré pour ma part acquérir en magasin les philosophes qui m'intéressent comme les Grecs, les Romains et les contemporains du XXe siècle. D'un prix modique (9,90 euros), il ne faut pas manquer ces biographies de philosophes de tous les temps et j'ai déjà remarqué que le géant internet des livres et du reste vend quelques exemplaires à des prix triplés. Une collection très estimable à suivre pour les amateurs de philosophie.

jeudi 15 septembre 2016

Portrait d'écrivain

Ma passion de la littérature se traduit par un accompagnement rapproché de toutes les écrivains, hommes et femmes, qui peuplent mes étagères depuis de longues années. Je me propose d'évoquer dans ce blog ces figures littéraires qui, en fait, se reposent dans ma bibliothèque devenant ainsi leur maison, leur logis, leur nid, leur résidence secondaire, Je pratique l'accueil permanent pour ceux et celles qui m'ont apporté dans ma vie de lectrice, une complicité évidente et intimiste. Aujourd'hui, j'ai choisi un écrivain peu connu du grand public mais qui mérite d'être lu et apprécié. Il s'agit de Georges Perros, écrivain secret, original, ironique et empathique. J'ai relu son ouvrage de poésie, "Une vie ordinaire" publié dans la collection Poésie/Gallimard où Georges Perros utilise la prose poétique pour raconter sa vie. Dans la préface du recueil, Lorand Gaspar décrit le poète avec sa pipe, son caban de marin, sa moto et sa gentillesse bourrue. Il vivait à Douarnenez avec sa famille depuis 1958 et n'a plus jamais quitté cette Bretagne vivifiante dans une maison en bord de mer. Avant la province, il avait travaillé à Paris, à la Comédie-Française. devint l'ami de Gérard Philippe, et assuma un poste de lecteur au TNP et chez Gallimard. Son œuvre littéraire nait dans les années 60 avec "Papiers collés" en deux volumes. Il écrit alors dans ce journal littéraire : "Ecrire est un acte religieux, hors toute religion. Ecrire, c'est accepter d'être un homme, de le faire, de se le faire savoir, aux frontières de l'absurde et du précaire de notre condition. Ce n'est pas croire, c'est être certain d'une chose indicible, qui fait corps avec notre fragilité essentielle." Lire Georges Perros,  alors que la presse littéraire l'a oublié comme tant d'autres aussi, reste un acte de résistance contre l'ingratitude et l'indifférence. J'ai eu la surprise de trouver le poète-écrivain dans un Télérama de 2012. J'ai conservé cet article et je me promets de monter jusqu'à Douarnenez pour découvrir ce coin de Bretagne et surtout pour visiter sa maison devant la baie. Son œuvre, composée de fragments, de notes, de poèmes sans rimes, de bribes, brasse le doute, l'ironie, la fuite, la fragilité et la modestie. La médiathèque de la ville porte son nom et ses livres nous attendent chez son fils, Fred, brocanteur dans la rue Emile Zola...

