jeudi 29 octobre 2020

Derniers pèlerinages avant fermeture

 Encore un attentat horrible sur notre sol de France. Cette fois-ci des catholiques tranquilles et sereins attaqués dans leur église. Incompréhension, sidération et colère. Les jours s'assombrissent avec ces attaques islamistes qui fragilisent notre démocratie, affaiblissent notre République. Il va falloir rester debout contre vents amers et marées chagrines. A côté de ces évènements tragiques, les annonces de notre Président semblent inévitables et acceptables pour tous. Après un nouveau confinement à partir de minuit, il va falloir retrouver l'esprit de ce printemps où nous sommes restés dans nos maisons ou appartements. Cette privation de liberté va durer un mois ou plus pour notre bien à tous. Comme je suis retraitée, je n'oserai en aucun cas me plaindre de cette situation. Je suis soulagée que nos enfants et nos adolescents continuent leur scolarité, leurs acquisitions du savoir pour mieux vivre plus tard. Je regrette la fermeture des bibliothèques et des librairies, lieux essentiels pourtant caractérisés de "non essentiels". Quel dommage ! Pour "commémorer" cette dernière après-midi de liberté, j'ai pratiqué une des plus belles des "religions", celle de la culture, de la connaissance, de la nuance, de la tolérance et de la liberté. J'ai réservé ma première visite à la librairie Garin où j'ai constaté avec plaisir une grande affluence. Quelques clients portaient une pile de livres à bout de bras. Des lecteurs écureuils avec leurs noisettes culturelles... J'ai choisi le dernier Daniel Mendelssohn, "Trois anneaux" et celui de Dominique Fernandez.  Puis, j'ai mené mes pas à la Médiathèque de Chambéry très fréquentée à la veille de sa fermeture. Chaque adhérent pouvait choisir une cinquantaine de livres... J'ai remarqué la même fièvre autour des livres et de la culture. En temps de confinement, leur compagnie me semble apaisante, nécessaire et consolatrice. J'ai terminé mon après-midi avec une belle marche sur les bords du lac du Bourget. J'ai regardé encore avec plus d'attention la Dent du Chat, le lac, les roselières, l'étang des Mottets, les mouettes, les barques, le port de Terre nue en leur donnant rendez-vous en décembre, peut-être. Ce temps suspendu dans cette bulle si belle de nature préservée m'a donné l'énergie pour traverser ce long mois de novembre où chacun devra accomplir son devoir de citoyen en respectant les mesures contre ce virus mortifère et mondialisé. En compagnie des livres, de la musique, de l'écriture. Cultivons nos passions et ce mois de novembre passera plus vite. Et surtout tenons ce virus à distance... 

lundi 26 octobre 2020

"Intimité"

J'ai terminé la lecture "d'Intimité" d'Alice Ferney avec soulagement. Je me suis fait un devoir de le lire et de le parcourir dans la dernière partie pour me fabriquer ma propre opinion. Ce roman ressemble à un traité sur les relations amoureuses hétérosexuelles à notre époque et sur les problèmes de la parentalité directe ou indirecte. Alexandre symbolise le héros masculin par excellence et il traverse le livre du début à la fin. Autour de lui, gravitent ses "femmes" et ses enfants. Sa première compagne, Ada, attend un enfant alors qu'elle ne désirait pas revivre une deuxième grossesse. Mais, Alexandre n'avait qu'une obsession : être père, à n'importe quel prix. Le couple confie le fils d'Ada à Sandra, une voisine célibataire, libraire de son état. Mais, l'accouchement se passe mal et Ada perd la vie en donnant naissance à une petite fille. Alexandre est ravagé par la mort de sa compagne et par sa culpabilité : "Mon désir a tué Ada. Si je n'avais pas voulu d'enfant, Ada serait vivante". Au fil du temps, il se lie d'amitié avec Sandra qui l'aide à surmonter cette épreuve. Au fil du temps, ils partagent les repas du soir et Sandra prend souvent soin de ses enfants. Sandra est une femme libre, qui ne veut pas s'attacher à un seul homme et revendique un féminisme serein et affirmé. Quand l'écrivaine introduit la deuxième compagne d'Alexandre, Alba, rencontrée sur un site internet, l'histoire devient de plus en plus pesante et quelque peu invraisemblable. Cette professeur de français refuse la dimension sexuelle de sa relation avec Alexandre qui accepte ce contrat par culpabilité. Ils se marient et vivent ensemble. Mais, Alba veut à son tour devenir mère, les enfants de son conjoint ne lui suffisent pas. Elle choisit la GPA en contactant une jeune américaine comme mère porteuse. Le roman à ce moment là ressemble à un mode d'emploi : comment se renseigner sur les sites internet, les pour et les contre, les hésitations et les certitudes. Alexandre cède malgré son opposition et accepte cette méthode si complexe. Cette partie du roman m'a semblé un peu indigeste. Alba ne possède aucune empathie et semble marmoréenne. Les thèmes du couple, de la maternité et de la parentalité sont débattus à chaque page du roman et même si, l'écrivaine veut jouer le registre de la comédie, ce roman bavarde trop... Dommage... 

