jeudi 28 mai 2020

"L'enfant d'Ingolstadt"

Pascal Quignard, un de mes écrivains fétiches, se résume très difficilement tellement ses écrits ne ressemblent en aucun cas à une histoire linéaire, chronologique avec des personnages identifiés, une intrigue particulière, un arrière-plan social, un temps donné, etc. Rien de tout cela dans les œuvres de cet écrivain, le plus singulier de tous dans notre panorama national. Quand j'ai commencé à le lire, je ne l'ai plus quitté comme une amitié littéraire rare et précieuse. Je ressens ce sentiment pour Marguerite Yourcenar, Virginia Woolf, Julien Gracq, Georges Perec… Mais, Pascal Quignard me fascine souvent avec sa prose inimitable, ses idées profondes et originales, ses références multiples de l'Antiquité et du Moyen Age. Il ose tout : les fragments, les contes, les éléments biographiques, les réflexions philosophiques, les histoires d'amour, les anecdotes, la psychanalyse, la grammaire, le style, la vie littéraire. Un patchwork de textes, un mélange de mots, un projet hors du commun. Il définit lui-même sa vocation : "L'écrivain amoncelait des fragments sans queue, ni tête, des rêves, de brèves scènes de théâtre, des subites leçons des ténèbres, des requiems athées, des pensées, des énigmes, des contes". Sa grande œuvre se nomme "Le Dernier Royaume". Le dixième volume, "L'enfant d'Ingolstad", est sorti en 2019. Je l'ai tout de suite acheté en librairie. Je l'ai lu et je l'ai abandonné ayant des ouvrages plus urgent à découvrir. J'avoue qu'il faut avoir un temps à soi, tranquille et serein, pour lire du Quignard. Gravir les pentes arides de ses récits nécessite une grande attention, une grande disponibilité de l'esprit. J'ai donc réouvert l'ouvrage pendant le temps du confinement et là, miracle, ma lecture s'est avérée plus fluide, plus souple, plus alerte. Certains passages sont restés opaques, voire incompréhensibles. Je n'ai pas renoncé à comprendre, avançant à tâtons dans ce labyrinthe littéraire. Parfois je suis tombée sur des pépites comme celle-ci :  "Alors, je conçus la lecture silencieuse comme une musique extrême". Que trouve-t-on dans ce dixième volume ? Toujours la quête des origines, ce "Jadis" si révélateur : "Un monde antérieur à la vie atmosphérique, ou au langage, ou à la civilisation (…) Un monde obscur, aphone, solitaire et liquide", un conte des frères Grimm commenté, une évocation du peintre Jean Rustin, l'attrait du faux dans l'art, le rôle fondateur du rêve, l'effroi de vivre, l'ambiguïté du langage. Lire, relire, découvrir, redécouvrir, comprendre, les textes de Pascal Quignard méritent le détour, un parcours parfois ardu mais quand on parvient au bout d'un récit, on se dit qu'il faudra un jour le reparcourir comme une boucle d'un temps littéraire qui ne s'epuise jamais… 

mercredi 27 mai 2020

"Sauvez le livre !"

Un collectif de 625 auteurs, éditeurs et libraires lance un cri d'alarme et demande à notre Président de ne pas oublier le livre avec un slogan fort : "Sauvez le livre !". Les responsables de la pétition rappellent son conseil avisé : "Lisez" ! Beaucoup de Français avaient hâte de retrouver une vie culturelle normale en franchissant à nouveau les portes des librairies et des bibliothèques. Comme un retour à un Paradis perdu. Les signataires regrettent que, lors de la conférence sur la culture du 6 mai, Emmanuel Macron n'aborde pas le monde du livre, de ceux et de celles qui " les écrivent, les traduisent, les éditent, les vendent. Stupeur dans nos rangs. L'écriture et la lecture seraient-elles oubliées pour être trop souvent silencieuses et solitaires ? ". Pourtant, si la fiction n'est plus encouragée, tout un pan de la culture disparaîtra : le cinéma, le théâtre, les séries, la chanson, etc. Les libraires et les éditeurs ont perdu 80 % de leurs chiffres d'affaires depuis mars. Les auteurs par conséquent ont perdu une grande part de leurs revenus sans rencontres rémunérées et sans leurs droits. Si l'Etat ne prend pas le relais pour subventionner ce milieu professionnel en accordant des prêts, des allégements de charges et de taxes diverses, le collectif annonce une catastrophe… Ils demandent 500 millions d'euros pour soutenir la filière. Je cite la dernière phrase de l'article du journal Le Monde du 24 mai : "Aucune nation ne peut se passer d'avoir une âme, Monsieur le Président de la République, C'est en elle qu'elle puise sa force, qu'elle trouve sa raison d'être. Pour cela, le livre doit vivre. Sauvez le". Un deuxième texte paraît le même jour dans le quotidien concernant les auteurs et les autrices qui ne bénéficient d'aucune aide comme les intermittents du spectacle. Leurs publications ont été repoussées, leurs droits d'auteurs amoindris, les rencontres avec le public annulées : "Il s'agit de soutenir les hommes et les femmes qui ont offert aux confinés leurs histoires, leurs personnages, leurs univers". Il faut absolument aider ces créateurs si l'on veut continuer à lire de la littérature, des essais, des livres pour enfants, etc. Je n'ai pas besoin de lire ces papiers pour connaître la vulnérabilité de ce milieu professionnel. Cet après-midi, j'ai franchi les portes de la grande librairie Decître où j'ai flairé les derniers livres parus. Je suis repartie avec le Leonor de Recondo, "La Leçon de ténèbres" et celui de Frank Maubert, "Le Bruit de la mer". Une jeune libraire m'a très agréablement étonnée par sa connaissance de ces écrivains qu'elle m'a vite dénichés dans les rayonnages… Aller en librairie, une démarche citoyenne. A renouveler le plus souvent possible… 

