mercredi 5 juillet 2023

"Le Cahier interdit", Alba de Cespedes

 J'ai trouvé un livre de poche dans une cabane à livres, "Le cahier interdit" d'Alba de Cespedes (1911-1997) et je ne l'avais toujours pas lu. Puis, l'éditeur Gallimard a eu la bonne idée de le republier dans la collection "Du Monde entier" dans la même traduction. Ecrit en 1952, ce journal intime fictif n'a pas perdu son intérêt, bien au contraire. La narratrice achète presque par hasard un cahier banal dans un bureau de tabac et elle le cache tout de suite de peur d'être critiquée par cet acte : "Je voulais être seule pour écrire, ou quiconque veut s'enfermer dans sa solitude, en famille, porte toujours en lui le germe du péché". En 1950, Valeria Cossati ne dispose évidemment pas "d'une chambre à soi" comme le souhaitait Virginia Woolf pour toutes les femmes. Ce cahier représente sa propre conscience où elle va s'épancher sur ses états d'âme. Il ne faut surtout pas que les membres de sa famille ne le découvrent car ils vont découvrir des vérités difficiles à entendre et à comprendre. Ce journal secret enregistre ses pensées, ses regrets, ses difficultés surtout avec ses enfants devenus des adultes. Sa fille, Mirella, s'oppose à cette mère trop traditionnelle. Elle sort avec un avocat, marié et plus âgé qu'elle. Dans les années 50, ce comportement était jugé amoral ! Au fur et à mesure, la narratrice prend conscience de sa propre situation car son mari se montre souvent indifférent et même absent dans l'éducation de ses enfants. D'autant plus que son cher compagnon l'appelle "maman ! Prise dans le piège d'une société patriarcale traditionnelle, Valeria utilise ce cahier comme un espace de libération, d'émancipation. Etouffée par ses devoirs envers ses enfants et son mari, elle met enfin en question son rôle au sein de la famille. Valeria va-t-elle rester un bon petit soldat ? Ou, se libérer ? Ce roman féministe de "l'ancienne époque" a été considéré comme subversif et même scandaleux. Si Alba de Cespedes revenait sur terre, elle constaterait avec soulagement la fin du patriarcat occidental et l'amélioration considérable de la condition féminine. L'écrivaine décrit avec finesse et subtilité la discrète libération audacieuse d'une femme "entravée" dans une société italienne en pleine mutation. Au fond, ce roman préfigurait la révolution féministe, l'une des plus paisibles du XXe siècle sans émeutes, ni violences urbaines...