mercredi 26 octobre 2022

"Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen", Stefan Zweig, 2

Dans sa jeunesse, Stefan Zweig commence ses périples européens à Berlin tout en rêvant de Paris, une fois son doctorat de philosophie terminé. Son rêve se réalise enfin dans cette ville lumière, le centre culturel du monde selon lui, une ville libre, ardente et décomplexée. Il hume cet air de liberté avec bonheur et partage cet enthousiasme avec Rilke qui lui présente Rodin. Cette rencontre avec un sculpteur de génie illumine son séjour parisien. Voyageur éclairé, il rejoint Londres où il se sentira seul et ne réussit pas à établir des contacts avec le milieu littéraire. Stefan Zweig manifeste sa passion de la littérature en collectionnant des autographes et des manuscrits de grands artistes comme Goethe. Le succès de ses nouvelles se confirme en rencontrant l'adhésion du public. Mais sa curiosité insatiable pour l'ailleurs l'emmène en Inde, en Amérique, en Europe. La politique de son pays le passionne et il évoque la figure de Walther Ratheneau, un homme politique allemand qui sera assassiné plus tard. Ses mémoires qu'il a écrites en 45 jours brassent beaucoup de thèmes, de personnages réels, d'évènements historiques et sociaux. Il établit un bilan positif des progrès matériels, dues aux découvertes innovantes. Pourtant, il note aussi l'insouciance des peuples quand l'immonde peste du nazisme prend forme. L'optimisme généralisé occultait le danger d'un antisémitisme meurtrier. Il relate plusieurs faits marquants dans cette atmosphère délétère et troublante. Quand la guerre de 14 avait éclaté, cet écrivain de la paix avec son ami Romain Rolland avait compris qu'un monde, son monde, s'effondrait. Stefan Zweig croit malgré tout à la raison, à la paix au-dessus des peuples. Il tente avec son ami Romain Rolland d'organiser une grand conférence réunissant les plus grands penseurs de l'époque, pour promouvoir la réconciliation. Mais cette tentative est un échec. Après la guerre de 14, l'écrivain s'installe à Salzbourg et se consacre à la littérature. Il poursuit son analyse de la société viennoise en évoquant les ravages de l'inflation. Malgré les soubresauts de la société, la vie intellectuelle bat son plein avec de nouveaux talents littéraires, des peintres de la Sécession, du cubisme au surréalisme. Il part en Italie, en Allemagne, en Russie et ces voyages déterminent son amour d'une paix idéale européenne, une utopie qui sera plus tard réalisée. Ses livres sont traduits dans le monde entier. Ce qui n'empêche pas sa lucidité pessimiste de s'exercer. Le nazisme finit par triompher en Allemagne et l'Autriche est annexée. Les derniers chapitres crépusculaires de l'ouvrage évoquent les horreurs que traversent les Juifs. Il part en Angleterre mais ce pays le déclare "ennemi étranger". Il termine son récit en se sentant poursuivi par la guerre et écrit cette très belle phrase consolatrice : "Mais toute ombre est en fin de compte aussi fille de la lumière, et seul celui qui a connu clarté et obscurité, guerre et paix, ascension et déclin, seulement celui-là a véritablement vécu". Ce chef d'œuvre de Stefan Zweig que j'ai relu lors de mon séjour à Vienne m'a littéralement plongée dans les "plis du temps" de cette ville si fascinante. Stefan Zweig, ce grand écrivain européen d'une modernité éternelle, nous fait comprendre ce XXe siècle si capital dans l'Histoire humaine. Un classique à préserver et à découvrir sans cesse.        

mardi 25 octobre 2022

"Le monde d'hier, souvenirs d'un Européen", Stefan Zweig, 1

 Dans chacune de mes escapades, j'emporte dans ma valise un livre accompagnateur. Pour Vienne, j'ai choisi "Le monde d'hier" de Stefan Zweig. J'avais aussi lu un beau livre sur lui qui retrace sa vie dans cette capitale si riche culturellement. Mon séjour s'est trouvé ainsi rythmé par les phrases de cet ample autobiographie intellectuelle et historique. L'écrivain autrichien entame la rédaction de ce texte en 1934 quand, face à la montée du nazisme, il s'enfuit en Angleterre. Plus tard, il s'exile au Brésil et poursuit sa démarche autobiographique sans documentation, ni papiers personnels. Il poste le manuscrit à son éditeur un jour avant son suicide. Sa jeune épouse l'accompagne dans sa mort. Considéré comme son testament littéraire, "Le monde d'hier" révèle un monde d'avant 1914, assez insouciant, stable, paisible, traditionnel à l'apogée de sa civilisation. Témoin direct d'une Vienne en effervescence intellectuelle, il fréquente Freud, Verhaeren, Rilke et Valéry. Romain Rolland devient son ami de référence. Il décrit aussi l'effondrement des monarchies entre les deux guerres. A cette époque, le progrès technique change la société avec la voiture, le téléphone, l'électricité. Parfois, il revient sur sa propre famille car son père, originaire de Moravie, établit sa fortune dans une usine de textile. Sa mère, d'origine italienne, appartient à la bonne bourgeoisie juive cosmopolite. L'éducation exemplaire de l'écrivain en littérature, en musique et en langues étrangères prépare le jeune Stefan à une carrière littéraire, encouragée par ses parents. La vie culturelle de Vienne n'avait aucun secret pour lui et il fréquentait assidument les théâtres, les salles d'opéra, les bibliothèques et les cafés. Cette appétence incessante pour la culture se lit à chaque page et cet idéal quasi platonicien, il le vivra avec une intensité communicative. Son Europe resplendit et brille de tous ces feux avant l'Apocalypse nazi. Il parle plusieurs langues, maîtrise le grec et le latin, se sent citoyen du monde et il aime par-dessus tout la littérature. Son dernier livre offre une mosaïque extraordinaire d'histoires intimes et d'événements historiques. Il évoque l'éducation trop corsetée des lycées et la méfiance des adultes envers la jeunesse. Ami de Freud, l'auteur parle avec franchise de la sexualité, un sujet tabou dans la société autrichienne. Il sait déjà que les frustrations entraînent de graves dysfonctionnements dans les comportements humains. La modernité de Zweig se développe amplement dans ses œuvres qui, à la naissance du nazisme dès les années 30 ont été brûlées dans des autodafés en Allemagne ainsi que celles de Freud. Jeune étudiant, il poursuit des études de philosophie mais sa grande "affaire", c'est l'écriture et la publication de ses poèmes dans une revue littéraire. (La suite, demain)