mardi 26 mai 2020

Le jour d'aprés

Nous voilà enfin en "déconfinement" depuis lundi dernier : le virus semble disparaître à notre plus grande satisfaction. Restons tout de même dans une prudence de Sioux ! Après toutes ces épreuves vécues par les uns et par les autres, ceux et celles du "premier front médical", ceux et celles du second front, les travailleurs de l'alimentaire, un nouvel espoir de revivre une vie normale s'affiche un peu partout. Je pense à mes escapades empêchées en mars (Rome et le Latium) et en mai (Paris) mais je n'ose même pas parler de cette vie d'avant la crise qui va provoquer certainement une deuxième crise économique qui va s'accélérer dans les mois qui suivent. Cette période de deux mois a déstabilisé beaucoup de milieux professionnels : les enseignants peinent à conserver leurs liens avec les élèves qui décrochent de plus en plus, les soignants revendiquent de meilleurs salaires pour compenser leurs vécus difficiles, les commerçants perdent leurs clients, les restaurateurs craignent le pire, les libraires tremblent pour leurs ventes, les bibliothécaires ont peur du virus qui s'infiltre dans le papier et j'oublie le "désarroi" de toutes les catégories professionnelles dont les artistes qui vont rester longtemps à l'arrêt. La vie d'aujourd'hui ne ressemble plus à celle de février. On dirait qu'on a changé de monde avec tous les citoyens masqués en ville, les files d'attente, les marquages au sol, le gel partout, la méfiance généralisée. Avions cloués au sol, trains au ralenti, cinémas et musées fermés, concerts annulés, vie sociale en panne, rencontres familiales en berne, le retour à la normale va pianissimo. Apres ces semaines de repli, le superflu a disparu et l'envie de consommation s'est flétrie. L'avenir va-t-il encore nous projeter dans une deuxième vague virale ? Soyons optimistes, le covid-19 va s'évaporer dans l'air. J'ai lu un article très intéressant sur l'épidémie mondiale dans le journal "Le Monde", signé d'Anne Chemin, "Ce que les grandes épidémies disent notre manière d'habiter le monde". Le virus s'est propagé a cause de l'urbanisation de la planète et des déplacements des humains par milliards : "La tendance à franchir les frontières n'est ni une mode, ni une anomalie, c'est une lame de fond". Les marchandises aussi ne cessent de se déplacer, mondialisation oblige. La journaliste prend l'exemple loufoque d'une brosse à dents électrique composée d'éléments fabriqués dans plusieurs pays. Une aberration. Comment habiter le monde après cette crise sanitaire ? La journaliste termine son excellent article ainsi : "La lutte contre le coronavirus a donc imposé aux habitants de la planète un revirement radical : il a fallu immobiliser brutalement un monde qui vénérait depuis des décennies le principe de mobilité. Reprendra-t-il une fois que l'épidémie sera vaincue, sa folle course au risque de voir renaître de nouvelles épidémies ? Nul ne le sait encore". J'ai rarement vu un article de presse de cette qualité, très documenté sur les épidémies historiques et sur l'état de la planète. La période de l'après-confinement se précise avec de nouvelles libertés de circuler en juin et surtout de revoir nos terrasses de bars et nos restaurants redonner de la vie dans les villes. Les frontières européennes vont s'ouvrir en juillet. Un soulagement car vivre sans voyager au minimum en Europe serait une sorte de confinement perpétuel… J'irai donc en Sicile en septembre comme prévu sauf si…  

lundi 25 mai 2020

"Nos espérances"

Gallimard a publié en mars le troisième livre d'Anna Hope, "Nos espérances" dans la collection "Du monde entier". L'écrivaine anglaise possède un talent fou pour écrire des romans souvent prenants, voire passionnants. Son premier roman, "Le Chagrin des vivants", avait eu un succès déjà remarquable et son second opus, "La Salle de bal" avait bien confirmé son talent de romancière, digne de ses illustres ancêtres comme Jane Austen, Virginia Woolf et tant d'autres. Dans "Nos espérances", Anna Hope raconte le destin de trois jeunes amies en Grande-Bretagne dans les années 90. Elles s'appellent Cate, Hannah et Lissa, toutes les trois étudiantes de milieux différents : «Chez Cate on vote à gauche. Chez Hannah on vote à droite. Chez Cate il y a Zola et Updike. Chez Hannah il y a les Reader’s Digest et l’Encyclopedia Britannica. Le père de Cate fait un métier en rapport avec l’ingénierie. Le père d’Hannah est gardien à l’hôpital Christie. Chez Cate il y a de l’huile d’olive. Chez Hannah il y a de la vinaigrette toute prête". Elles deviennent amies "électriques". Ces personnages féminins tissent leur amitié tout au long du roman avec des accrocs manifestes. Elles appartiennent à la génération 70 sans avoir lutté pour leurs droits comme leurs mères. Leur professeur d'anglais leur sert de modèle : "Leur prof d'anglais est une femme dynamique, dévouée, qui croit en la mobilité sociale, à l'émancipation des femmes". A quarante ans, les trois amies ont conservé leurs liens d'amitié. Cate et Hannah sont mariées. L'une a un enfant et l'autre essaie avec désespoir d'être mère. Cate vit assez mal sa situation car elle n'oublie pas une relation amoureuse avec une militante féministe américaine qui l'a quittée. Hannah a réussi une carrière de "manager" mais épuise son mari avec son désir opiniâtre de bébé. Lissa a choisi le théâtre mais son succès tarde à venir et s'avère fluctuant. Lissa se sent esseulée et jette son dévolu sur le mari d'Hannah qui se laisse très facilement séduire… Cette trahison détruit la relation amicale entre elles et elles s'éloignent dans un silence buté et sans explication. Au fond, ces trois amies pas clairement exemplaires se heurtent à la réalité non conforme à leurs vœux de jeunesse. Leurs chemins se séparent pour un bon moment jusqu'à leurs retrouvailles possibles. Leurs relations communes, avec un difficile équilibre à trois, ne se passent pas comme prévue : l'amitié se mêle à la jalousie, la maternité voulue ou désirée n'est pas un long fleuve tranquille. Lissa comprendra qu'elle n'aura jamais une carrière de comédienne et se retrouve professeur au Mexique. Hannah tombera enceinte de son mari volage sans vivre avec lui, Cate travaillera avec des adolescents difficiles. Ce roman formidable raconte la lente maturité de trois femmes d'aujourd'hui qui comprennent l'utopie de leurs espérances et acceptent avec sérénité leur trajet respectif. Une "fresque générationnelle" subtile et scintillante. 

