mardi 30 décembre 2014

"Heureux comme un libraire"

Je vais terminer l'année 2014 avec ce billet, mon quinzième du mois. Cette année, je me suis donnée un objectif mensuel de 15 articles par mois et j'ai respecté ce contrat même quand je m'absente de temps en temps pour quelques escapades. Pour ce dernier billet, je vais rendre un hommage aux libraires en m'appuyant sur le papier d'un journaliste du Monde, paru le vendredi 26 décembre. Michel Guerrin interroge quelques libraires "heureux" alors que les ventes de livres sont en baisse, que les jeunes délaissent la lecture, que de plus en plus d'achats passent par Internet. Certaines grandes librairies, situées dans des métropoles régionales comme "Ombres blanches" à Toulouse, "Mollat" à Bordeaux, "Millepages" à Vincennes et "Bookstore" à Biarritz résistent à la crise. Ces espaces sont renommés, très bien placés et offrent un large choix d'ouvrages. Les livres ont été plébiscités dans la liste des cadeaux, du plus modeste livre en format poche au livre d'art. Toutes les librairies, de la plus petite à la plus grande, ont un rôle à jouer dans la ville : elles deviennent des lieux de rencontre, des carrefours culturels, des espaces de partage. J'ai vécu une expérience de libraire à Bayonne de 1975 à 1981 et pour faire venir des clients-lecteurs, j'organisais des expositions, des soirées musicales, théâtrales. La clientèle fidèle n'a pourtant pas sauvé mon commerce car je vivais une concurrence déloyale avec les grandes surfaces. C'était l'époque du prix libre du livre. Si j'avais tenu un an de plus, je serais encore libraire... Mais, ma reconversion professionnelle m'a permis de devenir bibliothécaire et j'ai vécu aussi des rencontres formidables avec des lecteurs et surtout des lectrices  motivées dans des lieux bien aménagés, chaleureux et confortables (dont la médiathèque de Tarare) que j'avais équipés dans les années 90 et 2000 au temps de l'expansion de la lecture publique dans notre pays. Je me rends compte de la chance que j'ai eue de vivre cette "épopée" culturelle, une vie professionnelle au service des livres et du public, avec une passion qui ne m'a jamais quittée malgré les années cumulées... Voilà pourquoi, jusqu'à mon dernier souffle, je parlerai de littérature, des écrivains, des librairies, des bibliothèques, des maisons d'édition, des ateliers de lecture, de la place de la lecture dans ma vie, du monde fascinant des livres !

"Bad girl"

Nancy Huston fait partie de ma planète littéraire... J'ai lu pratiquement toute son œuvre romanesque et ses essais. J'ai toujours aimé son féminisme, sa passion de la littérature (en particulier de Romain Gary), son style inimitable, vivant, puissant et parfois, alambiqué. Elle ne laisse aucun(e) lecteur(trice) indifférent(e). On l'adore ou on la déteste. Je suis parfois déroutée par la construction de ses romans mais, il suffit de se cramponner et on se laisse porter par son souffle, son dynamisme et son charisme. Son dernier récit vient de sortir chez Actes Sud et je l'ai lu d'une traite... Nancy Huston mène une enquête sur sa vie intra-utérine, sa naissance, son enfance. Elle fouille, traque, vérifie comme une inspectrice, recherche les raisons pour lesquelles elle est devenue écrivaine et essayiste. Ses origines familiales ne sont pas favorables à ce destin de femme canadienne anglophone et parisienne d'adoption. Elle est née à Calgary, au Canada dans les années 50 dans un milieu de la classe moyenne. Elle évoque un arrière-grand-père fou à lier, une grand-mère féministe, une belle-mère allemande, un père dépressif, une mère intellectuelle, tout une galerie d'adultes complexes que l'écrivaine peint avec une empathie magnifique sans jugement et sans procès. Elle se donne le surnom de Dorrit en utilisant le tutoiement dès la première ligne du récit : "Toi, c'est toi, Dorrit. Celle qui écrit. Toi à tous les âges, et même avant d'avoir un âge, avant d'écrire, avant d'être un soi. Celle qui écrit et donc aussi, parfois, on espère, celui/celle qui lit. Un personnage." Nancy Huston est obsédée par la question de l'être : pourquoi suis-je née alors que ma mère voulait avorter ? Pourquoi me suis-je tant accrochée ? Quelles influences ai-je subies ? Elle écrit : "Notre corps grouille de cette descendance et de cette dépendance. Nous ne tombons pas du ciel, mais poussons sur un arbre généalogique". Cet ouvrage fourmille d'anecdotes sur ses ancêtres, ses parents, ses écrivains de prédilection (Virginia Woolf, Beckett, Barthes, Nin). Ce texte-puzzle, mélangeant les styles, la chronologie, les personnages comporte aussi des réflexions philosophiques, politiques et sociétales. Il faut lire Nancy Huston et "Bad girl", une littérature d'inspiration "volcanique", une lave de mots, d'images, de sensations, de réflexions, un bonheur de lecture...

vendredi 26 décembre 2014

"Et dans l'éternité, je ne m'ennuierai pas"

Je reprends les premières phrases de cette autobiographie : "Né en 1930 dans le Midi de la France, dans un milieu presque populaire, je suis professeur honoraire d'histoire romaine au Collège de France. Je me suis marié trois fois, comme Cicéron, César et Ovide. J'ai été membre du Parti communiste dans ma jeunesse et j'ai écrit des livres sur des sujets divers. Je vis depuis longtemps dans un village de Provence, au pied du mont Ventoux". Cette présentation sobre et succincte est l'œuvre d'un des plus grands historiens français, Paul Veyne. Je ne lis pas souvent des souvenirs de personnalités mais j'ai fait une exception avec ce livre rempli d'anecdotes sur sa vie personnelle, son métier d'"antiquisant", sa formation intellectuelle. Issu d'une petite bourgeoisie commerçante de Provence (son père fait fortune dans le négoce en vins), il échappe à une voie toute tracée en se consacrant à l'étude du latin et des Humanités comme on le disait dans une France d'avant... Sa passion de l'Antiquité lui vient très tôt à l'âge de huit ans, quand il découvre un petit morceau d'amphore romaine dans une colline, près de sa maison de famille. Puis, il lit Homère et sa fascination se confirme pour ce monde "aboli". Le professorat lui convient à merveille et il évoque son parcours de chercheur à l'université d'Aix en Provence, à Rome,  puis au Collège de France. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas ce milieu scientifique, Paul Veyne se met vraiment à leur portée pour relater ce cheminement professionnel avec une ironie ravageuse. J'ai été aussi très intéressée par le portrait de son ami René Char. Il a par ailleurs écrit un ouvrage sur lui ("René Char en ses poèmes"). Il évoque sa vie intime et familiale avec lucidité,  son militantisme communiste sans grande conviction (il quittera le Parti en 1956).  Il aura traversé lui, le grand historien que l'on croit à l'abri du malheur, des événements tragiques (suicide de son fils) comme le plus commun des mortels. Malgré tout ce qu'il a vécu, Paul Veyne offre à ses lecteurs des leçons de sagesse, il nous communique son goût de la vie intellectuelle et sensible (Il adore la montagne). Son autobiographie se lit comme un roman et comme j'apprends le grec ancien, tout en suivant des cours sur la civilisation gréco-romaine, cet ouvrage ne pouvait que me plaire énormément. Et je lirai dorénavant toute l'œuvre de Paul Veyne surtout  "Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?"... "Cet octogénaire à l'humour ravageur a la jeunesse dans les veines" dit un critique de Télérama. Et il a mille fois raison...

mardi 23 décembre 2014

Rubrique cinéma

Loin de la foule "consumériste" des fêtes, je me suis réfugiée dans une salle de cinéma quasi déserte. J'ai donc vu "Nos enfants" du réalisateur italien, Ivano De Matteo. Il s'est inspiré de l'excellent roman d'Herman Koch, "Le dîner". Paolo est un avocat brillant, cynique et peu scrupuleux. Il défend toutes sortes d'agresseurs sans état d'âme. Sa femme s'occupe de leur bébé dans un appartement grand luxe. Il a aussi une fille de seize ans d'un premier mariage. Son frère lui, vit son métier de médecin avec passion, compassion et empathie pour ses enfants malades.  Il est marié avec une guide culturelle et leur fils Michele, âgé de seize ans, fréquente le même lycée que sa cousine. Les deux couples ont l'habitude de se voir une fois par mois dans un restaurant branché. Ils échangent des banalités et s'égratignent parfois à cause de leurs modes de vie différents. La mère du garçon tombe par hasard sur un reportage dans un journal télévisé et à sa grande stupéfaction, elle semble reconnaître son fils et sa nièce dans l'agression d'une femme SDF. La jeune fille avoue à son père avocat qu'elle est mêlée à cet événement. Les parents du jeune homme ne peuvent pas accepter l'intrusion de ce drame dans leur vie et ne réalisent pas que leur fils a complétement dérapé. L'avocat prend conscience que sa fille est habitée par une certaine cruauté mentale, et il veut la dénoncer à la justice. Il intercepte une conversation entre les deux cousins qui confirme leur comportement insensé. Quand les deux couples de parents se retrouvent au restaurant pour enfin parler de ce drame, les uns vont refuser tout recours à la justice, les autres prennent la seule décision sensée. Mais, la violence n'est pas que du côté des adolescents... Le réalisateur a voulu décrypter le mystère de l'adolescence pour les adultes, les comportements à risques, l'amour inconditionnel des parents, la lâcheté, le déni et bien d'autres problèmes au sein des familles. Un film coup de poing, très fort, vraiment intéressant sur des sujets de société, traités avec intelligence et finesse.

lundi 22 décembre 2014

"Le vrai lieu"

Il est toujours intéressant de découvrir les entretiens que les écrivains accordent à des journalistes. C'est pour ces raisons que je lis régulièrement la presse littéraire. Je viens de finir "Le vrai lieu" d'Annie Ernaux, édité chez Gallimard en 2014. Michelle Porte avait filmé cette écrivaine dans sa maison, dans sa ville à Cergy et dans sa région natale en Normandie. La réalisatrice nous a offert aussi des documentaires passionnants sur Virginia Woolf et sur Marguerite Duras. Dans cet ouvrage, Annie Ernaux évoque son enfance, sa vie d'adulte, de professeur de français, sa formation littéraire, ses liens familiaux surtout avec ses parents, car son œuvre se nourrit de ses expériences personnelles. Elle ne peut écrire que dans sa maison qu'elle habite depuis 1977 et elle a besoin de la "couleur du silence ici" pour composer ses textes. Elle apprécie particulièrement son jardin pour "sentir le passage des saisons, à voir les premières perce-neige, la première jonquille". Elle raconte sa ville, sans caractère particulier mais qui bouge sans cesse avec ses nombreux brassages de population. Son enfance à Yvetot révèle une personnalité solitaire et déjà très attirée par les livres. Le café-épicerie de ses parents, fréquenté par des gens modestes, l'amène à réfléchir sur les différences sociales qu'elle remarque très tôt. Elle se sentira "déplacée" quand elle deviendra professeur, vivant cette promotion comme une trahison de "classe". Elle écrit à la page 27 : "Cette accession au savoir s'accompagne d'une séparation. Au fond, je ne m'y résous pas, à cette séparation, c'est peut-être pour ça que j'écris." Annie Ernaux raconte avec une émotion discrète cette déchirure, fondatrice de son écriture. Elle rend un hommage à sa mère, figure autoritaire et caractérielle qui a initié sa fille à la lecture, initiation essentielle pour une future écrivaine. Ce livre d'entretiens apporte un éclairage nouveau sur des éléments biographiques que l'on retrouve dans ses romans. J'ai lu toute l'œuvre d'Annie Ernaux et je recommande en priorité "La place" sur le sentiment de décalage social et "Les Années", son meilleur ouvrage pour moi...Une formidable écrivaine à lire, à relire ou à découvrir d'urgence.

jeudi 18 décembre 2014

"Ce qui reste de nos vies"