mercredi 14 septembre 2016

Rubrique Philosophie

Ce matin, j'ai assisté au premier cours de philosophie de la saison 2016-2017 après deux mois d'interruption. Daniel, dont je ne nommerai pas le nom de famille pour garder son anonymat, nous a donné son programme de l'année : "croire, penser, savoir". Beau menu de réflexion pour la cinquantaine de participants à cette activité culturelle, ouverte à tous et à toutes (avec une majorité de femmes...). Pour nous ouvrir l'appétit, il nous a présenté les origines de la philosophie en développant les premières notions à connaître : la science, le langage, la pensée, l'idée, etc. La naissance de l'écriture a permis de formaliser tous les concepts et Socrate, le premier philosophe grec, ne savait ni lire, ni écrire ! Platon a inventé l'Académie vers 387 avant J.-C. qui a duré plus de trois cents ans. Notre professeur a bien insisté sur le rôle majeur de l'éducation, de la culture et de l'écrit dans la cité.  Aristote a fondé lui-même le Lycée en 335 avant J.-C. Quand on prononce les mots "école, collège, lycée, université", ces mots revêtent une banalité quotidienne mais pour tous ceux et celles qui ont vécu un parcours de la maternelle à l'université, ces espaces intellectuels et physiques nous ont formés pour devenir des citoyens partageant un socle solide de valeurs républicaines. Toutes ces conquêtes pour l'émancipation proviennent des Grecs et des Romains et ce patrimoine éducatif ne cessera jamais d'exister même si certains individus peu recommandables le mettent en danger en ce moment. Daniel cultive l'étymologie avec passion et décortique les mots employés dans le jargon de la philosophie. Cette approche linguistique apporte un éclaircissement très pertinent et nous incline à réfléchir sur la signification des mots.  Dès la première séance, il a cité les fondateurs de la philosophie occidentale : Socrate, Platon, Aristote, Parménide, etc. Comme je suis une curieuse invétérée, je conseille un ouvrage que j'ai lu par intermittences cet été : "Qu'est-ce que la philosophie antique ?" de Pierre Hadot dans la collection Folio essais. Ce livre de poche m'a permis de comprendre que la philosophie des Anciens n'était pas un système théorique mais "un exercice préparatoire à la sagesse, un exercice spirituel". Les cours du mercredi matin ont donc démarré aujourd'hui mais, je n'ai jamais abandonné cette discipline en me nourrissant de lectures et d'articles divers pendant tout l'été... Salutaire et indispensable, la philosophie !

mardi 13 septembre 2016

"Boutès"

J'ai décidé de relire de A à Z l'un des écrivains que j'admire le plus depuis les années 90 : Pascal Quignard. Evidemment, j'ai découvert ses livres avec une lenteur nécessaire et souvent expectative car lire cet immense écrivain à quarante ans, puis au fil des ans, constitue une aventure intellectuelle d'une intensité particulière. Il était tant pour moi de revisiter son univers singulier et je désire comprendre ces ouvrages avec une attention décuplée. J'évoquerai régulièrement dans ce blog ce "phare" littéraire dont la lumière éclaire ma vie de lectrice depuis longtemps. J'ai terminé récemment un récit, "Boutès" qui m'a enchantée. Cet ouvrage est sorti en 2008 aux éditions Galilée. Qui est ce mystérieux Boutès ? Un rameur, un des hommes d'Ulysse, embarqué sur la nef des Argonautes. Ulysse veut entendre le chant des Sirènes et se fait attacher au mât du bateau pour échapper à leur charme ensorceleur. Il impose à ses compagnons des boules de cire dans leurs oreilles pour qu'ils ne suivent pas les voix harmonieuses des Sirènes. Mais, le rameur Boutès désobéit à Ulysse et écoute les chants. Il se jette à la mer pour les rejoindre. A partir de cette anecdote, l'écrivain poursuit sa réflexion sur la musique : "Il y a dans toute musique un appel qui dresse, une sommation temporelle, un dynamisme qui ébranle, qui fait se déplacer, qui fait se lever et se diriger vers la source sonore." Boutès représente dans la pensée de Quignard celui qui "quitte le rang des rameurs, renonce à la société de ceux qui parlent". Et au détour d'une page, Schubert surgit comme un frère de Boutès, celui qui a pensé "l'état d'abandon, de solitude, de carence, de faim, de vide, (...), de nostalgie radicale, éprouvé par chacun lors de la naissance." La musique comble ce manque : "Sans la musique, certains d'entre nous mourraient". Ce thème majeur, la musique,  dans l'œuvre de Pascal Quignard révèle une de ses obsessions : seul, l'art peut devenir cet océan originel du "Jadis" et réconcilier l'individu avec lui-même. Dans le mot art, l'écrivain intègre évidemment la littérature, les livres, la peinture et Boutès symbolise le plongeur de Paestum, la première image de l'homme qui tombe, qui relie le vivant et le mortel, dans un geste d'immortalité. Comme j'ai vu avec émotion ce Plongeur à Paestum en avril, j'ai lu et relu cet ouvrage, toujours parsemé de citations grecques, d'anecdotes savantes et de pensées philosophiques. Un grand récit sur la musique, un conte philosophique, un condensé de son projet littéraire.
 

