lundi 12 novembre 2018

"Elsa, mon amour"

Quand des écrivains évoquent des écrivains, je me sens tout de suite attirée par cette démarche de reconnaissance, de gratitude, valeurs de plus en plus rares de nos jours. Simonetta Greggio a écrit un roman biographique sur la "divine" Elsa Morante (1912-1985) qu'elle idolâtre. Dans un article du Monde des Livres, paru en octobre dernier, l'écrivaine déclare avec humour que le monde se divise en deux : "ceux qui idolâtrent Elsa Morante et ceux qui ne la connaissent pas". Elle construit son livre en donnant la parole à l'écrivaine italienne, une femme libre et audacieuse, mêlant sa vie à celle d'Alberto Moravia (1907-1990). La vie culturelle de l'Italie des années 70 défile dans cette biographie romanesque. Elsa Morante côtoyait les intellectuels de cette époque : Visconti, Pasolini, Pavese, Rosselini  qui font des apparitions brèves mais intenses dans la vie d'Elsa Morante. Quand le livre commence, Elsa a soixante dix sept ans. Elle raconte son enfance difficile entre une mère enseignante dévoreuse et un père absent. Sa vocation d'écrivain nait très tôt (à onze ans !) et deviendra son destin unique. Simonetta Greggio scande cette passion d'écrire tout au long du récit : "La joie et la beauté, voilées de mes ciels lourds de pluie. Seul écrire est plus fort que vivre. Yeux fermés, je me souviens. J'écris". Plus loin, l'auteur ajoute : "Pourquoi croit-on que les écrivains écrivent, si ce n'est pour prêter leur voix à ceux qui n'en ont pas, ou qui n'en ont plus ?". Ainsi, Elsa Morane a écrit pour les "perdants" de la vie, comme on dirait aujourd'hui. Les gagnants ne l'intéressaient pas et quand elle se saisit d'un personnage comme dans "L'île d'Arturo" (1963), c'est une jeune adolescent en proie à ses tourments de famille et à son identité. Le roman, "La Storia" (1977) évoque le destin d'une femme, Ida, violée par un soldat allemand à Rome pendant la guerre. Cette fresque historique et sociale d'une Italie en proie au fascisme, à la collaboration au nazisme montre l'absurdité de l'Histoire dans les destins des "gens de peu". Simonetta Greggio aborde l'œuvre romanesque de l'écrivaine italienne pour inciter les lecteurs(trices) à lire ou relire ces romans inoubliables. J'ai lu Elsa Morante dans les années 70 et 80 et depuis ce temps là, je n'ai plus ouvert un roman d'Elsa Morante. Simonetta Greggio m'a vraiment montré le chemin des retrouvailles avec cette grande dame de la littérature italienne… Un beau roman poétique et bien documenté, un des meilleurs livres de la rentrée et pour ceux et celles qui aiment l'Italie, une lecture indispensable...