lundi 21 novembre 2022

"Vivre vite", Brigitte Giraud, Prix Goncourt 2022

"Vivre vite" de Brigitte Giraud a reçu le prix Goncourt 2022 et récompense la délicatesse d'être, une certaine discrétion, le deuil, la mémoire et la fidélité. Evidemment, j'ai suivi les débats concernant cette nomination car le jury était très partagé. Les critiques avaient prédit le très bon roman de Giuliano da Empoli pour "Le Mage du Kremlin" mais il avait déjà obtenu le prix de l'Académie française. Tahar Ben Jelloun, membre du Goncourt, ne décolère pas de ce choix en qualifiant le roman de Brigitte Giraud de "petit livre" où "il n'y a pas d'écriture". Ce n'est pas très élégant de sa part... Il vaut mieux lire ce récit autobiographique sans tenir compte de ces dérapages médiatiques. L'histoire tragique de l'écrivaine se lit avec une empathie certaine. Son compagnon, âgé de 41 ans, se tue dans un accident de moto dans une avenue de Lyon. A partir de cette perte irréparable, Brigitte Giraud veut remonter le temps avec des "si". Si elle n'avait pas eu l'idée d'acquérir une maison, si elle n'avait pas eu l'idée d'appeler sa mère pour lui raconter cette nouvelle... La liste s'allonge avec une moto sportive que son frère va garer dans le garage. L'écrivaine s'absente à Paris pour rencontrer son éditeur et son mari s'engage alors dans le gouffre du néant en choisissant d'emprunter cette moto dangereuse pour aller travailler. Tout s'enchaîne dans une suite de hasards qui, en s'additionnant, provoque l'accident mortel. En énumérant tous ces événements, elle évoque son mari, Claude, discothécaire, passionné de rock, fou de vitesse, mari amoureux et père aimant. Vingt ans après, elle doit revendre cette maison et entreprend un bilan de sa vie. Comment vivre avec ce deuil épouvantable ? Avec cette absurdité de l'accident ? Partir à 41 ans en pleine force de la vie, c'est incompréhensible et tragique. Brigitte Giraud écrit : "J'ai emménagé seule avec notre fils, au cœur d'un enchainement chronologiquement assez brutal. Signature de l'acte de vente. Accident, déménagement, obsèques". Elle ne cache pas son désarroi, sa détresse d'avoir perdu son compagnon solaire. Son enquête d'un passé factuel l'amène à interroger ses amis, ses proches, les témoins de l'accident, compulse la presse de l'époque, se documente sur la moto fatale, une Honda japonaise de compétition : "Quand un drame surgit, on rebrousse le chemin, on revient hanter les lieux, on procède à la reconstitution. On veut comprendre à l'origine de chaque geste, chaque décision. On rembobine cent fois. On devient le spécialiste du cause à effet". Hasard, destin, elle interroge ces mots si chargés de mystère. Un critique du journal "Le Monde" compare ce récit autobiographique à une "ultime étreinte" pour son mari, Claude, parti trop tôt. En 2001, elle avait écrit un texte de deuil sur cet accident, "A présent". Le jury Goncourt, malgré ses dissensions, a tranché avec une majorité de voix pour Brigitte Giraud. Le public découvrira à travers ce chant d'amour d'une écrivaine pour son mari, le courage de vivre devant la perte et l'impossible deuil. Un beau récit autobiographique.