mardi 30 décembre 2014

"Heureux comme un libraire"

Je vais terminer l'année 2014 avec ce billet, mon quinzième du mois. Cette année, je me suis donnée un objectif mensuel de 15 articles par mois et j'ai respecté ce contrat même quand je m'absente de temps en temps pour quelques escapades. Pour ce dernier billet, je vais rendre un hommage aux libraires en m'appuyant sur le papier d'un journaliste du Monde, paru le vendredi 26 décembre. Michel Guerrin interroge quelques libraires "heureux" alors que les ventes de livres sont en baisse, que les jeunes délaissent la lecture, que de plus en plus d'achats passent par Internet. Certaines grandes librairies, situées dans des métropoles régionales comme "Ombres blanches" à Toulouse, "Mollat" à Bordeaux, "Millepages" à Vincennes et "Bookstore" à Biarritz résistent à la crise. Ces espaces sont renommés, très bien placés et offrent un large choix d'ouvrages. Les livres ont été plébiscités dans la liste des cadeaux, du plus modeste livre en format poche au livre d'art. Toutes les librairies, de la plus petite à la plus grande, ont un rôle à jouer dans la ville : elles deviennent des lieux de rencontre, des carrefours culturels, des espaces de partage. J'ai vécu une expérience de libraire à Bayonne de 1975 à 1981 et pour faire venir des clients-lecteurs, j'organisais des expositions, des soirées musicales, théâtrales. La clientèle fidèle n'a pourtant pas sauvé mon commerce car je vivais une concurrence déloyale avec les grandes surfaces. C'était l'époque du prix libre du livre. Si j'avais tenu un an de plus, je serais encore libraire... Mais, ma reconversion professionnelle m'a permis de devenir bibliothécaire et j'ai vécu aussi des rencontres formidables avec des lecteurs et surtout des lectrices  motivées dans des lieux bien aménagés, chaleureux et confortables (dont la médiathèque de Tarare) que j'avais équipés dans les années 90 et 2000 au temps de l'expansion de la lecture publique dans notre pays. Je me rends compte de la chance que j'ai eue de vivre cette "épopée" culturelle, une vie professionnelle au service des livres et du public, avec une passion qui ne m'a jamais quittée malgré les années cumulées... Voilà pourquoi, jusqu'à mon dernier souffle, je parlerai de littérature, des écrivains, des librairies, des bibliothèques, des maisons d'édition, des ateliers de lecture, de la place de la lecture dans ma vie, du monde fascinant des livres !

"Bad girl"

Nancy Huston fait partie de ma planète littéraire... J'ai lu pratiquement toute son œuvre romanesque et ses essais. J'ai toujours aimé son féminisme, sa passion de la littérature (en particulier de Romain Gary), son style inimitable, vivant, puissant et parfois, alambiqué. Elle ne laisse aucun(e) lecteur(trice) indifférent(e). On l'adore ou on la déteste. Je suis parfois déroutée par la construction de ses romans mais, il suffit de se cramponner et on se laisse porter par son souffle, son dynamisme et son charisme. Son dernier récit vient de sortir chez Actes Sud et je l'ai lu d'une traite... Nancy Huston mène une enquête sur sa vie intra-utérine, sa naissance, son enfance. Elle fouille, traque, vérifie comme une inspectrice, recherche les raisons pour lesquelles elle est devenue écrivaine et essayiste. Ses origines familiales ne sont pas favorables à ce destin de femme canadienne anglophone et parisienne d'adoption. Elle est née à Calgary, au Canada dans les années 50 dans un milieu de la classe moyenne. Elle évoque un arrière-grand-père fou à lier, une grand-mère féministe, une belle-mère allemande, un père dépressif, une mère intellectuelle, tout une galerie d'adultes complexes que l'écrivaine peint avec une empathie magnifique sans jugement et sans procès. Elle se donne le surnom de Dorrit en utilisant le tutoiement dès la première ligne du récit : "Toi, c'est toi, Dorrit. Celle qui écrit. Toi à tous les âges, et même avant d'avoir un âge, avant d'écrire, avant d'être un soi. Celle qui écrit et donc aussi, parfois, on espère, celui/celle qui lit. Un personnage." Nancy Huston est obsédée par la question de l'être : pourquoi suis-je née alors que ma mère voulait avorter ? Pourquoi me suis-je tant accrochée ? Quelles influences ai-je subies ? Elle écrit : "Notre corps grouille de cette descendance et de cette dépendance. Nous ne tombons pas du ciel, mais poussons sur un arbre généalogique". Cet ouvrage fourmille d'anecdotes sur ses ancêtres, ses parents, ses écrivains de prédilection (Virginia Woolf, Beckett, Barthes, Nin). Ce texte-puzzle, mélangeant les styles, la chronologie, les personnages comporte aussi des réflexions philosophiques, politiques et sociétales. Il faut lire Nancy Huston et "Bad girl", une littérature d'inspiration "volcanique", une lave de mots, d'images, de sensations, de réflexions, un bonheur de lecture...