lundi 12 septembre 2016

Une bibliothèque originale

Il se passe quelque chose d'éminemment sympathique dans la ville d'Anglet en Côte basque, je veux parler de l'installation d'une bibliothèque des plages... Quand je me suis promenée de la Chambre d'Amour (quel joli nom !) à la plage de la Madrague, j'ai aperçu une grande cabane en bois, toute blanche avec un toit bleu. Je pensais qu'une école de surf, comme il y en a tant sur les plages basques, proposait des leçons. Mais quelle surprise de voir sur la porte le mot magique : "Bibliothèque des plages" ! Je me suis approchée pour la visiter mais elle était fermée au public. J'ai eu la chance tout de même de rencontrer une bibliothécaire et son adjointe qui déménageaient les cartons de livres dans une camionnette. J'ai engagé la conversation et me suis présentée comme une ancienne collègue d'autant plus que j'avais connu l'ancienne directrice de la Bibliothèque d'Anglet. Le personnel m'a donc expliqué le fonctionnement de leur annexe. Elle fonctionne de 14h à 18h30 tous les jours en juillet et en août. Les vacanciers peuvent venir lire sur place des romans et des essais (2000 ouvrages) et une large gamme de revues complète le fonds disponible. Le secteur jeunesse est particulièrement soigné pour attirer les enfants. J'ai appris aussi qu'un lecteur estival pouvait emporter un livre pendant une semaine avec une caution minimale. Cette initiative m'a vraiment fait plaisir. Je sais que d'autres communes proposent cette activité culturelle sur les côtes françaises. Mais, à cet endroit précis, lors de ma balade quotidienne, je touchais de mes yeux cette belle cabane aux allures californiennes et je m'imaginais recevoir les enfants et leur raconter des histoires. Je conseillais quelques adultes qui paraissaient convaincus de mon enthousiasme littéraire. J'ai félicité la bibliothécaire de cette belle aventure : avec la baignade et le farniente, les livres avaient pris leur place entre les serviettes et les parasols... Entre les mots "plage" et "page", la différence s'avère moindre et ces deux espaces me permettent de me baigner dans les vagues et de rêver dans les pages...

vendredi 9 septembre 2016

Biennale internationnale d'art contemporain

La ville d'Anglet propose tous les deux ans une Biennale d'art contemporain et cet événement culturel apporte à la promenade en bord de mer, longue de cinq kilomètres,  un jeu de piste amusant et hautement symbolique. De la Barre, embouchure de l'Adour, à la Chambre d'Amour, douze œuvres spectaculaires marquent l'espace maritime et les badauds ne peuvent éviter ces étapes artistiques. L'art contemporain se met ainsi dans un décor sublime à la portée du promeneur nonchalant et curieux. Il est vrai que les sportifs avec leur bracelet électronique contourne les sculptures sans les voir... L'écrivain et historien de l'art, Paul Ardenne est le commissaire de l'exposition et propose un regard sur "l'art de vivre balnéaire, la côte comme frontière décisive à l'heure des migrations amplifiées, l'enjeu écologique des écosystèmes marins". J'ai donc cheminé sur le sentier du bord de mer en dénichant les sculptures les unes après les autres : trois palmiers fabriqués avec des bouées en plastique, des phrases mystérieuses inscrites sur un kiosque, un terrain de sport géant sur la plage, un accroche-coeurs en métal, un nuage en plâtre de quatre mètres cinquante, une carlingue d'avion couverte de vêtements, une barque enlisée dans un étang, une cabane reconstituée de Thoreau, une remorque spécial-migrants, etc. Pour apprécier ces œuvres éphémères et ensablées, il faut laisser son imagination capter les messages des artistes sur le monde actuel. Certains d'entre eux veulent nous faire comprendre le drame tragique des migrants, d'autres, l'urgence écologique, et si on veut en savoir plus, une plaquette bien conçue éclaire avec perspicacité tous les parcours singuliers et originaux des artistes exposés dans la Biennale. Ces artistes contemporains se nomment Fabrice Langlade, Laurent Perbos, Rachel Labastie, Robert Montgomery pour ne citer que ceux dont les "installations" m'ont le plus intéressée. La ville d'Anglet a la chance de posséder un décor magnifique avec ses plages immenses, et quand elle propose aussi un parcours artistique d'une grande originalité, je ne pouvais qu'être comblée par mon séjour basque. Nature et culture riment bien ensemble...

