lundi 18 avril 2022

Venise et la littérature

 Venise ressemble évidemment  à ses images d'Epinal quand les gondoles traversent avec nonchalance les canaux, quand les mouettes virevoltent sans cesse dans un ciel à la Tiepolo. Palais et églises, campos et ponts, canaux et lagune, cette cité exceptionnelle ne sombre jamais dans la morosité ou dans la morbidité. J'ai passé une semaine loin de l'atmosphère décadente de la "Mort à Venise" de Thomas Mann et j'étais accompagnée par l'euphorique Philippe Sollers, l'amoureux absolu de la Sérénissime. Je savais qu'il séjournait à l'hôtel La Calcina sur les Zattere et pendant des décennies, il retrouvait Dominique Rolin dans la chambre 32. J'ai déjeuné plusieurs fois dans le restaurant et j'ai découvert une plaque dans l'entrée très émouvante sur la présence des deux écrivains français : "Ici, au troisième étage, en vue du Redentore, pendant plus de trente ans, du XXe au XXIe siècle, les écrivains français, Philippe Sollers et Dominique Rolin, ont écrit, chaque jour, printemps et automnes, dans une sérénité amoureuse parfaite, la plupart de leurs livres". J'ai relu le "Dictionnaire amoureux de Venise", bien plus passionnant que tous les guides traditionnels. Ce goût de Venise profondément littéraire, je l'ai aussi retrouvé avec l'écrivain néerlandais, Cees Nooteboom dans son dernier ouvrage,  "Venise, le Lion, la ville et l'eau", publié chez Actes Sud en 2021. Ce grand écrivain voyageur m'a révélé une Venise hivernale et aussi printanière avec des anecdotes sur le quotidien des Vénitiens depuis son premier séjour en 1964. Ce vagabondage littéraire, historique et philosophique au gré de sa mémoire, de son humeur m'a véritablement enchantée. Lire ce récit et vivre en même temps à Venise a approfondi ma relation avec cette ville fascinante. Il évoque tous les peintres que j'ai vus : Le Tintoret, Carpaccio, Véronèse, Giorgione, Canaletto. Il se souvient de Casanova, Ruskin, Mann, Borges, Pound, Brodsky et tant d'autres écrivains éblouis par Venise. L'insatiable curiosité de Cees Nooteboom l'emmène vers des chemins de traverse qui montre l'envers du décor vénitien. Chaque fois que j'entreprenais un chapitre, j'étais charmée par l'immense culture de cet écrivain néerlandais ainsi que par son inquiétude concernant le tourisme de masse et la disparition éventuelle de cette cité aussi singulière, unique au monde. Il écrit : "Cette ville est un entrepôt du passé, chacun y a laissé quelque trace, y a gravé quelque signe dans un mur, refusant de disparaître corps et biens".  Il imagine dans une de ses digressions subtiles que tous les personnages peints par les artistes, toutes les statues, se raniment et se mêlent aux Vénitiens d'aujourd'hui ! Une fusion entre le passé et le présent, une aventure temporelle que j'aurais bien aimé vivre. En attendant ce jour, j'ai quitté Venise avec regrets et nostalgie en me jurant d'y retourner. Cette escapade m'a offert une parenthèse enchantée avant de retrouver une France instable et inquiète. Le Réel est revenu comme un boomerang mais, comme c'est délicieux de s'en extirper de temps en temps pour vivre des moments de rêve ! Venise répond à tous les critères d'un petit paradis secret : la beauté, la culture, la mer, l'eau et le silence... Si je m'expatrie dans l'avenir (on ne sait jamais), je connais ma destination...  Venise, mon Ithaque italienne.