vendredi 26 décembre 2014

"Et dans l'éternité, je ne m'ennuierai pas"

Je reprends les premières phrases de cette autobiographie : "Né en 1930 dans le Midi de la France, dans un milieu presque populaire, je suis professeur honoraire d'histoire romaine au Collège de France. Je me suis marié trois fois, comme Cicéron, César et Ovide. J'ai été membre du Parti communiste dans ma jeunesse et j'ai écrit des livres sur des sujets divers. Je vis depuis longtemps dans un village de Provence, au pied du mont Ventoux". Cette présentation sobre et succincte est l'œuvre d'un des plus grands historiens français, Paul Veyne. Je ne lis pas souvent des souvenirs de personnalités mais j'ai fait une exception avec ce livre rempli d'anecdotes sur sa vie personnelle, son métier d'"antiquisant", sa formation intellectuelle. Issu d'une petite bourgeoisie commerçante de Provence (son père fait fortune dans le négoce en vins), il échappe à une voie toute tracée en se consacrant à l'étude du latin et des Humanités comme on le disait dans une France d'avant... Sa passion de l'Antiquité lui vient très tôt à l'âge de huit ans, quand il découvre un petit morceau d'amphore romaine dans une colline, près de sa maison de famille. Puis, il lit Homère et sa fascination se confirme pour ce monde "aboli". Le professorat lui convient à merveille et il évoque son parcours de chercheur à l'université d'Aix en Provence, à Rome,  puis au Collège de France. Pour les lecteurs qui ne connaissent pas ce milieu scientifique, Paul Veyne se met vraiment à leur portée pour relater ce cheminement professionnel avec une ironie ravageuse. J'ai été aussi très intéressée par le portrait de son ami René Char. Il a par ailleurs écrit un ouvrage sur lui ("René Char en ses poèmes"). Il évoque sa vie intime et familiale avec lucidité,  son militantisme communiste sans grande conviction (il quittera le Parti en 1956).  Il aura traversé lui, le grand historien que l'on croit à l'abri du malheur, des événements tragiques (suicide de son fils) comme le plus commun des mortels. Malgré tout ce qu'il a vécu, Paul Veyne offre à ses lecteurs des leçons de sagesse, il nous communique son goût de la vie intellectuelle et sensible (Il adore la montagne). Son autobiographie se lit comme un roman et comme j'apprends le grec ancien, tout en suivant des cours sur la civilisation gréco-romaine, cet ouvrage ne pouvait que me plaire énormément. Et je lirai dorénavant toute l'œuvre de Paul Veyne surtout  "Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?"... "Cet octogénaire à l'humour ravageur a la jeunesse dans les veines" dit un critique de Télérama. Et il a mille fois raison...

mardi 23 décembre 2014

Rubrique cinéma

Loin de la foule "consumériste" des fêtes, je me suis réfugiée dans une salle de cinéma quasi déserte. J'ai donc vu "Nos enfants" du réalisateur italien, Ivano De Matteo. Il s'est inspiré de l'excellent roman d'Herman Koch, "Le dîner". Paolo est un avocat brillant, cynique et peu scrupuleux. Il défend toutes sortes d'agresseurs sans état d'âme. Sa femme s'occupe de leur bébé dans un appartement grand luxe. Il a aussi une fille de seize ans d'un premier mariage. Son frère lui, vit son métier de médecin avec passion, compassion et empathie pour ses enfants malades.  Il est marié avec une guide culturelle et leur fils Michele, âgé de seize ans, fréquente le même lycée que sa cousine. Les deux couples ont l'habitude de se voir une fois par mois dans un restaurant branché. Ils échangent des banalités et s'égratignent parfois à cause de leurs modes de vie différents. La mère du garçon tombe par hasard sur un reportage dans un journal télévisé et à sa grande stupéfaction, elle semble reconnaître son fils et sa nièce dans l'agression d'une femme SDF. La jeune fille avoue à son père avocat qu'elle est mêlée à cet événement. Les parents du jeune homme ne peuvent pas accepter l'intrusion de ce drame dans leur vie et ne réalisent pas que leur fils a complétement dérapé. L'avocat prend conscience que sa fille est habitée par une certaine cruauté mentale, et il veut la dénoncer à la justice. Il intercepte une conversation entre les deux cousins qui confirme leur comportement insensé. Quand les deux couples de parents se retrouvent au restaurant pour enfin parler de ce drame, les uns vont refuser tout recours à la justice, les autres prennent la seule décision sensée. Mais, la violence n'est pas que du côté des adolescents... Le réalisateur a voulu décrypter le mystère de l'adolescence pour les adultes, les comportements à risques, l'amour inconditionnel des parents, la lâcheté, le déni et bien d'autres problèmes au sein des familles. Un film coup de poing, très fort, vraiment intéressant sur des sujets de société, traités avec intelligence et finesse.

