vendredi 19 février 2016

"Quatuor"

Cela fait longtemps que je lis Anna Enquist, une écrivaine majeure de la littérature néerlandaise. Son œuvre romanesque démarre en 1999 avec "Le chef d'œuvre", se poursuit tous les trois ans avec "Le secret", "Les porteurs de glace" jusqu'aux "Endormeurs", publié en 2014. Dès que l'on ouvre la première page d'un "Enquist", on le lit jusqu'à la dernière tellement elle enveloppe son lecteur(trice) avec une musique troublante, liée à la texture du récit et aux thèmes qu'elle orchestre avec une maestria d'une finesse inouïe. Comme l'auteur est aussi une pianiste concertiste, la musique tient le rôle principal dans ses livres, surtout dans son dernier au titre significatif, "Quatuor". L'action se déroule à Amsterdam, de nos jours. Un groupe d'amis forme un quatuor d'amateurs et se retrouve régulièrement pour interpréter un quatuor de Mozart. Leurs relations en dehors de ces rencontres musicales sont tissées d'amitié et s'entremêlent, se heurtent parfois. Caroline, violoncelliste, travaille en tant que médecin. Jochem, son mari, l'alto du groupe, est luthier. Heleen, deuxième violon, assiste Caroline comme infirmière et Hugo, premier violon, dirige un centre culturel. Les membres du quatuor traversent tous une crise particulière : le couple Caroline-Jochem a perdu leurs deux garçons dans un accident de la route, Hugo se débat dans un conflit avec la mairie moins encline à financer la culture. Heleen s'investit dans un échange de lettres avec un prisonnier. Un cinquième personnage, Reiner, un musicien âgé et solitaire, se débat dans les difficultés provoquées par la maladie. Le défi de l'auteur consiste à mettre en scène et en musique ces adultes bousculés par leurs chagrins, leurs doutes et leurs peurs devant un monde inhospitalier et inquiétant. L'irruption violente d'un criminel en cavale au sein de leur quatuor en pleine répétition symbolise pour Anna Enquist la menace d'une société malade et ayant perdu ses repères. La musique classique n'intéresse plus personne, la culture aussi et les Chinois achètent les bâtiments historiques... Anna Enquist, avec un doigté de pianiste, évoque les changements sociétaux que tous les pays européens subissent. Ce roman passionnant se lit d'une traite et, pour ma part, j'ai vraiment apprécié me retrouver à Amsterdam, une ville extraordinaire, écouter même en mots les quatuors de Mozart et de Schubert, accompagner des personnages fragiles et courageux. Lire Anne Enquist réconcilie tous ses lecteurs(trices) avec la littérature, la bonne, la très bonne littérature.