vendredi 13 avril 2018

"Carnets II, Janvier 1942 - Mars 1951"

Albert Camus a trente ans quand il écrit "Carnets II". Le ton change dans ce deuxième tome : l'écrivain semble plus apaisé et plus mûr. Dans cette période de sa vie, il compose ses plus grands chefs d'œuvre : "La Peste", "Les Justes" et "L'homme révolté". Il se plaint parfois des critiques injustes qu'il subit lors des publications de ses livres : "Trois ans pour faire un livre, cinq lignes pour le ridiculiser". L'écrivain évoque souvent ses lectures : Kafka, Kierkegaard, Nietzsche, Dostoïevski, Stendhal, etc. La lecture pour Camus ressemble à un acte fondateur et il révèle dans ses notes intimes l'importance cruciale de cet acte quotidien et indispensable. Il glisse parfois des confidences émouvantes sur ses poumons malades qu'il vit avec stoïcisme. Il écrit : "Vivre avec ses passions, c'est aussi vivre avec ses souffrances. (...) Lorsque un homme a appris à rester seul dans l'intimité de sa souffrance, à surmonter son désir de fuir, l'illusion que d'autres peuvent partager, il lui reste peu de choses à apprendre". Il parle de son enfance et surtout de la pauvreté quand il vivait à Alger avec sa mère veuve. "Enfance pauvre. Différence essentielle quand j'allais chez mon oncle : chez nous, les objets n'avaient pas de nom, on disait : les assiettes creuses, le pot qui est sur la cheminée, etc. Chez lui, le grès flambé des Vosges, le service de Quimper, etc. Je m'éveillais au choix". Albert Camus décrit aussi des paysages, des villes qu'il traverse (dont Saint-Etienne qu'il trouve horrible), des voyages. Le jeune écrivain met l'art (la littérature) au centre de son existence : "L'art est le seul produit ordonné qu'ait engendré notre race désordonnée. C'est le cri de mille sentinelles, l'écho de mille labyrinthes, c'est le phare qu'on ne peut voiler, c'est le meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité".  J'ai remarqué une confidence poignante d'Albert Camus sur sa mère : "J'aimais ma mère avec désespoir. Je l'ai toujours aimée avec désespoir". Il ajoute plus loin ; "Devant ma mère, je sens que je suis d'une race noble, celle qui n'envie rien". Je terminerai mon billet avec cette belle phrase d'Albert Camus : "Oui, j'ai une patrie, c'est la langue française"... Lire les "Carnets" offre une approche plus intime de cet écrivain si universel et si singulier en même temps...