Quand j'ai commencé à lire les premières pages du roman de l'écrivaine israélienne, Zeruya Shalev, je me suis tout de suite : quel souffle ! Elle a obtenu le prix Femina du roman étranger, honorable récompense mais, je m'étonne beaucoup que ce roman ne figure dans la liste des 20 meilleurs livres de l'année dans la revue Lire. Un oubli incompréhensible... Ce livre va toucher les lecteurs(trices) qui aiment les histoires familiales intenses et émouvantes. Le premier personnage à suivre s'appelle Hemda Horovitz. Elle est malade et se souvient de son passé, de son enfance dans un Kibboutz, entre un père exigeant, un mariage sans amour et un rôle de mère en difficulté. Sa fille aînée, Dina et son fils cadet, Avner, lui rendent visite à l'hôpital. A partir de cette situation familiale, la disparition prochaine de leur mère, Dina et Avner vont remettre leur vie en question. Dina, à la quarantaine dynamique, est professeur, mariée à un photographe de presse et vit mal la transformation de sa petite fille en adolescente qui s'éloigne d'elle. Avner, aussi, s'est très mal marié avec une femme qui au fond ne lui convient pas et par lassitude, il maintient ce lien à cause de ses deux enfants. Il est avocat des causes difficiles. Il aperçoit à l'hôpital un couple qui symbolise pour lui, l'amour parfait. Il apprend la mort de cet homme et fait tout pour retrouver cette femme. Dina souffre de l'indifférence de son mari et supporte très mal le changement de sa fille. La perte lui est insupportable et pour combler ce manque, elle prend une décision inouïe : adopter un enfant pour donner tout cet amour que sa fille ne veut plus recevoir. Elle met sa famille en question et bouleverse l'ordre des choses. Zeruya Shalev décrit avec une intensité puissante les relations affectives : entre mère et fille, entre mari et femme, entre père et fille, toute une panoplie de liens mystérieux et souvent incompréhensibles. Tous les sentiments explosent dans ce texte : la colère, la frustration, la jalousie, la peur, le ressentiment, mais aussi, l'amour, la compassion, l'amitié. Pour goûter le style du roman, je cite un passage concernant la mère de Dina  : "Oui, condamnée à une vie éternelle par l'amère indifférence des siens, elle va rester allongée ici sous sa lourde couette pendant des années, verra ses enfants vieillir et ses petits-enfants devenir des adultes, car elle vient de comprendre que mourir requiert aussi des efforts, une sorte d'élan du futur défunt ou de son entourage, un acte dans lequel il faut s'impliquer, s'agiter fébrilement comme lorsqu'on prépare une fête d'anniversaire." Ce roman est un coup de cœur, radical et original, et un coup de lame tellement l'écrivaine tranche vif... Chacun peut se reconnaître dans ces personnages tourmentés, chagrinés et quelquefois, apaisés, réconciliés... Tout simplement, il ne faut pas passer à côté de Zeruya Shalev...

mardi 16 décembre 2014

Atelier d'écriture

Mylène a animé avec maestria le dernier atelier de l'année 2014. Elle nous a donné deux exercices : le premier concerne la forme du dialogue et le deuxième, l'anaphore. Elle nous a lu un texte plein d'humour de Gérard Mordillat, extrait du "Dictionnaire des papous dans la tête". Il s'agissait de construire un dialogue entre deux objets concernant Noël. Voici mon petit texte d'humeur, basé sur deux personnages : du papier-cadeau et un ruban.
Le papier : Regarde comme je suis moche. Mon patron a voulu faire des économies et cette année, je suis monochrome, vert comme le sapin et j'ai maigri tellement je suis fin.
Le ruban : Tu n'as pas de chance... Avant la crise, j'avais des compagnons plus joyeux, aux couleurs chatoyantes avec du doré, de l'argenté, ça flashait de partout, j'avais mes yeux éblouis par tant de motifs variés. J'aurais du mal à t'embellir, moi, ruban noir tout simplet.
Le papier : Vert et noir, on fera avec, mais j'ai une idée : et si on dépouillait ce sapin enguirlandé, dégoulinant de prétention, orgueilleux, prétentieux. Tu as remarqué tous ces objets ridicules qui pendouillent : des oursons, des faux cadeaux, des étoiles en tissu, des dessins naïfs, bref, des fanfreluches parasites...
Le ruban : Et, nous on est à la diète ! Quels radins, ces propriétaires ! Je vais dérober une guirlande, la plus belle de cet arbre nanti car tu manques de couleurs.
Le papier : comme tu me remontes le moral ! Un peu de solidarité dans ce monde de brutes, en ces temps de disette, nous fera du bien, et ces sapins pleins de morgue doivent partager leurs trésors. Heureusement, que cette fête ne dure qu'un jour !
Le ruban : Alors que nous, les humbles, les peu de choses, on est toujours là, de janvier à décembre pour les fêtes, les mariages, les anniversaires, on a du travail tous les jours et nous préférons notre CDD de 365 jours à un CDI d'un jour !
Pour le deuxième exercice, Mylène nous a présenté "Le petit éloge de la nuit" d'Ingrid Astier et voilà ma vision de la nuit :
Une nuit à dormir debout, une nuit à dormir couché,
Une nuit à insomnies, une nuit à l'oubli
Une nuit à attendre, une nuit à comprendre,
Une nuit à cauchemar, une nuit à espoir
Une nuit sans rêve, une nuit sans trêve,
Une nuit noire, une nuit blanche
Une nuit d'étoiles, une nuit d'éclats de lune,
et la nuit s'enfuit en laissant le jour venir...

lundi 15 décembre 2014

Patrick Modiano

Depuis que Patrick Modiano a reçu le Prix Nobel de littérature, il figure sur les listes des meilleures ventes en librairie. J'ai lu son discours dans le Monde du mardi 9 décembre et je ne résiste pas à mentionner quelques phrases emblématiques de ce grand écrivain français, si modeste, si hésitant et l'on ressent immédiatement une empathie à son égard. Ses maladresses d'élocution, ses doutes, ses interrogations sur la littérature, sur ses propres ouvrages font de lui un homme particulièrement attachant, authentique et proche de ses lecteurs(trices). Dans ce discours, Patrick Modiano éclaire son œuvre qui prend ses racines dans son enfance, "Je me trouvais le plus souvent loin de mes parents, chez des amis auxquels ils me confiaient et dont je ne savais rien, (...). C'est beaucoup plus tard que mon enfance m'a paru énigmatique et que j'ai essayé d'en savoir plus" . En vivant une enfance où il se sent abandonné dans un Paris de l'après-Occupation (il est né en 1945), ses romans vont devenir pour lui un ensemble d'enquêtes quasi policières pour découvrir tous ces adultes mystérieux, opaques que l'écrivain transformera en personnages romanesques. Il dit plus loin : "Cette volonté de résoudre des énigmes sans y réussir vraiment et de tenter de percer un mystère m'a donné l'envie d'écrire". Il évoque longuement le rôle essentiel de Paris dans ses romans et des bottins téléphoniques où il avait l'impression "d'avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d'une ville engloutie, comme l'Atlantide, et de respirer l'odeur du temps." Et il termine son magnifique discours avec ces mots : "A cause de cette couche, de cette masse d'oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables. Mais c'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan." Après Marcel Proust et sa recherche "éperdue" de la mémoire,  Patrick Modiano et son œuvre-mosaïque mémorielle, la littérature ne peut que nous enchanter...

vendredi 12 décembre 2014

"Sauve qui peut Madrid !"

Je ne connaissais absolument pas cet auteur, Kiko Herrero, mais le titre du livre m'a convaincue de le choisir. Comme je viens de faire une escapade dans la capitale espagnole, j'avais envie de me replonger dans cette ambiance. Quand on ne trouve aucune critique dans les médias littéraires (papier et Internet), il reste une solution : aller chercher des informations précieuses chez l'éditeur de l'écrivain, la célèbre et exigeante maison, P.O.L.. J'ai donc parcouru la notice biographique de Kiko Herrero et j'ai appris qu'il était né en Espagne en 1962, s'est installé à Paris dans les années 80 et a monté une galerie d'art. "Sauve qui peut Madrid !" est son unique récit autofictionnel et dès les premières lignes, j'ai été embarquée dans cette prose fiévreuse, atypique et drôle. Les petits chapitres forment des mini-nouvelles souvent percutantes sur des événements que l'écrivain a vécus dans une Espagne franquiste des années 60. Le narrateur évoque une enfance entre un père, spécialiste des rats et une mère à la maison. Il raconte sa famille élargie, ses voisins, ses copains. Il fréquente le lycée français de Madrid où il apprend des références culturelles teintées de liberté. Et s'enchaînent à un rythme endiablé des micro-histoires drôles et pittoresques : celles de la baleine morte, de la sierra de Madrid, des forains,  de la mort, de la Cruz de los Caidos, des rats et d'un gorille,  d'un exhibitionniste, d'une source miraculeuse, du Caudillo, du lycée, d'un arc de triomphe, et de bien d'autres sujets saugrenus, loufoques et tous marqués par une culture à la Almodovar... Il est certain que ce type d'ouvrage concernera les lecteurs(trices) imbibé(e)s de culture espagnole. Un premier récit vraiment original, servi par une écriture électrisante. Les éditions P.O.L. proposent des livres souvent taxés de "littéraires", avec une exigence qui déroute paradoxalement les amateurs de littérature... Je crois que la curiosité est une très belle qualité pour découvrir des chemins d'écriture hors circuit médiatique...

jeudi 11 décembre 2014

Atelier de lectures, 2

Je poursuis mon compte-rendu des coups de cœur avec Sylvie qui a lu "Au revoir, là-haut" de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013. Elle a surtout apprécié le contexte historique du roman, quand l'après-guerre devient un commerce honteux. Les soldats survivants sont même devenus encombrants dans le pays. Janine a évoqué une écrivaine italienne, Silvia Avallone et son deuxième roman "Marina Belleza" (son premier roman, "D'acier" a reçu les faveurs de nombreux lecteurs). La romancière possède un talent remarquable quand elle décrit le monde des adolescents. L'un, Andrea rêve de fuir sa famille bourgeoise pour élever des vaches dans la ferme de son grand-père et elle, Marina, veut devenir une star de la chanson. Ces jeunes se sentent rejetés et marginalisés par la société et décident de "prendre le large". A découvrir sans tarder... Evelyne a cité des ouvrages d'Henriette Walter et d'Alain Rey car elle aime la langue française (pour un professeur de lettres classiques, cela semble plus que normal...). Régine a mentionné le roman très intéressant de Laurent Seksik, "Le cas Eduard Einstein", paru chez Flammarion en 2013. Le grand savant, Albert Einstein, disait de son fils Eduard, schizophrène, "Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution". Pour se détendre, elle a proposé "Les femmes de ses fils" de Joanna Trollope, une romancière qui possède l'art "anglais" pour dresser un portrait savoureux des liens familiaux en particulier ceux d'une mère avec ses belles-filles. Geneviève a trouvé à la médiathèque le roman de Jeanne Benameur, "Les demeurées", qui l'a beaucoup touchée par son sujet sur la découverte de l'écriture dans un milieu très défavorisé. Elle a aussi présenté "Eldorado" de Laurent Gaudé, un livre d'actualité sur l'immigration clandestine en Méditerranée. Place maintenant aux ouvrages tirés au sort mais la "pioche" n'a pas été très fructueuse à part quatre rescapés. Janine a bien aimé le récit de Jean-Christophe Rufin, "Immortelle randonnée" sur les chemins de Compostelle. Dany a bien apprécié "Cyanure" de Camilla Lackberg , un polar très bien ficelé à la manière d'Agatha Christie. Régine a été la seule lectrice à communiquer sa "ferveur" envers le roman d'Anna Enquist, "Les Endormeurs", un grand roman d'une écrivaine néerlandaise, subtile, profonde et lucide qui raconte une histoire de sœur et de frère. La sœur est anesthésiste, spécialiste de la médecine des corps, le frère est psychiatre, spécialiste de la médecine de l'âme. Geneviève a conclu la séance en résumant le très bon roman-thriller d'Hermann Koch (un néerlandais, lui aussi), "Villa avec piscine",  sur l'histoire d'un médecin-vengeur... Prochain rendez-vous en janvier 2015... 

