mardi 10 septembre 2019

"Les choses humaines"

Les romans de Karine Tuil s'inscrivent dans notre époque, une époque ultra-contemporaine. Son dernier livre d'une densité incroyable décrypte les rouages du pouvoir et de l'argent dans notre société où tout se consomme vite, surtout le sexe.  Alexandre Farel, fils de Jean Farel, journaliste star de la télévision et de Claire, essayiste féministe, est accusé de viol. Leur monde doré, protégé, prétentieux s'effondre comme un château de cartes. L'écrivaine s'inspire librement de l'affaire de Stanford aux Etats-Unis, où un étudiant, accusé d'un viol sur une étudiante, a bénéficié d'une peine minimale. Alexandre est un garçon brillant, doué, voué à un avenir flamboyant car il est accepté dans une université américaine. Son père, Jean Farrel, avide de pouvoir médiatique, lutte contre son propre âge, qui le mène inévitablement vers la sortie. Ce personnage éminemment creux, interviewer célèbre des hommes et des femmes politiques, voit son influence en danger avec cette nouvelle stupéfiante : son fils au banc des accusés. Sa femme Claire ne cohabite  plus avec lui car elle a rencontré un professeur avec lequel elle vit une grande passion. Le drame va éclater quand Alexandre rencontre la fille du compagnon de Claire. La jeune fille très timide participe à une fête alcoolisée et "cannabisée". Tout s'enchaîne avec un jeu débile entre garçons où ils doivent rapporter un slip féminin pour gagner… La jeune fille se laisse abuser dans cette ambiance festive et quand elle suit Alexandre, celui-ci la force à avoir une relation sexuelle. La jeune fille porte plainte dès le lendemain au commissariat. Quand démarre le procès, les points de vue s'entremêlent : où est la vérité ? De quel côté ? Les arguments fusent en faveur du garçon, parfois de la victime. Claire, la féministe, ne peut pas croire que son petit soit cet homme brutal et primaire. Jean fuit son fils même s'il use de son influence médiatique pour arranger l'affaire. Le personnage paternel concentre à lui seul le pouvoir insupportable qu'il exerce sur les femmes autour de lui, sur son fils pour sa course à la performance, sur sa maîtresse, sur sa femme. Cet homme d'origine modeste, imbu de sa réussite sociale, patriarcal devient père à 70 ans pour prouver sa virilité. Alexandre sera libéré avec un sursis et créera une star-up. Tout rentre dans l'ordre dans ce monde puissant et cynique. Karine Tuil tient en haleine son lecteur(trice) tout au long de son roman qui dénonce les lâchetés masculines, la place du sexe dans la société, les pouvoirs abusifs, les réseaux sociaux, les ambitions démesurées : les "Choses humaines".  Heureusement, les mouvements de protestation comme "meeto" après l'affaire Weinstein prennent enfin racine dans la société. Un très bon roman "balzacien" de cette rentrée littéraire, d'un féminisme que j'apprécie beaucoup.