vendredi 22 mai 2020

"Un automne de Flaubert"

Alexandre Postel possède une audace particulière en choisissant pour son quatrième roman, un personnage emblématique, la personne éminemment littéraire : Gustave Flaubert. Ce mastodonte du XIXe siècle a toujours symbolisé la Littérature dans son essence même. Le jeune écrivain, né en 1982, ayant obtenu le prix Goncourt du Premier Roman en 2013 pour "Un homme effacé", s'offre une histoire vraie, basée sur la biographie de son illustre ancêtre. En 1875, Gustave se considère comme un homme vieillissant, "fini", avec ses 53 ans. Il traverse une dépression intime avec des problèmes d'argent et surtout un assèchement de son inspiration. Il commence à perdre les êtres aimés, sa mère en particulier : "Il se sent seul ; souvent, il se plaint de vivre dans un cimetière ou, ce qui revient au même, sur le Radeau de la Méduse". Même sa grande amie, George Sand, n'arrive pas à apaiser ses angoisses. Ses amours se délitent et sa santé laisse à désirer. Il décide de fuir Croisset, en Normandie et part à Concarneau passer l'automne où l'attend un ami, directeur de la station de biologie marine. Ce savant, Georges Pouchet, raconte avec enthousiasme la vie d'un homard à son ami écrivain. Pendant deux mois, il prend des bains de mer, se balade sur la côte avec ses amis, déguste avec gourmandise des crustacés, observe la vie des pêcheurs, partage avec Georges des séances de dissection des mollusques. La présence de la mer produit son effet : "Même agitée, la mer accorde toujours le repos à celui qui la regarde. Sa pulsation obstinée inspire à l'homme égaré dans son labyrinthe intérieur le sentiment des choses simples ; et à celui qui doute de la vie, le sentiment de la nécessité. Simple et nécessaire, la mer accueille toutes les douleurs". Puis, le miracle a lieu : Gustave ébauche un plan, sur une feuille vierge, d'un conte médiéval. Cette légende, l'écrivain la connaît bien car un vitrail de la cathédrale de Rouen illustre Julien l'Hospitalier. La créativité revient sous sa plume ; "Seul, l'art en déteint le secret, avec ses phrases gorgées de sang, rythmées comme les battements d'un cœur, où la vie palpite dans la violence de ses contradictions et le mystère de ses métamorphoses". Porté par un style élégant, ce roman réussi saisit un instant de vie du grand écrivain en proie au doute qu'il arrive à éloigner grâce à sa passion de la littérature. Alexandre Postel rend hommage à l'homme de Croisset, un géant des Lettres françaises, et à travers Flaubert, le mystère impénétrable de la création littéraire. Quand j'ai terminé ce texte, j'avais envie de relire Flaubert et je commencerai  par "L'Education sentimentale", un roman éternellement contemporain...

mercredi 20 mai 2020

"Comment être à la hauteur de l'événement ?"

La revue "Philosophie magazine" du mois de juin a mis ce titre dans sa Une : "Comment être à la hauteur de l'événement ?" . Ce numéro de l'après-covid propose des analyses passionnantes sur cet épisode dramatique que traverse notre monde d'aujourd'hui. André Comte-Sponville dialogue avec Francis Wolf sur le thème de la santé, la priorité des priorités, quitte à annuler toutes les libertés. Le premier a rompu l'unanimité de l'opinion en critiquant le confinement à outrance, cause d'une crise économique sans précédent, dont les jeunes générations subiront les conséquences. La vie des jeunes pour lui est plus précieuse que celle des aînés. Francis Wolf le contredit à juste titre en remarquant que la santé en priorité est la manifestation d'un progrès politique et moral de l'humanité : "Que plus de la moitié de l'humanité accepte de se confiner pour sauver un petit nombre de vies, notamment les moins productives, c'est l'affirmation en acte que nous formons une communauté éthique". Un dialogue très riche et très instructif. Le dossier de la revue revient donc sur la crise sanitaire du printemps, "une brèche dans le temps", selon une formule d'Hannah Arendt. Cette césure temporelle a provoqué une introspection personnelle, une révision salutaire des valeurs (du superflu à l'essentiel) et une prise de conscience des "interdépendances sociales". Plusieurs philosophes répondent à ces questions dont Françoise Dastur, grande spécialiste de Heidegger : "L'angoisse de la mort n'est nullement compatible avec la joie d'exister". Claire Marin, professeure de philosophie, commente dans une enquête, des situations rencontrées pendant le confinement. Ses réflexions toujours pertinentes apportent un éclairage sur les comportements des "confiné(e)s". Frédéric Worms remarque le besoin fondamental de l'humanité pour la justice et la dignité : "Si l'on renonce à la justice, la recherche du vital peut conduire au repli survivaliste dans la vie sauvage entre soi au fond des bois. Je crois que si le Covid-19 touche le vital, c'est en nous faisant ressentir l'évidence de nos interdépendances proches et lointaines". La revue aborde aussi des questions sociétales comme le scandale du tri des malades, la mobilisation des travailleurs manuels, le sacrifice des soignants. Le philosophe italien iconoclaste, Emanuele Coccia, propose une lecture très originale du virus : "Nous sommes tous des corps qui transportent une quantité inouïe de bactéries, de virus, de champignons, d'êtres non humains". La revue de juin, décidément passionnante à lire, se termine avec un entretien concernant Nicolas Grimaldi, un "basque" d'adoption qui vit à Socoa dans un ancien sémaphore. Face à l'océan, il évoque sa mélancolie, son besoin de partager ses émotions, sa solitude volontaire dans un décor de rêve. Un entretien remarquable. Un portrait de Henry David Thoreau parachève la somptueuse revue de juin. 