jeudi 8 septembre 2016

Rubrique Musique

J'ai assisté le vendredi 2 septembre à un concert unique : j'ai enfin vu et entendu mon contre-ténor préféré : Philippe Jaroussky. Je suis partie dans mon pays à Biarritz à l'occasion du festival "Musique en Côte basque" qui se déroule du 2 septembre au 18 septembre. J'ai réservé la place en février, sinon je n'aurais eu aucune possibilité d'écouter Jaroussky. Plus de mille places ont été refusées... Quand je me retrouvée dans la superbe église de Saint Jean de Luz, (installée inconfortablement sur une chaise pliante malgré le prix du billet !), j'ai soupiré d'aise car je savais que j'allais vivre un grand moment musical... Au diable le manque de confort à cet instant précis... Les douze musiciens de l'ensemble Artaserse sont entrés sur l'estrade devant le chœur de l'église et quand le chanteur s'est avancé sur le devant de la scène, le public, complètement acquis à son charme et à son talent, a fait silence pour recevoir les airs italiens de Cavalli, Steffani, Monteverdi, Cesti et Uccellini. Dans la plaquette du festival, il est écrit que le contre-ténor est acclamé dans le monde entier et a travaillé avec les plus grands chefs d'orchestre comme William Christie. Il possède une voix unique et quand j'ai entendu les airs italiens, le temps s'est suspendu et je n'ai pas vu passer les deux heures de concert. Il a été tellement applaudi par les spectateurs qu'il ne pouvait plus se retirer de la scène et nous a offert trois airs supplémentaires... J'avoue que je possède pratiquement tous ces disques (une vingtaine) et je n'ai jamais été déçue... Pour mieux connaître cet immense interprète lyrique, un site internet permet de le suivre dans ses tournées et la page Wikipédia apporte quelques informations supplémentaires. Je n'ai pas mentionné ses nombreux prix qu'il a obtenus depuis le début de sa carrière. Grâce à lui, la musique baroque a conquis un public de plus en plus large et je m'en félicite !

mardi 6 septembre 2016

"Mémoire de fille"

Le Monde des Livres du jeudi 31 mars n'hésite pas à qualifier le dernier livre d'Annie Ernaux, "Mémoire de fille", de "récit magnifique". J'ai lu tous ces récits autofictionnels et elle est devenue, au fil des ans, une écrivaine contemporaine classique car son œuvre littéraire atteint une universalité d'un point de vue féminin. Sa "Mémoire de fille" m'a particulièrement touchée par sa recherche presque désespérée de son "moi" de jeune fille en 1958 dans une France traditionnelle et éternelle... Elle observe et analyse  avec une lucidité absolue ces deux années 58-60 où elle se trouvait à l'heure des choix qui engagent une vie d'adulte. Elle écrit : "J'ai voulu l'oublier cette fille. L'oublier vraiment. (...) Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y suis jamais parvenue." Cette Annie Duchesne quitte pour la première fois son foyer familial, le café-épicerie, pour rejoindre une colonie de vacances (un aérium). Cette liberté l'euphorise et sa passion amoureuse pour son moniteur-chef, avec lequel elle a sa première relation sexuelle, tourne au désastre. A cette époque, une fille aussi libérée avait une très mauvaise réputation au sein du groupe. Son moniteur la délaisse vite et elle cumule avec inconscience les conquêtes masculines. Annie Ernaux interroge cet été-là en évoquant la honte d'avoir agi ainsi et sa passivité face aux humiliations que les collègues lui infligent. Son séjour terminé, elle intègre l'Ecole normale pour devenir institutrice mais elle est renvoyée pour incompétence pédagogique. Elle part alors à Londres comme jeune fille au pair et intègre ensuite l'université de Rouen et deviendra professeur de lettres. Le projet d'Annie Ernaux ne peut que passionner son lecteur(trice) tellement sa "fable" sur la mémoire qu'elle sonde, décrypte, sculpte à la façon d'un psychanalyste, ressemble à une tentative "d'épuisement du réel" comme le suggérait Georges Perec. Entre cette jeune femme qu'elle avait perdue de vue (et de vie) et la femme d'aujourd'hui qui s'interroge sur ce passé reconstruit, plus de cinquante ans séparent ces deux êtres. Qu'ont-elles en commun ? Ce "Moi" fluctuant et changeant épouse les événements et les retient dans le filet mémoriel que l'écrivain se doit d'explorer. L'écriture dévoile et révèle : "J'ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu'un qui vit les choses comme si elles devraient être écrites un jour". Ce récit autobiographique peut se résumer avec les mots d'Annie Ernaux : "un livre qui dit l'ébahissement d'avoir été cette personne-là et l'étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé". Lire "Fille de mémoire", c'est vivre au plus fort ce que peut offrir la littérature...

