mardi 13 décembre 2022

"Un philosophe sans qualités", Frédéric Schiffter

J'ai donc suivi une conférence de Frédéric Schiffter à la Médiathèque de Biarritz le samedi en fin d'après-midi. La salle de l'auditorium s'est remplie peu à peu mais j'avoue que les amateurs du philosophe avaient largement dépassé la soixantaine. Ce public de "retraités éclairés et curieux" a écouté avec un silence religieux les deux heures de la conférence sur "les aventures de l'âme". Depuis les Grecs anciens jusqu'aux Pères de l'Eglise, de Descartes à Freud, le professeur philosophe a développé avec une clarté pédagogique et un humour élégant ses idées sur l'âme, une notion abstraite et complexe. Sans lire ses notes, cette présentation de l'âme s'est terminée par un hommage qui m'a particulièrement touchée. Car, sa conclusion évoquait le simple geste d'ouvrir un livre, un classique en particulier. La lecture devenait alors une rencontre avec une "âme". Pour le philosophe, un grand écrivain, un artiste, un peintre, un musicien, un penseur livrent leur âme et c'est la culture qui nous offre cette relation permanente. Pas de paradis céleste, pas de purgatoire, mais une terre fertile, celle des créateurs qui, seuls, nous donnent ce supplément d'âme si nécessaire pour habiter "poétiquement" le monde. Frédéric Schiffter appartient à la catégorie des penseurs sceptiques et pessimistes, se réclamant en particulier d'Arthur Schopenhauer et de Cioran. Pour lui, la philosophie ne se confond pas avec un épanouissement de soi ou une spiritualité assumée. Il ne se fait aucune illusion et évoque la condition tragique de la finitude humaine. Il a écrit un ouvrage sur le "chichi", le "blabla" et le "gnangnan", trois concepts clés pour comprendre sa propre philosophie. Le "chichi" s'apparente à la négation du réel, du temps, du hasard, de la mort selon Clément Rosset.  Le "blabla" concerne les concepts abstraits comme le "Bonheur", la "Justice",  la "Nature", basés sur des discours formatés. Le "gnangnan" s'identifie sur l'altruisme, la sensiblerie, l'esprit compassionnel, la "moraline", l'éthique. Pour découvrir ce philosophe iconoclaste, il faut lire "Philosophie sentimentale", "On ne meurt pas de chagrin", "Le charme des penseurs tristes" et son dernier ouvrage, "Lassitudes". Frédéric Schiffter aime la mélancolie, le spleen baudelairien, l'extrême lucidité et un humour ravageur. Il raconte dans son blog ses balades à Anglet et à Biarritz au bord de l'océan et tel un philosophe poète, il célèbre à sa façon la douceur de vivre dans un tél décor. Sa musique intime en sourdine me charme particulièrement car elle est aussi mêlée du fracas des vagues océaniques. J'ai eu de la chance de rencontrer ce philosophe biarrot avec lequel j'ai un peu discuté après la conférence. Il m'a dédicacé son dernier ouvrage en se souciant de ne pas me "plomber" le moral avec son texte. Charmante préoccupation de sa part...