lundi 18 mai 2020

Mon retour en bibliothèque

J'attends toujours l'ouverture de la Médiathèque de Chambéry... Mais, des problèmes surgissent pour cette réouverture que tous les lecteurs espèrent au plus vite. Les raisons de cette réticence professionnelle concerne la masse des documents à décontaminer, la fréquentation trop importante (1500 personnes par jour), le personnel à protéger, les bonnes conditions d'accueil, etc. Donc pas de service public en vue… Evidemment, on peut se passer des prêts de documents et aller tous en librairie. Mais, acheter deux ou trois livres par mois représente un budget important pour beaucoup de familles. Je suis étonnée de la lenteur du système, côté personnel et côté mairie. Je suppose que certaines éléments du problème m'échappent complétement. Mais, je rêve d'une solution intermédiaire. Les bibliothécaires pourraient proposer un "drive", méthode à la mode depuis l'apparition du virus. Chaque emprunteur enverrait sa commande par internet sur le site de la médiathèque et retirerait les livres à l'accueil. Impensable ! nous dirait le personnel. Nous ne sommes pas des "magasiniers"... Pourtant dans les années passées, c'était le seul moyen d'obtenir des livres en remplissant un bordereau… Mieux vaut une ouverture réduite qu'une fermeture globale. Je l'ai vérifiée avec la Bibliothèque des Deux-Mondes à la Motte-Servolex que je fréquente depuis dix ans. Comme j'ai une faim insatiable de livres, je possède donc deux cartes de lecteur. J'aime bien cette bibliothèque moyenne où je retrouve l'ambiance qui régnait dans celles où je travaillais. Je goûte peu les grandes surfaces préférant les petites comme les petits commerces. Garin mieux que la Fnac… Le matin, j'ai envoyé un message pour prendre un rendez-vous. Dans l'après-midi, une bibliothécaire m'a téléphoné pour me fixer une heure le lendemain dans l'après-midi. Quelle vélocité pour un service public ! J'étais bien surprise. Puis, le lendemain, j'ai glissé mes dix ouvrages dans la boîte à livres qui seront mis en quarantaine. J'ai été reçue par l'équipe avec des exclamations de bienvenu. Puis, je disposais de vingt minutes pour choisir mes livres. La banque de prêt était équipée d'un paravent transparent en plexiglas. Nous portions des masques  et du gel me permettait de me laver les mains… Parfait, l'accueil. Parfait, les précautions sanitaires. Parfait, le sens du service public de cette équipe disponible et heureuse de retrouver leur public. Cette visite de l'après-confinement préfigure un changement de comportement. Ce virus invisible s'infiltre peut-être sur le support papier : quelle calamité !  Je suis repartie avec ma cueillette de documents "décontaminés" et fort satisfaite de rencontrer autant de gentillesse. Et, pendant ce temps, les bibliothèques de Chambéry nous offrent des portes fermées… Le vaisseau chambérien semble plus fragile qu'une toute petite bibliothèque…  Quel dommage et quelle déception ! 

jeudi 14 mai 2020

"La Nuit Atlantique"

J'ai hésité à me lancer dans la lecture de ce roman, "La Nuit atlantique",  dense et puissant car je préfère lire plus mince, plus dégrossi, plus neutre… Anne-Marie Garat a habitué son lectorat à un luxe romanesque tourbillonnant, à une langue travaillée, pourvue d'un vocabulaire riche, à un style de conteuse affirmée. Dans son dernier opus, les ingrédients "garatiens" se mélangent avec une maestria envoûtante. Son héroïne, Hélène, la petite quarantaine, célibataire sans enfant et spécialiste de photos anciennes, a décidé de vendre sa résidence secondaire, située dans le Médoc. Elle veut se débarrasser de ce passé, symbolisé par cet achat inconsidéré. Cette vieille maison dégradée par les intempéries océaniques se dresse sur une dune face à la mer et abrite des fantômes. Elle l'avait acquise sur un coup de tête dix ans auparavant à une certaine Madame Dhal, institutrice à la retraite et décédée depuis. Hélène loue une voiture à Paris pour rejoindre la petite station balnéaire du Médoc. Quand elle ouvre la porte de sa maison, elle se rend compte qu'elle est squattée par un photographe nippo-canadien. Cet homme a récupéré une clé donnée par une inconnue. Il est à la recherche des blockhaus sur la Côte atlantique qu'il photographie pour une future exposition : "Il cherchait à voir comment l'Histoire se dilue dans le paysage ordinaire, à traquer ses marques avant de disparaître". Ce jeune homme bouscule ses habitudes et elle accepte de l'héberger. Hélène, croyant vivre sa solitude habituelle, se retrouve donc avec un inconnu et aussi avec sa filleule chérie, Bambi, qui a décidé de la rejoindre pour lui parler. Ce trio surprenant et insolite va affronter des événements où chacun va commencer une certaine métamorphose. La narratrice va se retrouver face à un passé douloureux qu'elle va enfin pouvoir solder. Elle rencontre un homme, neveu d'un voisin, qui va changer sa vie après une tempête centennale. Bambi va lui révéler sa décision d'interrompre ses études de médecine au grand dam de sa mère. Le jeune photographe s'acquittera de sa mission avec succès. Anne-Marie Garat brosse un très beau portrait de femme entre un passé névrotique et un présent résilient. Ce roman somptueusement écrit ressemble à un conte contemporain où chacun(e) puisera des thèmes qu'il privilégiera : la présence de la nature, les relations amicales et amoureuses, un style puissant, un réel fictionnel réenchanté. Comme l'écrit une critique de Télérama, "Et il ne faudrait pas oublier la beauté de la langue d'Anne-Marie Garat, enveloppante comme la vague et folle comme la tempête, qui balaye tout et nous laisse pantois devant tant de métamorphoses, mais aussi d'amour pour la vie et de plaisir d'écrire". Un très bon roman réjouissant, lu pendant mon confinement. J'ai respiré l'air océanique avec un plaisir infini… 

