jeudi 27 décembre 2018

Des livres sous le sapin

J'ai un respect total pour l'une des plus belles traditions de Noël : des livres sous le sapin. J'aurais pu répondre, si j'étais croyante, la naissance de Jésus et la messe de minuit. J'aurais pu répondre si j'étais une fan de neige, un séjour de ski à la montagne avec les sapins verts. J'aurais pu répondre si j'étais une maman de dix enfants, qu'ils soient tous auprès de moi pendant ce moment de retrouvailles familiales… Je réponds donc qu'à cette occasion, j'offre des livres et je reçois des livres… Une tradition que je respecte depuis des décennies. Quand j'étais libraire à Bayonne, j'adorais cette période où les clients venaient acheter leurs cadeaux : livres d'art, romans primés, livres de cuisine, albums pour enfants, bandes dessinées, documentaires, etc. J'ai fréquenté les librairies de Chambéry pour choisir mes cadeaux, le seul lieu où je respire un air salubre et non pollué. Sous mon sapin, j'ai donc ouvert le beau livre illustré, consacré à Marguerite Yourcenar, "Portrait intime" de Hachmy Halley. Je collectionne tous les ouvrages sur cet écrivain que j'admire énormément. J'ai aussi reçu le "Dictionnaire amoureux de la philosophie" de Luc Ferry, un livre indispensable pour m'éclairer sur des notions complexes de cet univers intelligent. Je feuillette souvent quelques exemplaires de cette collection, "Dictionnaire amoureux" dont ceux de la littérature, de la Grèce antique, de la mythologie, de Venise… Une bonne idée de cadeau pour les anniversaires et les Fêtes. Sur une table chez Decître, j'ai remarqué dans une pile, un ouvrage sur l'Italie, publié par le Routard. Cet album illustré et documenté m'a tout de suite séduite après quelques minutes de consultation. Comme j'ai une passion pour ce pays, cette Bible me semble indispensable pour faire le point sur tous les lieux que je veux visiter dans mes escapades futures. Mon quatrième livre m'attendait sous le sapin : le roman de Frank Maubert, "L'eau qui passe". Bernard Pivot en avait fait une critique enthousiasmante dans le Journal de Dimanche. Dès que je lirai ces livres de Noël, j'en reparlerai dans mon blog. En cette fin d'année, je termine mon quinzième billet de décembre. J'ai tenu mon pari pendant l'année en déposant quinze textes par mois, soit 180 billets que j'ai beaucoup de plaisir à écrire comme un exercice spirituel. J'évoque mes lectures, mes escapades, mes balades, mes étonnements. Ce blog ressemble à un cabinet de curiosités qui se poursuivra en début janvier… 

mercredi 26 décembre 2018

"Le coeur converti"

Stefan Hertmans, écrivain belge flamand, a publié chez Gallimard dans la belle collection "Du monde entier", un roman magnifique, "Le cœur converti". L'histoire de cette jeune fille normande et catholique, amoureuse d'un juif, en l'an 1090, emporte le lecteur(trice) dans un Moyen Age hallucinant et intolérant. L'écrivain apprend que son petit village de Provence, Monieux, a été le théâtre d'un pogrom, mille ans avant et un trésor y serait caché. Il part à la recherche d'indices après avoir découvert dans une synagogue du Caire des manuscrits qui mentionnent l'histoire rocambolesque et tragique de Vigdis. Cette jeune noble, issue d'une lignée de nobles normands, tombe amoureuse d'un fils de rabbin dans sa ville de Rouen. Elle choisit de fuir avec lui pour rejoindre Narbonne et se convertit au judaïsme en changeant son nom chrétien en Hamoutal. Son père refuse cette union illicite et promet une forte somme pour la ramener à Rouen. Des chevaliers se lancent à leur poursuite. Le couple traverse la France du Nord au Sud en évitant les lieux habités et cette marche éprouvante dure des mois. Ils ne sont aidés que par des Juifs accueillants et solidaires qui leur offrent le gite et le couvert. Des dangers divers guettent le couple qui ne renonce jamais à leur projet fou. Bêtes sauvages, climat rude, lieux inhospitaliers, Chevaliers à leur recherche, la cavale improbable du couple s'annonce périlleuse et pourtant, ils parviennent à rejoindre Narbonne. Mais, le père de David apprend que des Chevaliers arrivent dans la ville et ils repartent de Narbonne à Monieux. Ce village subira un pogrom terrible où tous les juifs sont massacrés dont David. Hamoutal verra ses deux enfants enlevés par les Chevaliers. La jeune femme quitte le village pour aller à la recherche de ses fils qui la conduira au Caire. Cette histoire romanesque repose sur des faits et des sources authentiques et compose une symphonie fascinante sur cette époque trouble et menaçante où naître femme comportait des dangers immédiats. L'arrière-plan historique sur les Croisades détaille les ravages de ces expéditions : saccages des villages, viols, meurtres… Il faut absolument découvrir ce livre foisonnant : conte, roman historique, enquête sur la vie au Moyen Age, portrait d'une femme en exil et d'une époque chaotique... 