lundi 22 décembre 2014

"Le vrai lieu"

Il est toujours intéressant de découvrir les entretiens que les écrivains accordent à des journalistes. C'est pour ces raisons que je lis régulièrement la presse littéraire. Je viens de finir "Le vrai lieu" d'Annie Ernaux, édité chez Gallimard en 2014. Michelle Porte avait filmé cette écrivaine dans sa maison, dans sa ville à Cergy et dans sa région natale en Normandie. La réalisatrice nous a offert aussi des documentaires passionnants sur Virginia Woolf et sur Marguerite Duras. Dans cet ouvrage, Annie Ernaux évoque son enfance, sa vie d'adulte, de professeur de français, sa formation littéraire, ses liens familiaux surtout avec ses parents, car son œuvre se nourrit de ses expériences personnelles. Elle ne peut écrire que dans sa maison qu'elle habite depuis 1977 et elle a besoin de la "couleur du silence ici" pour composer ses textes. Elle apprécie particulièrement son jardin pour "sentir le passage des saisons, à voir les premières perce-neige, la première jonquille". Elle raconte sa ville, sans caractère particulier mais qui bouge sans cesse avec ses nombreux brassages de population. Son enfance à Yvetot révèle une personnalité solitaire et déjà très attirée par les livres. Le café-épicerie de ses parents, fréquenté par des gens modestes, l'amène à réfléchir sur les différences sociales qu'elle remarque très tôt. Elle se sentira "déplacée" quand elle deviendra professeur, vivant cette promotion comme une trahison de "classe". Elle écrit à la page 27 : "Cette accession au savoir s'accompagne d'une séparation. Au fond, je ne m'y résous pas, à cette séparation, c'est peut-être pour ça que j'écris." Annie Ernaux raconte avec une émotion discrète cette déchirure, fondatrice de son écriture. Elle rend un hommage à sa mère, figure autoritaire et caractérielle qui a initié sa fille à la lecture, initiation essentielle pour une future écrivaine. Ce livre d'entretiens apporte un éclairage nouveau sur des éléments biographiques que l'on retrouve dans ses romans. J'ai lu toute l'œuvre d'Annie Ernaux et je recommande en priorité "La place" sur le sentiment de décalage social et "Les Années", son meilleur ouvrage pour moi...Une formidable écrivaine à lire, à relire ou à découvrir d'urgence.

jeudi 18 décembre 2014

"Ce qui reste de nos vies"

Quand j'ai commencé à lire les premières pages du roman de l'écrivaine israélienne, Zeruya Shalev, je me suis tout de suite : quel souffle ! Elle a obtenu le prix Femina du roman étranger, honorable récompense mais, je m'étonne beaucoup que ce roman ne figure dans la liste des 20 meilleurs livres de l'année dans la revue Lire. Un oubli incompréhensible... Ce livre va toucher les lecteurs(trices) qui aiment les histoires familiales intenses et émouvantes. Le premier personnage à suivre s'appelle Hemda Horovitz. Elle est malade et se souvient de son passé, de son enfance dans un Kibboutz, entre un père exigeant, un mariage sans amour et un rôle de mère en difficulté. Sa fille aînée, Dina et son fils cadet, Avner, lui rendent visite à l'hôpital. A partir de cette situation familiale, la disparition prochaine de leur mère, Dina et Avner vont remettre leur vie en question. Dina, à la quarantaine dynamique, est professeur, mariée à un photographe de presse et vit mal la transformation de sa petite fille en adolescente qui s'éloigne d'elle. Avner, aussi, s'est très mal marié avec une femme qui au fond ne lui convient pas et par lassitude, il maintient ce lien à cause de ses deux enfants. Il est avocat des causes difficiles. Il aperçoit à l'hôpital un couple qui symbolise pour lui, l'amour parfait. Il apprend la mort de cet homme et fait tout pour retrouver cette femme. Dina souffre de l'indifférence de son mari et supporte très mal le changement de sa fille. La perte lui est insupportable et pour combler ce manque, elle prend une décision inouïe : adopter un enfant pour donner tout cet amour que sa fille ne veut plus recevoir. Elle met sa famille en question et bouleverse l'ordre des choses. Zeruya Shalev décrit avec une intensité puissante les relations affectives : entre mère et fille, entre mari et femme, entre père et fille, toute une panoplie de liens mystérieux et souvent incompréhensibles. Tous les sentiments explosent dans ce texte : la colère, la frustration, la jalousie, la peur, le ressentiment, mais aussi, l'amour, la compassion, l'amitié. Pour goûter le style du roman, je cite un passage concernant la mère de Dina  : "Oui, condamnée à une vie éternelle par l'amère indifférence des siens, elle va rester allongée ici sous sa lourde couette pendant des années, verra ses enfants vieillir et ses petits-enfants devenir des adultes, car elle vient de comprendre que mourir requiert aussi des efforts, une sorte d'élan du futur défunt ou de son entourage, un acte dans lequel il faut s'impliquer, s'agiter fébrilement comme lorsqu'on prépare une fête d'anniversaire." Ce roman est un coup de cœur, radical et original, et un coup de lame tellement l'écrivaine tranche vif... Chacun peut se reconnaître dans ces personnages tourmentés, chagrinés et quelquefois, apaisés, réconciliés... Tout simplement, il ne faut pas passer à côté de Zeruya Shalev...

