lundi 22 juin 2020

Une belle amitié masculine

J'avais proposé dans le cadre de l'atelier lectures une liste sur la correspondance littéraire. Mais, comme les librairies étaient fermées ainsi que les bibliothèques, les lectrices de l'atelier n'ont pas lu les livres conseillés à part Annette qui a beaucoup aimé la correspondance entre deux créateurs uniques et géniaux : Albert Camus et René Char. Cette amitié littéraire se vivait plus dans les lettres que dans les rencontres ponctuelles. A cette époque, la correspondance tenait une place centrale dans la communication sociale. Rappelons-nous les longues missives que nous envoyions à la famille, aux amis, aux relations. Ecrire une lettre aujourd'hui ressemble à un acte du passé. Les textos, les méls, les messages ont remplacé ces belles pages en papier. Heureusement, dans les années 50, les écrivains et les poètes se liaient d'amitié grâce à ce procédé, déjà pratiqué dans l'Antiquité. Quelque cent quatre-vingt quatre lettres sont échangées sur plus de quatorze ans de 1946 à 1960, date de la mort accidentelle d'Albert Camus. Leur amitié fraternelle nait d'une admiration mutuelle pour leurs œuvres respectives. Leurs relations se renforcent au fil des années tout en restant pudiques. René Char écrit : "Le paysage comme l'amitié est notre rivière souterraine. Paysage sans pays". Ils suivent tous les deux des itinéraires politiques qui les rapprochent : ils soutiennent le Front populaire, se sont engagés dans  la Résistance. Ils portent le même regard sur leur époque. Mais, le plus important, c'est leur travail d'artiste : la poésie pour Char, la littérature pour Camus. Dans ces lettres, le lecteur(trice) découvre des éléments biographiques très marqués par le quotidien. Francine, l'épouse de Camus, subit une dépression sévère et René Char soutient son ami : "Je voulais vous dire, Albert, que Francine tenait en naissant, dans son petit poing, l'aiguille qui la tourmente aujourd'hui dans son âme et dans sa tête". De son côté, Albert Camus lui parle aussi de sa mère : "Ma mère part pour Alger le 5. Elle a vieilli et cela me serre le cœur. Mais elle est ce qui ne change pas et qui survit à tout". La correspondance fourmille de détails sur les problèmes qu'ils rencontrent aussi dans leur métier littéraire : les publications, les manuscrits, les difficultés d'écrire. Albert Camus se confie à son ami solaire : "La vie d'aujourd'hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu'on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui on aime. A la fin, on mourrait de chagrin, littéralement. Et il faut que nous vivions, que nous trouvions les mots, l'élan, la réflexion qui fondent une joie, la joie". Pour tous ceux et toutes celles qui aiment Camus et Char, il fait lire ce Folio par curiosité et par admiration pour ces deux "guérisseurs" de la mélancolie. Ils nous ont transmis leur belle lumière de mots et sans leurs œuvres, la littérature française serait beaucoup plus sombre. Ils aimaient la Provence, Lourmarin et l'Isle sur Sorgue, et ces paysages ont modelé leur hymne à la vie et à l'amitié.