lundi 24 octobre 2022

Escapade à Vienne, 6

 J'ai passé l'après-midi avant mon départ dans le MuseumsQuartier (MQ), un grand complexe culturel, installé dans les anciennes écuries impériales. Réalisé en 1998, ce quartier réunit tous les aspects de l'art : la peinture moderne, le cinéma, le théâtre, l'architecture, la danse, les nouveaux médias. Des boutiques, cafés et restaurants attirent toujours un grand nombre de touristes et de Viennois. J'ai donc commencé par le Mumok, le Musée d'Art moderne, Fondation Ludwig. Spécialisé dans l'art du XXe et du XXIe siècle, cet édifice se repère facilement grâce à sa forme cubique et ses façades en roche volcanique. Ses priorités s'affichent dès l'entrée : du contemporain à tout va au risque de surprendre fortement les amateurs d'art plus traditionnels. J'admire surtout l'art antique, la Renaissance italienne et l'art moderne, et devant moi, je vois des œuvres d'art qui interrogent ma curiosité. Est-ce beau, ce tableau constitué d'objets culinaires ? Cette statue féminine habillée de serpents ? Un fauteuil à bascule rempli d'escargots en argile ? Oui, l'art contemporain bouscule, étonne, dérange. Andy Warhol, Daniel Spoerri, Paul Klee, Mondrian, et tant d'autres posent des questions philosophiques. Pour apprécier ces mouvements artistiques, il faut des clés de compréhension, s'informer, se documenter. L'idée est plus importante que la forme. Et on peut aussi tout simplement regarder et essayer d'appréhender la démarche artistique. J'avoue que j'ai beaucoup de mal à m'extasier devant ces "objets" où je ne vois plus la "beauté" des formes et le message qu'ils détiennent me semble parfois assez hermétique. J'ai préféré de loin le Musée Leopold avec sa grande collection des peintures d'Egon Schiele. Ce peintre expressionniste (1890-1918) appartient à la mouvance Sécession avec son ami, Gustav Klimt. Il a exprimé dans ses toiles une angoisse existentielle, un sentiment de solitude, et surtout la souffrance d'être. Les corps nus apparaissent torturés, morbides. Les critiques évoquent "l'intensité graphique" de ses "figures décharnées, désarticulées, comme flottant dans le vide". Ce peintre doué et sensible est mort très jeune de la grippe espagnole ainsi que sa jeune épouse enceinte. Une vie tragique pour Egon Schiele, sauvé malgré tout par sa puissance créatrice. Une exposition sur Vienne en 1900 complétait à merveille ma visite. Dans ce quartier muséal, on trouve aussi le Kunsthalle, un lieu d'expositions contemporaines, le ZOOM, un musée pour les enfants et un centre consacré à la danse. Cet espace culturel demeure un atout majeur dans le classement de Vienne comme une des villes les plus agréables du monde. 

vendredi 21 octobre 2022

Escapade à Vienne, 5

 J'ai consacré ma dernière matinée à Sigmund Freud. Je me suis dirigée vers une adresse très célèbre : 19, Berggasse, Vienne. Fermé depuis 18 mois, le musée a fait peau neuve et a rouvert ses portes en 2020. Comme je l'avais visité en 2016, j'ai constaté parfois avec une nostalgie certaine le nouvel habillage de ce lieu mythique. Alors que j'étais entrée dans l'ancien appartement du psychanalyste, j'avais vu les conditions matérielles de sa vie quotidienne avec le salon grenat, les tapisseries d'origine, les meubles anciens, de nombreux objets familiers. Son bureau donnant sur la cour intérieure contenait sa vitrine d'objets antiques si chers à son cœur, son fauteuil et sa table de travail, son stylographe, sa bibliothèque. Il a vécu dans ce lieu de 1891 à 1938 et c'est devant son bureau qu'il a écrit ses plus grands œuvres comme "L'interprétation des rêves", "Cinq leçons sur la psychanalyse", "Le Moi et le ça". Visiter ce lieu ressemble à un exercice d'admiration. J'imaginais ce grand savant, philosophe et médecin dans cet espace modeste et confiné. La vue de sa fenêtre, la présence habitée des objets quotidiens, la couleur de ses meubles montraient un Freud intime et touchant. Le musée présente une scénographie différente, en proposant des vitrines où l'on retrouve son stylographe, son portefeuille, sa casquette, des lettres manuscrites, ses ouvrages édités. La présence de Freud se devinait quand même malgré la rénovation de l'appartement où il ne restait plus aucune trace d'antan. Freud quitta son appartement en 1938 pour fuir le nazisme et il s'est réfugié à Londres avec sa famille grâce à l'aide de Marie Bonaparte. Amoindri par un cancer avancé, il met fin à ses jours en s'injectant une dose létale de morphine. Il meurt comme un stoïcien romain. Le musée s'est doté de panneaux pédagogiques sur la psychanalyse et des photos montraient l'intérieur de la maison. Une vidéo dans une petite salle racontait son séjour à Londres. J'ai eu la chance de voir une exposition précieuse dans un espace nouveau sur le surréalisme avec des toiles de Chirico, Dali, Magritte, Ernst, etc. Même si je préférais le musée d'avant la rénovation, j'ai accompli un pèlerinage littéraire car Freud est surtout un grand écrivain de l'âme humaine J'ai relu récemment son "Malaise dans la civilisation", d'une lucidité impitoyable sur les noirceurs de l'humanité... Un ouvrage d'une actualité criante quand on vit encore et toujours la guerre en Ukraine, la criminalité ravageuse, les désordres perpétuels de la société. Freud reprend la citation de Hobbes en 1651 : "l'homme est un loup pour l'homme". En parcourant ce musée passionnant, j'avais envie de me replonger dans ses livres. 