lundi 24 décembre 2018

Rubrique cinéma

L'acteur américain, Paul Dano, est passé derrière la caméra pour réaliser un film intimiste et sensible, "Wildlife". Un jeune adolescent, Joe, observe avec une lucidité d'adulte, l'effondrement de sa famille. Dans ces années 60 aux Etats-Unis, la famille nucléaire idéale commence à se fissurer. Le père de Joe travaille dans un centre de golf. Il se fait licencier car son patron estime qu'il est trop familier avec les clients. Il n'accepte pas ce licenciement injuste, abusif et cet incident le tourmente. Il cherche du travail et commence à s'adonner à l'alcool. La mère s'occupe du foyer, mais elle profite du chômage de son mari pour s'émanciper. Comme le père de Joe se sent humilié, il rejette la proposition du centre de golf qui voulait le reprendre. Il trouve alors le moyen de fuir son foyer en allant combattre les feux de forêt dans la montagne. En abandonnant femme et enfant, il choisit sa liberté. Joe se retrouve seul avec sa mère et comprend que ses parents, en fait, ne se supportent plus. Elle fait la connaissance d'un client à qui elle apprend la natation et noue une relation sexuelle avec cet homme âgé et riche. Joe contemple la conduite maternelle avec un certain effroi. Pour lui, l'enfance se termine dans un certain chaos familial. Son père revient de ses montagnes et sa femme lui annonce qu'elle le quitte. Il va mettre le feu à la maison de l'amant par pure jalousie quand il apprend la trahison de sa femme. Le jeune adolescent oscille entre le père et la mère, toujours digne, toujours compréhensif. La dernière image du film symbolise la déflagration familiale quand Joe réunit ses deux parents dans son atelier de photos pour immortaliser le souvenir de cette famille encore unie pour un instant. Joe accepte cette séparation avec une maturité d'adulte. Ce beau film est tiré d'un roman, "Une saison ardente" du magnifique écrivain, Richard Ford. Les scènes filmées rappellent le peintre Edward Hopper avec ses tableaux sur la solitude. Un film sur l'amour familial et le désamour, aussi… 

jeudi 20 décembre 2018

"Fille de révolutionnaires"