mercredi 10 décembre 2014

Atelier de lectures, 1

Mardi 9 décembre, dernier rendez-vous de l'année pour partager nos lectures... Nous avons démarré par un premier tour de table concernant les coups de cœur. Mylène nous a présenté un tout petit livre au titre évocateur : "Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l'imagination" de Neil Gaiman, paru chez l'éditeur Au Diable Vauvert. Un bel hommage à la lecture et j'en parlerai plus tard dans un billet. Mylène a aussi lu la biographie d'une grande dame du théâtre, Gisèle Casadesus qui vient de fêter son centenaire, "Cent ans, c'est passé si vite". Elle raconte dans un abécédaire,  sa vie intense de comédienne, des anecdotes sur sa famille, sa foi protestante qui l'a rendue sereine. Mylène nous a lu deux pages pour montrer le charme de cette vieille dame délicieuse. Danièle s'est plongée dans la littérature américaine avec James Salter en lisant deux de ses romans, "L'homme des hautes solitudes" et "Et rien d'autre". Elle a préféré le premier cité tout en appréciant le dernier mais elle a trouvé le personnage central un peu trop cynique. Elle a aussi évoqué un roman de Dona Tartt, "Le Maître des illusions", une histoire d'étudiants dans une université du Vermont où la perversité et la manipulation règnent au sein d'un groupe. Danièle a rappelé un bonheur de lecture avec le livre de Gabriel Garcia Marquez, "L'amour au temps du choléra". Dany a beaucoup aimé "Charlotte" de David Foenkinos et un roman de Michelle Tourneur, "La beauté m'assassine" ou comment une jeune femme passionnée par la peinture s'introduit dans l'intimité de Delacroix dans un Paris de 1830. Dany a aussi mentionné un livre d'Ernest J. Gaines, "Le nom du fils", sur la honte, le pardon et la faute, dans les années soixante aux Etats-Unis. Le révérend Martin milite pour les droits civiques mais son passé le rattrape quand un inconnu arrive dans la ville. Janelou apprécie beaucoup Noëlle Châtelet et sa "Femme coquelicot".Marthe, 70 ans, s'autorise une histoire d'amour avec Félix sous les regards interrogateurs et désapprobateurs de sa propre famille. Elle a évoqué une biographie d'Aude Yung de Prévaux, "Un amour dans la tempête de l'histoire", une chronique historique sur la vie de son père résistant qu'elle n'a jamais connu car il est mort en 1943 et la narratrice, sa fille, s'est fait adoptée par son oncle. Elle a appris la vérité de son adoption à l'âge de 22 ans. Demain, deuxième billet sur l'atelier de lectures.

lundi 8 décembre 2014

Rubrique cinéma

Si on aime l'art et la peinture en particulier, il faut aller voir le film de Mike Leigh, "Mr Turner". Ce peintre anglais, né en 1775 et mort en 1851, ressemble à un homme vraiment ordinaire avec un physique "ingrat" et un comportement parfois surprenant. On le voit souvent grogner au lieu de parler, et son obsession première reste par dessus tout le dessin et la peinture. Il vit avec son père, qui devient son assistant en mélangeant les couleurs et en montant les toiles sur les châssis. Sa relation avec son fils ressemble à une prise en charge totale. Turner est déjà reconnu dans le milieu des marchands mais il se moque des critiques sur son œuvre. Il voyage beaucoup et se rend un jour au bord de la mer. Il s'installe dans une pension de famille, tenue par un vieux couple qui le reçoit sans le reconnaître. Son père meurt subitement et Turner le pleure comme un enfant orphelin. On apprend sur le lit de mort que sa mère  était atteinte de folie.  Turner retourne régulièrement dans l'hôtel en bord de mer et quand il apprend que son hôtesse perd son mari, il lie une relation avec elle. On le voit souvent peindre ses marines et se consacrait entièrement à son art. Ce personnage bougon et silencieux attire aussi l'amour inconditionnel de sa domestique, atteinte d'une maladie de la peau. En 2h29, Mike Leigh a rempli son objectif : raconter avec des beaux décors dans une Angleterre du XIXe siècle, la vie d'un peintre très original, précurseur de "l'abstraction lyrique" même s'il utilise le style figuratif. J'étais loin d'imaginer un personnage semblable quand je voyais ses peintures. J'aime bien le cinéma qui s'intéresse aux créateurs. Un critique de cinéma a écrit dans la revue Première : ce film "est un hommage à la condition d'artiste, par essence solitaire et sans compromis." Un film un peu long mais qui vaut le détour.  

vendredi 5 décembre 2014

"L'Amour et les forêts"

Eric Reinhardt raconte dans son roman autofictif, la vie de Bénédicte Ombredanne, 36 ans, professeur de lettres, mariée, deux enfants, femme "invisible" sur le plan physique, Elle habite à Metz et décide de contacter l'écrivain pour le rencontrer à Paris. Elle a admiré son roman "Cendrillon"et recherche comme lui une "enclave d'émerveillement" dans la vie quotidienne et monotone qu'elle mène. Ils partagent la même passion littéraire pour Villiers de l'Isle-Adam et leurs affinités littéraires les rapprochent. Lasse du harcèlement qu'elle subit, elle s'est un jour libérée du carcan familial en recherchant sur un site de rencontres un amant qu'elle a retrouvé lors d'une seule après-midi qui sera pour elle une enclave enchantée entre une initiation au tir à l'arc et une relation amoureuse réussie. Pourtant, elle retourne chez elle  sous l'emprise de son mari, fou de jalousie quand elle lui révèle son aventure avec cet homme. Eric Reinhardt fait aussi le portrait d'un homme profondément malade, un harceleur démoniaque, un "ogre" dévorant et suffoquant. Bénédicte finit par prendre trop de médicaments et séjournera dans un hôpital psychiatrique où elle écrira et rencontrera un communauté de blessés de la vie. Et la question que je me posais tout au long de ce roman intense et excessif, mais pourquoi, mais comment cette femme éduquée, cultivée,  peut-elle supporter un manipulateur de cette espèce ? Elle accepte cette situation pathétique pour ses enfants et pour son idéal de famille. Le narrateur apprend le décès de Bénédicte par hasard, car ils ne sont pas revus et il part pour Metz pour découvrir la vérité sur cette femme. Sa sœur jumelle lui raconte sa fin de vie (elle meurt d'un cancer) et sur l'attitude de son mari, toujours aussi cruel, aussi possessif. Le roman prend un tour insupportable quand il relate le séjour en hôpital de Bénédicte avec la présence constante de son mari. Son enfer conjugal se poursuit jusqu'à sa dernière minute. Cette héroïne aux accents bovariens rêve d'amour absolu, d'incandescence, de passion comme l'indique le titre "l'amour et les forêts"  mais elle s'enferme dans un réel trivial et décevant. Un critique de la revue Lire parle de conte cruel contemporain avec l'ogre (le mari), le Prince charmant (l'amant), et la femme ingénue, naïve et victime de son idéologie "familiale". Un roman puissant et éprouvant et qui a marqué la rentrée littéraire.

mercredi 3 décembre 2014

Rubrique presse

Le Magazine littéraire propose dans le numéro de décembre une enquête sur l'emballement médiatique d'Emmanuel Carrère avec son roman "Le Royaume" qui n'a d'ailleurs obtenu aucun prix littéraire. J'ai retrouvé avec un grand plaisir le dossier central sur Marguerite Yourcenar, considérée comme "vraiment immortelle". La revue signale qu'elle est au programme de l'agrégation de lettres en 2015, marque de reconnaissance pour cette femme-écrivain du XXe siècle. J'ai commencé à aimer l'Antiquité avec son roman, "Les mémoires d"Hadrien", et son œuvre est intemporelle. De nombreux colloques sont organisés partout dans le monde. Des écrivains s'effacent, sont oubliés même ceux qui ont marqué leur époque mais, Marguerite Yourcenar ne cesse de nous surprendre et pour moi, elle représente une voix singulière, originale, d'avant-garde, une œuvre solide et érudite, un personnage dont j'aime l'esprit de solitude. La revue évoque aussi Charles Péguy, la littérature punk, etc. Un très bon numéro à lire au coin du feu  (du poêle, pour ma part). Lire offre le palmarès des vingt meilleurs livres de l'année dans plusieurs catégories. La palme d'or est attribuée à... "Le Royaume" , encore lui... Puis, le meilleur roman étranger revient à James Salter, "Et rien d'autre" (billet dans ce blog), les meilleurs romans français à la formidable Maylis de Kerangal, "Réparer les vivants" et ex-aequo, avec Eric Reinhardt, "L'amour et les forêts". J'ai noté la meilleure autobiographie pour Paul Veyne, "Et, dans l'éternité, je ne m'ennuierai jamais". En ces temps de cadeaux, la revue n'a pas oublié comme tous les ans le traditionnel guide des beaux livres. La rentrée de janvier nous réservera des nouveautés intéressantes et la revue termine son numéro par un entretien avec le philosophe Nicolas Grimaldi qui vient d'écrire un "abécédaire philosophique, les idées en place". Un ouvrage que je vais lire pour découvrir les thématiques de son œuvre, teintée de pessimisme revigorant.  Il vit à Socoa dans une maison face à l'océan,  et il confie cette pensée : "Je ne suis ici qu'en sachant que rien ne viendra, que je n'ai rien à attendre, que je ne remporterai aucune victoire et que tout ce qui risque de m'arriver, c'est d'assister d'un peu loin à l'effondrement de la culture." Et il précise que "Nous sommes tous des éclopés" et seuls, les livres arrivent à nous consoler, les livres et l'océan pour ce philosophe "marin"... Bientôt j'irai me promener du côté de son sémaphore et je rencontrerai ce solitaire mélancolique pour parler de son abécédaire.

lundi 1 décembre 2014

"Pas pleurer"

Je viens de terminer "Pas pleurer" de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014. Je souhaite à cette écrivaine un très grand succès car elle mérite amplement cette récompense qui va faire connaître Georges Bernanos et... sa propre mère. J'ai vu dans une excellente émission, Metropolis,  sur Arte, un portrait de Lydie Salvayre dans son appartement parisien, envahi de livres. Elle racontait qu'elle aimait des livres forts, des lectures "coups de fouet", et son roman prend d'emblée partie pour les humbles comme sa mère, pour les républicains espagnols, du côté des anarchistes. Elle rend un double hommage. Le premier concerne sa mère, exilée en France après la victoire des franquistes. Sa mère prend la parole, une parole libre, un patchwork de mots, d'expression qui mélange allègrement l'espagnol au français parlé. Cette liberté de langage, enraciné dans le réel, donne beaucoup de force et d'émotion au roman. Montsé, mère de la narratrice, raconte son amour de jeunesse en pleine guerre en 1936, dans un Barcelone libertaire et foisonnant de vie. Elle rencontre un jeune Français (elle s'imagine qu'il se nomme André Malraux) et tombe enceinte après sa seule nuit avec lui. Elle est obligée de retourner chez ses parents dans son petit village. Montse accepte de se marier, contrainte et forcée par sa mère, avec le fils de famille, Diego, militant communiste au grand regret de son frère anarchiste. Lydie Salvayre réussit la prouesse de transmettre avec un style inimitable, la tragique histoire de cette guerre civile sanglante. Les passages concernant Bernanos apportent une note plus distante et plus "historique" sur les assassinats des républicains à Majorque. La voix de sa mère raconte la joie du début de la guerre, son grand amour pour ce militant français, sa farouche envie de survivre. Comme je me sens très proche de ce pays (mes grands-parents espagnols, que je n'ai pas connus, ont émigré à Bayonne en 1900) et que j'aime la langue espagnole,  je ne pouvais pas résister à Montse, à Bernanos et surtout à Lydie Salvayre. J'ai envie de découvrir ses romans précédents et je me dis qu'elle a vraiment un sacré talent d'écrivain pour traduire l'atmosphère de cette époque tragique, entre les pleurs et les rires de Montsé, entre les méchants et les gentils, entre les pauvres et les riches, entre les conservateurs catholiques et les républicains anarchistes, un tableau vivant, l'épopée d'une femme simple et modeste dans un monde d'hommes en guerre. Un beau roman...