jeudi 20 octobre 2022

Escapade à Vienne, 4

 J'ai consacré ma journée de mercredi à l'art. En début de matinée, j'étais devant le Kunsthistorisches Museum ou le musée d'Histoire de l'art de Vienne, planifié en 1871 sur la Ringstrasse. François-Joseph a inauguré le musée en 1891 pour abriter les collections accumulées par sa dynastie. L'édifice inspiré de la Renaissance italienne possède son jumeau en face de lui, le Musée d'Histoire naturelle. Dès que je suis entrée dans le hall d'entrée, j'ai admiré le vaste escalier et le dôme composant déjà un magnifique palais dédié à l'art. Marbres polychromes, peintures au plafond, coupole centrale, les espaces sont distribués en labyrinthe intelligent. J'ai surtout admiré l'immense et belle collection italienne : Le Caravage, Le Tintoret, Raphael, Véronèse, Arcimboldo, Canaletto, Titien, Giorgione, etc. Puis, les Flamands avec une salle de Brueghel l'Ancien avec des tableaux mythiques comme "La Tour de Babel", "Les chasseurs dans la neige", "La danse des paysans". Puis, Rembrandt, Durer, Cranach, Holbein, Velasquez, Rubens, etc. Un festival de chefs d'œuvre de la peinture européenne. Des moments de beauté pure. J'ai aussi arpenté la galerie de l'art grec et romain avec des pièces magnifiques dont des vitrines de vases grecs qui me rappellent toujours mon amour pour ce pays si essentiel en Europe.  J'ai remarqué un sarcophage des Amazones du IVe siècle avant J.-C.. Je suis restée près de trois heures dans ce musée enchanteur et en sortant de ce lieu, j'éprouvais une fois de plus le syndrome de Stendhal, cette palpitation cardiaque devant tant de tableaux qui racontent l'essence de la culture européenne. Dans l'après-midi, j'ai revu le triptyque de Jérôme Bosch, "Le Jugement dernier"  à l'Académie des Beaux-Arts. Peint en 1482, le panneau de gauche présente le Jardin d'Eden, avec Adam et Eve, Dieu et le Paradis. Dans le panneau de droite, la noirceur et les péchés de l'Humanité où la folie règne. Les démons saisissent les âmes et Dieu les juge. Dans le panneau de droite, l'enfer est représenté avec les âmes damnés. Ce triptyque hallucinant, halluciné, hallucinatoire a inspiré les surréalistes tellement les humains ont pris l'apparence des animaux. Ce peintre hollandais évoque une fantasmagorie du  Bien et du Mal, de Dieu et du Diable, de l'enfer et du paradis et au milieu la pauvre humanité... Quel artiste fabuleux ! J'ai vu ces œuvres au Louvre, au Prado de Madrid, à Venise, à Berlin et à Lisbonne. Et je ressens toujours le même intérêt curieux pour ces triptyques fascinants. 

mercredi 19 octobre 2022

Escapade à Vienne, 3

 Comme à Venise, des lieux cultuels racontent l'identité des Autrichiens. J'ai visité des églises baroques assez exceptionnelles, en particulier la KarlsKirche et la JesuitenKirche. L'art baroque affectionne les lignes courbes, les fresques lyriques, les angelots, les saints en pamoison. Cet art théâtral veut charmer, surprendre et émouvoir car la religion catholique voulait réagir contre la Réforme protestante. La KarlsKirche est dédiée à Saint Charles-Borromée à la suite de l'épidémie de peste de 1713. Un portique de temple gréco-romain, deux tours latérales, un dôme baroque, deux colonnes antiques massives et autonomes devant le portail, les statues, les fresques du plafond composent un édifice exceptionnel. Un ascenseur permet de toucher presque le plafond peint hallucinant, réalisé par Rottmayr, où figurent les luttes contre la peste et contre l'hérésie. Une visite essentielle pour comprendre le baroque viennois. La JesuitenKirche présente aussi un décor flamboyant, réalisé par le frère jésuite, Andrea Pozzo en 1703. L'intérieur de l'église contraste avec la façade extérieure plus austère et dès que j'ai pénétré dans l'église, j'ai vu des colonnes torsadées en marbre et d'autres corinthiennes à chapiteaux dorés, des angelots à foison, des fresques narratives et d'une coupole en trompe-l'œil. Cette fièvre baroque s'est emparée de la ville au XVIIIe siècle et pour se reposer l'esprit tant sollicité par cette exubérance artistique, j'ai traversé avec plaisir les parcs-jardins qui offrent des haltes sereines d'une beauté classique. Selon la presse anglaise, Vienne a été décrétée la ville la plus agréable au monde après Copenhague, Zurich, Genève. Pour sa stabilité, son offre éducative et culturelle, sa qualité des infrastructures, ses facteurs environnementaux, j'ajouterai la présence de ces parcs avec de nombreux bancs verts, des parterres de fleurs, des étangs et des statues figurant les grandes figures de la culture autrichienne, en particulier Mozart, Strauss, Beethoven. J'aime tout particulièrement le Burggarten aménagé en 1819 par l'empereur François Ier, puis agrandi et transformé en paysage anglais. La splendide serre de style Art Nouveau, le Palmenhaus, abrite un café-restaurant très sympathique et déguster un apéritif sur la terrasse m'a vite transformée en citoyenne viennoise, une adoption réjouissante pendant quelques minutes devant la statue de Mozart. Une partie de la serre ressemble à une jungle où des milliers de papillons circulent en toute liberté. Un lieu calme et insouciant, symbole du bien-vivre à Vienne. Dans le parc de Stadtpark, je me suis recueillie devant la statue de Schubert... Mon musicien préféré à la tendre nostalgie musicale. 