Laurence Debray raconte dans ce livre, "Fille de révolutionnaires", son héritage familial, un héritage patrimonial encombrant et embarrassant. Ses parents, célèbres pour leur engagement politique, s'appellent Régis Debray et Elizabeth Burgos. Le père de Laurence a démarré sa carrière en épousant la cause cubaine, la révolution castriste et l'utopie communiste. Son ami mythique, Che Guevara, en fera un guérillero dans la jungle bolivienne. Sa mère, vénézuélienne, est une amie de Fidel Castro et  rejoint son compagnon dans les luttes anticapitalistes contre les dictateurs sudaméricains. Régis Debray sera arrêté en Bolivie et restera plus de trois ans en prison. La grand-mère de Laurence soutiendra son fils et le fera libérer en remuant ciel et terre et en s'appuyant sur ses nombreuses relations politiques dont le Général de Gaulle. Dans ces années 60, la légende de ce couple de révolutionnaires marquera la politique française. Laurence Debray relate avec sincérité et avec une dose d'humour acide les liens qu'elle entretient avec ce drôle de père. Les parents de l'auteur ne vivront jamais ensemble et leur fille éprouve souvent un sentiment de solitude. Souvent absent, Régis Debray préfère la politique en tant que conseiller de Mitterrand, son métier d'intellectuel et oublie de bercer sa petite fille. Elle passe son enfance tourbillonnante dans le milieu intello parisien. Sa marraine se nomme Simone Signoret et son parrain, le peintre chilien Matta. A dix ans, elle est envoyée dans un camp de pionniers à Cuba où elle apprend le maniement des armes… Elle est entourée de réfugiés des dictatures d'Amérique du Sud. Les anecdotes sur la vie de ses parents forment une fresque pittoresque et colorée, correspondant à l'un des aspects de notre histoire contemporaine. Comment ces intellectuels ont-ils basculé dans cette utopie révolutionnaire, inspirée de Cuba ? Laurence Debray ne mâche pas ses mots pour fustiger l'aveuglement de tout un pan de la gauche française. La petite Laurence peut compter sur ses grands-parents, surtout la mère de Régis Debray, Janine, une figure tutélaire et charismatique. Elle cultive aussi ses racines vénézuéliennes en se rendant souvent dans le pays de sa mère. Elle décrit les petitesses de son père, sa raideur idéologique, son égocentrisme et son étourderie légendaire. J'ai découvert à travers ces pages une image un peu froissée de cet écrivain brillant et iconoclaste. Laurence Debray, en dévoilant l'intimité de ses parents, règle un peu ses comptes à cause d'une enfance privée d'attentions quotidiennes et d'affection inconditionnelle. Ce récit autobiographique révèle une forte personnalité, celle de l'auteur, qui prend le contrepied de ses parents. Elle a écrit une biographie du Roi Juan Carlos, a travaillé dans une banque et préfère le capitalisme au communisme… Quelle famille ! Un ouvrage percutant, décapant, lucide. 

lundi 17 décembre 2018

"Avec toutes mes sympathies"

Olivia de Lamberterie a obtenu le prix Renaudot de l'Essai pour son récit, "Avec toutes mes sympathies". Le livre aborde le douloureux problème du suicide. L'auteur, journaliste littéraire de la revue Elle, raconte le destin de son frère, un frère flamboyant avec lequel elle a tissé une relation quasi fusionnelle. Alex se jette d'un pont à Montréal le 14 octobre 2015. Elle écrit : "Jusqu'à la mort de mon frère, (…), je ne voyais pas la nécessité d'écrire. Le suicide d'Alex m'a transpercé de chagrin, m'a mise aussi dans une colère folle. Parce qu'un suicide, c'est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux". Olivia de Lamberterie raconte la vie de sa famille, son enfance avec ce frère joyeux, espiègle et loufoque. Ce frère avait pourtant tout pour être banalement heureux : il était mariée et père de famille, aimait son travail de publiciste au Canada. Mais, une mélancolie l'étreignait de plus en plus et un passif familial (deux oncles suicidaires) semblait expliquer cette bile noire en lui. La narratrice n'épargne aucun détail de la vie de son frère et les pages consacrées à ses séjours dans les hôpitaux psychiatriques montrent un homme en proie à une dépression sévère. Malgré la présence aimante de sa famille et de sa fratrie, rien ne peut empêcher l'inévitable. Le récit est rythmé par des scènes heureuses à Cadaquès, en Provence où la famille recomposée de la narratrice baigne dans un bonheur sans nuages. Une atmosphère à la Claude Sautet règne dans ce milieu très privilégié. Mais, la conduite suicidaire de son frère plane sur la narratrice comme une ombre malheureuse. Ce livre est un hommage émouvant sur Alexandre et sur l'expérience du deuil. A quarante six ans, cet homme souffrait d'une dépression, nommée dysthymie,  qui le vrillait littéralement dans un clair-obscur insupportable. Pour l'auteur, les mots sur cette mort absurde lui procurent une réelle réparation et donne un sens à sa vie. Son frère lui avait donné ce conseil avant de mourir : "Ecris ton livre". La question lancinante que pose Olivia de Lamberterie revient en leit-motiv : "Où vont les morts ?". Alexandre, cet homme sombre et lumineux repose dans les pages de sa sœur, Olivia. Pour toujours. Un beau et tendre récit sur une relation frère et sœur. 