vendredi 28 novembre 2014

Rubrique cinéma

J'ai vu cet après-midi "L'incomprise" de la réalisatrice Aria Argento dans le cadre du festival du cinéma italien. Aria est une fillette de 9 ans dont les parents sont des artistes célèbres : un père acteur et une mère pianiste. Elle a aussi deux demi-soeurs. La vie familiale ressemble à un enfer car les parents d'Aria se déchirent, hurlent, s'insultent, se détestent. Ils finissent par se séparer. Le père vit avec sa fille aînée, une poupée rose idiote et la mère préfère aussi la sœur d'Aria. Elle se sent abandonnée, rejetée, ballottée entre son père odieux et narcissique et sa mère, séductrice et déséquilibrée. Ces parents immatures et irresponsables ne pensent qu'à eux-mêmes et sont incapables d'amour. La petite Aria surdouée, obtient un prix de composition mais, ni son père, ni sa mère n'assistent à la cérémonie. La fillette a donc une vie de famille chaotique et ne trouve aucun réconfort à l'école malgré l'amitié fusionnelle avec une camarade de classe. Le désordre affectif règne aussi bien dans sa vie privée que dans sa vie scolaire. Elle erre dans la ville avec son sac à dos et son chat noir dans une cage et rencontre souvent des marginaux déjantés. Elle mime le monde des adultes en fumant des cigarettes, en faisant la fête, en tombant amoureuse d'un blondinet ridicule. La comédienne qui joue le rôle d'Aria a une présence formidable sur l'écran. Charlotte Gainsbourg interprète la mère folâtre. Aria essaie de préserver une certaine innocence dans ce monde de fous. Mais le désespoir va prendre le dessus... La cinéaste montre le poids de la solitude de la fillette en la filmant dans son errance à travers des parcs mal fréquentés de Rome. Un beau film singulier et original, un portrait d'une enfant, une petite Cosette italienne des années 80 face à des Thénardier modernes horripilants d'égoïsme.

jeudi 27 novembre 2014

"Absolution"

Je viens de terminer un roman dont la presse littéraire a peu parlé, "Absolution" de Patrick Flanery aux éditions Plon dans l'excellente collection Pavillons. Cet écrivain américain (né en 1975) a choisi l'Afrique du Sud comme cadre romanesque. L'histoire repose sur un duo redoutable : une célèbre romancière, Clare Wade et son jeune biographe, Sam Leroux. Clare Wade est connue pour ses positions en faveur des droits de l'homme. Elle vit dans une belle propriété ultra-protégée après avoir été cambriolée dans son ancienne résidence. La violence urbaine crée une atmosphère d'insécurité permanente dans ce pays post-apartheid. La romancière accepte un peu à contrecœur la présence de son biographe, un jeune universitaire ambitieux. Ils se rencontrent souvent pour élaborer cette biographie mais, les entretiens que Sam enregistrent, se révèlent difficiles. D'autant plus que Clare Wade cache un secret lourd à porter : sa fille a rejoint la lutte armée anti-apartheid en 1989 et elle a disparu sans laisser de traces. Des compagnons de lutte ont déposé des carnets écrits par sa fille avant sa disparition. Le roman est donc construit sur l'alternance de chapitres entre le duo Clare-Sam et les interrogations de Clare sur sa fille perdue. La romancière évoque ses liens complexes avec son fils, avec son mari avec lequel elle est divorcé.  Elle a aussi vécu un conflit permanent avec une sœur engagée du "mauvais côté". Sam s'est approché de cette femme écrivain car il a rencontré la fille de Clare dans des circonstances tragiques. Mais, je ne veux pas dévoiler les liens mystérieux qui les unissent. Ce très bon premier roman est donc une réussite incontestable car il mêle  plusieurs sujets : la politique, l'après-apartheid, l'ambiguïté des relations familiales, la création littéraire, la culpabilité, dans un suspense intense. Un portrait sans concession d'une société sud-africaine en mutation.

mercredi 26 novembre 2014

"Le météorologue"

Olivier Rolin et son "météorologue" n'a pas obtenu un prix littéraire sauf celui du Style. Il aurait mérité largement le Médicis... J'avais vu sur Arte un documentaire sur la bibliothèque perdue des îles Solovki. Cette histoire de bibliothèque oubliée, dispersée dans un camp du Goulag m'avait beaucoup intéressée. La recherche d'Olivier Rolin était passionnante pour retrouver ce fonds perdu de livres appartenant aux prisonniers politiques, souvent des intellectuels broyés par le régime stalinien. Mais après une enquête minutieuse, l'écrivain français rencontre une femme russe qui va lui donner une piste fiable et il finira par découvrir la collection dans une école. J'avais donc envie de lire "Le météorologue" pour en apprendre davantage sur un des personnages du camp. Il s'appelle Alexeï F. Vangengheim et il est arrivé au goulag par dénonciation d'un collègue. Il est météorologue et étudiait les prévisions climatiques pour faciliter les transports routiers, aériens et maritimes. Il occupait donc un poste prestigieux dans la nomenklatura intellectuelle soviétique. Cet homme avait foi dans le communisme révolutionnaire. Il voulait "aider le prolétariat révolutionnaire à maîtriser les forces de la nature". En janvier 1934, il est arrêté, interrogé et envoyé au Goulag. Il y passe trois ans et envoie des lettres à sa femme et adresse à sa petite fille des herbiers que l'on retrouve à la fin de l'ouvrage. Il proteste vainement auprès des autorités pour clamer son innocence et ne comprend rien à son exil injuste. Lui, le savant honnête, fidèle aux idéaux de la Révolution bolchévique, crie en vain et ne sera jamais entendu. Il sera exécuté dans l'indifférence générale et sa femme ne connaîtra jamais les circonstances de cette liquidation. Olivier Rolin a choisi de raconter une histoire absurde et tragique d'un homme innocent comme toutes les victimes de la folie stalinienne. Ce témoignage sur tous ces disparus du Goulag, exécutés par des bourreaux inhumains, révèle la barbarie du stalinisme. L'auteur veut aussi montrer, avec cet ouvrage documenté avec minutie et précision, comment un homme innocent peut être massacré par la terreur. Un récit glaçant par son sujet mais un récit-devoir de mémoire contre l'oubli, absolument nécessaire en ces temps de retour de la barbarie au nom de la religion. Un des meilleurs livres d'Olivier Rolin...

mardi 25 novembre 2014

Atelier d'écriture

Ce matin, nous nous sommes retrouvées avec Mylène pour son deuxième atelier d'écriture de la rentrée. La consigne d'un des deux exercices était basée sur le livre de Didier Van Cauwelaert, "Le journal intime d'un arbre". Il fallait se mettre à la place d'un arbre et écrire un monologue. Voici mon texte : "L'enclos"
Je suis de taille modeste dans mon enclos et je vis  dans un petit village. Les habitants me saluent tous les jours, s'inclinent devant moi, me confient leurs soucis, leurs tourments et leurs secrets. Certains caressent mes feuilles, mon tronc, et même si je me sens seul dans cette place, je reçois beaucoup de témoignages affectueux. Je suis la quatrième génération car mon ancêtre, un chêne vigoureux, a été planté au XIVe siècle. Imaginez-vous ensuite cette présence permanente tout au long des siècles. Aujourd'hui, j'ai dépassé les 130 ans... J'aurais bien aimé pousser dans une forêt du coin, à l'ombre de mes parents, mais les hommes m'ont choisi pour cet enclos. Je rêve d'arracher mes racines, de me déplanter, de déployer mes branches, de secouer mes feuilles et de m'envoler vers la montagne proche. Je n'aime pas me faire remarquer, j'aimerais vivre comme tous mes frères arbres. Mais mon devoir me dicte de rester là. Je ne peux pas abandonner mon village. J'ai oublié de vous dire mon nom : Gernikako Zuhaitza, l'arbre de Guernica. J'ai survécu au bombardement en 1937 pendant la guerre civile d'Espagne et je symbolise l'indépendance du peuple basque. Quelle belle mission et quel destin pour moi ! Je ne dois pas me plaindre et venez donc me faire une petite visite pour m'admirer...

lundi 24 novembre 2014

Festival du cinéma italien à Chambéry

Nous avons beaucoup de chance de profiter de ce festival du cinéma italien dans une ville moyenne comme Chambéry. J'ai déjà vu trois films  : "La Mafia uccide solo d'estate", "Il giovane favoloso" et "Noi4". Le premier raconte l'histoire d'un petit garçon, Arturo, qui grandit à Palerme dans une ville gangrénée par la Mafia. Arturo tente de séduire une compagne de classe dont il est tombé amoureux. J'ai surtout apprécié la dénonciation de tous les assassinats des juges, des policiers, traités dans ce film comme des héros nationaux, des hommes de loi qui ont sacrifié leur vie pour combattre la Mafia dans les années 70 à 90. Arturo aura aussi un fils à qui il va transmettre la mémoire de cette lutte. Le second film se passe au début du XIXe siècle et relate la vie du grand poète italien, Léopardi. Il était atteint d'une maladie dégénérative dès son enfance et sa santé défaillante l'a confiné dans la bibliothèque très riche de son père, un comte de la noblesse italienne. A 16 ans, il savait lire le latin, le grec, l'hébreu, l'anglais, le français. Son génie littéraire s'inscrit dans le romantisme et il sera le précurseur de l'existentialisme. On voyage à Rome, Florence, Naples. Poète, écrivain et philosophe, il meurt à l'âge de 38 ans. Ce beau film a le mérite de nous faire connaître Giacomo Leopardi (1798-1837). Je vais donc découvrir son œuvre que je n'avais encore jamais lue... Pour le troisième long métrage, "Noi 4", nous voilà à Rome, de nos jours dans une histoire familiale conflictuelle. La mère vit sa quarantaine avec angoisse. Elle s'est séparée d'un mari artiste et quelque peu démotivé par le travail. Ils ont un fils de 13 ans, sérieux et rêveur, une fille de 20 ans, apprentie comédienne. Dans un tourbillon romain (quel plaisir de revoir les places, les monuments, et même la circulation infernale), les deux enfants tentent de recomposer leur famille éclatée et les scènes de colère, de rancœur, et de réconciliation donnent un rythme haletant et l'on sourit souvent à suivre les aventures chaotiques et drôles de cette famille italienne attachante. Comme le festival dure deux semaines, je retournerai à l'Astrée et au Forum avec beaucoup d'intérêt...   

vendredi 21 novembre 2014

"Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier"

Quand un écrivain comme Patrick Modiano choisit une phrase de Stendhal en exergue ("Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n'en puis présenter que l'ombre"), le lecteur(trice) ressent la même impression quand il(elle) ouvre la première page d'un roman modianesque comme un éternel recommencement. En ces temps fous de vélocité, de non-perte de temps, de compétitivité, de rendement, se lover dans la prose de Modiano est un pur délice... Le narrateur, Jean Daragane, reçoit un coup de téléphone : l'interlocuteur a retrouvé son carnet d'adresses qu'il avait perdu et il veut lui remettre en mains propres. Cet écrivain sexagénaire vit seul, lit sans fin Buffon, se sent quelque peu hors circuit. Pourtant, ce carnet perdu va déclencher un retour vers un passé confus, brouillardeux et peut-être fantasmé. Un "certain" Gilles a repéré un "certain" Guy Torstel dans ce carnet. Cette rencontre va provoquer une enquête sur une femme, un peu marginale, très mystérieuse qui aurait joué un rôle de mère de remplacement auprès du jeune Jean. L'intrigue du roman repose sur un fil conducteur concernant ce personnage nébuleux. Le narrateur nous entraîne dans un labyrinthe parsemé de trous noirs, d'imprécisions, de recherches vaines. Et, je ne peux pas résister à citer cette phrase rencontrée à la page 70 : "Ecrire un livre, c'était aussi, pour lui, lancer des appels de phares ou des signaux de morse à l'intention de certaines personnes dont il ignorait ce qu'elles étaient devenues". Le charme "proustien" de Patrick Modiano opère à merveille tout au long de son œuvre abondante. Le prix Nobel de littérature a vraiment eu une excellente idée en couronnant cet écrivain obsédé par le passé et essayant désespérément de le retrouver, sans succès. J'ai remarqué qu'une gardienne d'un musée de Madrid était plongée dans un Folio de Modiano... Cela m'a fait vraiment plaisir de constater son succès... international. Et son dernier roman au titre révélateur : "pour que tu ne te perdes pas dans le quartier" diffuse la musique nostalgique d'un Paris disparu et recréé grâce à la magie de l'écriture.