mardi 18 octobre 2022

Escapade à Vienne, 2

 Vienne concentre dans un quartier, le Hofburg, les plus beaux musées du pays. Dans ma précédente escapade, j'avais négligé les appartements de l'impératrice Sissi, une icône incontournable de la Vienne des Habsbourg. J'avais vu un documentaire Arte sur cette femme incarnée naïvement au cinéma par Romy Schneider. Sa personnalité tourmentée ne coïncide pas avec l'image d'Epinal de son règne. Epouse fantasque, mère en mode mineur, voyageuse, poétesse, esprit républicain, cette Sissi me semblait plus humaine que cette statue impériale, pétrifiée dans une beauté enfantine. Dans cet appartement complètement déserté par les touristes, j'ai arpenté les salles luxueuses de son palais avec des tentures rouges, des meubles raffinés, de la vaisselle ancienne dorée et kitsch, sa salle de gymnastique et sa chambre de jeune femme esseulée. Au fond, je touchais des yeux le luxe inouï dans lequel vivait la dynastie des Habsbourg. Une visite à caractère historique. Puis, changement de siècle avec le musée Albertina, installé dans un palais, près de la Hofburg. Spécialisé dans les estampes et les dessins collectionnés par les Habsbourg, l'Albertina dispose aussi d'une collection de peintures modernes où j'ai pu voir des Picasso, Cézanne, Klimt, Kokoschka, Egon Schiele, etc. Une exposition temporaire proposait cinquante tableaux du génial Basquiat, peintre noir américain, un Rimbaud pictural fulgurant et politique, mort d'une overdose à 28 ans en 1988. Ces toiles ressemblent à des coups de poing dénonçant le racisme, l'inégalité sociale et la société de consommation. Une exposition passionnante et dérangeante aussi. Dans l'après-midi, j'ai profité du  soleil pour visiter le Belvédère, la résidence d'été du Prince Eugène de Savoie. Le Belvédère supérieur (1722) se trouve au sommet des jardins et dès que l'on pénètre dans ce lieu magique, la somptuosité de ce palais saute aux yeux : plafonds décorés, vestibule des atlantes, chapelle magnifique. Le palais recèle une collection importante de chefs d'œuvre dont les 24 tableaux de Gustav Klimt ("Le Baiser", "Judith"). Le Belvédère inférieur propose aussi une galerie d'art des artistes qui illustrèrent Vienne à son âge d'or. Entre ses deux châteaux baroques, s'étale un parc de toute beauté avec une fontaine centrale à plusieurs étages. Je vivais un retour au XVIIIe siècle en imaginant le Prince Eugène et sa cour déambulant à travers les parterres fleuris des jardins. Après le Belvédère incontournable, j'ai assisté à un concert de lieder de Schubert au Konzerthaus avec le baryton allemand, André Schuen. J'avais à côté de moi un couple de mélomanes qui suivaient les lieder avec des partitions mais la compagne de ce monsieur était non-voyante et ses partitions étaient en braille. Elle semblait habitée par la musique et tout le public partageait toute cette ferveur autour de Schubert. Un concert inoubliable...  

lundi 17 octobre 2022

Escapade à Vienne, 1

La semaine dernière, je me trouvais à Vienne, l'impériale et j'ai ressenti dès mon arrivée les impressions que j'avais vécues en 2016 : la même propreté à l'aéroport et en ville, l'exquise politesse des Autrichiens dans les trams, dans les rues, dans les restaurants, dans les musées. C'est peut-être de ma part une vue de l'esprit. Mais, à Vienne comme à Rome, l'ambiance générale semble bien plus calme et plus sereine que chez nous. La veille de notre départ, l'Autriche s'est choisi un Président écologique et j'ai essayé de suivre les actualités du pays à travers les quelques affiches dans les avenues. Dès mon arrivée à l'hôtel, en plein centre-ville du côté du Rathaus (la mairie), je suis partie me promener dans le Graben, le quartier central de Vienne. Les musées fermant très tôt à 18h, j'ai quand même visité la "Stefandoms", la cathédrale Saint-Etienne de style gothique, bâtie en 1137. Sa toiture est composée de tuiles vernissées en motifs linéaires. La flèche la plus haute culmine à 136 mètres. Visiter une cathédrale de ce type demande des explications architecturales assez complexes entre le nombre de chapelles, de retables, le culte des Saints, la présence des anges, des apôtres, la nef splendide, les orgues. Parfois, j'avoue que je regarde cette somptueuse mise en scène de la foi chrétienne avec une admiration incrédule. Qu'une religion ait engendré tant de traces artistiques prouve bien l'adage populaire selon lequel "la foi soulève les montagnes". Dans ces rues piétonnes où le commerce international fait rage avec toutes les marques célèbres d'un chic à l'ancienne, la foule déambulait dans sa diversité devant les terrasses de café bondées. Au centre de la Stephansplatz, un monument m'a attiré l'œil : la colonne gigantesque votive de la peste, la Pestsäule, d'une expressivité toute baroque, car une vieille "sorcière" est terrassée par un ange. Je suis étonnée qu'un mouvement féministe ne proteste pas contre cette image dégradée des sorcières... Plus loin, j'ai remarqué avec émotion sur la place Judenplatz, le Mémorial de la  Shoah, réalisé par la sculptrice britannique, Rachel Whiteread, inauguré en 2000. Ce monument cubique de 10 mètres sur 7 représente des rayonnages de bibliothèque remplis de livres dont le dos est tourné vers l'intérieur, les titres n'étant pas lisibles. Cette "Bibliothèque sans nom" symbolise les vies interrompues de 65 000 Juifs autrichiens, assassinés par les nazis entre 1938 et 1945. Seuls les noms macabres des camps sont gravés sur le sol. L'austérité et la discrétion de ce monument accentuent l'émotion qui s'en dégage. J'ai ensuite longé le Parlement, siège des deux chambres du pouvoir autrichien, le Conseil national et le Conseil fédéral. Inspiré de l'architecture grecque avec la déesse Athéna en vigie civilisatrice, cet immense édifice néo-classique fût bâti en 1884.  J'étais étonnée de ne voir aucune voiture de police à ses abords. Pour terminer la soirée, j'ai découvert un Café viennois, le Eiles, près de l'hôtel, vieux de 177 ans, fréquenté par des parlementaires et jadis par l'écrivain, Thomas Bernhard. Décor vintage, vieilles machines à café, caisses enregistreuses anciennes, serveurs en costumes, pâtisseries traditionnelles, les clients et clientes savourent davantage l'ambiance cosy et confortable (et sans musique tonitruante vulgaire) que la cuisine autrichienne à part leurs gâteaux succulents...