mardi 16 décembre 2014

Atelier d'écriture

Mylène a animé avec maestria le dernier atelier de l'année 2014. Elle nous a donné deux exercices : le premier concerne la forme du dialogue et le deuxième, l'anaphore. Elle nous a lu un texte plein d'humour de Gérard Mordillat, extrait du "Dictionnaire des papous dans la tête". Il s'agissait de construire un dialogue entre deux objets concernant Noël. Voici mon petit texte d'humeur, basé sur deux personnages : du papier-cadeau et un ruban.
Le papier : Regarde comme je suis moche. Mon patron a voulu faire des économies et cette année, je suis monochrome, vert comme le sapin et j'ai maigri tellement je suis fin.
Le ruban : Tu n'as pas de chance... Avant la crise, j'avais des compagnons plus joyeux, aux couleurs chatoyantes avec du doré, de l'argenté, ça flashait de partout, j'avais mes yeux éblouis par tant de motifs variés. J'aurais du mal à t'embellir, moi, ruban noir tout simplet.
Le papier : Vert et noir, on fera avec, mais j'ai une idée : et si on dépouillait ce sapin enguirlandé, dégoulinant de prétention, orgueilleux, prétentieux. Tu as remarqué tous ces objets ridicules qui pendouillent : des oursons, des faux cadeaux, des étoiles en tissu, des dessins naïfs, bref, des fanfreluches parasites...
Le ruban : Et, nous on est à la diète ! Quels radins, ces propriétaires ! Je vais dérober une guirlande, la plus belle de cet arbre nanti car tu manques de couleurs.
Le papier : comme tu me remontes le moral ! Un peu de solidarité dans ce monde de brutes, en ces temps de disette, nous fera du bien, et ces sapins pleins de morgue doivent partager leurs trésors. Heureusement, que cette fête ne dure qu'un jour !
Le ruban : Alors que nous, les humbles, les peu de choses, on est toujours là, de janvier à décembre pour les fêtes, les mariages, les anniversaires, on a du travail tous les jours et nous préférons notre CDD de 365 jours à un CDI d'un jour !
Pour le deuxième exercice, Mylène nous a présenté "Le petit éloge de la nuit" d'Ingrid Astier et voilà ma vision de la nuit :
Une nuit à dormir debout, une nuit à dormir couché,
Une nuit à insomnies, une nuit à l'oubli
Une nuit à attendre, une nuit à comprendre,
Une nuit à cauchemar, une nuit à espoir
Une nuit sans rêve, une nuit sans trêve,
Une nuit noire, une nuit blanche
Une nuit d'étoiles, une nuit d'éclats de lune,
et la nuit s'enfuit en laissant le jour venir...

