jeudi 28 mai 2020

"L'enfant d'Ingolstadt"

Pascal Quignard, un de mes écrivains fétiches, se résume très difficilement tellement ses écrits ne ressemblent en aucun cas à une histoire linéaire, chronologique avec des personnages identifiés, une intrigue particulière, un arrière-plan social, un temps donné, etc. Rien de tout cela dans les œuvres de cet écrivain, le plus singulier de tous dans notre panorama national. Quand j'ai commencé à le lire, je ne l'ai plus quitté comme une amitié littéraire rare et précieuse. Je ressens ce sentiment pour Marguerite Yourcenar, Virginia Woolf, Julien Gracq, Georges Perec… Mais, Pascal Quignard me fascine souvent avec sa prose inimitable, ses idées profondes et originales, ses références multiples de l'Antiquité et du Moyen Age. Il ose tout : les fragments, les contes, les éléments biographiques, les réflexions philosophiques, les histoires d'amour, les anecdotes, la psychanalyse, la grammaire, le style, la vie littéraire. Un patchwork de textes, un mélange de mots, un projet hors du commun. Il définit lui-même sa vocation : "L'écrivain amoncelait des fragments sans queue, ni tête, des rêves, de brèves scènes de théâtre, des subites leçons des ténèbres, des requiems athées, des pensées, des énigmes, des contes". Sa grande œuvre se nomme "Le Dernier Royaume". Le dixième volume, "L'enfant d'Ingolstad", est sorti en 2019. Je l'ai tout de suite acheté en librairie. Je l'ai lu et je l'ai abandonné ayant des ouvrages plus urgent à découvrir. J'avoue qu'il faut avoir un temps à soi, tranquille et serein, pour lire du Quignard. Gravir les pentes arides de ses récits nécessite une grande attention, une grande disponibilité de l'esprit. J'ai donc réouvert l'ouvrage pendant le temps du confinement et là, miracle, ma lecture s'est avérée plus fluide, plus souple, plus alerte. Certains passages sont restés opaques, voire incompréhensibles. Je n'ai pas renoncé à comprendre, avançant à tâtons dans ce labyrinthe littéraire. Parfois je suis tombée sur des pépites comme celle-ci :  "Alors, je conçus la lecture silencieuse comme une musique extrême". Que trouve-t-on dans ce dixième volume ? Toujours la quête des origines, ce "Jadis" si révélateur : "Un monde antérieur à la vie atmosphérique, ou au langage, ou à la civilisation (…) Un monde obscur, aphone, solitaire et liquide", un conte des frères Grimm commenté, une évocation du peintre Jean Rustin, l'attrait du faux dans l'art, le rôle fondateur du rêve, l'effroi de vivre, l'ambiguïté du langage. Lire, relire, découvrir, redécouvrir, comprendre, les textes de Pascal Quignard méritent le détour, un parcours parfois ardu mais quand on parvient au bout d'un récit, on se dit qu'il faudra un jour le reparcourir comme une boucle d'un temps littéraire qui ne s'epuise jamais…