mercredi 23 juin 2021

"Un jour ce sera vide"

 "Un jour ce sera vide" du jeune écrivain, Hugo Lindenberg, vient l'obtenir le prix du Livre Inter. Ce premier roman fascinant, édité chez Christian Bourgois, raconte l'histoire d'un garçon de dix ans en Normandie. Il s'ennuie durant cet été avec sa grand-mère à l'accent prononcé et avec une tante au caractère infernal dans une maison de famille. Il épie sur la plage "les familles normales" : "j'aurais bu leur sang si ça m'avait permis de comprendre ce que c'est que d'avoir une famille comme les autres". Un jour, le jeune garçon rencontre un exemplaire de ces tribus familiales normales en la personne de Baptiste. Ils scellent tous les deux une amitié en sacrifiant une méduse à l'aide d'un bâton. Le narrateur se sent "sauvé" par cette relation qui bouleverse sa vie d'orphelin. Il est seulement entouré de sa grand-mère compatissante et d'une tante visiblement dérangée. Les ombres du passé se révèlent flous et opaques : des parents disparus, le silence des survivants, la présence menaçante de sa tante. Seul, Baptiste symbolise le présent réel du narrateur. Par touches délicates, le narrateur se construit, grandit en observant les adultes autour de lui, en particulier la famille soit disant idéale de Baptiste. Il est souvent invité chez son ami et la mère de Baptiste protège le jeune garçon et l'entoure d'affection. Le narrateur éprouve souvent de la honte quand il compare la vie des siens avec celle des autres, de la jalousie quand son ami le délaisse pour des cousins. Il décrit son quotidien avec le prisme "impressionniste" en utilisant la méthode de Nathalie Sarraute dans  "Tropismes". Le jeune écrivain rend hommage à cette grande dame du Nouveau Roman. Ces instants de vie se manifestent dans des micro événements : un baiser échangé avec Baptiste, une colonne de fourmis sur le carrelage de la cuisine, des rencontres anodines, des conversations sous-jacentes, la mer, la maison de vacances. Ce roman envoûtant et captivant trouble agréablement le lecteur(trice) dans une sarabande de sensations, de sentiments, d'impressions. Les monstres ne sont jamais loin pour le narrateur : des méduses aux humains, le pas est franchi. Le narrateur se voit lui-même comme une anomalie, comme une tâche  alors que son ami baigne dans une normalité évidente. L'amitié entre les deux garçons illumine ce roman subtil et profond d'une écriture somptueuse. A lire cet été, un coup de cœur pour un premier roman, ce qui est très rare pour moi.