vendredi 23 octobre 2020

Rubrique Cinéma

 Cet après-midi, je suis allée voir "Michel-Ange" ou "Il Peccato" du réalisateur russe Andréï Kontchalovsky. Michelangelo Buonarroti (1475-1564), ce génie, cachait aussi un tempérament orageux, colérique et déroutant. Le film s'attache au cadre historique et social de l'époque et à l'homme, tiraillé entre ses mécènes. D'un côté, le pape Jules II de la famille Della Rovere, le commanditaire de la Chapelle Sixtine et de l'autre, les Médicis dont un de ses membres est devenu pape. Michel-Ange croule sous le travail. La famille Della Rovere exige la poursuite du tombeau en marbre de Jules II alors que le nouveau pape lui ordonne d'exécuter la façade de l'église San Lorenzo. L'artiste accepte le contrat des Médicis tout en trahissant les autres. Sa cupidité se vérifie avec l'achat d'une maison et d'une ferme par son propre père. Il est agité, épuisé, tourmenté, car il a donné cinq ans de sa vie à la Chapelle Sixtine. Le réalisateur fouille le personnage avec une vision complexe de sa personnalité. Loin de le mythifier, de le glorifier, il brosse un portrait ambigu du sculpteur en le replaçant dans une Italie du XVIe à Rome, à Florence, à Carrare, en Toscane. Le décor reconstitué ne cache pas la puanteur des rues, la boue, la saleté permanente avec les seaux jetés par les fenêtres. On voit aussi la Chapelle Sixtine, les couloirs du Vatican, les palais des Médicis. La beauté italienne dans les églises, dans les palais et la misère du peuple. Un contraste frappant dans le film. Michel-Ange était autant célébré que haï. Ses concurrents comme Raphaël l'admiraient en le considérant comme le Maître. D'autres le craignaient à cause de ses colères, de sa méfiance. Il peut aussi devenir un magnifique meneur d'hommes dans les carrières de Carrare les amenant à se dépasser pour descendre un bloc de marbre surdimensionné pour l'époque. Ce génie de la Renaissance, exténué par sa propre créativité, devient presque fou dans ses projets titanesques. L'art n'est pas immatériel selon le réalisateur russe mais parfois englué dans les compromissions du pouvoir. Le commerce, l'argent, le pouvoir interviennent dans le destin d'un des plus grands génies de l'humanité. Andréï Kontchalovsky explique dans un article de presse qu'il a voulu évoquer "un homme ordinaire qui a des intérêts, des buts, des batailles de chaque jour à livrer, des problèmes de santé, des superstitions, qui vit avec la présence de Dieu ou du diable". Un film surprenant, somptueux et hybride avec une coopération russo-italienne... A voir, évidemment à l'Astrée.


mercredi 21 octobre 2020

Nostalgie

 Quand j'ai appris l'attentat horrible de ce fanatique islamiste sur ce professeur d'histoire, Samuel Paty, je suis restée sans voix, le cœur étreint de tristesse et de sidération. Le professeur a fait son travail en montrant deux caricatures de Mahomet. On connaît tous la suite, la dramatique, la tragique suite des événements. Je pense à lui en ce moment, je pense à tous ces professeurs qui, jour après jour, consacrent leur vie aux autres, aux enfants, aux adolescents, aux étudiants. Quand j'étais enfant à l'école primaire, j'ai tout de suite compris le bonheur d'apprendre à lire et à écrire. Au lycée, j'ai rencontré des professeurs extraordinaires qui m'ont enseigné le français que je vénère, les langues vivantes, l'histoire et la géographie, la musique, le dessin, les maths. Je me souviens encore de leur bienveillance, de leur professionnalisme, de leur rigueur de leur patience. Des fonctionnaires exemplaires, des hussards de la République, des médiateurs, des passeurs de mémoire collective. Ecole primaire du Boucau, lycée de Bayonne, Université des Pays de l'Adour à Pau, toutes ces institutions ont forgé mon identité de Française, de Républicaine et de femme libre. Une de mes plus grandes fiertés est d'avoir relayé ce travail républicain dans mon métier de bibliothécaire où j'ai rencontré beaucoup d'enseignants. Ces professeurs des écoles, ces instituteurs et institutrices répondaient toujours présents pour emmener leurs élèves à la bibliothèque. Le goût des livres, de la lecture, des idées, se partage dans ces lieux complémentaires de l'école. Les mairies avec leur bibliothèque sont les piliers de la République comme l'école. Comme c'était un bon temps, serein, innocent, sans accroc, sans contestation, un temps béni où tout le monde pouvait respirer sans avoir peur.  Dans l'hommage national, le Président Macron a eu raison d'honorer ce professeur en rappelant la grandeur de notre laïcité, de notre liberté de penser et d'être. Je retiens sa dernière phrase : "Les Lumières ne s'éteindront jamais en France". Face à la barbarie islamiste, ce discours mobilisateur doit s'accompagner d'actes fermes pour sauver notre art de vivre, notre culture, notre humour et notre civilisation. Plus de vague à l'âme, plus de poussière sous le tapis, tolérance zéro. Nous ne les laisserons pas faire. Hors de question. Pour Samuel Paty. 