mardi 12 mai 2020

Mon retour en librairie

Pendant ces deux derniers mois, je rêvais de retourner en librairie… Cet après-midi, j'ai réalisé ce voeu ! J'ai traversé la ville avec mon masque en tissu, élaboré par une couturière savoyarde. J'ai préféré le porter car on croise pas mal de jeunes qui n'en portent pas tous. Une étrange ambiance règne au centre ville avec tous ces visages cachés. On se croirait dans un film de science-fiction et on se pince pour voir si c'est réel ou irréel. Hélas, la réalité est devenue plus pesante, plus inquiétante et plus stressante. Nous avons perdu un peu de notre insouciance (déjà bien entamée par le terrorisme des années 2010) et avec ce sale virus, la méfiance règne. Je me sentais mieux au bord du lac qu'au centre ville. La distance physique semble plus facile à respecter dans les espaces verts que dans les rues et les magasins. Je me suis baladée dans le centre ville et j'ai remarqué la reprise d'une vie normale vouée à nouveau au shopping. Il faut bien consommer pour que la vie économique reprenne… Mais, avec ce virus, a-t-on vraiment envie d'acquérir du superflu ? Après avoir remarqué une fréquentation bien timide dans les échoppes ouvertes, je me suis dirigée vers un commerce qui m'a toujours paru essentiel dans une ville, je veux parler des librairies. Je suis rentrée chez mon libraire habituel, Garin, et j'ai ressenti un très grand plaisir quand j'ai retrouvé cette ambiance feutrée, culturelle, dédiée aux livres. Je rentre dans une librairie comme dans un temple avec un respect vrillé au cœur. J'ai lu quelques articles sur les librairies qui sont des commerces particulièrement fragiles. La marge de bénéfice est très modeste (je l'ai vécue dans les années 70) et beaucoup de petites librairies risquent la faillite. Notre ministre de l'économie, très sensible à la littérature (c'est un écrivain), veut aider davantage ce milieu professionnel qui a beaucoup souffert du virus. J'ai feuilleté avec mes yeux les dernières nouveautés du premier trimestre comme si notre agenda s'était brutalement arrêté le 17 mars. La littérature peut tout de même rattraper ce temps suspendu et ce ralentissement lui sera bénéfique. J'imagine la rentrée littéraire avec une pléthore de récits et de romans sur la période très spéciale que nous vivons en ce moment avec des titres significatifs : "Le confinement, un retour sur soi", "Restons cachés", "Une prison dorée", "Le temps endormi", etc. J'ai choisi de repartir avec le dernier roman d'Anna Hope, "Nos espérances", publié chez Gallimard en mars dernier. Il faut vraiment revenir dans ces lieux si paisibles, si préservés et cette sortie ressemblait à un pélerinage, mon Saint Jacques de Compostelle, laïque et républicain. Quel plaisir de me balader de table en table, de repérer mes futures envies et d'attendre les nouveautés printanières. J'ai appris que la Médiathèque de Chambéry n'ouvrait pas ses portes pour le moment. Cette décision regrettable m'étonne quand même… Heureusement, les libraires ont davantage besoin des lecteurs acheteurs. Si le gouvernement nous reconfine dans quinze jours (on ne sait jamais…), faisons des provisions de livres et fréquentons nos librairies physiques et non-distantes...