lundi 5 septembre 2016

Revue de presse

Les revues littéraires du mois de septembre évoquent, bien entendu, la rentrée littéraire comme le veut la tradition. Lire offre un guide complet sur les nouveautés et un entretien avec Laurent Gaudé qui publie "Ecoutez nos différences" aux éditions Actes Sud. Julien Bisson, le nouveau rédacteur de la revue, écrit dans son édito en citant l'atmosphère lourde de la société française à cause des attentats sanglants de cet été :  "Refuser la paralysie et continuer à mettre des mots sur les maux. Sur ces blessures, physiques ou intimes, qui nous laissent hagards, meurtris. Des mots pour se défendre du péril, des nos peurs, de nos angoisses. De nos dangereuses inclinations, parfois. Loin de l'empressement du politique, si prompt à l'excès et à la vitupération, la littérature est un espace de recul, d'analyse, de réflexion." Un dossier central propose les "20 livres clés de la rentrée littéraire", sorte de palmarès pour les prix littéraires de l'automne. Je retrouve Serge Joncour, Karine Tuil, Jean-Paul Dubois, Andréi Makine, et. La rédaction donne aussi ses coups de cœur. Le Magazine Littéraire a choisi un dessin de Philippe Geluck pour illustrer le Spécial "Les romans de la rentrée, l'autofiction attaquée par l'exofiction". On peut donc lire un grand entretien avec Salman Rushdie, un article sur les romans post-apocalyptiques, des critiques sur les romans de la rentrée (les écrivains critiqués dans Lire se retrouvent aussi dans le ML), des avis sur la non-fiction. Un très bon dossier sur les religions, "Pourquoi les religions reviennent ?" nous éclaire sur un sujet brûlant d'actualité et si l'on s'intéresse à cette problématique, une bibliographie aidera le lecteur(trice) à se forger sa propre opinion. Un numéro très riche et indispensable pour la rentrée littéraire. La dernière revue de la rentrée, "Page",  paraît tous les trimestres et aborde avec exhaustivité les choix des libraires. L'intérêt de "Page" se mesure à la présence d'écrivains moins connus que ceux et celles qui figurent dans la presse spécialisée. Une mine d'informations a ne pas négliger et la sincérité des libraires, ces professionnels motivés et désintéressés, me convient bien car ces médiateurs culturels ne participent pas à cette foire d'empoigne que représente la consécration des prix où l'influence des critiques et des éditeurs semble prépondérante...