vendredi 14 décembre 2018

Atelier Lectures, 4

Je poursuis l'évocation de quelques romans de Philip Roth avec le premier volet de la trilogie sur l'Amérique qui démarre avec "Pastorale américaine", publié en 1997. Le narrateur Zuckerman relate l'histoire de Seymour, parfaite incarnation de la réussite américaine. Fils aimant, père parfait, patron apprécié, Seymour possède tous les atouts du bonheur. Mais, un événement sans précédent va pulvériser cette vie réussie. En 1968, la fille du couple, Merry, commet l'irréparable en posant une bombe provoquant un mort devant la poste locale pour protester contre la guerre du Vietnam. La "pastorale américaine" ressemble à un naufrage total. Comment ce père de famille s'est aveuglé sur l'embrigadement de sa fille terroriste ? Philip Roth analyse cette perte de sens, de repères et malgré l'évidence de ce chaos familial, le personnage central reste le seul à croire à l'innocence de sa fille. Il va revoir sa fille cinq ans après et il comprendra alors qu'elle s'est définitivement égarée. Un roman noir, cruellement lucide. En 2000, paraît "La Tâche", le troisième volet de la trilogie. Coleman Silk, professeur à l'université, rencontre Zuckerman pour lui demander d'écrire son histoire. Son épouse vient de mourir, usée par le scandale que subit son mari, écarté de l'enseignement pour une parole, jugée raciste. Le professeur ne comprend pas sa mise au pilori. Après la mort de sa femme, il se lie avec une femme de ménage qui lui apporte un réconfort appréciable. Mais, ce personnage torturé moralement cache un secret incroyable : il ment depuis sa jeunesse car il s'est déclaré comme un homme blanc alors qu'il est né noir. Il voulait échapper à la discrimination raciale, à la ségrégation qui règne en Amérique à cette époque-là. Il renonce à sa mère et à sa fratrie pour vivre librement son choix terrible. Philip Roth aborde la question du "politiquement correct", du conformisme ambiant et du carcan de l'identité prédéterminée. Encore un chef d'œuvre et un éloge de la liberté individuelle. Philip Roth, avec son scalpel ironique, décrit un destin singulier et tragique. Je termine l'évocation des romans de Philip Roth avec "Patrimoine", un récit autobiographique sur la maladie fatale de son père, atteint d'une tumeur au cerveau. L'écrivain évoque ses parents, leur vie à Newark et leur couple. Ce témoignage très dur sur la maladie et la mort de son père est difficile à lire mais nécessaire pour comprendre l'univers familial de l'écrivain, ses racines qu'il va tout au long de sa vie d'écrivain graver dans le marbre de la littérature. Les lectrices de l'atelier ont découvert et apprécié un écrivain exceptionnel, peut-être le plus important du XXe siècle aux Etats-Unis. Plus on le lit, plus on découvre la profondeur de son œuvre. Il est édité dans la Pléiade et il est devenu aujourd'hui un classique contemporain. A lire sans modération et surtout à relire. 