samedi 8 octobre 2022

"Les liens artificiels", Nathan Devers

 Nathan Devers, très jeune écrivain et surtout philosophe de formation, anime aussi la revue de B.-H. Lévy, "La Règle du Jeu". Il intervient souvent sur une chaîne de télévision. Il sort donc son premier roman, "Les liens artificiels", publié chez Albin Michel en septembre. Ce livre fait partie de la sélection du Goncourt et continue à figurer sur la liste. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt ce nouveau type de texte qui dénonce l'emprise des jeux vidéo dans notre société. Ce phénomène mondial touche des millions de jeunes et d'adultes qui préfèrent vivre virtuellement tant la réalité les rebute. Ils choisissent ce mode d'être pour fuir un réel décevant. Clément Rosset avait évoqué cette attitude dans son ouvrage de philosophie, "Le réel et son double", un texte prophétique sur ce dédoublement de la personnalité, un pied sur la terre et l'autre dans le métavers. Nathan Devers a déclaré : "Il fallait raconter cette spirale. La spirale de ceux qui tournent en rond entre le virtuel et la réalité. Qui perdent pied à mesure que s'estompe la frontière entre les écrans et les choses, les mirages et le réel, le monde et les réseaux. Le cercle vicieux d'une génération qui se connecte à tout, excepté à la vie". Le héros malheureux du roman s'appelle Julien Libérat, jeune musicien sans succès, amoureux dépité et quitté. Son couple s'est fané par ennui : "Ils avaient observé leur amour s'ennuyer devant eux, transformant l'instant en avenir et l'avenir en rien". Il donne des cours de piano et s'installe à Rungis, un choix économique contraint. En éprouvant un profond ennui, il finit par rejoindre l'Antimonde. Le créateur de ce monstre virtuel, Adrien Sterner, propose une utopie, une planète B "où tout est bien meilleur que chez vous". Sous le pseudonyme de Vangel, Julien s'invente un avatar poète au succès foudroyant. Il gagne des sommes énormes en monnaie virtuelle, achète un appartement de luxe au sommet de la Tour Eifel, rencontre des femmes. Cette seconde vie se transforme pour lui en véritable vie et il ne fait plus de différence entre les deux. Adrien Sterner manipule Julien jusqu'à la fin du jeu, qui devient aussi pour Julien le suicide final. Ce roman surprenant et bien écrit traite d'un sujet essentiel : l'emprise des nouvelles technologies dans nos vies. L'addiction aux jeux vidéo concerne des pans entiers de la population et agit comme une drogue douce qui, à long terme, anesthésie tout élan vital. Bien que je n'apprécie guère ce mode de vie, cette religion virtuelle aussi pesante que les univers totalitaires, j'ai lu ce jeune écrivain avec plaisir et je pense qu'il mériterait un prix littéraire automnal. Le métavers n'a plus de mystère pour moi ! Et ce monde ne sera jamais le mien, quitte à rester seule sur notre Terre ! 

vendredi 7 octobre 2022

"Qui sait", Pauline Delabroy-Allard

Le premier roman de Pauline Delabroy-Allard, "ça raconte Sarah", avait marqué les critiques pour sa qualité d'écriture et par un sujet assez audacieux sur l'amour entre deux femmes en 2019. Dans ce deuxième livre, "Qui sait", publié chez Gallimard dans cette rentrée littéraire, la jeune trentenaire, Pauline, (tiens donc) raconte avec son style très nerveux la recherche de la vérité sur les prénoms que sa mère lui a donnés : Jeanne, Jérôme, Ysé. Avant d'être enceinte, elle ne s'était jamais posée la question sur l'origine de ses prénoms car il règne au sein de sa famille le mutisme le plus total. Comme elle doit établir une carte d'identité, ses trois prénoms l'interrogent : "Les trois fantômes me sautent à la gorge, sur le parvis de la mairie (...) Pourquoi eux ? Je vais devoir prospecter, explorer, fouiller". Elle perd malheureusement son bébé avant sa naissance et ce drame la bascule dans une zone blanche où elle perd pied. Trois chapitres sur les trois prénoms relatent cette quête d'identité. Jeanne était son arrière-grand-mère, une aïeule déclarée folle. La narratrice l'imagine comme une des premières femmes préhistoriques, une artiste qui aurait laissé des traces de sa main dans une  grotte de Pech Merle dans le Lot : "La communion de nos mains de femmes génère une force tellurique plus forte que toutes les autres forces, et, là, sous terre, ensemble, nous ouvrons une trouée. La paroi se lézarde, la vie aussi". Pourquoi ce prénom de Jérôme ? Cet homme était un ami homosexuel de sa mère, mort du sida dans les années 80. Une histoire d'amour est née entre sa mère et lui. La narratrice part pour la Tunisie où ce couple atypique a séjourné. Puis, ce troisième prénom mystérieux, Ysé, vient d'un personnage de Paul Claudel dans sa pièce de théâtre, "Le partage de midi". Cette enquête introspective sur le passé de sa famille l'aide à surmonter ce chagrin après avoir perdu cet enfant. Elle démêle donc cette pelote familiale en découvrant qu'elle porte le passé de sa mère. Une fois l'enquête terminée, la narratrice éprouve un apaisement certain comme si elle avait entrepris une plongée libératrice dans ce passé troué de secrets. Pauline Delabroy-Allard rend aussi un hommage à l'écriture littéraire en citant plusieurs fois Marguerite Duras. Ecrire, c'est respirer, semble dire l'autrice : "J'écris pour donner une contenance à l'existence. (...) Mes mains creusent comme elles creusent sans fin le sable sur les plages, sans l'idée même d'une fin, dans ce geste répété à l'infini". Un beau roman lyrique, inspiré et d'une écriture  vibrante. 