mardi 20 octobre 2020

Atelier Lectures, 4

 La dernière séquence de l'atelier Lectures concernait la liste des ouvrages sur les voyages. Je l'avais donnée en juin pour avoir quelques idées de lectures pendant l'été. Mais ce laps de temps, presque trois mois et demi, a démotivé une majorité de lectrices. Comme Annette appréciait ce thème, elle a lu "Le phare, voyage immobile" de Pablo Rumiz. Ce voyage immobile au sein d'un phare dans la Méditerranée a enchanté Annette. Sans agenda, sans horaires, sans connexion, l'écrivain raconte son quotidien dans cette nature exceptionnelle : le cri des mouettes, les couchers de soleil, les tempêtes, les vents. Il n'oublie pas les gardiens, les repas, la pêche, la rêverie. Vivre sur une île déserte comme un ermite voyageur, un rêve réalisé capté dans ce récit où l'odeur salée de la mer embaume les pages à tout instant. Elle a aussi lu "La consolation des voyages" de Jean-Luc Coatalem. Dans ce livre très personnel, l'auteur égrène des souvenirs liés à ses escapades à travers le monde, de l'Ombrie au Grand Nord, à Goa, sans oublier sa Bretagne natale ou Paris. Où est le vrai voyage ? Où aller pour se perdre et pour se retrouver ? Il évoque les écrivains qui ont influencé ses vagabondages comme Rimbaud et Victor Segalen. Véronique a bien apprécié "Remonter la Marne" de Jean-Paul Kaufmann. Cette région française un peu délaissée a permis à l'auteur de découvrir son passé historique à travers des anecdotes. Mais le charme des récits de ce voyageur atypique naît de sa merveilleuse curiosité érudite non pédante. Il relate ses rencontres, ses marches de pèlerin, pérégrinant avec un style fluide et classique.  Un récit à savourer. Régine a lu avec plaisir, "Briser la glace" de Julien Blanc Gras. L'auteur se lance dans un périple au Groenland. Avec un humour loufoque, il décrit de beaux paysages, mange du phoque au petit déjeuner, sent ses doigts gelés, admire une aurore boréale, rencontre des Inuits déboussolés. Voilà pour les lectures de l'été concernant le voyage. Nous nous retrouverons le jeudi 17 novembre pour parler de quelques romans américains (écrits par cinq femmes et cinq hommes) parus après l'an 2000. Ces romans racontent l'Amérique qui s'apprête à voter le 3 novembre. J'aime bien lié la littérature à l'actualité et rien ne vaut la plume des écrivains pour raconter l'identité multiple, complexe d'un pays aussi vaste que les Etats-Unis. 

lundi 19 octobre 2020

Atelier Lectures, 3

 La deuxième partie de l'atelier concernait les nouveautés de la rentrée littéraire. J'avais envoyé une petite sélection de romans français pour jouer au jeu des prix littéraires qui vont bientôt commencer en novembre. Geneviève a commencé la séquence avec "Comédies françaises" d'Eric Reinhardt, un roman "documentaire" à ses yeux. Dimitri, un jeune reporter de 27 ans, mène une vie tourbillonnante. Un jour, il se lance dans une enquête sur la naissance d'Internet et apprend qu'un ingénieur français avait inventé un système de transmission de données. Mais dans les années 70, les pouvoirs publics ont interrompu ses recherches et ont choisi le Minitel. Cet erreur stratégique montre l'influence des lobbies au sein du milieu politique. L'écrivain décrit aussi les frasques sexuelles de Dimitri entre deux moments d'enquête. Ce roman parodique et plein d'humour veut décrire une comédie humaine dans les coulisses de la vie économique et politique française. Mylène, Régine et Janelou ont choisi le même livre : "Intimité" d'Alice Ferney. Elles ont apprécié ce roman dense et intimiste à l'unanimité. L'écrivaine raconte le destin de trois personnages contemporains : une libraire féministe et célibataire par conviction, un père architecte et veuf élevant sa fille et une enseignante qui s'est inscrite sur un site de rencontres. Cette polyphonie sur le couple, sur la parentalité, sur l'amour forme un récit dynamique et illustre les différentes façons de vivre à notre époque où tout peut advenir. Bonheur familial ou individuel, Alice Ferney manie l'humour et la dérision à bon escient pour montrer que la vie en société n'est pas toujours d'une simplicité harmonieuse. Un coup de cœur à découvrir pour rejoindre ou pas le clan des fans ! Annette a lu "Une rose seule" de Muriel Barbery, publié chez Actes Sud. Un roman japonais, subtil, délicat comme les promenades que la narratrice entreprend pour retrouver les traces de son père. Annette a cité aussi "Une farouche liberté" de Gisèle Halimi et "Quitter Madrid" de Sarah Manigne. Odile a présenté "Chavirer" de Lola Lafon, publié chez Actes Sud. Cléo, une jeune collégienne, rêve de devenir danseuse. Elle est sexuellement piégée par une pseudo Fondation de la vocation qui l'aide à réaliser ce rêve puéril. Cléo devient à son tour une "entremetteuse" pour faire carrière. 30 ans plus tard, l'affaire ressurgit et le pardon est-il encore possible ? Un très bon roman de cette rentrée littéraire. Chantal a présenté l'autobiographie philosophique et intellectuelle de Barbara Cassin au titre rimbaldien, "Le bonheur, sa dent douce à la mort". Elle a apprécié ce livre tout en avouant que certains passages lui ont semblé un peu obscurs. A découvrir. La suite, demain. 