jeudi 13 décembre 2018

Atelier Lectures, 3

Quelques romans de Philip Roth ont donc été lus avec beaucoup d'attention de la part des amies lectrices. "La bête qui meurt" (2004) fait partie du cycle David Kepesh. Homme vieillissant, ce professeur libertin collectionne les conquêtes féminines avec ses étudiantes. Il noue une relation érotique avec une belle cubaine, Consuela. Il la considère comme une œuvre d'art et préfère interrompre cette relation car il est rongé par la jalousie. Après plusieurs années, Consuela atteinte d'un cancer du sein le recontacte pour qu'il photographie son corps avant qu'il ne soit dégradé par la maladie. Philip Roth radiographie les relations amoureuses, le vieillissement, la maladie avec sa plume lapidaire habituelle. Le deuxième roman de Philip Roth, "Indignation" (2008) appartient au cycle "Némésis". Un jeune américain d'origine juive, Marcus, quitte sa famille à Newark pour aller étudier dans l'Ohio lors de la guerre de Corée en 1951. Etudiant modèle, il va se heurter au puritanisme de l'époque. Il découvre la sexualité avec une jeune fille expérimentée en proie à la dépression. Il ne veut pas se plier aux traditions universitaires et attire les foudres du président de l'université. Il finira par fuir ce monde étriqué en s'engageant comme soldat en Corée. Il y perdra sa vie. Ce roman d'apprentissage évoque la fragilité des êtres, le carcan du conformisme, le destin brisé d'un jeune homme vulnérable. Les angoisses prémonitoires du père de Marcus ponctuent ce récit comme le chœur de la tragédie grecque. Une fresque de l'Amérique des années 50 à travers le portrait de Marcus, un jeune homme solitaire, émouvant et égaré dans un monde trop dur. Dans ce cycle "Némésis", Philip Roth arrête donc d'écrire après la publication de "Némésis" en 2010. Dans ce roman, on retrouve un personnage emblématique, Bucky Cantor, jeune professeur de gymnastique. Durant l'été 44, une épidémie de poliomyélite se propage dans le quartier et plusieurs enfants en meurent. Bucky se sent coupable de ne pas intégrer l'armée pour combattre sur le front européen. Sa fiancée le supplie de la rejoindre dans un camp de vacances. Bucky, porteur du virus, accepte mais contamine quelques adolescents. Il quitte le camp pour son quartier. Vingt sept ans après, Bucky est reconnu par un des enfants qu'il soignait. Il se confie à lui et lui relate cet été terrible où il a renoncé à l'amour, au mariage et à une vie normale. Culpabilité, sacrifice de soi, destin brisé, mortification, ce personnage tragique est bouleversant d'humanité. Son dernier roman, le plus émouvant de Philip Roth. La suite, demain. 

mercredi 12 décembre 2018

Atelier Lectures, 2

La deuxième partie de l'atelier était consacrée à l'écrivain américain Philip Roth (1933-2018). Avant de relater les romans découverts par les lectrices, quelques éléments biographiques me semblent indispensables pour comprendre son œuvre littéraire. Petit-fils d'immigrés juifs originaires de Galicie (Autriche), Philip Roth grandit à Newark auprès d'un père, agent d'assurances et d'un mère au foyer. Son enfance fut heureuse et il effectue des études universitaires à Chicago. Il sera professeur de lettres dans plusieurs universités jusqu'en 1992.  Dès 1959, il publie son premier recueil de nouvelles, "Goodbye, Columbus". Dix ans après, il rencontre le succès avec "Pornoy et son complexe", un roman comique et grinçant sur la sexualité masculine. Il est considéré par la critique comme l'enfant terrible du roman juif-américain. Il partage sa vie avec une comédienne anglaise, Claire Bloom. Il se rend souvent à Prague pour rencontrer Milan Kundera et retrouver les traces de Kafka qu'il adule. Il fait connaître les écrivains de l'Europe de l'Est en Amérique. En 1995, il publie "Le Théâtre de Sabbath", portrait cocasse d'un marionnettiste nihiliste et lubrique. Deux ans après, il entame un tournant dans son œuvre avec "Pastorale américaine", "J'ai épousé un communiste" et "La Tâche". Son double littéraire vient de naître et il se nomme Nathan Zuckerman.  Il renouvelle cette formule avec un nouveau cycle de trois romans où le narrateur est son deuxième double, David Kepesch.  De 2007 à 2010, il écrit ses plus beaux romans crépusculaires dont le magnifique "Némésis". Il annonce qu'il cesse d'écrire à quatre-vingt ans. Ses influences littéraires prennent leurs racines chez Flaubert, Henry James, Kafka, Saul Bellow, Bernard Malamud. Son œuvre forme une vaste fresque d'une Amérique en proie à ses démons comme l'antisémitisme, le maccarthysme, le politiquement correct, la ségrégation raciale, le poids de l'Histoire, les relations conflictuelles hommes-femmes. Il évoque aussi la maladie, l'angoisse de la mort, le naufrage de la vieillesse. François Busnel résume bien cet écrivain : "Roth est l'un des rares écrivains à avoir vécu une vie d'écrivain au sens strict du terme : très peu de mondanités, des interviews au compte-gouttes. Seule, l'œuvre compte". Philip Roth a répondu à un journaliste qui lui posait une question sur le pouvoir de la littérature : "Très peu. La littérature peut très peu de choses. Et pourtant, elle est bigrement importante". La suite, demain