jeudi 6 octobre 2022

Annie Ernaux, Prix Nobel de Littérature

 J'attendais un écrivain peu connu (homme ou femme) comme les années précédentes et la nouvelle est tombée aujourd'hui, le Nobel de Littérature a choisi Annie Ernaux, huit ans après Patrick Modiano. Quelques critiques avaient mentionné l'écrivaine française, mais aussi Michel Houellebecq, Maryse Condé entre autres. L'Académie suédoise récompense l'écrivaine pour "le courage et l'acuité clinique avec lesquels elle révèle les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle".  Annie Ernaux le mérite amplement pour sa démarche autobiographique car ses premiers écrits ont profondément marqué les lecteurs et lectrices depuis cinquante ans. Avec une écriture blanche, sans fioritures, quasi impersonnelle, le style d'Annie Ernaux se veut d'une efficacité redoutable et parfois dérangeante. "La Place" évoque sa jeunesse dans une épicerie familiale en Normandie. Le thème du transfuge de classe s'installe dans sa théorie littéraire : relater le décalage culturel entre ses parents modestes et sa situation de femme émancipée devenue professeur grâce à l'école républicaine. Puis, elle développe en priorité, dans ces récits autofictionnels, la condition féminine : critique du mariage dans "La femme gelée", sexualité et relations amoureuses dans "Passion simple" et "Se perdre", avortement clandestin dans "L'événement". La maladie d'Alzheimer de sa mère se retrouve dans  "Je ne suis pas sortie de ma nuit" et sa mort dans "Une femme". Son œuvre est qualifiée d'auto-socio-biographique. Son récit le plus réussi et le plus dense porte un titre évocateur : "Les Années" (un titre aussi de Virginia Woolf), paru en 2007. Elle s'attache à raconter d'une manière objective la France de l'après-guerre sur soixante ans. Histoire collective et histoire intime, regard féministe, visée sociologique, porte-parole critique d'une France populaire et aussi intellectuelle, tous ces aspects composent à la manière d'Annie Ernaux sa "madeleine" de Proust. Pour une écrivaine qui a déclaré qu'elle n'aimait pas cet écrivain en raison de son appartenance à une classe bourgeoise supérieure, c'est quand même faire preuve d'une orientation politique un peu hémiplégique. S'il ne faut lire que les écrivains exclusivement issus des classes populaires, il faut désencombrer les étagères de sa bibliothèque. Je préfère l'attitude d'un Milan Kundera, libre et distant, se méfiant comme de la peste de toute idéologie tellement il a été vacciné par le totalitarisme communiste. Evidemment, si j'avais participé au choix, j'aurais élu sans aucun doute l'écrivaine russe Ludmila Oulitskaia pour une femme et... Milan Kundera pour un homme. Quel dommage pour ces deux magnifiques écrivains à la portée universelle ! La littérature "féministe" française de qualité reçoit une belle médaille avec le Nobel et je pense à toutes ces écrivaines majeures non nobélisées comme Colette, Simone de Beauvoir, Marguerite Yourcenar et Marguerite Duras. Dans le discours d'Annie Ernaux à Stockholm, j'espère qu'elle rendra hommage à toutes ses grandes sœurs des Lettres françaises... 

