mardi 25 août 2020

"Le Ravissement de Lol. V. Stein"

 J'avais envie de retrouver des romans "atmosphériques", ceux dont le titre comporte tout un programme et j'ai relu Marguerite Duras et son "Ravissement de Lol. V. Stein". Dans les années 80, ses lecteurs (surtout des lectrices) étaient tombés sous le charme d'India Song, de cet univers langoureux et caniculaire de l'Asie. J'avais écouté sur France Culture les quatre épisodes de sa vie d'écrivain dans la Compagnie des Auteurs. J'ai hésité entre "Le Barrage contre le Pacifique" et le "Ravissement" et j'ai opté pour ce dernier, plus mystérieux à mes yeux que le premier. Ce roman paraît en 1964 chez Gallimard. Le narrateur, Jacques Hold, raconte la vie de Lol. V. Stein, dont le vrai nom est Lola Valérie Stein. Cet homme est l'amant de la meilleure amie de Lol, Tatiana Karl. Et il est amoureux de cette femme étrange qu'il ne connaît pas bien. Il sait qu'elle était fiancée à Michael Richardson et il a appris qu'elle avait été abandonnée à la veille de son mariage lors d'une scène de bal (mythique) où son fiancé rencontre Anne-Marie Stretter. Cette perte représente pour Lol. un désastre définitif et elle ne s'en remettra jamais. Pourtant, elle va refaire sa vie avec Jean Bedfort et elle aura trois enfants. Dix ans après la scène de bal, elle revient à S. Tahla et revoit sa meilleure amie Tatiana, mariée et amante aussi du narrateur. Ce trio amoureux s'observe, s'aime, se complète, se sépare aussi. Cette relation originale appartient à la galaxie durassienne. Pour comprendre ce roman étrange et envoûtant, l'appareil critique de la Pléiade m'a été d'un grand secours. En effet, en 1962, l'écrivaine traverse une crise de couple avec Gérard Jarlot qui lui échappe. Elle est aussi malade avec l'alcoolisme. Elle fait la connaissance d'une femme à un bal de Noël dans un asile psychiatrique. Marguerite Duras est fascinée par cette patiente, belle et absente d'elle-même. Cette rencontre bouleverse l'écrivaine qui s'isole à Trouville pour composer le roman. Pour écrire sur Lol, elle dynamite le langage traditionnel, bouscule le vocabulaire et la grammaire. Sa prose hallucinatoire, flottante, insaisissable donne au personnage de Lol., une image suspendue, une impossibilité à définir la réalité de son sujet féminin : "Elle s'immobilise sous le coup d'un passage en elle, de quoi ? de versions inconnues, sauvages, des oiseaux sauvages de sa vie, qu'en savons-nous ? Qui la traversent de part en part, s'engouffrent ? Puis le vent de ce vol s'apaise ? ". Tout le style de Duras se résume dans ce passage : tout est flou, irréel, fuyant. La frontière entre le réel et l'imaginaire devient un prétexte littéraire majeur dans cette approche de Lol. V. Stein. L'écrivaine revendique "cet état poreux, interchangeable" et elle veut atteindre "à travers son écriture, un état d'indifférence, une anesthésie des affects qui n'est pas une maladie" car Marguerite Duras prétend que "c'est un état que beaucoup de gens frôlent".  Elle racontait à la fin de sa vie qu'elle éprouvait une tendresse particulière pour ce personnage, qu'elle nommait, "Ma petite folle". Un roman captivant, déroutant, dérangeant mais d'une beauté incontestable, toujours aussi avant-gardiste. A découvrir ou à relire. Marguerite Duras, une écrivaine magnifique.