lundi 26 avril 2021

"Babylone"

J'avais beaucoup apprécié le dernier roman très réussi de Yasmina Reza, "Serge", paru récemment. Cette lecture revigorante m'a donné l'envie de redécouvrir l'ensemble de son œuvre. J'ai donc emprunté à la médiathèque "Babylone", sortie en septembre 2016 chez Flammarion, ayant obtenu le Prix Renaudot. J'ai retrouvé dans cet opus drôle et profond la musique mélancolique et douce de cette écrivaine singulière. Le roman démarre comme une comédie sociale succulente entre voisins d'un immeuble de la banlieue parisienne. La narratrice se nomme Elizabeth, travaille dans un laboratoire à l'Institut Pasteur. Elle se met en tête d'organiser une fête entre voisins pour la venue du printemps. Déjà, Yasmina Reza joue sa partition schubertienne : "Quelle importance ce qu'on est, ce qu'on pense, ce qu'on va devenir ? On est quelque part dans un paysage jusqu'au jour où on n'y est plus". Apparaît alors sur la scène le voisin le plus important dans le récit, Jean-Lino Manoscrivi, amateur de courses de chevaux, marié à Lydie, une chanteuse amateur et militante des droits des animaux. Cette soirée se passe dans une certaine euphorie entre tous ces voisins et amis qui, au fond, se lâchent et deviennent souvent ridicules. En particulier, Jean-Lino se moque de sa compagne en le mimant sur ses défauts. Pour l'ensemble du groupe, il faut à tout prix jouer la légèreté d'être, le plaisir du "vivre ensemble" dans la joie et dans l'allégresse. Alors que tout sonne faux, illusoire et pitoyable. La touche ironique réjouissante de Yasmina Reza se dévoile dans cette soirée d'un comique grinçant. Le roman prend alors un tournant surprenant, un virage policier et ubuesque. Dans la nuit, son voisin, Jean-Lino sonne à la porte d'Elizabeth et lui avoue qu'il vient d'étrangler sa femme. Elizabeth et son mari viennent en aide à leur voisin... Au fond, ce crime semble bien anecdotique dans ce roman caustique et ébouriffant d'ironie. Yasmina Reza, dans un entretien qu'elle a donné au journal Le Monde, explique son projet littéraire : "Cela fait trente ans que j'exprime les mêmes choses. Le primat des nerfs sur l'intelligence, la solitude... Trouver une variante pour présenter les mêmes motifs devient une sorte de quête en soi". L'écrivaine compose un drame tragico-comique qui correspond à la citation de l'exergue : "Le monde n'est pas bien rangé, c'est un foutoir. Je n'essaie pas de le mettre en ordre". Et méditons cette belle phrase de Yasmina Reza : "Ce ne sont pas les grandes trahisons, mais la répétition des pertes infimes qui est la cause de la mélancolie". Pourquoi ce titre de "Babylone" ? Jean-Lino raconte un souvenir d'enfance quand son père lui lisait le verset de l'exil du Livre des Psaumes : "Aux rives des fleuves de Babylone, nous nous sommes assis et nous avons pleuré, nous souvenant de Sion". Un beau roman, servi par un style remarquable, une grande écrivaine contemporaine.