mercredi 5 octobre 2022

Paul Veyne chez les dieux

 A l'âge de 92 ans, le grand historien, Paul Veyne, a rejoint les dieux et les déesses de l'Olympe. Sa passion de l'Antiquité m'a contaminée pour mon plus grand bien. J'ai lu avant de partir à Rome son livre sur "la vie privée dans l'Empire romain", très accessible pour les non-spécialistes. Il n'employait pas un jargon universitaire obscur et souvent inaudible par le commun des mortels. L'historien raconte cette passion naissante pour l'archéologie dès l'âge de 8 ans dans sa belle autobiographie, très joliment intitulée, "Et, dans l'Eternité, je ne m'ennuierai pas", paru en 2014 et disponible en livre de poche. Il trébuche sur un bout d'amphore près de Cavaillon et pour ce petit garçon curieux, cette rencontre avec un tesson antique déterminera sa vie de chercheur. Il fait ses études à Paris au lycée Henri-IV, puis à Normal Sup' et l'Ecole pratique des Hautes Etudes sans oublier la prestigieuse Ecole Française de Rome (que j'ai visité dans le Palais Farnèse) pour terminer sa carrière universitaire au Collège de France. Latiniste éclairé, agrégé de grammaire, il cultive sa propre liberté dans le champ des connaissances en étudiant des aspects délaissés par ses confrères comme l'évergétisme à Rome (pratique du don), la sexualité permissive, l'irruption du christianisme dans le monde romain. Il s'intéressait plus aux hommes et aux femmes du peuple qu'aux empereurs. Historien iconoclaste et provocateur, il mettait cette science humaine à la portée de tous et de toutes. Sur le plan politique, il a adhéré brièvement au PCF qu'il a quitté en 1956 après le coup de force de l'URSS en Hongrie. Anticolonial, il militera contre la torture en Algérie. Cet homme d'une culture extraordinaire maniait aussi l'humour et la dérision. Je l'ai écouté dans des émissions de France Culture et sa passion de l'Antiquité restait intacte et enthousiasmante. Pourtant, il a vécu un drame personnel avec le suicide de son fils unique. Affligé d'une malformation au visage, il en parlait presque avec ironie dans son autobiographie. Quand j'ai appris sa disparition, j'ai ressenti une tristesse certaine comme si j'avais perdu un compagnon de voyage dans le temps tellement il m'a fait rêver sur Rome et sur la Grèce. Amoureux fou de l'Italie, il avait publié un très bel ouvrage sur les chefs d'œuvre de la peinture italienne. Et, inlassable intellectuel, il a traduit "l'Enéide" de Virgile en 2013. Dans son livre, "Comment on écrit l'Histoire", il écrit cette phrase prémonitoire : "A vrai dire, il n'y a pas de primitifs, ni d'archaïsme ; aucun fait humain n'a de date absolue et tous peuvent se trouver rappelés à l'existence à n'importe quelle époque". Un grand Historien est parti mais il est toujours avec nous grâce à ses livres. Il va dorénavant distraire les dieux qui vont l'accueillir avec le sourire aux lèvres. 

mardi 4 octobre 2022

Atelier Littérature, 3

J'avais donné une liste de livres à lire pendant la période estivale sur le thème de l'été, ce qui me semblait opportun. Geneviève a choisi un roman hors liste avec "Cet été-là" de Véronique Olmi, paru en 2011. Comme chaque année, trois couples d'amis passent le 14 juillet au bord de la mer en Normandie. Cet été-là, un adolescent inconnu vient semer la zizanie dans cette communauté. Il ravive malgré lui les culpabilités anciennes, des blessures et des secrets. L'été peut se transformer parfois en une saison quelque peu apocalyptique. L'écrivaine interroge le passage du temps sur les personnages et évoque la fin de l'insouciance. Deux lectrices, Geneviève et Colette ont lu "L'été" d'Albert Camus et l'ont apprécié. La Méditerranée fascine l'écrivain avec son "tragique solaire qui n'est pas celui des brumes" et sa lumière, "si éclatante qu'elle en devient noire et blanche". Ce recueil ressemble à un poème en prose et décrit l'Algérie, sa "vraie patrie". Dès que l'on ouvre un ouvrage de Camus, la magie de la lecture opère... Odile n'a pas du tout été charmée par un roman de l'italien Francesco Rapazzini, "Un été vénitien". paru en 2018. Tout se passe en 1978 dans la Cité des Doges. Le narrateur, un adolescent, raconte son été, un temps heureux, entre rencontres passionnantes et expériences initiatrices. Toute la société vénitienne défile dans ce livre  : sa propre famille, ses voisins, des gens célèbres. Ces années ne connaissaient pas encore le tourisme de masse et l'été à Venise ressemblait à une parenthèse enchantée. Comme j'aime tout particulièrement Venise, je prendrai le temps de lire ce livre pour rejoindre l'avis négatif d'Odile ou pas. Trois lectrices, Danièle, Régine et Annette, ont beaucoup aimé le roman de Jon Kolman Stefansson, "Lumière d'été, puis vient la nuit", paru en Folio. J'ai déjà consacré un billet sur ce magnifique roman à lire absolument. Je citerai ce passage : "Le monde déborde de rêves qui jamais n'adviennent, ils s'évaporent et vont se poser telles des gouttes de rosée sur la voûte céleste et la nuit les change en étoiles". Dans un village islandais, les habitants se croisent au bureau de poste, à la coopérative agricole et dans le café. Leur quotidien bien ordonné se dérègle parfois car derrière les masques, coule la lave des sentiments. Un roman d'une humanité profonde et inoubliable. Pascale a eu la curiosité de lire "L'été" de l'américaine, 'Edith Wharton. Elle a bien aimé ce roman paru en 1917. Malgré le siècle qui nous sépare de cette histoire de classes sociales entre une jeune fille modeste et un homme de la haute bourgeoisie, ce roman se lit avec plaisir. Le premier rendez-vous de septembre a permis un beau bouquet de coups de cœur. Le prochain atelier a lieu le jeudi 20 octobre et comme tous les ans, je propose de découvrir les romans français de la rentrée littéraire. Les Prix ont établi leurs listes respectives. Nous tenterons l'impossible : deviner les heureux élus des Goncourt, Femina, Renaudot, Médicis ! Rendez-vous en octobre !   