jeudi 20 novembre 2014

Rubrique cinéma

Lundi, je suis allée voir un film américain, "Love is strange" du réalisateur Ira Sachs. Il est rare de voir à l'écran un couple d'homos, dont l'un, Ben, artiste-peintre, est à la retraite à 71 ans et l'autre, George, travaille dans une école privée catholique. Après quarante ans de vie commune à New York, ils décident de se marier (le mariage homosexuel est permis). Après une fête familiale, le professeur de chant est convoqué devant le directeur de l'école et se fait licencier injustement sur le champ pour des raisons morales. Il est interdit de se conduire ainsi dans une communauté religieuse... Ils ne peuvent plus assurer le montant de leur prêt pour leur appartement et doivent se séparer provisoirement afin de trouver un logement moins coûteux. Ils réunissent leur neveux et leur demandent de les héberger. Mais, ils sont obligés de se séparer car personne ne peut les accueillir en tant que couple. On les voit donc en difficulté dans leur foyer respectif. George, amateur de musique baroque, supporte avec philosophie, les fêtes permanentes et bruyantes chez son neveu. Ben se sent de trop et partage le malaise familial et la vie tumultueuse de son petit-neveu. Ils se retrouvent régulièrement pour se consoler et espérer en vain un logement. Mais, un jour, George qui s'est mis à peindre, tombe dans les escaliers et se fait hospitaliser. La famille se lasse de les aider et on voit bien les limites de chacun pour vivre une certaine solidarité. Leur histoire commune, toute en douceur et toute en délicatesse, touche le spectateur et même, si ce film se termine mal, il montre un amour  "strange" mais vraiment solide et sincère, comme peuvent l'être aussi les traditionnelles amours "hétérosexuelles"... Un beau film, rare et discret, une romance new-yorkaise sensible et attachante.

mercredi 19 novembre 2014

Atelier de lectures, 2

Régine a découvert un roman qui l'a "emballée" : "Crime d'honneur" de l'écrivaine turque, Elif Shafak aux éditions Phébus en 2013 (et disponible dans la collection 10/18). Elle écrit ses romans aussi bien en turc qu'en anglais (source Wikipédia, voir sa notice biographique). Son roman a obtenu le prix Relay des voyageurs. Son livre raconte l'histoire d'une famille kurde dont une partie a immigré à Londres dans les années 70. La grand-mère ne donne naissance qu'à des... filles, comble du malheur dans cette culture phallocratique. Deux jumelles auront des destins différents et Elif Shafak analyse dans son œuvre le choc des cultures entre l'envie d'Occident, libre et démocratique et le poids ancestral des traditions. Un coup de cœur en pleine actualité. Régine a mentionné trois grandes réussites dans la catégorie des premiers romans à retenir : "Le liseur de 6h27" de JP Didierlaurent, "L'immeuble des femmes qui ont renoncé aux hommes" de K. Lambert et "Look" de Romain Villet. Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons manqué de temps, mais en résumant, Evelyne a bien aimé les textes courts de J.-B. Pontalis, "Marée haute, marée basse", textes mélancoliques et lucides sur les aléas de l'existence avec une écriture "gallimardienne"... Geneviève a lu avec un intérêt mesuré "Livret de famille" de Patrick Modiano tout en louant le style du roman autobiographique. Dany s'est ennuyée en parcourant l'essai de Joël Vernet, "Marcher est ma plus belle façon de vivre"... Janine a apprécié le roman de Leonor de Recondo, "Rêves oubliés" ou l'histoire d'une famille de républicains basques fuyant le franquisme en 1936. Et Régine a terminé la séance de lectures en évoquant le roman de Rachel Cusk, "Contrecoup", disponible en poche. Cette écrivaine américaine (à suivre...) analyse avec beaucoup de justesse et de finesse, les moments de la vie d'une femme en rupture dans le cadre familial (séparation, divorce, problème des enfants). Et l'écriture considérée comme une planche de salut. L'atelier de lectures n'a qu'un objectif : donner envie de lire, de découvrir de nouveaux romans, de suivre l'actualité littéraire, d'échanger, de partager. Pari réussi ? je l'espère !

mardi 18 novembre 2014

Atelier de lectures, 1

Aujourd'hui, mardi 18 novembre, nous étions huit lectrices à nous retrouver à la Maison de Quartier du centre ville. Nous avons démarré l'atelier par les coups de cœur : Geneviève avait surtout lu avec plaisir les "Nouvelles oubliées" de Dino Buzzati, un écrivain qu'elle affectionne car d'une petite anecdote toute simple, l'histoire part en "vrille". Elle y trouve aussi des réflexions sur la vie et sur la mort. Evelyne a beaucoup aimé le roman d'Eric Reinhardt, "L'amour et les forêts", paru chez Gallimard, ou l'histoire d'une femme harcelée mortellement par son mari. Ce roman n'a pas obtenu les "grands prix littéraires" et s'est heureusement "consolé" avec un succès important auprès du public. Elle a aussi lu "Les tendres plaintes" de Yoko Ogawa, un beau portrait d'une femme calligraphe se réfugiant à la campagne pour fuir son mari infidèle. Elle rencontre un couple qui changera sa vie. Evelyne nous a offert un troisième coup de cœur avec le Prix Goncourt, "Pas pleurer" de Lydie Salvayre, un roman à double voix, celle de la mère de la narratrice, républicaine espagnole, et celle de Georges Bernanos, grand témoin de la Guerre d'Espagne. Un beau roman à lire et un prix entièrement mérité. Janine est en pleine lecture du livre d'Emmanuel Carrère, "Le Royaume". Elle avance lentement et va essayer de le terminer. Mais, ce livre s'avère plus difficile à lire surtout si on ne possède pas les références religieuses et historiques du début de la chrétienté. Elle a lu sans problème le bon roman historique de Clara Dupond-Monod, "Le Roi disait que j'étais diable". Marie-Christine a cité un texte initiatique d'un écrivain chinois, Lianké Yan, "Les jours, les mois, les années" ou l'histoire d'un vieux paysan qui surveille un épi de maïs alors que la sécheresse sévit. Sylvie a mentionné le dernier roman de Tracy Chevalier, "La dernière fugitive", l'histoire d'une jeune femme anglaise s'expatriant dans une  Amérique de Quakers en 1850, et jouant un rôle dans l'émancipation des esclaves. Elle avait déjà eu un grand coup de cœur pour le très bon "Prodigieuses créatures" du même auteur. Elle a aussi apprécié "Dans le silence du vent" de Louise Erdrich et a conseillé pour se "détendre", "Demain, j'arrête" de Gilles Legardinier. Demain, suite du compte-rendu de l'atelier, coups de cœur et lectures obligatoires... 

lundi 17 novembre 2014

"La Femme d'En Haut"

Depuis que j'avais découvert Claire Messud, écrivaine américaine, j'ai attendu son nouveau roman et il a fait, enfin, son apparition à la rentrée de septembre. J'avais beaucoup apprécié son précédent, "Les Enfants de l'empereur", édité chez Gallimard en 2001. L'héroïne du roman, "La Femme d'En Haut", se nomme Nora Eldridge. Elle se sent profondément artiste mais, elle n'arrive pas à vivre de son art, et s'est consacrée à l'enseignement. Célibataire endurcie, elle se sent seule et quand elle rencontre la mère du petit Reza,  une artiste italienne, elle se sent attirée irrésistiblement par Serena, Reza et le mari professeur libanais, Skandar. En apprenant que l'institutrice veut reprendre une activité artistique, Serena lui propose de partager un atelier. A partir de ce moment-là, la vie de Nora va complètement changer. Serena devient son amie intime, Reza l'adopte comme une parente proche, et Skandar fait de longues marches avec elle à travers la ville. Elles travaillent sur des projets différents : Serena se spécialise dans des installations-performances et Nora fabrique des "dioramas", des chambres d'écrivaines en miniature dont celles Emily Dickinson. Les deux femmes s'entraident, s'apprécient, sortent ensemble mais un écart se creuse entre elles car Serena est reconnue par le milieu artistique. Le petit garçon s'attache à Nora et elle le garde de plus en plus souvent quand les parents la sollicitent. En fait, Nora adopte une famille et cette famille l'adopte-t-elle vraiment ? Serena reçoit une proposition de Paris et elle ne peut renoncer à son projet. La famille quitte les Etats-Unis en abandonnant Nora. Celle-ci garde un contact avec eux et décide de prendre des vacances et de les rejoindre à Paris  Serena va enfin découvrir la vérité des liens qu'elle a forgés avec eux. Je ne veux pas dévoiler la fin du livre. Il faut lire cet excellent roman psychologique, un des meilleurs de la rentrée 2014.

vendredi 14 novembre 2014

Escapade madrilène, 5

Le jeudi 6 novembre, j'avais programmé une visite au Monastère de l'Escorial à 50 kilomètres de Madrid. Il fallait prendre le métro jusqu'à une gare routière et un car m'a conduite directement au Monastère, construit au XVIe par le roi Felipe II. Dès l'arrivée, on ressent un frisson tellement le lieu est l'austérité même. Peu de touristes en vue, et quand j'ai pénétré dans les couloirs sombres et froids, on pouvait imaginer la vie monastique de ce roi très pieux. En arpentant ce labyrinthe, je me suis rendue compte de la "folie" architecturale de cet ensemble qui ressemble à un gril, instrument de torture de Saint Laurent à qui il est dédié. La modestie des appartements royaux (la chambre et le bureau du roi) contraste avec le baroquisme excessif de la Basilique, du Panthéon tout en marbre où sont enterrés les Rois d'Espagne et la bibliothèque impressionnante.  Je m'étais décidée pour cette raison : voir cette bibliothèque royale, réputée pour sa magnificence. Elle fait même partie d'une liste des 20 plus belles bibliothèques du monde. Après avoir traversé toutes ces salles, les tombeaux des monarques et de leurs enfants, les appartements, la Basilique magnifique, j'ai enfin atteint mon but : voir ce bijou architectural sans pouvoir prendre quelques photos. Le plafond a été décoré par un artiste italien, Tibaldi. J'aurais bien feuilleter les 40 000 volumes dont ceux du Roi Felipe II, mais il était interdit de les toucher, évidemment. En revenant sur Madrid, j'ai aperçu des taureaux dans un paysage de collines entièrement vertes. Je me sentais au cœur de l'identité traditionnelle espagnole... Je termine la semaine avec l'évocation de l'Escorial et cette escapade en terre castillane m'a permis de réaliser un bon nombre de rêves que je gardais en moi : voir le Guernica de Picasso, la ville vivante, vivifiante et tourbillonnante, les musées, les places, le métro, les restaurants populaires, dans une ambiance bon enfant, simple et sympathique. Dans mon tour des capitales européennes que je veux réaliser depuis que je suis à la retraite,  Madrid arriverait en cinquième position après Rome pour son millefeuille historique, Lisbonne pour ses Azulejos, son Tage et ses collines,  Amsterdam pour les canaux et les maisons, Venise pour ses palais sur la mer... Quand je pense à toutes les villes à découvrir, j'ai encore de belles escapades à vivre... 

jeudi 13 novembre 2014

Escapade madrilène, 4

Après le Musée Sorolla,  j'ai fini la journée dans un merveilleux espace complètement rénové, je veux parler du Musée archéologique de Madrid (MAN). Quand j'étais "jeune", je ne m'intéressais pas aux Temps Anciens, (peut-être un effet de l'âge), mais plus je prends des années, plus je me passionne pour l'Antiquité... Quel a été le déclencheur de cette nouvelle passion culturelle ? Certainement, mes voyages en Sicile où j'étais fascinée par le théâtre grec de Taormina et ma visite de Syracuse,  en Grèce devant le Parthénon sur l'Acropole et à Epidaure, sans oublier la France avec le beau village de Vaison La Romaine... Dans ce bâtiment d'une architecture classique, similaire à la Bibliothèque nationale espagnole, les espaces ont été redessinés offrant un éventail temporel de la Protohistoire à la Préhistoire, de l'Antiquité gréco-romaine aux débuts de la chrétienté. Je suis restée longtemps dans l'étage consacré à la civilisation grecque car les conservateurs du musée ont judicieusement  présenté des vitrines thématiques en mélangeant les statuettes, les vases, les objets divers. On peut donc visualiser la vie quotidienne, culturelle, religieuse, sociale, politique avec des textes très pédagogiques. Je n'avais jamais vu une telle mise en scène favorable à une compréhension immédiate et non intimidante. J'avais l'impression d'être parmi eux... Madrid concurrence bien le Louvre avec ce musée extraordinaire. J'étais tellement excitée par cette découverte que j'y suis retournée la veille de mon départ !  Dans la journée de mercredi, encore une rencontre avec Sorolla et les Etats Unis dans une Fondation (Mapfre), située à deux pas de l'hôtel... Vers midi, j'ai pris un rendez-vous avec un guide pour visiter la Bibliothèque nationale, mais je n'ai pas vu grand chose car la salle de lectures était occupée par des chercheurs et j'ai écouté l'historique de la construction, le rôle de Felipe II, les personnages représentés par les statues, des anecdotes sur le fonctionnement (la BNE était fermée aux femmes jusqu'au milieu du XXè siècle !). Le guide ne nous pas montré les réserves et s'est cantonné à une grande salle de réunion (bien modeste par ailleurs)... Je suis restée sur ma faim car je pensais pénétrer dans le cœur de l'institution. J'ai vu deux belles expositions dans le sous-sol : une sur l'histoire de l'écriture et une sur les incunables de musique liturgique. Comme il faisait un peu froid (15°), je suis rentrée dans la chocolaterie la plus connue de Madrid dans le quartier de San Ginès et j'ai savouré des churros avec une tasse de chocolat, une merveille de la culture espagnole ! Comme les musées ferment à 20h, je me suis rendue dans le nord de la ville pour visiter le "Galdiano", une maison-musée d'un éditeur et collectionneur mécène. Entre mes visites des musées et mes balades dans les rues et les places, la journée passait trop vite...