vendredi 16 octobre 2020

Atelier Lectures, 2

 Annette a évoqué deux coups de cœur : "Monstres fabuleux" d'Alberto Manguel et "Tout ce que l'on ne te dira pas, Mongo" de Dany Laferrière. Dans le premier ouvrage, l'écrivain argentin nous invite à retrouver les plus légendaires personnages de la littérature mondiale : de Dracula à Faust, de Robinson Crusoé, de Superman à Quasimodo, et bien d'autres héros inoubliables. Ces personnages "débordent de leurs livres pour nous guider sur le chemin de la vie".  L'érudit Manguel se lit toujours avec un plaisir certain. Dans le deuxième coup de cœur, Dany Laferrière tente de répondre à un jeune homme qui vient de débarquer à Montréal. Il parle d'insertion, d'assimilation pour comprendre les codes sociaux et se confie sur ses quarante années passées au Québec. L'écrivain rend hommage au Canada dans cette belle lettre d'amour. Odile a beaucoup apprécié une autobiographie très littéraire d'Hector Bianciotti (1930-2012), "Ce que la nuit raconte au jour", publiée chez Grasset en 1992. La famille du jeune Hector d'origine piémontaise émigre en Argentine pour défricher un coin de terre et cet enfant promis aux travaux des champs saisit la seule chance d'échapper à ce sort : partir au séminaire où il découvre les amitiés particulières, la musique, les livres et la culture, en particulier la langue française. Sous la dictature de Péron, son meilleur ami qui était un mouchard haut placé, voulait se faire pardonner et offre à Hector un billet de bateau pour venir en France. Ce grand Académicien raconte son destin dans une langue superbement classique. A découvrir ou à relire. Cet écrivain oublié méritait vraiment de revenir dans nos mémoires. Chantal, notre nouvelle recrue, a parlé d'un poète qu'elle aime beaucoup : Jean-Paul Siméon. J'ai retenu cette phrase sur sa poésie ; "La force des mots de ce poète représente un antidote à toute forme de contamination de quelque virus que ce soit". Brigitte a choisi Richard Colasse, "La trace", publié dans la collection Points. Devenu PDG d'une entreprise prestigieuse au Japon, il raconte sa vie, son couple, son quotidien et révèle une trahison intime, celle d'un amour oublié. Régine a beaucoup aimé le premier roman aux accents autobiographiques d'Eta Rum, "Le silence d'Isra". La jeune Isra, Palestienne d'origine, est mariée de force à 18 ans et part à Brooklyn où vit son époux. Elle pense trouver une vie meilleure mais affronte le pire en restant cloîtrée chez elle. Elle donne "malheureusement" donné naissance à des filles dont la fougueuse Deya qui ne veut pas subir le sort de sa mère. L'écrivaine porte un regard sur les conflits intérieurs des femmes musulmanes prises en étau entre aspirations et traditions. 

jeudi 15 octobre 2020

Atelier Lectures, 1

 Aujourd'hui, ce jeudi 15 octobre, l'atelier Lectures a démarré sa saison au sein de la Maison de Quartier du Centre Ville à Chambéry après trois mois d'interruption. Malgré la crise sanitaire, nous avons la satisfaction de disposer d'une grande salle nommée Fraternité... Masque sur le visage, nettoyage des chaises après la séance, les gestes recommandés sont respectés à la lettre. Les participantes, fidèles et motivées, ont accueilli deux nouvelles recrues, Brigitte et Chantal. J'ai décliné les rendez-vous de l'année, souvent le troisième jeudi du mois et précisé le tempo de la séance : coups de cœur dans la première séquence et ensuite, commentaires sur les ouvrages conseillés. Geneviève a commencé les coups de cœur avec le roman de Leila Slimani, "Au pays des autres", publié chez Gallimard. En 1944, Mathilde, une jeune Alsacienne, tombe amoureuse d'Amine, un Marocain combattant dans l'armée française. Elle se marie avec lui et part vivre au Maroc, à Meknès où le système social de ségrégation s'applique. Il récupère ses terres et vit difficilement avec sa famille. Mathilde s'adapte mal au climat moral rigoriste et Amine se sent tiraillé entre deux cultures. Les deux petites filles du couple sont élevées par les Sœurs avec les enfants des colons. La fin du roman évoque la fin de la colonisation en 1956 quand ses terres sont brûlées dans un acte de violence inouïe. Cette saga romanesque et historique a emballé la critique et le public. L'écrivaine franco-marocaine va écrire la suite avec deux volumes supplémentaires. Sylvie a présenté un roman venu du Vietnam, "Terre des oublis" de Duong Thu Huong. Mien, une jeune femme, retrouve son premier mari après quatorze ans d'absence. Elle le croyait mort en héros à la guerre. Entretemps, Mien a épousé un riche propriétaire terrien avec qui elle a un enfant. Mais, la communauté l'oblige à retourner vivre avec le premier mari... Un roman prenant et passionnant selon Sylvie. Mylène a évoqué "Un garçon sur le pas de la porte" d'Anne Tyler. Micah, un homme de 40 ans, vit une existence tranquille à Baltimore. Un jour, il trouve sur le pas de sa porte un jeune adolescent fugueur. Ce garçon lui annonce qu'il est son père biologique. Pour un homme routinier, cet événement va transformer ses habitudes... Anne Tyler, écrivaine américaine, décrit trés bien les crises familiales avec un esprit piquant et irrésistible. Véronique a présenté son dernier coup de cœur, "L'énigme de la chambre 622" de Joël Dicker. Un soir de décembre, un meurtre a lieu au Palace de Verbier dans les Alpes suisses. L'enquête n'aboutira pas et au début de l'été 2018, un écrivain se rend dans ce même hôtel et il se retrouve plongé dans cette affaire. La critique n'a pas apprécié ce livre mais son public l'a encore suivi avec une certaine ferveur. La suite, demain. 

mardi 13 octobre 2020

"Le Grand Vertige"