lundi 3 octobre 2022

Atelier Littérature, 2

 Colette a présenté un grand coup de cœur, "Là où sortent les écrevisses" de Délia Owens, un roman déjà évoqué dans l'atelier. La "fille des marais" en Caroline du Nord est abandonnée à l'âge de dix ans par sa famille. Elle découvre, grâce au jeune Tate, la science et la poésie. Ce roman est un hymne à la nature, aux animaux et aussi à la force morale de ce personnage féminin. Annette est restée aussi dans l'éloge de la nature avec le dernier ouvrage de Nastassja Martin, "A l'Est des rêves", publié en août. L'anthropologue, spécialiste des mondes arctiques, avait raconté sa blessure avec un ours polaire dans un précédent ouvrage, "Croire aux fauves". Dans celui-ci, elle entame une recherche comparative entre deux peuples nomades, les Gwich'in en Alaska et les Even au Kamtchatka.  Ces deux peuples ont vécu sous des régimes différents, le capitaliste et le communiste. L'anthropologue analyse avec une grande finesse les bouleversements subis par ces peuples nomades qui ont, malgré tout, conservé l'essentiel de leur culture. Et les rêves des uns et des autres continueront à rythmer leur vie quotidienne. Un ouvrage ambitieux qui se lit comme un roman selon Annette... Mylène est partie à Venise avec deux coups de cœur, "Le naufrage de Venise" d'Isabelle Autissier et "Venise à double tour" de Jean-Paul Kaufmann. Isabelle Autissier a écrit un roman "écologique" sur Venise avec l'engloutissement de la cité sous une vague géante qui l'a anéantie. La digue Moïse n'a pas suffi à stopper la tragédie mais avant ce cataclysme, la famille Malegatti se déchire face à la menace. Ce roman haletant ressemble à une fable contemporaine alarmante... Le récit de Jean-Paul Kaufmann, "Venise à double tour", évoque les nombreuses églises fermées de Venise et les tentatives de l'écrivain bordelais pour les découvrir. Un hymne à la beauté de la ville et à ses églises, de véritables joyaux qui, hélas, ne sont pas bien entretenues, faute de moyens financiers. Régine a terminé la séquence "coups de cœur" avec deux romans : "La petite fille de Monsieur Linh" de Philippe Claudel et "Une suite d'évènements" de Milhail Chevelev. Le premier coup de cœur appartient à la catégorie des livres qui "font du bien" comme le dit Régine. Un réfugié vietnamien, un homme simple et modeste, quitte son pays avec sa petite-fille et découvre en France un univers inconnu. Ce roman d'un exil douloureux à une arrivée dans un pays en paix, loin de ses racines, garde toute son actualité. Régine a évoqué un deuxième coup de cœur sur la Russie contemporaine. Pavel Volodine, journaliste moscovite, est attendu sur les lieux d'une prise d'otages où on le réclame comme médiateur. Un homme retient une centaine de fidèles dans une église. Le journaliste reconnaît Vadim qu'il avait fait libérer lors d'une mission. Il tente de comprendre comment ce garçon a basculé dans le terrorisme. Ce roman psychologique et politique semble passionnant à découvrir.  (La suite, demain)

samedi 1 octobre 2022

Atelier Littérature, 1

 L'atelier Littérature a démarré sa nouvelle saison le jeudi 22 septembre avec une dizaine de participantes, fidèles et motivées pour partager les coups de cœur et les romans conseillés dans les listes que je proposerai dans le courant de l'année. Cela fait presque dix ans que j'anime avec un grand plaisir l'atelier Lectures puis Littérature et je me réjouis à l'avance de rencontrer un jeudi par mois, les amies lectrices en début d'après-midi dans une salle de la Maison de Quartier du Centre-Ville. J'aime particulièrement écouter leurs commentaires sur les livres qu'elles choisissent et j'essaie dans ce blog de résumer cette séquence. Pour les thèmes que je propose, j'ai la douce impression (ou illusion) de poursuivre ma "mission" de libraire-bibliothécaire. La quintessence de ces deux métiers : servir modestement à la manière d'un petit soldat la littérature et surtout le plaisir de la lecture.  Geneviève a commencé la séquence "coups de cœur" avec "Un homme effacé" d'Alexandre Postel, publié en 2013 chez Gallimard. Ce roman l'a carrément "terrorisée", un terme ironique pour Geneviève, mais qui résume aussi le contenu du roman. Un professeur de philosophie, un homme "normal" très apprécié par ses collègues,  est victime d'un malentendu : la police vient l'arrêter car son ordinateur contient des images porno pédophiliques. Mis en examen, il plaide coupable alors qu'il se sait innocent. Un climat kafkaïen se met en place et le héros malgré lui avance, hébété, dans le labyrinthe de la justice et du jugement des autres. Geneviève nous a donné envie de lire ce remarquable premier roman qui n'a rien perdu de son actualité. Danièle a présenté une biographie romancée : "La vie sans histoire de James Castle" de Luc Vezin, paru en août chez Arlea. James Castle, enfant sourd et illettré, est doué d'une exceptionnelle mémoire visuelle. Il dessine les paysages, les maisons et les objets dans sa vallée de l'Idaho au début du siècle dernier. Ses œuvres pourtant exposées aux Etats-Unis dans les plus grands musées du pays ne sont toujours pas connues en France. Un récit passionnant à découvrir. Odile a beaucoup apprécié "Quand tu écouteras cette chanson" de Lola Lafon, paru en septembre chez Stock dans l'excellente collection, "Une nuit au musée". L'écrivaine raconte sa rencontre imaginaire avec Anne Frank car elle a passé une nuit dans son musée à Amsterdam. Cette jeune fille, que tout le monde connait sans la connaître vraiment, a-t-elle écrit un témoignage poignant ou une œuvre totale ? Lola Lafon écrit : "Je suis restée face à elle, longtemps. Tout était trop grand. Le Musée était trop vaste, la photo trop large, la nuit trop longue, désolée. Elle y était seule et trop petite, une seule syllabe, Anne". Un récit fort, émouvant et indispensable. Odile a aussi parlé du "Journal" d'Anne Frank qu'elle nous recommande de relire sans tarder. Pascale a choisi un roman d'Olivier Rolin, "Port-Soudan", Prix Femina, paru en 1994. Revenant d'Afrique où il a passé 25 ans, le narrateur revient à Paris pour comprendre les raisons du suicide de son meilleur ami. Cet ami, un double du narrateur, a perdu ses illusions politiques du côté de la révolution et s'est senti trahi par l'Histoire. Un roman d'Olivier Rolin dense et puissant. (La suite, lundi)