lundi 23 juillet 2018

"Le Lambeau", 2

De sa chambre d'hôpital parisien, Philippe Lançon se réapproprie sa seconde vie, une vie vouée exclusivement aux soins. Il se raccroche à cet espoir : se reconstruire physiquement. Car, il est en morceaux, ne peut pas se nourrir, ne dort pas, dispose seulement de ses jambes. Il parcourt les couloirs de l'hôpital avec sa potence et dans son lit, il note tous les évènements quotidiens : les visites de sa famille, ses amis, sa compagne et surtout ses liens essentiels, étroits avec sa chirurgienne qui va lui poser ce "lambeau" pour remplacer sa mâchoire perdue. Il observe les services hospitaliers, le dévouement sans faille du personnel soignant, les brancardiers,  la compétence des médecins et ce microcosme médical devient sa bulle protectrice. Le monde extérieur n'existe plus pour lui. Les tueurs le hantent la nuit comme des mauvais génies et l'écriture de cette expérience chasse ces tourments funèbres. Il convoque souvent ses amis décimés dans cette atroce massacre. Dans un article du Monde des Livres, la journaliste écrit : "Il ne cesse de s'oublier pour s'intéresser à ce monde qui lui était étranger ; les objets aussi sont décrits dans leur infinie singularité, comme si ce voyage en haute solitude permettait de pratiquer enfin le pur amour des choses et des gens, fondé sur une égale dignité de tous, sur la poignante fragilité de leurs destinées". Sa lucidité et son humour restent des attitudes salvatrices et l'aident à survivre malgré ce temps pénible de la reconstruction de son visage. Il aime toujours profondément la musique, la littérature (Proust, Kafka), l'art et ces moments de réconciliation avec le monde culturel illuminent le récit. Philippe Lançon, malgré l'attentat, ne crie pas sa colère, n'éprouve pas de haine, et supporte avec un courage digne d'un Ulysse au bord du gouffre, sa propre destinée tragique. Ce récit de deuil pour sa vie d'antan, ne peut qu'émouvoir ces milliers de lecteurs(trices) qui ont lu et admiré ce soldat de la littérature, une littérature au service de la vérité, du courage et de la vertu dans le sens antique du terme. Je considère ce livre comme un chef d'œuvre…