mercredi 23 août 2023

"Les yeux ouverts", Marguerite Yourcenar, 1

 Quand j'ai trié mes livres cet été pour préparer un lot de dons, je suis tombée sur un vieux bouquin des Editions Le Centurion, publié en 1980, "Les yeux ouverts" où Marguerite Yourcenar (1903-1987) se confie au journaliste littéraire, Mathieu Galey. Comme je venais de lire "Denier du rêve", j'ai eu la curiosité de relire ce document qui m'accompagne depuis plus de quarante ans. Je ne me suis jamais séparée de ces entretiens et j'ai bien eu raison de me replonger dans l'univers fascinant de cette magicienne de la littérature. Et pourtant, j'ai lu les deux biographies qui lui étaient consacrées, des articles sur elle, des émissions sur France Culture. J'ai l'impression de la connaître comme une amie. Dans ce livre, "Les yeux ouverts", je la retrouve encore plus proche, plus authentique, plus sincère sans filtre malgré la présence du journaliste qui lui pose des questions intelligentes et percutantes. Il n'hésite pas à franchir l'océan atlantique pour se rendre sur l'ile de Mount Desert, à "Petite Plaisance", la maison blanche en bois où elle a choisi de vivre avec sa compagne américaine, Grâce. Comment devient-on Marguerite Yourcenar ? Je me pose souvent la question devant un écrivain, un peintre, un artiste, un créateur. Pour la petite Marguerite, l'arrivée au monde se passe mal car sa mère meurt quand elle était toute petite. Mais elle possède un père exceptionnel, fantasque, cultivé, malicieux, d'un esprit de liberté rare à l'époque. Son éducation culturelle passera par lui et par des précepteurs. A l'âge de neuf ans, elle lisait du Racine, Aristophane, Homère. A douze ans, elle parle le grec et le latin. Son père l'emmène dans ses nombreux voyages surtout en Grèce et en Italie. Son éducation religieuse sera courte mais elle s'intéresse à la sensation du "mystère" qui entoure les croyances. Elle dit aimer les rites, en particulier ceux de la religion orthodoxe. Le sacré est un "mot qu'il faut prendre au sérieux" et ajoute : "il m'en est tout de même resté le sentiment de l'immense invisible et de l'immense incompréhensible qui nous entoure". Elle va vite se passionner pour le passé qui permet de comprendre le présent. Sa grande passion se nomme l'Antiquité grecque et romaine. Quand elle évoque le personnage le plus emblématique de son œuvre, l'Empereur Hadrien, elle l'a imaginé dès l'âge de vingt ans ainsi que Zénon dans "L'œuvre au noir". A 24 ans, elle compose "Alexis ou le traité du vain combat" qui la fera connaître dans le milieu littéraire. Cet homme singulier écrit une lettre à sa femme pour lui avouer son homosexualité. Ce récit fictif, influencé par Rilke, se lit encore aujourd'hui avec beaucoup d'intérêt. Elle raconte avec malice qu'en recevant une avance sur recettes à la publication de ce premier roman, elle est rentrée chez Lalique acheter un vase bleu qu'elle a toujours conservé chez elle. (La suite, demain)