lundi 15 décembre 2014

Patrick Modiano

Depuis que Patrick Modiano a reçu le Prix Nobel de littérature, il figure sur les listes des meilleures ventes en librairie. J'ai lu son discours dans le Monde du mardi 9 décembre et je ne résiste pas à mentionner quelques phrases emblématiques de ce grand écrivain français, si modeste, si hésitant et l'on ressent immédiatement une empathie à son égard. Ses maladresses d'élocution, ses doutes, ses interrogations sur la littérature, sur ses propres ouvrages font de lui un homme particulièrement attachant, authentique et proche de ses lecteurs(trices). Dans ce discours, Patrick Modiano éclaire son œuvre qui prend ses racines dans son enfance, "Je me trouvais le plus souvent loin de mes parents, chez des amis auxquels ils me confiaient et dont je ne savais rien, (...). C'est beaucoup plus tard que mon enfance m'a paru énigmatique et que j'ai essayé d'en savoir plus" . En vivant une enfance où il se sent abandonné dans un Paris de l'après-Occupation (il est né en 1945), ses romans vont devenir pour lui un ensemble d'enquêtes quasi policières pour découvrir tous ces adultes mystérieux, opaques que l'écrivain transformera en personnages romanesques. Il dit plus loin : "Cette volonté de résoudre des énigmes sans y réussir vraiment et de tenter de percer un mystère m'a donné l'envie d'écrire". Il évoque longuement le rôle essentiel de Paris dans ses romans et des bottins téléphoniques où il avait l'impression "d'avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d'une ville engloutie, comme l'Atlantide, et de respirer l'odeur du temps." Et il termine son magnifique discours avec ces mots : "A cause de cette couche, de cette masse d'oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables. Mais c'est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l'oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l'océan." Après Marcel Proust et sa recherche "éperdue" de la mémoire,  Patrick Modiano et son œuvre-mosaïque mémorielle, la littérature ne peut que nous enchanter...

vendredi 12 décembre 2014

"Sauve qui peut Madrid !"

Je ne connaissais absolument pas cet auteur, Kiko Herrero, mais le titre du livre m'a convaincue de le choisir. Comme je viens de faire une escapade dans la capitale espagnole, j'avais envie de me replonger dans cette ambiance. Quand on ne trouve aucune critique dans les médias littéraires (papier et Internet), il reste une solution : aller chercher des informations précieuses chez l'éditeur de l'écrivain, la célèbre et exigeante maison, P.O.L.. J'ai donc parcouru la notice biographique de Kiko Herrero et j'ai appris qu'il était né en Espagne en 1962, s'est installé à Paris dans les années 80 et a monté une galerie d'art. "Sauve qui peut Madrid !" est son unique récit autofictionnel et dès les premières lignes, j'ai été embarquée dans cette prose fiévreuse, atypique et drôle. Les petits chapitres forment des mini-nouvelles souvent percutantes sur des événements que l'écrivain a vécus dans une Espagne franquiste des années 60. Le narrateur évoque une enfance entre un père, spécialiste des rats et une mère à la maison. Il raconte sa famille élargie, ses voisins, ses copains. Il fréquente le lycée français de Madrid où il apprend des références culturelles teintées de liberté. Et s'enchaînent à un rythme endiablé des micro-histoires drôles et pittoresques : celles de la baleine morte, de la sierra de Madrid, des forains,  de la mort, de la Cruz de los Caidos, des rats et d'un gorille,  d'un exhibitionniste, d'une source miraculeuse, du Caudillo, du lycée, d'un arc de triomphe, et de bien d'autres sujets saugrenus, loufoques et tous marqués par une culture à la Almodovar... Il est certain que ce type d'ouvrage concernera les lecteurs(trices) imbibé(e)s de culture espagnole. Un premier récit vraiment original, servi par une écriture électrisante. Les éditions P.O.L. proposent des livres souvent taxés de "littéraires", avec une exigence qui déroute paradoxalement les amateurs de littérature... Je crois que la curiosité est une très belle qualité pour découvrir des chemins d'écriture hors circuit médiatique...