lundi 11 mai 2020

Ma première sortie

Aujourd'hui, encore une journée historique pour des millions de Français… Je suis partie revoir mon cher lac du Bourget comme si je ne l'avais plus vu depuis des mois. Depuis cinquante cinq jours, j'ai arpenté mon quartier durant l'heure concédée (avec parfois des petits retards) et je connais ces paysages de long en large et de large en long. Enfin, en début d'après-midi, j'ai repris ma voiture et j'ai filé tout droit vers Aix-Les-Bains en constatant que la voie rapide avait repris sa voilure habituelle. Quand je me suis garée du côté du Petit Port, j'ai été surprise de voir très peu de voitures et de promeneurs. Un couple de retraités piqueniquaient sur un banc. Quelques familles se baladaient avec leurs enfants. Quand mes yeux ont découvert le lac, j'ai ressenti une émotion liée à la joie, comme ce fameux sentiment océanique décrit par Romain Rolland à Freud : une union avec ce paysage si familier et qui m'était interdit depuis le 17 mars. Rien n'avait changé. Les voiliers tanguaient sur l'eau, les mouettes virevoltaient dans le ciel, les nuages blancs chevauchaient la Dent du Chat. Un panorama unique, d'une beauté mélancolique. Je ne pensais plus à cette période viralement dangereuse qui nous a tous cloué(e)s dans notre chaumière, maison ou appartement. Cette marche tranquille et sereine me calmait, me désangoissait. J'ai atteint le port d'Aix pratiquement désert avec la fermeture de tous les restaurants. J'ai traversé le Jardin Vagabond, tout en fleurs pour rejoindre la Baie de Mémard d'où on aperçoit l'Abbaye d'Hautecombe au loin. Je me disais que le confinement dans ce lieu spirituel m'aurait vraiment convenue. J'ai remarqué que les promeneurs portaient des masques mais les jeunes, un peu moins. Une politesse civique régnait dans les allées où chacun s'écartait sans problème particulier. Je suis repartie vers le Viviers du Lac et je voulais retourner sur le site des Mottets. La plage au bout du lac est inaccessible mais cela ne m'a pas empêchée de me balader dans cet espace magnifique : l'étang avec son ponton, la plage des Dames, les roselières, les acacias fleuris, les mouettes. J'ai même aperçu un drôle d'oiseau inconnu. Un jeune homme a vite réagi en le photographiant. Quand je lui ai demandé le nom de ce volatile, il m'a gentiment répondu que c'était un grabier chevelu, une sorte de petit héron très rare en Savoie. Ce jeune photographe, fou de nature et de botanique, m'a raconté sa passion des oiseaux. Une rencontre éphémère agréable. Décidément, ce premier jour de "déconfinement" s'est avéré profitable : j'ai oublié l'horrible Covid, j'ai vécu ce jour dans un monde normal, dans un temps perdu puis retrouvé. Evidemment, j'avais la chance de vivre en Savoie, loin des rames de métro, des quais bondés, des hôpitaux chargés, des travailleurs sur les chantiers. Je me suis souvenue en revenant chez moi que le cauchemar viral se poursuivait partout dans notre pays et ailleurs. Il est toujours menaçant ce sacré sale virus mais le temps d'une balade au lac, je l'avais oublié et cela fait un bien fou ! 

samedi 9 mai 2020

"L'injonction à écrire"

Je pratique la lecture des blogs littéraires où je découvre de vraies pépites qui m'enchantent. Un des blogs le plus construit, le plus sérieux, le plus fouillé se nomme "La République des Livres" de Pierre Assouline. Mes idées de lecture proviennent parfois de ces billets et il m'a fait connaître de nombreux jeunes écrivains. J'ai découvert qu'il hébergeait un blog "Le Coin du critique SDF" et j'ai lu un long article d'Hélène Gestern sur le confinement. Cette écrivaine très discrète se demande comment réagir face à la crise sanitaire actuelle. Elle a constaté la publication de ces journaux de confinement que l'on trouve dans la presse et l'écriture est vécue comme "remède, comme thérapie souveraine au mal du confinement". Comme si tous les écrivains confinés dont j'ai déjà parlé dans ce blog se mettaient furieusement à se lancer dans leur propre chef d'œuvre qui sera publié à l'automne. Hélène Gestern avoue que le fait de rester cloîtrée ne l'a pas du tout influencée à écrire : "Dans mon cas, la recette miracle n'a pas fonctionné. L'écrivaine s'est révélée une femme ordinaire, inquiète pour les siens, pour ses proches fragiles, pour ses amis malades du covid. Elle a découvert, comme tout le monde, lors de sa première sortie, avec une sidération remplie de tristesse, une ville désertée, des supermarchés où l'on se croisait, méfiants et masqués comme des gangsters". La narratrice, professeur, évoque le regret d'annuler une rencontre avec Léonor de Recondo à l'université. Elle pense à ses étudiants obligés de travailler en télétravail. Les émotions défilent dans ce texte comme un miroir qu'elle nous tend : colère contre le manque de masques, anxiété à cause des infos, révolte contre les recommandations infantilisantes de nos gouvernants, sidération devant tous les spécialistes du Covid-19, peur devant l'effondrement économique, angoisse de la contamination. Hélène Gestern "n'avait pas eu envie d'écrire, mais alors pas du tout". En fait, elle décrit tout simplement sa condition de femme ordinaire : sortir pour se nourrir, gérer son travail, prendre des nouvelles de ses proches, de ses amis, regarder des séries et lire des romans policiers pour se changer les idées, regarder ses plantes grandir, sa glycine fleurir. Une vie ordinaire et simple au fond. Elle termine son long texte avec ses mots : "Le confinement ne m'aura rendue, en tant qu'écrivaine, ni meilleure, ni pire. Il n'aura pas buriné mon âme d'artiste ni suscité en moi la moindre inspiration. Il m'aurait plutôt donné, à ce stade, l'envie de continuer à vivre comme je vivais avant lui, dans le silence, la quiétude, l'attention à une nature dont je me sens particule éphémère, insignifiante, petite poussière dans le grand tout, et c'est tant mieux". Un avenir un peu incertain nous attend tous : il faudra beaucoup d'efforts pour recréer une vie collective sans suspicion sans avoir peur de son prochain. Son billet m'a vraiment convaincue qu'un texte simple et sincère valait de loin toutes les analyses alambiquées des spécialistes de la "chose". Hélène Gestern ne voulait pas écrire sur le sujet. Heureusement, elle l'a fait. Tant mieux pour nous.   

jeudi 7 mai 2020

"La belle Hélène"