 Dans les nouveautés de la rentrée, j'ai lu récemment "Le Grand Vertige" de Pierre Ducrozet, édité chez Actes sud. Ce roman ambitieux et symphonique raconte notre monde contemporain d'un point de vue écologique et pose la question angoissante : comment agir face à la dégradation entropique ? Comment réparer la planète abîmée ? Notre planète souffre et on ne fait rien. Pierre Ducrozet dans un article du Monde des Livres est défini ainsi : "A presque 40 ans, il est l'un des écrivains les plus attentifs aux bouleversements scientifiques et éthiques du monde contemporain. Sa façon de toujours envisager ses personnages en interaction avec le cours du monde, dans lequel ils trouvent aussi bien des limitations que de nouvelles perspectives, hisse ce qui pourrait n'être qu'une écriture dans l'air du temps à la hauteur des romans les plus ambitieux et les plus pénétrants". Le personnage central s'appelle Adam Thobias. Ce chercheur original alerte depuis quarante ans les médias pour dénoncer l'effondrement futur des sociétés qui sera provoqué par le réchauffement climatique. Il est qualifié de "savant fou, de génie, ou de charlatan, de clown". Cet icône de la lutte écologique passe à l'action en réunissant des grands spécialistes comme des géographes, des scientifiques, des anthropologues et des voyageurs" qui composent une "Commission internationale sur le changement climatique et pour un nouveau contrat naturel". Ce réseau "Télémaque" est chargé d'imaginer comment sortir de la crise. Ces aventuriers de l'écologie partent sur tous les fronts : de l'Himalaya à Nairobi, l'Arabie saoudite, la Birmanie, l'Australie et les capitales asiatiques. Cinq personnages se détachent des autres : Nathan, Mina, Arthur, Chloé et June. L'un d'eux, Nathan, star de la microbiologie, cherche une plante miraculeuse qui fournirait de l'énergie sans pollution. Ils parcourent la planète pour montrer les dégâts effroyables de l'activité industrielle : pétrole, gaz, agriculture intensive, etc. Le lecteur peut s'accrocher à ces jeunes utopistes qui donnent un peu de romanesque à ce roman discursif et savant. Adam Thobias va finir par se retirer dans une partie du monde inaccessible et ce retrait choisi sonne le glas d'une utopie ultra minoritaire. Pierre Ducrozet brasse de nombreux thèmes de l'écologie, de la mondialisation, de la collapsologie, du capitalisme sauvage, des guerres économiques, du gaspillage. Roman complexe, roman moderne, ce texte emporte le lecteur dans un tourbillon de voyages, de missions, de périples autour du monde, ce monde bien inquiétant... Un nouveau genre littéraire est né avec Pierre Ducrozet. 

lundi 12 octobre 2020

Escapade à Paris, 6

 Il me restait la matinée de vendredi pour profiter de mon séjour à Paris car je devais reprendre mon TGV vers 15 heures. J'ai choisi tout simplement de revoir les collections italiennes du Louvre dès son ouverture. D'habitude, quand on n'a pas eu le temps de réserver les billets, on attend parfois de longues minutes ou des heures pour se les procurer. Ce jour-là, personne aux caisses et même l'employée était ravie de nous vendre les entrées. Revisiter une aile du Louvre dans ces conditions optimales me semblait une opportunité à saisir et c'est avec un plaisir immense que j'ai revu la peinture italienne et la sculpture européenne. J'ai songé à l'exposition de Leonard de Vinci qui avait attiré un million de visiteurs, le record absolu pour le Musée du Louvre après celle de Delacroix en 2018. Je n'avais pas eu le temps de contempler les toiles exposées et je les ai revues sans aucune gêne. La salle où La Joconde attend ses admirateurs était quasi déserte. Les autres toiles de Léonard localisées dans la Grande Galerie devaient se sentir bien seules. J'ai donc apprécié ce moment d'intimité avec l'un des peintres les plus fascinants de la péninsule italienne. Et, j'ai revu Arcimboldo et ses saisons, le divin Raphaël, Paolo Uccelo, Piero della Francesca, Messina, Mantegna, Bellini, Caravage et bien d'autres. Ce grand bain dans l'art italien m'a consolée de deux escapades annulées à cause du Covid, l'une à Rome et l'autre en Sicile où je devais revoir Syracuse. Déambuler dans cet immense institution sans son public de touristes (en particulier venus d'Asie) représente une aubaine exceptionnelle. Le public habituel reviendra certainement à la fin de la crise sanitaire. Il faut vraiment repenser à l'avenir, les flux de visiteurs avec des quotas comme l'impose la crise sanitaire. J'ai terminé la visite dans la boutique de souvenirs du Louvre, chic et de qualité. J'ai même ramené une pyramide miniature en verre que j'ai intégrée dans mon "cabinet de curiosités" où j'accumule des petits objets d'art de mes visites "muséales" à travers l'Europe. J'ai donc terminé mon séjour parisien au Louvre et dans le Jardin des Tuileries, toujours aussi majestueux et magnifique. Musées, expositions, librairies, concert de Philippe Jaroussky, ma rencontre avec Pascal Quignard, j'ai joué à l'écureuil en accumulant des provisions de beauté, d'art et de musique en quatre jours ! Comme la situation sanitaire se dégrade dans les grandes métropoles, je peux rester à l'abri, en "hivernage" avec toutes ces belles rencontres culturelles et artistiques. Je sais déjà que je reprendrai le TGV au printemps prochain pour humer de nouveau le parfum culturel de notre capitale à trois heures de la Savoie...