jeudi 11 décembre 2014

Atelier de lectures, 2

Je poursuis mon compte-rendu des coups de cœur avec Sylvie qui a lu "Au revoir, là-haut" de Pierre Lemaître, prix Goncourt 2013. Elle a surtout apprécié le contexte historique du roman, quand l'après-guerre devient un commerce honteux. Les soldats survivants sont même devenus encombrants dans le pays. Janine a évoqué une écrivaine italienne, Silvia Avallone et son deuxième roman "Marina Belleza" (son premier roman, "D'acier" a reçu les faveurs de nombreux lecteurs). La romancière possède un talent remarquable quand elle décrit le monde des adolescents. L'un, Andrea rêve de fuir sa famille bourgeoise pour élever des vaches dans la ferme de son grand-père et elle, Marina, veut devenir une star de la chanson. Ces jeunes se sentent rejetés et marginalisés par la société et décident de "prendre le large". A découvrir sans tarder... Evelyne a cité des ouvrages d'Henriette Walter et d'Alain Rey car elle aime la langue française (pour un professeur de lettres classiques, cela semble plus que normal...). Régine a mentionné le roman très intéressant de Laurent Seksik, "Le cas Eduard Einstein", paru chez Flammarion en 2013. Le grand savant, Albert Einstein, disait de son fils Eduard, schizophrène, "Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution". Pour se détendre, elle a proposé "Les femmes de ses fils" de Joanna Trollope, une romancière qui possède l'art "anglais" pour dresser un portrait savoureux des liens familiaux en particulier ceux d'une mère avec ses belles-filles. Geneviève a trouvé à la médiathèque le roman de Jeanne Benameur, "Les demeurées", qui l'a beaucoup touchée par son sujet sur la découverte de l'écriture dans un milieu très défavorisé. Elle a aussi présenté "Eldorado" de Laurent Gaudé, un livre d'actualité sur l'immigration clandestine en Méditerranée. Place maintenant aux ouvrages tirés au sort mais la "pioche" n'a pas été très fructueuse à part quatre rescapés. Janine a bien aimé le récit de Jean-Christophe Rufin, "Immortelle randonnée" sur les chemins de Compostelle. Dany a bien apprécié "Cyanure" de Camilla Lackberg , un polar très bien ficelé à la manière d'Agatha Christie. Régine a été la seule lectrice à communiquer sa "ferveur" envers le roman d'Anna Enquist, "Les Endormeurs", un grand roman d'une écrivaine néerlandaise, subtile, profonde et lucide qui raconte une histoire de sœur et de frère. La sœur est anesthésiste, spécialiste de la médecine des corps, le frère est psychiatre, spécialiste de la médecine de l'âme. Geneviève a conclu la séance en résumant le très bon roman-thriller d'Hermann Koch (un néerlandais, lui aussi), "Villa avec piscine",  sur l'histoire d'un médecin-vengeur... Prochain rendez-vous en janvier 2015... 

mercredi 10 décembre 2014

Atelier de lectures, 1

Mardi 9 décembre, dernier rendez-vous de l'année pour partager nos lectures... Nous avons démarré par un premier tour de table concernant les coups de cœur. Mylène nous a présenté un tout petit livre au titre évocateur : "Pourquoi notre futur dépend des bibliothèques, de la lecture et de l'imagination" de Neil Gaiman, paru chez l'éditeur Au Diable Vauvert. Un bel hommage à la lecture et j'en parlerai plus tard dans un billet. Mylène a aussi lu la biographie d'une grande dame du théâtre, Gisèle Casadesus qui vient de fêter son centenaire, "Cent ans, c'est passé si vite". Elle raconte dans un abécédaire,  sa vie intense de comédienne, des anecdotes sur sa famille, sa foi protestante qui l'a rendue sereine. Mylène nous a lu deux pages pour montrer le charme de cette vieille dame délicieuse. Danièle s'est plongée dans la littérature américaine avec James Salter en lisant deux de ses romans, "L'homme des hautes solitudes" et "Et rien d'autre". Elle a préféré le premier cité tout en appréciant le dernier mais elle a trouvé le personnage central un peu trop cynique. Elle a aussi évoqué un roman de Dona Tartt, "Le Maître des illusions", une histoire d'étudiants dans une université du Vermont où la perversité et la manipulation règnent au sein d'un groupe. Danièle a rappelé un bonheur de lecture avec le livre de Gabriel Garcia Marquez, "L'amour au temps du choléra". Dany a beaucoup aimé "Charlotte" de David Foenkinos et un roman de Michelle Tourneur, "La beauté m'assassine" ou comment une jeune femme passionnée par la peinture s'introduit dans l'intimité de Delacroix dans un Paris de 1830. Dany a aussi mentionné un livre d'Ernest J. Gaines, "Le nom du fils", sur la honte, le pardon et la faute, dans les années soixante aux Etats-Unis. Le révérend Martin milite pour les droits civiques mais son passé le rattrape quand un inconnu arrive dans la ville. Janelou apprécie beaucoup Noëlle Châtelet et sa "Femme coquelicot".Marthe, 70 ans, s'autorise une histoire d'amour avec Félix sous les regards interrogateurs et désapprobateurs de sa propre famille. Elle a évoqué une biographie d'Aude Yung de Prévaux, "Un amour dans la tempête de l'histoire", une chronique historique sur la vie de son père résistant qu'elle n'a jamais connu car il est mort en 1943 et la narratrice, sa fille, s'est fait adoptée par son oncle. Elle a appris la vérité de son adoption à l'âge de 22 ans. Demain, deuxième billet sur l'atelier de lectures.