Pascale Roze, Prix Goncourt en 1996 pour le "Chasseur zéro", revient avec un roman intimiste, "La Belle Hélène", paru chez Stock en janvier. Hélène Bourguignon, une sénior de 64 ans, anime un atelier littéraire à Sciences-Po. Elle est mère d'une fille, Lou et grand-mère d'une petite Juliette. Deux fois veuve, elle se retrouve seule après la mort de Laurent, un écrivain qu'elle a beaucoup aidé dans son écriture. Elle avait divorcé de son premier mari, un soixante-huitard attardé. Elle-même a écrit deux romans et propose à ses étudiants un cours sur la nouvelle. Les livres prennent une place avantageuse dans ce roman : Brautignan, Buzzati, Reza, Musil, Tchekhov. L'héroïne mêle ses propres souvenirs avec les évocations de ces écrivains qu'elle affectionne tout particulièrement. Les étudiants manifestent souvent leur intérêt même si certains ne comprennent pas grand chose à la "chose littéraire". Elle éprouve une certaine tendresse pour une de ses étudiantes, Marion, qui se montre agressive à son égard. Cette jeune fille s'intéresse beaucoup à la littérature et Hélène lui prête un livre de Musil. Un jour, elle n'apparaît plus à son cours. Que s'est-il passé pour Marion ? La professeure entame une enquête pour connaître les raisons de sa disparition. Puis, elle rencontre un juge à la retraite qui l'invite en Corse où il séjourne. Hélène ne pensait pas vivre une relation amoureuse et elle lâche prise quand elle accepte ce séjour chez lui… Entre sa vie familiale un peu chaotique et ses relations professionnelles prenantes, Hélène se satisfaisait de cette existence bien remplie et pourtant bien solitaire. La narratrice va-t-elle rencontrer un nouvel amour ? Ce roman vivant et vibrant dresse le portrait d'une femme sexagénaire pour qui la vie n'est pas toujours été tendre et facile… Il faut toujours s'attendre à de belles surprises et Hélène saisit sa chance dans cette nouvelle rencontre. Il n'est jamais trop tard, semble dire Pascale Roze. La littérature lui avait pourtant bien tracé le chemin de l'inattendu. Ce roman progresse à pas sautés, par petites scènes, du passé au présent, avec un futur prometteur. Hélène, personnage empathique et attachant, joue une sonate nostalgique face aux années trop vite passées, mais l'avenir n'est pas aussi sombre que prévu… Ce roman, malgré sa fin convenue, tend à mettre la littérature au cœur même d'une vie d'adulte. Et ces étudiants, futurs managers, auront compris grâce leur professeur que la vie ne se résume pas qu'à des chiffres… 

mardi 5 mai 2020

Ecrivains confinés

Dans le dernier Magazine Littéraire du mois de mai, très intéressant au demeurant, il est question des écrivains confinés. Certains d'entre eux dont Marie Darrieussecq et Leila Slimani, ont témoigné très vite ou trop vite de leur expérience lors de cette période de confinement. Dès le 17 mars, elles se sont réfugiées loin de Paris, l'une en Normandie, l'autre au Pays basque. Elles ont publié leur témoignage dans la presse nationale, l'une dans le Monde, l'autre dans le Point. "Quelle aubaine, pour un écrivain" s'exclame Leila Slimani faisant fi de tous les soldats sur le front : soignants, caissières, etc. La Bayonnaise raconte qu'elle a caché sa voiture immatriculé 75 dans son garage pour ne pas attirer l'attention sur sa famille. Elles ont déserté la capitale des Lettres pour se réfugier à la campagne sans se rendre compte de leurs immenses privilèges. Toutes les deux ont choisi la médiatisation de leur fugue : leur départ précipité est aujourd'hui fortement critiqué dans la presse. Leur maladresse à chacune relève d'une naïveté confondante. La célébrité littéraire ne permet pas le cynisme même involontaire. J'ai lu aussi le portrait de Lydie Salvayre dans Le Monde des Livres, qui paraît tous les vendredis en format raccourci malgré la crise. Elle évoque les écrivains qui ont délibérément choisi un "confinement" pour vivre l'écriture : Kafka, Emily Brontë, Flaubert. Proust vivait reclus dans sa chambre qu'il avait fait tapisser de liège pour empêcher les bruits du dehors de le perturber dans ses pensées. Hölderlin est resté reclus pendant trente ans dans sa tour de Tübingen en Allemagne. L'écrivaine cite aussi Kant et Rilke : "Elle est interminable la liste de ceux qui, pour garder à l'écriture son cœur sauvage, s'éloignent, s'isolent, et se tiennent à l'écart des contaminations conformistes et des idées de tout le monde". Lydie Salvayre avoue qu'elle est devenue "une confinée volontaire", ayant horreur des voyages et du tourisme. Son village dans le Sud de la France la protège et ses amis, compagnons de sa solitude, se nomment Faulkner, Sterne, Pascal, Nietzsche, Montaigne. Ses voisines les plus proches lui apportent "gaité et franchise" loin des salons parisiens. Son village contient "le monde" et tout ce qui fait monde : "La douleur de vivre, les grands débats, l'arrogance des riches et le mépris des pauvres, la soumission des uns et l'insoumission des autres". Elle nous avoue que son travail d'écriture ne va pas toujours de soi, et que les doutes surgissent souvent. Son entretien se termine par ce constat : "Car j'ai beau vivre en confinée, la tristesse virale du monde et ses désastres annoncées me contaminent, évidemment". De tous les témoignages que j'ai lus ces deux derniers mois, celui de Lydie Salvayre me semble le plus sincère, le plus authentique. J'ai apprécié son hommage vibrant à tous ces écrivains solitaires, confinés volontaires, pour qui la littérature se vivait comme un sacerdoce (du latin sacer = sacré)… 

