jeudi 26 février 2015

Atelier de lectures, 3

Je poursuis ma présentation de l'œuvre d'Annie Ernaux pour mettre l'accent sur deux ouvrages que j'ai relus ce mois-ci. Je veux parler du témoignage poignant, "Je ne suis pas sortie de ma nuit", texte sur la mère de l'écrivain, atteinte de la maladie d'Alzheimer. Elle décrit la démence sénile de sa mère, ses réflexions, ses pertes de mémoire, son agressivité, sa dégradation physique (couches humiliantes). Cette description au plus près du réel se lit avec un sentiment d'empathie envers cette femme en fin de vie. Annie Ernaux se sent coupable de l'avoir confiée à une institution médicale. Tout est détaillé à l'extrême, jusqu'à l'os de l'événement. Sa mère ne sortira plus de cette nuit. Sa maladie aura duré deux ans et demi. Texte difficile, éprouvant. Ce journal intime peut déranger, mais il faut le lire comme un témoignage d'amour envers cette femme si complexe à comprendre. Annie Ernaux écrit cette phrase : "Ce jour ne s'est pas levé pour elle. Elle était la vie, rien que la vie, et la violence."  Je terminerai ce billet en évoquant un texte qui me semble majeur dans sa production : "Les Années", ouvrage édité en 2008, obtenant le prix Marguerite Duras. Cette œuvre originale résume le projet littéraire d'Annie Ernaux  : "retrouver la mémoire de la mémoire collective dans une méthode individuelle". Elle ne se considère pas comme "un être singulier, mais comme une somme d'expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages, et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent)." J'ai relu "Les Années" en pensant à Georges Perec ("Les choses"), à Roland Barthes ("Mythologies") et j'ai retrouvé toutes les images, tous les slogans, les évènements, les ruptures historiques, tout un puzzle de notre siècle dernier vu par une femme écrivain qui, de temps en temps, pointe notre attention sur elle, Annie Ernaux, qui se raconte à la troisième personne du singulier. Je n'arrêtais pas de souligner au crayon des extraits, des phrases, des expressions : toujours ce miroir qu'elle nous tend pour partager sa vision du passé, de l'évolution sociale, des luttes politiques, en particulier des femmes, des mutations technologiques, de la consommation, de la publicité... Ce livre devrait être étudié comme un livre d'histoire et de sociologie, une tentative "d'épuisement du réel". J'aimerais citer des dizaines d'extraits mais je choisis la dernière phrase d'Annie Ernaux : "Sauver quelque chose du temps où l'on ne sera plus jamais". Annie Ernaux écrit depuis 1974, et en 2008, c'est à dire trois décennies après, elle nous offre peut-être son chef d'œuvre... En attendant, la suite de ces "Années"... Mes amies-lectrices ont beaucoup apprécié l'ensemble de son œuvre, et mon rôle d'animatrice se résume à ce projet : faire découvrir un univers littéraire unique et original...