mercredi 12 novembre 2014

Escapade madrilène, 3

Le mardi 4 novembre, j'ai continué mon chemin vers les musées, un peu moins connus des touristes "culturels" : le Museo de la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando et le Museo Sorolla. Dans le premier, j'ai découvert une collection assez disparate, constituée de peintres espagnols mais comme dans tout musée qui se respecte, on tombe sur des tableaux surprenants, je pense en particulier à une nature morte de Zurbaran, une modeste corbeille de citrons jaunes mais quelle beauté surréaliste dans ces fruits ! J'ai vu aussi un très beau Goya (La fête de la sardine), des Sorolla et un Juan Gris. Après la peinture, je me suis dirigée vers les places les plus animées de Madrid : la Plaza Mayor et la Plaza de la Puerta del Sol. La première est connue pour son architecture du XVIe siècle avec la statue équestre de Felipe II. Je n'ai pas pu admirer les façades de certains bâtiments pour cause de travaux de rénovation... Mais j'ai ressenti une harmonie et un charme total sous les arcades de la place, l'une des plus belles de Madrid et surtout consacrée aux piétons... J'ai vu la différence "sociale" en pénétrant dans la Puerta del Sol, lieu de débats, de manifestations, de spectacles où les jeunes se retrouvent souvent assis sur les bords d'une fontaine. Une ambiance de "movida" et un mélange détonnant de contestataires paradoxalement bienveillants. L'Espagne est un pays en pleine ébullition démocratique avec un héritage royal indiscutable. Quand j'ai visité le Palais Royal situé dans le quartier des Austrias, j'ai vérifié le luxe insensé dans lequel la monarchie vivait. Dans un décor de cinéma, j'ai traversé la salle à manger, la salle de bal, les salons dorés avec les plafonds décorés, les meubles raffinés, les tableaux par centaines, les lustres baroques,  on s'imaginait dans un film historique et je pensais que mes ancêtres étaient plus du côté des paysans affamés que des nobles empanachés... Dernière étape de la journée après un déjeuner à trois heures de l'après-midi au café Gijón, fréquenté par les écrivains depuis cent ans, je suis repartie dans le nord de la ville pour visiter le Musée Sorolla, une petite merveille de maison, avec le mobilier d'origine, et remplie de toiles de ce peintre impressionniste, qui a peint la mer à merveille, les vacances à la plage, avec des portraits de femmes et d'enfants, nimbés d'une lumière incroyablement rendue. Une découverte totale pour moi et une très bonne surprise en cette fin de journée...

mardi 11 novembre 2014

Escapade madrilène, 2

Au programme du lundi 3 novembre, le "Thyssen" situé entre le Prado et la Reina Sofia. Un très beau musée, installé dans un palais du XVIIIè avec des toiles de Guardi, Canaletto, Degas, Gauguin, Van Gogh, Picasso, Kandinsky, etc. Je ne peux pas citer tous les grands peintres mais je suis tombée à l'arrêt devant le seul Giacometti que j'aime énormément, et un Hopper magique sur la solitude. J'ai eu la surprise de trouver deux Morandi, un artiste-peintre de Bologne qui peint des natures mortes "spirituelles" avec des bouteilles. Après cette halte de deux heures à arpenter ces salles très agréables malgré une fréquentation importante, j'ai poursuivi mes visites culturelles en prenant l'air du côté de la Plaza Santa Anna pour prendre en photo la statue de Federico Garcia Lorca, et en parcourant ces rues du quartier nommé "Las Lettras", je pouvais lire des phrases incrustées dans le sol de différents écrivains dont Lope de Vega : un hommage délicieux à la littérature espagnole ! Avant de visiter le Prado, j'ai voulu rentrer dans la gare d'Atocha, célèbre pour son jardin botanique à l'intérieur et son architecture à la Gustave Eifel (et aussi pour l'attentat terroriste de 2004 qui a provoqué la mort de 300 victimes). Près de la gare et longeant le parc Retiro, on trouve une rue entière d'échoppes de bouquinistes, peintes en gris et proposant des milliers de livres à des prix raisonnables. Quant au Prado, j'avoue ma légère déception car je l'imaginais aussi vaste que Le Louvre. La centaine de salles offrent un panorama exhaustif de la peinture espagnole (El Greco, Vélasquez, Goya, Zurbaran) mais, pour ma part, je ne trouve pas la lumière qui illumine les tableaux de la Renaissance italienne... J'ai toutefois été très impressionnée par les peintures noires de Goya, teintées de désespoir, de folie et de démesure : une peinture hallucinatoire et angoissante. Quel peintre pour son époque ! Et cela changeait de tous les portraits de nobles espagnols... Après ces Goya fantastiques, j'ai admiré les toiles de Jérôme Bosch et celles de Patinir que j'aime tout particulièrement. Une journée assez douce dans la journée avec un soleil castillan et une toute petite pluie vers 18h : il pleut sur Madrid quarante jours par an... Et on peut vite se protéger dans les nombreux musées, oasis de beauté et de culture.

lundi 10 novembre 2014

Escapade madrilène, 1

J'avais toujours rêvé de voir le tableau de Picasso le plus célèbre du monde, je veux parler du "Guernica" et pour profiter encore d'un temps clément, j'ai pris un billet aller-retour pour Madrid. J'avais choisi un hôtel dans le Paseo del Arte, donc proche des trois musées incontournables de la ville : le Prado, le Thyssen et la reine Sofia. Comme je suis restée six jours, je vais relater mon séjour en quatre billets concernant les lieux visités. Dès le dimanche, je me suis précipitée vers le musée de la reine Sofia pour le Guernica et quand je me suis trouvée devant cet immense chef d'œuvre, je n'étais pas la seule admiratrice et un silence contemplatif régnait dans la salle. J'ai éprouvé une émotion rare, provoquée par la beauté de la peinture monochrome dans toutes les nuances de noir, gris et blanc avec des corps mutilés, explosés, étalés sur la toile. Ce cri de colère de Picasso contre la Guerre d'Espagne montre aussi toute la puissance de l'art qui sert à dénoncer l'horreur de la violence humaine. Ce tableau résume à lui seul "le sentiment tragique de la vie", selon le titre d'un ouvrage de Miguel Unamuno. Le musée offre une collection formidable de l'art moderne et j'ai retrouvé avec plaisir d'autres Picasso, des Juan Gris, des Gauguin, Bacon, des peintres cubistes, surréalistes, réalistes : un vrai régal pour les amoureux de la peinture du XXè siècle. Après cette visite étourdissante, j'avais noté sur un site de Madrid, l'exposition de la Caixa Forum, "Del mito à la razon", sur l'Antiquité grecque. Avant de pénétrer dans l'espace muséal, j'ai remarqué le mur végétal du bâtiment et ce mur de fraîcheur apportait une note bienfaisante de vert au milieu du boulevard où la circulation électrise l'atmosphère. J'ai retrouvé des mosaïques, des statues, des urnes funéraires, des vases en céramique de ma chère Grèce antique. J'avais fait un bond de trois mille ans entre Picasso et les Grecs et je mesurais l'importance du rôle de l'art dans les civilisations... J'ai déambulé dans le quartier pour goûter l'air madrilène, une grande capitale culturelle qui m'allait comme un gant !

jeudi 30 octobre 2014

"Constellation"

Le sujet de ce roman est grave et de circonstance en cette veille de Toussaint car il traite du crash d'avion, le Lockheed Constellation F-BAZN d'Air France, aux Açores en 1949. Mais, combien de fois a-t-on imaginé les vies des passagers quand on apprend les accidents souvent mortels de ces énormes avions transportant des centaines de passagers. Adrien Bosc se saisit de ce drame aérien pour composer un livre-enquête d'une vérité saisissante qui redonne vie à ces passagers pour certains très célèbres. Ses investigations le conduisent à relater la vie de Marcel Cerdan, amoureux fou d'Edith Piaf, et du rôle du hasard dans la vie de chacun d'entre nous. Il évoque la grande musicienne, Ginette Neveu, violoniste de génie, morte à 30 ans. Et les passagers anonymes s'animent quand il raconte leur histoire et leur manque de "chance" pour avoir choisi ce vol maudit. Adrien Bosc a voulu "entendre les morts, écrire leur légende minuscule et offrir à quarante-huit hommes et femmes, comme autant de constellations, vie et récit". J'ai surtout remarqué les portraits des bergers basques, se rendant en Amérique pour faire fortune et je connais, évidemment, la saga des immigrants de ce tout petit pays à l'identité forte et affirmée mais qui ne nourrissait pas suffisamment les cadets de la fratrie (seul, l'aîné héritait de la ferme familiale). Ce premier roman a déjà obtenu un franc succès auprès du public et l'enquête minutieuse que l'auteur a mené mérite notre admiration. Le hasard, la malchance, l'injustice, les circonstances inexplicables, les raisons objectives, peuvent provoquer des drames irréversibles et faire basculer des vies entières vers le néant... La littérature s'inspire d'un réel tragique et réhabilite ces hommes et ces femmes, célèbres et inconnus dans un récit-épopée qui raconte une catastrophe aérienne et surtout humaine. Un premier roman à découvrir qui vient de recevoir aujourd'hui, le Grand Prix de l'Académie française.

mardi 28 octobre 2014

Rubrique cinéma

Le dernier film de Woody Allen, "Magic in the Moonlight", diffuse toujours la même mélodie que l'on aime chez le cinéaste américain, si amoureux de notre belle Europe... Cette mélodie mélange des notes de musique de jazz avec des images nostalgiques d'un Sud de la France dans les années 30 où seuls les riches Anglais et Américains pouvaient s'offrir le luxe de vivre dans un paradis terrestre peuplé de pins parasol, de maisons de maître, munies de terrasses sublimes avec vue sur la Méditerranée ! Un magicien anglais se travestit en chinois pour ses spectacles. Un de ses amis veut qu'il démystifie une jeune femme médium dans une famille richissime complétement fascinée par le spiritisme. Notre magicien lucide et cynique assiste aux scènes de communication avec le père défunt et ne détecte aucune supercherie de la part de la jeune femme. Il commence à ressentir une certaine admiration quand elle lui révèle quelques secrets de famille. Il se prend donc dans les mailles de la jeune fille médium, et éprouve une attirance irrésistible. Sa raison flanche et il se met à croire au monde des esprits... Je ne donnerai pas la fin de l'intrigue et on retrouve avec plaisir la facétie de Woody Allen, son humour teinté de nostalgie et surtout son romantisme à la Marivaux. Ce film n'est pas un grand cru du cinéaste mais il se laisse "boire" comme un vin léger, un Rosé de Provence, surtout en ce moment d'été indien. Télérama parle de film délicieux, farfelu et charmant. A voir pour se changer les idées...

lundi 27 octobre 2014

"Et rien d'autre"