lundi 4 mai 2020

Confinement déconfiné

Alors, le 11 mai, explosion de joie ! Nous allons enfin reprendre le chemin de la liberté, non pas une seule petite heure minimale, accordée avec parcimonie par nos gouvernants, conseillés par les experts médicaux. Ce mode de vie que nous subissons depuis presque deux mois nous a été imposé pour notre bien, pour notre vie. Ce virus, issu d'une chauve-souris "pangolinisée", venu d'Asie a bien bousculé notre temps d'avant, notre liberté d'avant. Hélas, j'ai vite compris que cette promesse se révèle quelque peu prudente, incertaine. On nous signale déjà que ce sale microbe continue sa course folle, ne s'arrête pas pour nous faire plaisir. Il est fort cruel et se moque des humains. Adieu, nos parcs et nos plages, nos musées et nos bibliothèques ! Un grand spécialiste a déjà informé à la télévision que le déconfinement allait provoquer des milliers de morts supplémentaires. Qui faut-il croire ? Des médecins semblent plus rassurants, d'autres plus menaçants. J'en perds mon latin ! L'urgence sanitaire jusqu'au 24 juillet vient de tomber. Ce choix signe encore notre vie contrainte. La Santé pour tous, la priorité des priorités au détriment de la liberté même surveillée pour tous avec des brigades (?), des fichiers, un traçage des malades. Un choix de société qui va s'avérer bénéfique ou maléfique ? Dans quelques mois, la réponse s'affichera sur nos écrans. André Comte-Sponville dans les Chemins de la Philosophie, regrettait ce choix drastique du confinement en pensant aux jeunes générations qui vont subir une crise économique exceptionnelle. Dans ce temps troublé par l'angoisse de la contagion, je pense à Platon et son allégorie de la caverne. Des hommes enchaînés sont enfermés dans une caverne et regardent leurs ombres sur la paroi. Le philosophe grec démontrait sa théorie des idées, du Bien, de l'Idéal. Je ne me permettrai pas de développer ce mythe mais, à mon niveau, j'imagine ces hommes et ces femmes (j'ajoute mes sœurs antiques que Platon excluait) devant leur paroi qui contemplent des ombres : c'est notre monde d'aujourd'hui ! Une paroi : nos écrans, le télétravail. Les silhouettes représentent le monde virtuel. La caverne, notre confinement. Platon décrit notre pauvre condition humaine, notre servitude volontaire, nos dépendances. Platon nous encouragerait à nous libérer, à atteindre la lumière de la connaissance. Le 11 mai, nous allons sortir de notre caverne pour aller enfin vers les autres. L'homme est un animal social selon Aristote. La philosophie m'aide beaucoup en ce moment à conserver une attitude stoïque. Les Romains de la Rome antique ont pratiqué la sobriété, la vie simple, le courage. Sénèque prônait l'ataraxie ou l'absence d'anxiété face à la maladie et au désordre, loin des vanités sociales, du consumérisme et du mirage des progrès techniques qui déshumanisent. Le "cavernement" prendra bien fin un jour prochain. C'est la Science avec un grand S qui abolira cet immonde virus ennemi comme ont disparu les autres : SIDA, EBOLA, H1N1, etc. Ils ont été terrassés, celui d'aujourd'hui le sera aussi mais quand ? Plus de temps à perdre car la patience et la prudence commencent à s'effilocher… Un monde nouveau s'offre à nous ? L'avenir sans virus le dira. 

vendredi 1 mai 2020

"La Forme du monde"

Belinda Cannone, une "émerveilleuse" vibrante, a écrit un essai sur sa passion de la marche en montagne, "La Forme du monde", publié dans la collection, "Versant intime" des Editions Arthaud.  Cette écrivaine, subtile et intimiste, avait déjà composé un hymne à la vie dans son ouvrage, "S'émerveiller" en 2017 chez Stock. En 2019, elle poursuit sa réflexion sur l'expérience esthétique qu'elle a développée dans son œuvre. Sa "rencontre inaugurale avec la montagne" a démarré quand elle avait dix sept ans dans les Hautes Alpes. Quand elle a aperçu pour la première fois les montagnes, elle a ressenti un sentiment "océanique" comme le décrivait Romain Rolland à Freud, un mouvement de communion avec la nature, un partage du sublime : "Ainsi s'exprime le très puissant lien spirituel (parole d'athée) qui m'attache à la montagne". Elle décrit sa fascination pour "la forme du monde" en observant le "chaos pétrifié : strates, plissements, élèvements, fouillis, élongements, hausses, nappes, creusements". Son regard acéré et profond sur la matière élémentaire la rapproche du rêve des origines, des premiers temps de la formation du monde. Elle évoque la naissance des Alpes il y a cent millions d'années quand la collision des plaques africaine et européenne a commencé à bouger. Cette temporalité géologique rend notre histoire humaine un peu courte, un fétu de temps… La marche en montagne lui procure le temps de la durée dans son corps parfois douloureux. Plus elle grimpe, plus "la forme du monde" change comme les perspectives, les paysages, les agencements. Son émerveillement se lit dans toutes les lignes de son texte sans mièvrerie, sans affèterie. La montagne Sainte-Victoire, en particulier, lui fait dire : "La beauté est la forme du monde". Belinda Cannone dont sa famille est originaire de Sicile, perçoit la Méditerranée "sous un jour tragique, tandis que la montagne m'apparaît comme un lieu solaire". Elle reprend la formule de Maurice Merleau-Ponty : "Nous sommes voués au monde". La marche, véritable discipline de vie, l'enchante : "Commencer à marcher, c'est entendre en soi la joie lever". Cet essai ne ressemble pas un livre d'exploits sportifs où le grimpeur se dépasse jusqu'à mettre sa vie en péril. Dans la solitude minérale des montagnes, on ne rencontre que soi-même. Cet essai lumineux conviendra à merveille à tous les amoureux(ses) de nos paysages alpins : "Enfin, je vois vraiment, mon esprit fait silence et j'ai le sentiment de saisir le réel lui-même dans sa forme jaillissante, avant toute configuration par le langage". Belinda Cannone nous rappelle que nous vivons dans un "écrin" de beauté qu'il faut absolument préserver. Il est encore temps... Elle termine son essai avec une évocation de Giono, de Simone de Beauvoir et de Marlen Haushofer. Une écrivaine à découvrir sans modération.