vendredi 2 septembre 2016

Rentrée littéraire

Ce rite du mois d'août revient comme rendez-vous attendu des amoureux des livres et de la littérature. Dès le 20 août, j'ai senti un petit frémissement dans la presse et puis, les revues mensuelles ont fait leur apparition dans les maisons de la presse. La lecture des magazines et du Monde des Livres ne suffit pas,  même si ces publications ouvrent l'appétit comme un apéritif que l'on partage en toute convivialité. Mais, que ce soit sur Internet ou dans la presse papier, rien ne vaut une visite d'approche dans les librairies. Je me suis rendue la semaine dernière chez Garin pour découvrir les nouveautés de la rentrée. Quel plaisir de saisir un livre dans ses mains, de le soulever pour l'approcher des yeux et de lire la quatrième de couverture et la première phrase du roman ! Les livres du printemps et de l'été qui n'ont pas trouvé leur lecteur, vont repartir chez les éditeurs. (on appelle ce mouvement, un "retour"). Il faut bien faire de la place pour les nouveaux... Cruelle réalité de la librairie : certains titres vont se retrouver dans les rayonnages en repêchage et d'autres vont définitivement repartir pour le pilon... J'ai remarqué quelques très bons écrivains comme Jean Paul Dubois, Catherine Cusset, Luc Lang, Laurent Mauvignier, Céline Minard, Karine Tuil  pour la littérature française. J'ai feuilleté le dernier Amos Oz, "Judas", un écrivain israélien que j'aime beaucoup. Je ne peux pas me passer de ces balades en librairie où la découverte, la surprise et l'étonnement font partie d'un de mes plus grands plaisirs dans la vie. Avant de quitter la librairie Garin, j'ai eu ma discussion avec la responsable qui m'a parlé de ces engouements pour la rentrée et de ses déceptions aussi. Pour compléter la collecte d'informations sur la rentrée littéraire, j'ai acheté la revue Page, conçue par des libraires, que l'on ne trouve que chez Garin. On m'a offert une plaquette, "S'il n'en restait que 100", un petit guide de référence à l'usage du lecteur curieux, excellente bibliographie sur les nouveautés incontournables. En prime, j'ai retrouvé, comme tous les ans,  un supplément de la revue Livres Hebdo, "Que lire ?", un panorama complet sur les publications de la rentrée avec des entretiens (dont celui d'Amos Oz) et des portraits d'écrivains. Une rentrée littéraire équilibrée et intense sans poids lourds écrasants de la littérature et sans polémique...

jeudi 1 septembre 2016

Mon été Schubert

J'ai négligé pendant des années Franz Schubert. Quelle ingratitude de ma part pour ce compositeur génial ! Je me souviens de ces sonates au piano, de ces trios et quatuors qui m'ont fait aimer la musique de chambre pour laquelle j'ai eu une vraie préférence dans les années 90. Un jour de l'année dernière, je me trouvais à la médiathèque de Chambéry quand une discothécaire m'a informée d'une séance de répétition concernant la classe de chant du Conservatoire de Chambéry. Cette belle initiative m'a offert une ouverture inattendue sur la planète des lieder de Schubert. J'avais pourtant essayé plusieurs fois d'écouter ces chants accompagnés au piano. Mais, je n'étais pas prête pour cette rencontre musicale. Une deuxième circonstance cinématographique m'a encore charmée quand j'ai entendu un lied de Schubert dans le film, "L'avenir" avec Isabelle Huppert. J'avais trouvé cet air magnifique et je me suis dit qu'il était temps pour moi de retrouver ce génie musical de Vienne. Ma troisième idylle avec lui s'est passée à Naples dans le décor inoubliable du théâtre San Carlo où j'ai assisté à un concert inoubliable, le plus beau de ma vie de "mélomane amateur" en écoutant la Symphonie Inachevée et la Messe D650 de Schubert. Un éblouissement, j'ose le dire... Puis, à Vienne, j'ai aussi pris un billet pour assister à un concert de lieder avec le baryton allemand, Benjamin Appl qui m'a littéralement subjuguée avec des chants de Grieg, Mendelssohn, Schubert et Schumann. J'ai profité de mon séjour viennois pour visiter la maison d'enfance du musicien dans un quartier excentré de Vienne. Entrer dans cet appartement modeste m'a remplie d'une émotion douce et sereine et de pièce en pièce, je me suis imprégnée de l'atmosphère de l'époque en contemplant, en particulier, ses célèbres lunettes rondes, exposées dans une vitrine. J'avais l'impression d'être en sa compagnie. Cet été, j'ai écouté quotidiennement les CD de la collection Matthias Goerne Schubert Edition, d'une beauté musicale inégalée. Pour faire connaître la dimension poétique des lieder de Schubert interprétés par Matthias Goerne, je reviendrai dans ce blog sur le contenu des chants. A tous moments de sa vie,  la musique est un voyage dans un continent inépuisable de merveilles...