lundi 8 décembre 2014

Rubrique cinéma

Si on aime l'art et la peinture en particulier, il faut aller voir le film de Mike Leigh, "Mr Turner". Ce peintre anglais, né en 1775 et mort en 1851, ressemble à un homme vraiment ordinaire avec un physique "ingrat" et un comportement parfois surprenant. On le voit souvent grogner au lieu de parler, et son obsession première reste par dessus tout le dessin et la peinture. Il vit avec son père, qui devient son assistant en mélangeant les couleurs et en montant les toiles sur les châssis. Sa relation avec son fils ressemble à une prise en charge totale. Turner est déjà reconnu dans le milieu des marchands mais il se moque des critiques sur son œuvre. Il voyage beaucoup et se rend un jour au bord de la mer. Il s'installe dans une pension de famille, tenue par un vieux couple qui le reçoit sans le reconnaître. Son père meurt subitement et Turner le pleure comme un enfant orphelin. On apprend sur le lit de mort que sa mère  était atteinte de folie.  Turner retourne régulièrement dans l'hôtel en bord de mer et quand il apprend que son hôtesse perd son mari, il lie une relation avec elle. On le voit souvent peindre ses marines et se consacrait entièrement à son art. Ce personnage bougon et silencieux attire aussi l'amour inconditionnel de sa domestique, atteinte d'une maladie de la peau. En 2h29, Mike Leigh a rempli son objectif : raconter avec des beaux décors dans une Angleterre du XIXe siècle, la vie d'un peintre très original, précurseur de "l'abstraction lyrique" même s'il utilise le style figuratif. J'étais loin d'imaginer un personnage semblable quand je voyais ses peintures. J'aime bien le cinéma qui s'intéresse aux créateurs. Un critique de cinéma a écrit dans la revue Première : ce film "est un hommage à la condition d'artiste, par essence solitaire et sans compromis." Un film un peu long mais qui vaut le détour.  

vendredi 5 décembre 2014

"L'Amour et les forêts"

Eric Reinhardt raconte dans son roman autofictif, la vie de Bénédicte Ombredanne, 36 ans, professeur de lettres, mariée, deux enfants, femme "invisible" sur le plan physique, Elle habite à Metz et décide de contacter l'écrivain pour le rencontrer à Paris. Elle a admiré son roman "Cendrillon"et recherche comme lui une "enclave d'émerveillement" dans la vie quotidienne et monotone qu'elle mène. Ils partagent la même passion littéraire pour Villiers de l'Isle-Adam et leurs affinités littéraires les rapprochent. Lasse du harcèlement qu'elle subit, elle s'est un jour libérée du carcan familial en recherchant sur un site de rencontres un amant qu'elle a retrouvé lors d'une seule après-midi qui sera pour elle une enclave enchantée entre une initiation au tir à l'arc et une relation amoureuse réussie. Pourtant, elle retourne chez elle  sous l'emprise de son mari, fou de jalousie quand elle lui révèle son aventure avec cet homme. Eric Reinhardt fait aussi le portrait d'un homme profondément malade, un harceleur démoniaque, un "ogre" dévorant et suffoquant. Bénédicte finit par prendre trop de médicaments et séjournera dans un hôpital psychiatrique où elle écrira et rencontrera un communauté de blessés de la vie. Et la question que je me posais tout au long de ce roman intense et excessif, mais pourquoi, mais comment cette femme éduquée, cultivée,  peut-elle supporter un manipulateur de cette espèce ? Elle accepte cette situation pathétique pour ses enfants et pour son idéal de famille. Le narrateur apprend le décès de Bénédicte par hasard, car ils ne sont pas revus et il part pour Metz pour découvrir la vérité sur cette femme. Sa sœur jumelle lui raconte sa fin de vie (elle meurt d'un cancer) et sur l'attitude de son mari, toujours aussi cruel, aussi possessif. Le roman prend un tour insupportable quand il relate le séjour en hôpital de Bénédicte avec la présence constante de son mari. Son enfer conjugal se poursuit jusqu'à sa dernière minute. Cette héroïne aux accents bovariens rêve d'amour absolu, d'incandescence, de passion comme l'indique le titre "l'amour et les forêts"  mais elle s'enferme dans un réel trivial et décevant. Un critique de la revue Lire parle de conte cruel contemporain avec l'ogre (le mari), le Prince charmant (l'amant), et la femme ingénue, naïve et victime de son idéologie "familiale". Un roman puissant et éprouvant et qui a marqué la rentrée littéraire.

