lundi 2 mai 2011

Olivier et Jérôme

Jérôme Garcin, écrivain et critique littéraire, nous livre un beau, très beau récit, publié chez Gallimard en février 2011. J'ai toujours suivi les conseils éclairés de Jérôme Garcin dans le Nouvel Observateur car il a du beau style pour nous parler de ses coups de coeur ou de griffe s'il le faut . Mais c'est plutôt un gentleman des lettres qui préfère la générosité à la rosserie. Son dernier ouvrage est une confession intime sur la mort accidentelle de son frère jumeau à l'âge de six ans en 1962. Journée tragique, journée horrible, journée à jamais marquée dans la mémoire familiale. Un conducteur a fauché cette jeune vie et s'est enfui lâchement. Jérôme Garcin revient sur cette tragédie et s'interroge sur son frère jumeau : il ouvre un dialogue spirituel en posant les questions essentielles : pourquoi lui et pas moi ? Cette culpabilité du survivant est un traumatisme que seule la parole et l'écriture peuvent estomper. Je conseille vraiment ce récit écrit avec authenticité, simplicité et émotion, une émotion dénuée de pathétique, de désespérance et d'esprit nostalgique. Le lecteur peut craindre ce style de témoignage en se disant que c'est trop triste de partager ce deuil si tragique. Jérôme Garcin nous parle surtout de la gémellité en puisant des références dans la littérature, la psychologie et la psychanalyse. Il parle de lui-même avec pudeur tout en s'exposant et en exposant ses proches. Entouré de sa femme comédienne, (Anne-Marie Philipe, fille de l'écrivaine Anne Philipe que j'aime beaucoup et de Gérard Philipe),de ses grands enfants et de sa mère, Jérôme Garcin nous brosse un portrait très attachant d'une famille bourgeoise française, cultivée, aimante et intelligente. Le père meurt aussi très jeune d'un accident de cheval à 43 ans. Ces ruptures l'ont façonné et l'ont conduit à transcender ces catastrophes par la lecture, l'écriture, la musique et la présence des chevaux. L'auteur décrit à merveille ses promenades à cheval, la nature, la province calme et solitaire, le métier de critique et d'écrivain. Ce livre devient une passerelle, une sacrée leçon de vie et d'espoir. Je cite ce passage, page 57 :"Parmi tout ce que tu m'as appris, il y a d'abord ceci : on écrit pour exprimer ce dont on ne peut pas parler, pour libérer tout ce qui, en nous, était empêché, claquemuré, prisonnier d'une invisible geôle. Et qu'il n'y a pas de meilleure confidente que la page blanche à laquelle, dans le silence, on délègue ses obsessions, ses fantasmes et ses morts. Tu m'as révélé l'incroyable pouvoir de la littérature, qui à la fois prolonge la vie des disparus et empêche les vivants de disparaître." Jérôme Garcin nous offre un récit poignant et magnifique avec des portraits croisés, des souvenirs proustiens de l'enfance perdue, des lectures salvatrices, la présence de la musique baroque sacrée, le cheval-compagnon : un hymne à la vie... et un dialogue émouvant avec son jumeau disparu.