Ce roman, écrit par le grand écrivain américain, James Salter (89 ans !), se lit avec un très grand plaisir et il a  bénéficié à la rentrée,  de nombreuses critiques littéraires dithyrambiques...  Le personnage central se nomme Philip Bowman et sa vie nous est contée d'une façon linéaire, sans flash-back du présent au passé ou vice-versa. Il a fait la guerre au Japon dans un porte-avions et quand il revient dans son pays, il veut devenir journaliste. Il trouve par hasard un poste de secrétaire dans une maison d'édition car il a deux passions dans la vie : la littérature et l'amour. Il découvre un milieu professionnel complexe, fermé mais fascinant. Il réussit à s'intégrer et, même à conquérir une place enviable. James Salter évoque un monde littéraire qui ressemble à celui de Paris et du 5è arrondissement. Les fondateurs restent longtemps à la tête de leur maison comme la famille Gallimard... Il reste pourtant un domaine où il rencontre quelques déconvenues : ses relations avec les femmes. Il tombe amoureux de sa première épouse sans se rendre compte qu'il ne partage rien avec elle et il finira par le comprendre quelques années plus tard, après un mariage décevant. Ensuite, il fera des rencontres sans lendemain, et vivra même une seconde passion amoureuse avec une femme qui le trahira. Autant sa vie professionnelle semble le combler, autant sa vie intime frôle le désastre. James Salter décrit un destin d'homme des années 45 aux années 2000 avec ses illusions et ses désillusions, ses bonheurs et ses malheurs, ses joies et ses souffrances, une vie humaine en somme...  François Busnel de la revue Lire, se montre enthousiaste pour James Salter qu'il qualifie de "derniers grands géants de la littérature mondiale", et dans un entretien, l'écrivain américain explique sa vocation ainsi : "Il arrive un moment où vous savez que tout n'est qu'un rêve, et que seules les choses qu'a su préserver l'écriture ont des chances d'être vraies"... Un beau roman nostalgique, intimiste et profond, d' un charme indescriptible...

jeudi 23 octobre 2014

"Charlotte"

Charlotte Salomon est un personnage de roman et une personne vraie dont le destin a fasciné David Foenkinos. Ce texte présente des éléments biographiques vérifiés par l'écrivain sur place (il a sérieusement enquêté auprès de quelques témoins encore vivants) et il apporte un souffle romanesque et dramaturgique en décrivant la vie intime de Charlotte. Dans un article de la revue Page, David Foenkinos relate son "coup de foudre" pour cette artiste méconnue. Il découvre par hasard une exposition à Paris sur Charlotte et cette une rencontre déterminante le conduira à entreprendre des recherches, "marcher sur tous les lieux de sa vie, retrouver des témoins. Et surtout, savoir comment écrire ce livre. (...) J'ai voulu aussi raconter cela. L'étrangeté d'une passion qui ne s'atténue pas et les questions d'un auteur concernant un sujet qui le hante, le dépasse parfois." Il explique la construction de ce livre à trois étages : la vie de Charlotte, la description de son œuvre, ses recherches et les sentiments à son égard. La forme du texte s'est imposée à l'auteur comme une évidence et ce parti-pris de phrases courtes ne m'a pas du tout gênée, bien au contraire. En quelques mots et sans révéler l'essentiel du destin de Charlotte, cette jeune femme naît à Berlin dans un milieu aisé entre un père médecin et une mère au foyer. Mais, sa vie est teintée de mélancolie car elle apprend la fascination du suicide dans la lignée maternelle. L'amour de l'art va sauver Charlotte :  elle dessine et va intégrer une école des Beaux-Arts pourtant interdite aux Juifs. Elle tombe amoureuse d'un professeur de chant qui gère la carrière de sa belle-mère, cantatrice. Puis, le piège nazi se referme sur elle. Elle fuit en France, et s'installe dans une maison à Villefranche-sur-Mer. Elle sera dénoncée à la Gestapo et périra dans un camp de concentration à 26 ans. David Foenkinos écrit un très bel hommage à cette femme artiste, broyée par la folie du nazisme, mais transcendée par l'art. Un beau portrait de femme et une histoire émouvante, écrite avec une sobriété remarquable.  

mardi 21 octobre 2014

"La confusion des peines"

J'ai découvert Laurence Tardieu avec "Une vie à soi" paru en septembre. J'ai voulu comprendre sa démarche d'écriture autofictionnelle en empruntant "La confusion des peines" où elle raconte le naufrage de son père, dirigeant haut-placé dans une entreprise nationale. Il a financé les partis politiques pour l'obtention de marchés publics concernant l'eau. Cette affaire de corruption en 1996 le conduit en prison, lui, le grand bourgeois... Son père lui conseille de ne pas écrire sur cet acte stupide qui a fracassé une famille entière. Mais sa fille, Laurence, la narratrice écrit : "Voilà pourquoi, aujourd'hui, je prends la parole. Contre ton autorisation, je prends la parole. J'ai trente-sept ans et pour la première fois de mon existence, je fais quelque chose que tu m'as priée de ne pas faire. Je prends la parole parce que je ne peux pas faire autrement. Je prends la parole pour reprendre mon souffle." Cette phrase incantatoire traduit la mission de l'écriture, une thérapie salutaire et libératrice, une autopsychanalyse littéraire. Sa propre vie bascule quand sa mère meurt à 59 ans d'une tumeur au cerveau. Son père est mis aux bans de la société alors que son destin social aurait dû suivre une voie toute tracée quand on naît dans les beaux quartiers de Paris. Son père refuse de justifier son attitude et Laurence Tardieu attaque avec la hache des mots, ce mur de silence : "Après tout, n'est-ce pas l'objet premier de l'écriture : tenter de s'approcher de ce qu'on ne comprend pas, et qui nous brûle ?". Peut-être que cette foi dans la compréhension des événements lui apporterait un certain apaisement... Plus loin, cette phrase décrit sa détermination : "Ma manière d'être au monde, de regarder les autres, de vivre, d'aimer, d'écrire, tout ça s'en est trouvé profondément modifié. Combien de vies dans une vie ?" Au fond, elle écrit une "Lettre au père" en citant Kafka. Elle ne trouvera pas la clé de l'énigme paternelle car il n'a jamais voulu s'expliquer et ce texte se termine par ces mots : "Ce livre je te le donne, je l'ai enfin écrit. Je suis sortie du silence. Je suis devenue une femme." Un beau récit littéraire incandescent au cœur d'une famille où règne les non-dits, les secrets et les malentendus... que, seule, l'écriture peut peut-être réparer.
 
 

samedi 18 octobre 2014

Atelier de lectures, suite

Et nous avons abordé les nouveautés... Dans la première séance de septembre, j'avais demandé que chaque lectrice choisisse un roman de la rentrée. Ces livres nous permettent de prendre pied dans la littérature d'aujourd'hui et surtout, en achetant une nouveauté en librairie, nous pouvons en lire une bonne dizaine en échangeant, évidemment, nos impressions quand ils circuleront tout au long de l'année. Nous avons commencé par le Colombien J.G. Vasquez, "Les réputations", présenté par Geneviève. Elle a bien aimé ce roman aux allures de thriller où l'on voit le talent d'un caricaturiste provoquer le suicide d'un député dont la réputation est en jeu. Ce sujet ultra-contemporain (l'influence délétère des médias sur "les réputations") concerne avant tout le milieu politique. Janelou a beaucoup apprécié "Charlotte" de David Foenkinos,  un récit en forme de poème ou de phrases courtes. L'auteur se saisit de Charlotte Salomon, jeune fille juive et allemande. Ses peintures sont exposées à Amsterdam, et sa vie tragique ne pouvait que le passionner. Charlotte perd sa mère et sa tante car dans cette famille, le suicide reste un lourd secret de famille. La petite fille grandit entre un père médecin et une belle mère cantatrice. Elle sort très peu et passe son temps à dessiner. Elle rencontre un professeur de chant et en tombe furieusement amoureuse. David Foenkinos raconte aussi sa quête pour découvrir les traces laissées par Charlotte Salomon à Berlin, dans le Sud de la France. Ce texte lancinant peut séduire ou surprendre mais on ne peut pas être insensible à ce destin de femme peintre, morte à 26 ans dans un camp de concentration. Dany a choisi le dernier titre de Haruki Murakami, "L'Incolore Tsukuru Tazaki et ses années de pèlerinage". Elle est séduite par l'univers de cet écrivain japonais qui possède un "fan-club" impressionnant. Un architecte trentenaire se sent bloqué dans ses relations car il a été rejeté par quatre de ses amis sans  connaître le motif de cette exclusion. Il part donc en pèlerinage pour résoudre ce mystère... Evelyne a résumé avec beaucoup de précisions et de rappels historiques le roman historique de Clara Dupont-Monod, "Le Roi disait que j'étais diable" , ou un texte à deux voix, celle d'Aliénor d'Aquitaine et celle de Louis VII dans une relation tumultueuse, entre une femme guerrière et un homme religieux... Un texte relatant avec bonheur l'atmosphère de ces années 1137-1152, une époque bien lointaine mais si proche, au fond. Janine nous a présenté "L'amour et les forêts" d'Eric Reinhardt, un roman sur le harcèlement d'un mari sur sa femme, trop soumise, victime d'un pervers narcissique. Une performance littéraire d'après Janine et une histoire courante qui peut toucher un grand nombre de lectrices. Régine s'est intéressée au roman d'Eliette Abécassis, "Un secret du Docteur Freud". Ce livre raconte l'hésitation du psychanalyste en 1938 quand il était temps de quitter Vienne et la menace nazie. Pour quelle raison, Freud refuse de s'exiler ? Il faut lire le roman pour connaître son secret... Mylène aime depuis longtemps l'univers d'Annie Ernaux. Elle a donc acquis son dernier opus "Le vrai lieu", une suite d'entretiens entre l'écrivaine et Michelle Porte, sur ses lieux de prédilection, ses parents et surtout son engagement total dans l'écriture, son "vrai lieu" de vie. J'ai essayé de résumer au mieux les propos de mes amies-lectrices et je leur donne rendez-vous le 18 novembre, dans un mois avec beaucoup de découvertes et une avalanche de prix littéraires... Les romans que j'ai cités seront-ils primés ?

jeudi 16 octobre 2014

Atelier de lectures

Mardi 14 octobre : deuxième atelier de lectures à l'AQCV de Chambéry avec huit lectrices fortement motivées... Nous avons évoqué, dans la première partie de l'atelier, le Prix Nobel de Littérature attribué à Patrick Modiano. Un écrivain somme toute bien peu lu et assez incompris et j'ai vivement encouragé la lecture de ses romans, des romans fugaces sur la mémoire des lieux disparus, des êtres perdus, oubliés, des bribes de souvenirs autofictifs. La planète Modiano, on adore, on adhère ou on laisse vite tomber... Pour ma part, j'aime cette voix sourde, cette voie hasardeuse, ce lamento obsessionnel sur le temps effacé, sur un Paris fantasmé, sur la recherche de traces du passé dans un présent incertain. Comme l'Antiquité me fascine, je me retrouve dans cette littérature d'une mémoire archaïque qui fouille des ruines du XXè siècle. En deuxième partie, le tour de table a démarré avec les coups de cœur : Geneviève a lu "Le Voyage au bout de la nuit" de Céline et ce livre ressemble à un secousse électrique par son style inimitable, sa dénonciation de la guerre, sa défense des humbles, mais la discussion s'est portée sur le Céline antisémite et sur la difficulté d'aborder une œuvre littéraire en fonction de l'idéologie de son auteur... Vaste débat ! Janelou a lu avec émotion, un récit autobiographique très touchant de Noëlle Chatelet sur la mort volontaire de sa mère, "La dernière leçon". Véronique nous a parlé de "La place" d'Annie Ernaux, un beau livre sur les parents de l'écrivaine et sur la distance culpabilisatrice qui s'établit entre une fille cultivée et éduquée et ses parents modestes, n'ayant pas fait d'études. Elle a cité aussi "Les 10 rêves de pierre" de Blandine Le Callet (10 nouvelles sur les épitaphes) et "La jeune fille suppliciée sur une étagère" d'Akira Yoshimura. Dany a découvert "Le dernier Lapon" d'Olivier Truc, un policier français aux forts accents scandinaves, déjà recommandé par Régine dans un précédent atelier. Pour terminer les coups de cœur, Régine a repris le roman de Kamel Daoud, "Mersault, contre-enquête". Ce premier roman rencontre déjà un grand succès et vient d'obtenir le prix François Mauriac. Cet hommage à Albert Camus rappelle évidemment "L'étranger" et Régine nous a lu quelques extraits pour montrer la force du sujet (on est tous des étrangers dans son propre pays...) et la beauté du style. Un roman à lire absolument...