mardi 11 décembre 2018

Atelier Lectures, 1

Ce mardi, nous étions une bonne dizaine de lectrices toujours aussi motivées pour partager nos coups de cœur du mois. Annette a démarré avec "Salina" de Laurent Gaudé, publié chez Actes Sud. Salina, la mère aux trois fils, est recueillie dans un clan qui la considère comme une étrangère. Son fils raconte cette vie comme une légende. Un roman mythique et puissant, un beau portrait de femme. Véronique a aimé le roman de François-Henri Désérable, "Un certain M.Piekielny". Le narrateur part sur les traces d'un témoin, ce monsieur Piekielny, à Vilnius qui aurait connu le jeune Romain Gary. Pour les amateurs inconditionnels de l'écrivain diplomate. Mylène a pris la parole pour évoquer Karen Blixen et "le festin de Babette". Elle était étonnée d'apprendre que ce livre n'avait pas été apprécié par deux amies lectrices. Elle tenait à réhabiliter cette longue nouvelle qu'elle apprécie tout particulièrement pour sa profondeur, son humanité et son universalité. Mylène nous a donné envie de découvrir ce bijou littéraire, venue du Danemark. Sylvie a présenté le roman d'Emmanuelle Bayamack-Tam, "Arcadie", publié en septembre dernier. Farah, une jeune fille de treize ans, vit dans une communauté libertaire à la frontière franco-Italienne. Le gourou qui se nomme Arcadie prône l'amour libre, le naturisme, le végétarisme. Cette communauté accueille tous les marginaux inadaptés au monde extérieur. Un jour, Farah va cacher un migrant dans cette zone blanche. Mais, le gourou Arcadie ne réagit pas comme prévu. Sylvie a souligné la puissance du style et l'arrière-plan politique du roman. A découvrir sans tarder. Sylvie a aussi apprécié un ouvrage de Julie Ewa, "Les petites filles". Ce thriller dépaysant parle des réseaux d'adoption en Chine, de la mafia, du trafic d'organes et de la politique de l'enfant unique. Régine a terminé les coups de cœur avec le roman de Tanguy Viel, "Article 353 du code pénal". Martial Lazenec jette à la mer un promoteur immobilier. Il est arrêté par la police et il retrace son itinéraire devant le juge : son divorce, son licenciement et l'investissement de sa prime dans un bel appartement. Son geste va-t-il être compris par le juge ? Un roman à découvrir. Régine a aussi résumé le beau roman d'Alice Zeniter, "L'art de perdre", un succès de librairie en 2017. Naima, d'origine algérienne, raconte sa famille sur trois générations avec un secret de famille. Il est question des harkis exilés en France et pourtant si mal accueillis. Un livre émouvant, un éloge de la liberté d'être soi au-delà des racines et des héritages. Voilà pour la partie "coups de cœur" présentés par les lectrices de l'Atelier.

