lundi 16 décembre 2019

"Opus 77"

Alexis Ragougneau est un jeune écrivain, passionné de musique classique. Comme je vibre comme lui tous les jours en écoutant mes opéras baroques et la musique sacrée (sublime Bach), je suis ravie quand je remarque un roman, évoquant le monde fascinant des "sons ordonnés". Son "Opus 77" concerne un concerto de Chostakovitch. Lors de la messe de funérailles du chef d'orchestre Claessens, sa fille, la narratrice du livre, elle-même pianiste célèbre, interprète la difficile pièce pour violon et orchestre, opus 77. Pendant qu'elle joue, elle raconte l'histoire de sa famille, une tribu musicale d'exception. Ce milieu professionnel encense les talents, mais aussi peut à tous moments basculer dans les rudes critiques les plus injustes. David, le frère d'Ariane, violoniste prodige en son temps, est absent lors de l'enterrement de son père. Ce frère s'est réfugié dans un ancien bunker de l'armée en Suisse et il vit dans cet endroit perdu dans une solitude absolue et intransigeante. Pendant que son frère s'emmure dans le silence, Ariane choisit la parole. Dans son enfance rythmée par la musique, Ariane se remémore sa mère, Yaël, soprano douée mais étouffée par son mari, qui n'hésitait pas à mener une vie parallèle en la trompant avec ses élèves. Entre le passé familial et le présent de la narratrice, la vie familiale se déroule dans un certain chaos : dans le couple, dans les relations parents-enfants. La musique n'adoucit pas les mœurs et ne joue donc pas un rôle apaisant dans ce huis-clos d'exception, bien au contraire. Le talent du père écrase celui de ses enfants, la mère renonce peu à peu à l'art lyrique. Ariane se souvient d'une scène emblématique dans son enfance, quand elle voit, cachée sous le piano, la faillite d'un musicien virtuose qui ne contrôle plus ses doigts et devient ainsi chef d'orchestre. Son échec personnel condamne les siens à partager sa chute. Il règne comme un tyran sur les siens et seul, David, va s'affronter à ce Commandeur. Lecteur de Kafka et de Melville, le jeune homme préfère fuir ce milieu alors qu'il possède un génie musical. Son violon exceptionnel, offert par son père, ne suffit pas à le guérir de son enfance chaotique. Pour punir et se venger de son autoritarisme froid, il renonce à jouer le dernier mouvement du concerto alors qu'il frôlait le succès dans un concours à Bruxelles. Le conflit familial prend une tournure de tragédie grecque. Seule, Ariane, tente l'impossible en essayant de ressouder la fratrie désunie. Alexis Ragougneau a écrit un beau portrait d'artiste et de femme et il déclare dans un entretien : "A travers le personnage d'Ariane Claessens, j'ai travaillé à ma propre définition de la grâce, un mélange paradoxal de force et de fragilité. Ariane en est l'incarnation. Je l'ai voulue la plus humaine possible, c'est-à-dire pleine de contradictions". Un roman à découvrir et à savourer par les amateurs de musique classique.