mercredi 15 octobre 2014

"Photos volées"

Ce roman de Dominique Fabre, édité chez L'Olivier diffuse une note mélancolique et nostalgique. Comme on se rapproche de la Toussaint, étape dans l'année pour rendre un hommage aux disparus,  "Photos volées" ressemble à un recueil de souvenirs... J'avais envie d'interrompre sa lecture par manque de rythme, de vitalité, de tonicité, mais ma patience a  pris le dessus pour le lire jusqu'au bout. Je respecte le travail d'un écrivain et j'ai essayé de  trouver dans ces pages,  du charme, lié à la nostalgie et aux regrets. Le héros déprimé du roman se nomme Jean, il a 58 ans et vient de perdre son emploi dans une société d'assurances. Libéré d'un travail sans intérêt, il est obligé d'en chercher un autre et les scènes décrites au sein de l'ANPE sont assez désespérantes même si l'auteur utilise l'ironie à bon escient. Il dresse le bilan de sa vie et veut trier ses affaires. Il a tout le temps de s'adonner à sa passion qu'il avait abandonnée.  Il se refugie dans ses "photos volés", qui racontent son histoire. La photographie maintient  Jean, "debout", vivant et actif. Il reprend toutes ses anciens clichés, formant un vrai kaléidoscope concernant les femmes de sa vie, ses déambulations dans Paris, ses petites escapades, ses amis, etc.  Comment vivre ce temps soudain libre de toutes obligations ? Il ressent un sentiment de vacuité, de solitude et d'égarement, mais peu à peu, il retrouve le goût de vivre grâce à des rencontres et à une nouvelle relation amoureuse. Et ce cadeau inattendu , le temps enfin délivré, le réconcilie avec cet art furtif et immédiat, la photographie... Dominique Fabre semble nous susurrer que la vie peut encore réserver de belles surprises surtout, quand on ne s'y attend pas le moins du monde... Un  roman d'aujourd'hui réaliste qui relate une double crise, celle d'un quinquagénaire au chômage et celle d'une société en plein doute.

lundi 13 octobre 2014

Rubrique cinéma

Cet après-midi, j'ai vu "Mommy" de Xavier Dolan : un film à haut risque émotionnel... Un portrait d'un couple mère-fils dans une relation passionnelle et invivable. Les premières images sont d'emblée très fortes : la mère doit récupérer son fils responsable d'un incendie dans une cafétéria d'un centre fermé pour adolescents. Son  fils, Steve, souffre d'hyperactivité, tendance "opposant-provoquant". Il est déscolarisé, et ne peut pas se contrôler : il explose  souvent avec une violence verbale (argot fleuri du Québec) et physique, jusqu'à battre sa mère. Elle décide de le garder chez elle malgré la maladie mentale. Une voisine, ancienne enseignante atteinte d'un blocage de la parole, les observe et les rejoint en proposant son aide. Steve va accepter la présence de cette femme patiente, généreuse mais aussi ferme car elle arrive à calmer le jeune homme. Tous les trois vont alors former un trio solidaire, parfois joyeux car l' amitié entre les deux femmes leur donne des forces. La tension du film s'atténue dans certaines scènes : des moments de repas, de danses, de balades en vélo."Mommy" vit aussi une galère totale car on lui retire des piges dans un magazine. Elle se débat sans cesse dans les difficultés  : entre un fils malade, une situation précaire, un isolement social, un manque de soutien familial... Et pourtant, cette femme magnifique de courage, d'optimisme, veut se battre contre l'adversité tellement injuste. Deux scènes sont particulièrement chargées d'émotion intense et bouleversante : sa révolte contre cette situation tragique et son rêve dans la voiture quand elle l'imagine dans une vie normale, diplômé, marié, heureux. L'amie enseignante se révèle aussi touchante que le jeune homme, dans sa générosité, sa patience malgré son handicap. Quel film ! Une "bombe d'émotions", terme que je reprends de Jérôme Garcin dans le Nouvel Observateur. A voir ab-so-lu-ment ! Les actrices, Anne Dorval (la mère) et Suzanne Clément (la voisine) illuminent le film et Antoine-Olivier Pilon (Steve) est stupéfiant de vérité.

vendredi 10 octobre 2014

Patrick Modiano

Quand j'ai appris la nouvelle vers 13h, j'étais assez étonnée de voir décerner le prix Nobel de littérature à Patrick Modiano, le quinzième écrivain français à recevoir cette consécration universelle. Après Le Clézio en 2008, son frère en littérature, (en mentionnant leur âge, une génération née après la guerre de 39), la littérature française  n'est pas moribonde et se porte très bien. J'ai lu pratiquement toute son œuvre depuis 1968 : de "La Place de l'Etoile" à "Rue des boutiques obscures" (prix Goncourt en 1978), de la "Villa triste" à "Livret de famille", du "Vestiaire de l'enfance" à "Des inconnues", de "Fleurs de ruine" à "Dora Bruder", tous ces titres parlent d'eux-mêmes et décrivent la planète modianesque. J'ai lu son entretien dans Télérama et je cite dans ce passage les thèmes qui obsèdent l'écrivain : "la disparition, les problèmes d'identité, l'amnésie, le retour vers un passé énigmatique." Plus loin, il évoque son enfance dans un milieu trouble, dans un Paris occupé et une France d'après-guerre. Un journaliste qualifie Modiano, "d'archéologue de la mémoire", et son œuvre entière repose sur cette "recherche du temps perdu", avec un style très impressionniste. Quand on commence à lire un de ses romans, on ressent un charme désuet, nostalgique et il nous entraîne dans une déambulation urbaine où des personnages insaisissables ont vécu dans des quartiers fantasmatiques. Toujours dans cet excellent article de Télérama, Patrick Modiano évoque le travail de l'écriture : "Ce que j'aime dans l'écriture, c'est plutôt la rêverie qui la précède. (...) il y a un côté anachronique dans l'écriture, la lenteur qu'elle suppose, alors même que tout va tellement vite aujourd'hui, tout s'est accéléré autour de l'écrivain, qui, lui, continue à son rythme". Je suis donc agréablement surprise de ce prix Nobel 2014 et cette distinction permettra à de nombreux lecteurs(trices) de découvrir un classique contemporain, un homme modeste et vrai et quand on le voit dans les médias, où il exprime son étonnement d'avoir été choisi,  je me dis que la littérature est enfin à l'honneur (et aussi l'éditeur Gallimard)...

mardi 7 octobre 2014

Atelier d'écriture

Aujourd'hui, l'atelier d'écriture a démarré avec huit "anciennes" et trois nouvelles participantes dans une bonne ambiance conviviale. Mylène a rappelé les consignes : ne pas juger, ne pas comparer, s'écouter, lire son texte ou ne pas le lire, etc. Elle a proposé un premier exercice en nous lisant un poème de Jacques Roubaud. On devait choisir une carte postale d'un animal pour écrire un poème à la manière du poète cité. J'ai choisi la mouette et voilà mon texte :
La mouette
La mouette n'a qu'une idée :
elle veut voler sans se poser,
"perte de temps", dit-elle
en frottant ses ailes.

La mouette, obstinée, déterminée,
veut en finir avec ses arrêts.
Elle a en tête un record
qu'elle veut battre sans effort.

Voler le jour, voler la nuit,
planer pour se reposer,
virevolter pour épater.

Elle sera la première mouette au monde
à voler au dessus des ondes,
sans se poser sur les bateaux, les poteaux, les roseaux.

Une folie, un rêve fou, la mouette s'élance
l'espoir la soulève et le vent se lève.

Elle se souvient pourtant d'un vœu :
donner naissance à des bébés mouettes
comment va-t-elle faire ?
Nicher dans un nuage ?
Se poser sur le rivage ?
Elle verra plus tard...

lundi 6 octobre 2014

"Entre les jours"

J'ai cherché des critiques sur le roman, "Entre les jours", d'Andrew Porter et j'ai seulement trouvé quelques lignes dans la revue Lire du mois d'avril. Le journaliste littéraire le compare à Raymond Carver et Richard Yates et ces comparaisons sont très bien choisies. La littérature américaine nous offre souvent des grands romans qui racontent la réalité sociale avec une efficacité redoutable. Le lecteur(trice) rentre d'emblée dans cette histoire familiale (encore une ! mais on s'en lasse pas...) : un quatuor parfait, les Harding, avec un père architecte, une mère au foyer et deux grands adolescents, Chloé et Richard dans une petite ville américaine texane. Le bonheur de cette famille se délite quand les parents ont décidé de divorcer. Rien de plus banal qu'une séparation... Mais, ils apprennent que Chloé, leur fille étudiante, est renvoyée de l'université et le roman prend son élan avec cet événement surprenant. Chaque personnage va vivre alors une trajectoire personnelle provoquée par cette crise. Le père, Elson, se sent écartelé entre sa nouvelle jeune compagne et son ex-femme. Cadence, la mère, voit un psychologue pour comprendre l'échec de son couple. Richard affirme sa différence sexuelle et écrit des poèmes remarqués par son professeur. Chloé va organiser sa fugue avec son petit ami Raja, recherché par la police pour une agression violente envers un étudiant raciste. L'art d'Andrew Porter explore les failles des parents et des enfants, fouille à vif les plaies intimes, et surtout montre comment la communication ne fonctionne plus quand un grain de sable enraye le bon déroulement de la vie familiale. Seul, Richard maintient un lien secret avec sa sœur disparue alors que les parents sont tenus à l'écart. Je ne vais pas aller plus loin pour raconter le destin de chacun. Andrew Porter a écrit un portrait saisissant d'une famille d'aujourd'hui, une famille en crise, tiraillée entre des désirs contraires et peu douée pour se comprendre... Un écrivain américain à suivre, dorénavant.

samedi 4 octobre 2014

"Une vie à soi"

Je n'avais jamais lu Laurence Tardieu et je le regrette un peu car son dernier ouvrage, "Une vie à soi" m'a beaucoup intéressée. Elle appartient à une jeune génération d'écrivains qui parlent d'eux-mêmes, de leur vie, de leurs liens familiaux. En littérature, cette écriture personnelle s'appelle "autofiction".
Pour apprécier ce texte autofictif, il vaut mieux se renseigner sur une artiste-photographe, Diane Airbus, car Laurence Tardieu évoque, tout au fil des lignes, ce personnage emblématique en comparant la trajectoire de sa vie avec celle de l'artiste. Elle se trouve une jumelle en création et leurs histoires familiales se croisent : elles ont été élevées dans la bourgeoisie, ont rompu avec leur milieu d'origine pour vivre leur vocation : la photographie pour Diane, la littérature pour Laurence. En pleine crise existentielle, la narratrice entremêle dans son récit des souvenirs d'enfance à ceux de la photographe, se confie sur ce sentiment d'étrangeté commune aux deux femmes. Je cite ce passage : "Pendant toute mon enfance, les frontières mes paraissent infranchissables. Nous nous tenons d'un certain côté, d'autres de l'autre (....). On ne le visite pas, on ne l'explore pas. C'est un autre monde que le nôtre, un monde auquel, d'évidence, on n'appartiendrons jamais." La rêverie prend le dessus quand elle imagine la vie de Diane Airbus et cette empathie-miroir offre des belles pages quand elle la modèle à sa propre image. Ce phénomène de fusion "identitaire" entre la narratrice et la photographe ressemble à une thérapie car Laurence Tardieu se réconcilie avec elle-même et surtout avec sa vocation d'écrivain, vocation encouragée par l'éditeur Jean-Marc Roberts, disparu récemment. J'ai bien aimé la "petite musique" du style, imprégnée de mélancolie, de nostalgie et de gratitude. La rencontre entre ces deux artistes, entre deux mondes (les mots et les images) donne naissance à un beau récit, vrai et sincère... Je vais lire son avant-dernier ouvrage, "La confusion des peines" que j'ai emprunté à la médiathèque pour un éclairage sur les événements qu'elle mentionne dans "Une vie à soi". Un femme-écrivain à suivre.