vendredi 9 octobre 2020

Escapade à Paris, 5

 Le jeudi, le Musée Marmottan-Monet m'attendait pour une exposition reprogrammée à la rentrée, "Cézanne et les maîtres. Rêve d'Italie". Le peintre n'a jamais voyagé en Italie et pourtant, il connaît son art grâce au Louvre et aux livres. Le but de cette mise en scène est de mettre en parallèle un tableau d'un maître italien (dont Tintoret, Bassano) et une œuvre de Cézanne. On retrouve la célèbre Montagne Sainte-Victoire, Pastorale et des natures mortes diverses. D'autres artistes italiens tels que Boccioni, Carra, Morandi, complètent l'exposition pour montrer l'influence de Cézanne sur les jeunes générations d'artistes italiens qui ont abandonné les sujets religieux et mythologiques au profit des paysages, des natures mortes, des personnages profanes. J'ai remarqué une magnifique et saisissante "Vanité" de Cézanne que je ne connaissais pas. Après Cézanne, j'ai repris mon parcours artistique avec William Turner au Musée Jacquemart-André. Ce beau et charmant musée présente le peintre anglais du 26 mai au 11 janvier 2021. J'ai tout de suite constaté beaucoup plus de visiteurs attirés par la réputation bien établie de son génie coloriste avec l'exploitation des effets de lumière et de transparence. Les toiles sur Venise ont bien capté mon attention mais ses aquarelles m'ont semblé un peu fades. Je préfère de loin les tableaux peints à l'huile. En fait, le musée expose une soixantaine d'aquarelles et une dizaine de tableaux. Cet hôtel particulier du XIXe transformé en musée au début du XXe possède une belle collection de peintures italiennes : Carpaccio, Bellini, Mantegna, Uccelo et même un Botticelli. J'avais vu en novembre dernier la collection Alana dont je garde un merveilleux souvenir. J'ai ensuite passé mon après-midi dans un lieu magnifique : le Musée Rodin. Le ciel gris s'est mis au bleu dès que je suis arrivée dans la rue de Varenne. J'aurais pu croiser le Premier Ministre qui habite juste à côté... Les principales sculptures monumentales se situent dans le parc d'une superficie de 3 hectares. J'étais encore seule dans cet espace pour déambuler afin d'admirer le "Penseur", "Les Bourgeois de Calais", "La Porte de l'Enfer"... A l'intérieur du musée, on suit la créativité de Rodin sur le plan chronologique : ses années de formation, sa vie en Belgique, les plâtres de ses commandes et au premier étage, la collection de peintures et des œuvres antiques, des sculptures de Camille Claudel et les siennes. Le sculpteur avait loué cet hôtel particulier et occupait quatre pièces du rez-de-chaussée. Ce lieu possède une âme, l'âme de Rodin, certainement... J'ai terminé ma journée avec un concert de musique au Théâtre des Champs-Elysées pour écouter Philippe Jaroussky, Emoke Barath, Lucile Richardot et Emiliano Gonzalez Toro. Ils interprétaient des extraits d'opéra de Vivaldi. Un moment magique, un moment de rêve avec la musique enchantée du "Rouquin de Venise". Nous étions un bon millier de spectateurs séparés par des fauteuils vides. Le chef d'orchestre, Julien Chauvin, et sa formation, le Concert de la Loge, nous a remercié d'être tout simplement là pour soutenir la musique classique et l'art lyrique... J'avais l'impression de revenir à la vie d'avant la crise quand on pouvait assister à des concerts sans masque. Le porter pendant deux heures n'était pas un pensum : je me croyais à Venise avec Vivaldi ! 

jeudi 8 octobre 2020

Escapade à Paris, 4

 Après la visite du Louvre, je me suis promenée dans le Quartier latin, un lieu mythique pour les amoureux de la littérature. Quand je vivais à Paris dans les années 80, les librairies donnaient le tempo, le rythme de la vie intellectuelle. J'ai retrouvé quelques traces du passé dans la librairie Compagnie, créée en 1986 à l'initiative des Editions de Minuit. Ce lieu d'excellence propose un assortiment d'ouvrages en privilégiant la littérature et les sciences humaines. Son site internet propose de très nombreuses bibliographies. Je me suis baladée dans les rayonnages en ne reconnaissant pas l'aménagement à ses origines. Plus loin, la librairie et maison d'édition, le Dilettante, a conservé son parfum d'antan en vendant aussi des livres d'occasion très littéraires. J'aime toujours fureter, humer, palper les livres qui, de plus en plus souvent, se sentent esseulés dans leur casier respectif. En me baladant dans ces rues de Paris, j'ai aussi vu une exposition sur les femmes écrivains dans la galerie Gallimard, "Ecrire libre, 1945-1980". On peut voir des photos, des manuscrits, des lettres, des contrats de Nathalie Sarraute, Simone de Beauvoir, Marguerite Yourcenar, Marguerite Duras, Annie Ernaux. Cette génération de femmes singulières et géniales ont dévoilé "un réel féminin, en toutes situations de l'expérience individuelle et collective". Elles sont peu nombreuses, nos grandes écrivaines françaises mais elles ont influencé des générations de femmes et d'hommes (j'espère). Des citations sont inscrites sur les murs blancs et j'ai retenu celle de Marguerite Duras : "Toutes les femmes de mes livres, quelque soit leur âge, découlent de Lol V. Stein. C'est à dire, d'un certain oubli d'elles-mêmes". J'ai aussi remarqué celle de Simone de Beauvoir : "Je voyais dans mes livres mon véritable accomplissement et ils me dispensaient de toute autre affirmation de moi". Après ce pélerinage littéraire, j'ai atteint le Jardin du Luxembourg en profitant d'une belle éclaircie. J'ai retrouvé un Paris éternel avec le grand bassin et ses petits voiliers, les statues, les arbres, les allées et les chaises vertes. Acquis par Marie de Médicis en 1612, elle voulait créer un lieu qui lui rappelait sa Toscane chérie. Le Sénat gère et entretient ce parc de 23 hectares, un des poumons verts de la capitale. Cette halte reposante et esthétique permet de se ressourcer pour repartir dans le flot ininterrompu des véhicules motorisés qui restent encore bien présents malgré la présence des vélos encore bien minoritaires. J'ai croisé beaucoup plus de scooters que de bicyclettes... La marche dans Paris demeure la meilleure façon de découvrir, de redécouvrir le cœur de Paris avec ses ponts, la Seine, ses monuments, ses institutions. Malgré l'ambiance bizarre qui règne dans les rues avec le port du masque, une euphorie intime se lovait dans mon esprit baignant dans un air culturel permanent ! 