mercredi 3 décembre 2014

Rubrique presse

Le Magazine littéraire propose dans le numéro de décembre une enquête sur l'emballement médiatique d'Emmanuel Carrère avec son roman "Le Royaume" qui n'a d'ailleurs obtenu aucun prix littéraire. J'ai retrouvé avec un grand plaisir le dossier central sur Marguerite Yourcenar, considérée comme "vraiment immortelle". La revue signale qu'elle est au programme de l'agrégation de lettres en 2015, marque de reconnaissance pour cette femme-écrivain du XXe siècle. J'ai commencé à aimer l'Antiquité avec son roman, "Les mémoires d"Hadrien", et son œuvre est intemporelle. De nombreux colloques sont organisés partout dans le monde. Des écrivains s'effacent, sont oubliés même ceux qui ont marqué leur époque mais, Marguerite Yourcenar ne cesse de nous surprendre et pour moi, elle représente une voix singulière, originale, d'avant-garde, une œuvre solide et érudite, un personnage dont j'aime l'esprit de solitude. La revue évoque aussi Charles Péguy, la littérature punk, etc. Un très bon numéro à lire au coin du feu  (du poêle, pour ma part). Lire offre le palmarès des vingt meilleurs livres de l'année dans plusieurs catégories. La palme d'or est attribuée à... "Le Royaume" , encore lui... Puis, le meilleur roman étranger revient à James Salter, "Et rien d'autre" (billet dans ce blog), les meilleurs romans français à la formidable Maylis de Kerangal, "Réparer les vivants" et ex-aequo, avec Eric Reinhardt, "L'amour et les forêts". J'ai noté la meilleure autobiographie pour Paul Veyne, "Et, dans l'éternité, je ne m'ennuierai jamais". En ces temps de cadeaux, la revue n'a pas oublié comme tous les ans le traditionnel guide des beaux livres. La rentrée de janvier nous réservera des nouveautés intéressantes et la revue termine son numéro par un entretien avec le philosophe Nicolas Grimaldi qui vient d'écrire un "abécédaire philosophique, les idées en place". Un ouvrage que je vais lire pour découvrir les thématiques de son œuvre, teintée de pessimisme revigorant.  Il vit à Socoa dans une maison face à l'océan,  et il confie cette pensée : "Je ne suis ici qu'en sachant que rien ne viendra, que je n'ai rien à attendre, que je ne remporterai aucune victoire et que tout ce qui risque de m'arriver, c'est d'assister d'un peu loin à l'effondrement de la culture." Et il précise que "Nous sommes tous des éclopés" et seuls, les livres arrivent à nous consoler, les livres et l'océan pour ce philosophe "marin"... Bientôt j'irai me promener du côté de son sémaphore et je rencontrerai ce solitaire mélancolique pour parler de son abécédaire.

lundi 1 décembre 2014

"Pas pleurer"

Je viens de terminer "Pas pleurer" de Lydie Salvayre, prix Goncourt 2014. Je souhaite à cette écrivaine un très grand succès car elle mérite amplement cette récompense qui va faire connaître Georges Bernanos et... sa propre mère. J'ai vu dans une excellente émission, Metropolis,  sur Arte, un portrait de Lydie Salvayre dans son appartement parisien, envahi de livres. Elle racontait qu'elle aimait des livres forts, des lectures "coups de fouet", et son roman prend d'emblée partie pour les humbles comme sa mère, pour les républicains espagnols, du côté des anarchistes. Elle rend un double hommage. Le premier concerne sa mère, exilée en France après la victoire des franquistes. Sa mère prend la parole, une parole libre, un patchwork de mots, d'expression qui mélange allègrement l'espagnol au français parlé. Cette liberté de langage, enraciné dans le réel, donne beaucoup de force et d'émotion au roman. Montsé, mère de la narratrice, raconte son amour de jeunesse en pleine guerre en 1936, dans un Barcelone libertaire et foisonnant de vie. Elle rencontre un jeune Français (elle s'imagine qu'il se nomme André Malraux) et tombe enceinte après sa seule nuit avec lui. Elle est obligée de retourner chez ses parents dans son petit village. Montse accepte de se marier, contrainte et forcée par sa mère, avec le fils de famille, Diego, militant communiste au grand regret de son frère anarchiste. Lydie Salvayre réussit la prouesse de transmettre avec un style inimitable, la tragique histoire de cette guerre civile sanglante. Les passages concernant Bernanos apportent une note plus distante et plus "historique" sur les assassinats des républicains à Majorque. La voix de sa mère raconte la joie du début de la guerre, son grand amour pour ce militant français, sa farouche envie de survivre. Comme je me sens très proche de ce pays (mes grands-parents espagnols, que je n'ai pas connus, ont émigré à Bayonne en 1900) et que j'aime la langue espagnole,  je ne pouvais pas résister à Montse, à Bernanos et surtout à Lydie Salvayre. J'ai envie de découvrir ses romans précédents et je me dis qu'elle a vraiment un sacré talent d'écrivain pour traduire l'atmosphère de cette époque tragique, entre les pleurs et les rires de Montsé, entre les méchants et les gentils, entre les pauvres et les riches, entre les conservateurs catholiques et les républicains anarchistes, un tableau vivant, l'épopée d'une femme simple et modeste dans un monde d'hommes en guerre. Un beau roman...