mercredi 7 octobre 2020

Escapade à Paris, 3

 Mercredi, j'ai démarré ma journée au Musée de l'Orangerie. Pas de file d'attente, une entrée fluide et agréable. Je voulais absolument voir l'exposition de Giorgio De Chirico (1888-1978), ce peintre italien que l'on qualifie de métaphysicien. Les toiles exposées proviennent du MOMA à New York, de Philadelphie, de Chicago, de Londres, etc. Cette initiative tient presque du miracle en considérant que les déplacements de ces œuvres picturales devenaient périlleuses en fonction du virus. Chaque toile possède un mystère particulier qui déconcerte, interroge, surprend, déroute... Pourquoi deux artichauts dans un tableau intitulé "La conquête du philosophe" ? Philippe Dagen dans un article du journal, "Le Monde", apporte cette réponse : "Parce qu'ils se mangent lentement, feuille à feuille, lenteur qu'exige aussi la philosophie qui effeuille le monde". Les titres défilent : "La Nostalgie de l'infini", "La mélancolie du départ", "La récompense du devin", "La tour rouge". Mannequins aveugles, paysages urbains déserts, objets insolites, colonnes antiques, jeux d'ombre et de lumière, tous ces éléments composent des tableaux surréalistes, oniriques, fantastiques. Pourquoi évoquer l'aspect métaphysique de cette peinture moderne ? Pour le critique d'art déjà cité, il note ceci : "La métaphysique selon De Chirico a pour dessein de rendre mieux visible l'absurdité du monde et des activités humaines". A côté des tableaux de Chirico, j'ai vu des Morandi que j'aime beaucoup et d'autres italiens influencés par la peinture métaphysique. Le Musée de l'Orangerie possède une collection importante de Claude Monet dont les célèbres "Nymphéas". Après l'Orangerie, j'avais rendez-vous au Louvre : plus aucun touriste étranger, peu de touristes nationaux et personne devant la Pyramide. J'avais visité le Louvre l'année dernière en fin novembre où j'avais été quasi bousculée par la masse des visiteurs qui se pressaient aussi pour voir l'exposition consacrée à Leonard de Vinci. Dès que je suis entrée à l'intérieur de la Pyramide, l'ambiance avait complètement changé. On pouvait prendre son temps, flâner comme au bord d'un lac, s'arrêter devant un tableau sans gêner personne. J'ai décidé de commencer par l'aile Denon où se trouvent les Antiquités grecque et romaine. J'étais seule devant la Vénus de Milo, devant la victoire de Samothrace, devant les Kouroi, devant les idoles cycladiques, etc. Une aubaine, évidemment pour les amateurs d'archéologie... Ce labyrinthe où se nichent tant de trésors artistiques ne se visite pas en une seule fois. Il vaut mieux revenir le lendemain pour mieux "assimiler" dans son esprit tous ces fragments d'un passé fondateur.  Du côté des antiquités égyptiennes, Anselm Kiefer, cet immense artiste contemporain allemand, a confié trois œuvres au Louvre dont une toile, "Athanor" représentant un homme gisant au sol, fixant un ciel étoilé. Cette toile d'une dimension impressionnante est installée dans une niche sous une voûte en arêtes, encadrée par deux chapiteaux corinthiens. Un dispositif qui donne une ampleur "mystique" au tableau. Quel bonheur de visiter ce musée sans la foule autour de soi... 

mardi 6 octobre 2020

Escapade à Paris, 2

 A la BNF, j'ai aussi vu une exposition de Josef Koudelka, "Ruines". Ce photographe a cheminé pendant trente ans autour de deux cents sites archéologiques du bassin méditerranéen : de la Grèce à l'Italie, de la Turquie à l'Algérie, de la Tunisie à la Lybie sans oublier la France et, au total, 21 pays. Un ensemble de vues panoramiques en noir et blanc magnifie les "Ruines" de la Méditerranée grecque et romaine. Comme j'aime beaucoup l'archéologie, j'ai vraiment apprécié ces photos de paysages, de temples, de colonnes étalées sur le sol, de mosaïques splendides, des théâtres, des thermes, des statues en marbre. J'ai reconnu certains lieux que j'avais arpentés et d'autres qu'il me reste à découvrir. Je me doute bien que certains sites sont inabordables pour des raisons de sécurité. Le regard aigu du photographe sur ce temps lointain montre les traces de la civilisation gréco-romaine, disparues dans le chaos de l'Histoire humaine, provoquant des champs de ruines. J'ai retenu cette citation lucide de Koudelka : " Les ruines, ce n'est pas le passé, c'est l'avenir. Tout autour de nous, un jour, sera en ruines". Je me suis promenée dans cette forêt d'images avec un intérêt certain, car le photographe s'est permis des "vues basculées, complexes où s'architecture néanmoins un désordre de ruines". Cette beauté du monde, ces traces pérennes procurent une sensation de temps retrouvé, "océanique", dirait Freud devant ces photographies mémorielles. Une très belle exposition à voir jusqu'au 16 décembre. Le lendemain de la conférence, je suis revenue à la BNF pour l'exposition de Pascal Quignard : "Fragments d'une écriture" du 29 septembre au 29 novembre. Voir le manuscrit de "Boutès" dans une vitrine, enluminé par des dessins de l'auteur, deviner à travers les mots écrits de sa main le geste créatif, l'élaboration de sa pensée sinueuse, labyrinthique, permettent d'imaginer l'écrivain dans son travail quotidien d'écriture, un scribe égyptien à l'œuvre !  Des photographies familiales dévoilent son enfance et sa jeunesse. Des vidéos sur le film, "Tous les marins du monde" et sur un entretien qu'il a accordé chez lui, complètent l'exposition centrée sur sa vie d'écrivain. Décidément, cette escapade parisienne m'a permis de me replonger dans l'univers si singulier, si unique de cet écrivain inclassable, poète, philosophe, conteur, érudit : une mosaïque faite homme, composée de toutes ces facettes littéraires. Son onzième tome du "Dernier Royaume", "L'Homme aux trois lettres" vient de paraître. Il m'attend sur ma table de chevet... 

lundi 5 octobre 2020

Escapade à Paris, 1

 Mon escapade parisienne devait se dérouler en mai dernier pour voir des expositions mais la Covid-19 est passée par là et toutes les manifestations culturelles ont été annulées. Ce premier semestre de confinement-déconfinement est déjà un peu oublié par insouciance ou par inconscience, mais pourtant, cette période de mars à mai sera marquée dans nos mémoires comme une blessure collective. Ne pas aller à Paris cet automne malgré la menace latente du virus m'aurait semblé une défaite, un renoncement, une déroute et j'ai surmonté mon appréhension de la foule parisienne. Cet été, j'ai réservé le TGV, les billets des musées, d'un concert et d'une conférence. En écoutant bien nos grands spécialistes du virus, le masque et le gel hydroalcoolique nous protègent malgré tout. J'ai souvent entendu dans les micros du train, de la gare de Lyon, des musées et de tous les espaces traversés, des recommandations permanentes. Je me suis imaginée dans une série dystopique annonçant la fin d'un monde normal et ouvert. Mardi, j'ai commencé par la BNF, la Bibliothèque Nationale de France, où j'avais rendez-vous avec Pascal Quignard, mon écrivain préféré. Si je m'exile un jour sur une île déserte, j'emporte tous les Quignard dans mon sac ! Il donnait une conférence à l'Auditorium vers 18h et une exposition sur son œuvre démarrait le lendemain. Cela faisait vingt ans que je n'avais pas mis les pieds dans ce lieu gigantesque, un peu trop déshumanisé par une architecture verticale vertigineuse. Décidément, cet espace ultra urbain heurte ma vision même si ces tours ouvertes en forme de livre forment un ensemble spectaculaire. Dans l'auditorium où nous étions une petite cinquantaine, Pascal Quignard s'est avancé en compagnie de la directrice, Madame Engel. Elle a présenté l'écrivain très brièvement en évoquant le don d'un manuscrit, "Boutès", de sa correspondance, des éditions rares, des photographies. Pascal Quignard détruit la plupart de ses manuscrits ne voulant pas garder des traces premières de ses œuvres. Quand je l'ai vu, j'étais émue et fascinée par sa présence d'une simplicité naturelle, non affecté. Il a enchanté son public pendant un heure où il a dévoilé la signification de l'image archaïque. Sur un écran immense, défilaient des scènes de peinture murale romaine, "le Plongeur de Paestum" en particulier, un banquet de Tarquinia, une fresque de Lascaux, etc. Je savourais son érudition profonde et originale, ses analyses éclairantes sur l'apport symbolique des images archaïques, sa voix agréable, la mise en scène d'une pureté monastique : un clerc du Moyen Age, un moine bénédictin savant, une silhouette venue d'un temps lointain, un extra-terrestre du passé grec et romain. Je reviendrai sur cette conférence dans ce blog pour mieux la décrypter car je l'ai enregistrée pour conserver ce pur moment de littérature française. Dans le hall, j'ai revu Pascal Quignard, et j'ai eu l'audace de lui parler. Il m'a écoutée gentiment et comme je lui exprimais toute ma gratitude pour ses ouvrages, il m'a répondu qu'il était honoré de ma présence... Je crois que ces minutes de dialogue resteront gravées dans ma mémoire à tout jamais. Je me tenais devant un des plus grands écrivains contemporains d'une simplicité désarmante et intimidante. Quelle rencontre, même fugace, même brève ! Ecouter sa conférence dans un silence religieux, le voir en "vrai", lui parler : je commençais bien mon escapade parisienne. Je vais me replonger dans son "Dernier Royaume" du tome 1 à son 11e qui vient de sortir. On peut lire et relire Pascal Quignard, et des passages que l'on avait du mal à comprendre s'éclairent cinq ans après, dix ans après, vingt ans après. J'aime cette littérature complexe, interrogative, parfois hermétique, souvent secrète, qui crée un lien intime avec son lecteur(trice). Une belle rencontre littéraire !