lundi 10 décembre 2018

L'usage des mots

Le pays s'enlise dans une crise sociale, politique, civilisationnelle. Personne ne sait encore comment va se terminer cette "révolution citoyenne" comme disent certains. Des gilets jaunes, cette expression courante que l'on entend des milliers de fois, commencent à se transformer en bataillons d'électrons libres qui rejettent les représentations traditionnelles, les corps intermédiaires, le Parlement, les élections, la vie démocratique. Au départ, la pression fiscale et l'écrasement des taxes déclenchent la révolte populaire, le ras le bol généralisé et la sympathie des Français. J'ai écouté depuis trois semaines les paroles de ces Français en colère, voire désespérés qui ne bouclent plus leur fin de mois. Ce qui me frappe le plus dans toutes ces interventions, c'est la haine que notre Président attire. Tous ces hommes et toutes ces femmes évoquent le mépris et l'arrogance de ce trop bon élève de la classe. Un gouffre d'incompréhension s'installe, se creuse entre le Président et le peuple. Les mots ont tout gâché. Le vocabulaire a tout emporté comme une vague de fond. Pour une fois que nous avions un homme "littéraire" au sommet de l'Etat, j'imaginais qu'il utiliserait le langage pour se faire comprendre. Mais, les mots blessants qu'il a prononcés sur les "gens qui ne sont rien", "traverse la rue pour trouver un travail", "un pognon de dingue", "je suis fier d'avoir recruté B", ces mots ne peuvent plus s'effacer dans la mémoire de ceux qui se sont sentis humiliés, relégués, suspectés. Monsieur Macron a fait preuve de légèreté, d'insouciance et de frivolité dans sa prise de parole. Lui, le surdoué, n'a rien compris à la mentalité des gens modestes. Sa position de "financier" n'arrange rien à l'affaire. Lui, le premier de la cordée sait tout, maintient son cap alors que les autres se trompent. De l'autre bord, les Français pauvres ou qui s'appauvrissent présentent des solutions qui semblent économiquement difficiles à appliquer. La radicalité de certains gilets jaunes commence à m'alerter sur la fragilité de notre République. Quand j'ai entendu qu'il fallait marcher sur l'Elysée, sur Bercy, où est la raison dans toute cette hystérie collective ? Les Yaka se multiplient comme des petits pains. La violence dans les manifestations s'intensifie et va finir mal. Dans quel pays vivons-nous en ce moment ? J'ai entendu un gilet jaune qui, croyant au complot mondialiste, s'imaginait qu'il allait finir dans une favella… Dissolution, référendum, démission, assemblée citoyenne, proportionnelle, extrême droite, ultragauche, le vocabulaire politique s'enflamme dans les esprits. A l'heure de l'allocution de notre Président, je me demande si cette crise violente va cesser à deux semaines de Noël. Il faudrait un miracle pour que la paix et la raison reviennent des deux côtés… C'est bientôt le passage du Père Noël, Monsieur Macron va-t-il l'accompagner avec sa hotte ? On verra ce soir… 

vendredi 7 décembre 2018

L'atelier Philo

Depuis la rentrée, je continue à suivre l'atelier "Les idées en partage", animé par une professeure de philosophie, Agnès. Nous sommes une bonne vingtaine de participants à nous retrouver autour d'une table pour vivre un moment de philosophie. Le fait religieux a été choisi comme thème pendant le premier trimestre. En écoutant attentivement Agnès, tout devient limpide et chaque référence parfois opaque s'éclaire sans difficulté. Quand je me retrouve devant Agnès,  j'effectue un bond de cinquante ans quand je suivais les cours de philo en terminale A au lycée de Bayonne. Les vrais héros d'aujourd'hui à mes yeux, ce sont les professeurs, ceux qui consacrent leur vie aux autres, à l'éducation, au savoir, au mieux-vivre. Cet éloge de la parole professorale me semble indispensable pour nous mener sur le chemin de la connaissance. Quel plaisir d'écouter notre professeure, toujours attentive à expliquer, approfondir, mettre à la portée sans déformer les idées. En consultant mes notes, je retiens l'essentiel du cours et j'ai envie de me replonger dans des lectures plus ambitieuses. Des noms circulent : Paul Ricoeur, Sigmund Freud, Lévi-Strauss, Régis Debray, Spinoza. Des concepts fusent : Dieu, fonction symbolique, agnostique, structures inconscientes, mort, finitude, monothéisme, angoisse, manque… Un festival de mots et d'idées, un régal pour l'esprit. Nous avons étudié plus précisément le philosophe Pascal, sa conversion dans le Mémorial, son mysticisme. J'ai ainsi lu quelques passages des "Pensées" et j'ai eu la surprise de découvrir des textes "lisibles" et d'une profondeur abyssale. Cet atelier philo (ou les Idées en partage) sert surtout à susciter cette envie de lire des textes fondamentaux alors que l'on s'imagine très souvent leur difficulté insurmontable. Il faut sauter à pieds joints dans les Pensées de Pascal et une fois installée dans ces textes, il suffit de se laisser porter par le génie pascalien. Dans le cours suivant, Agnès a abordé les philosophes du soupçon : Marx, Nietzsche, Freud. Pour Marx, la religion est l'opium du peuple, Pour Nietzsche, Dieu est mort, place à l'homme et pour Freud, "un infantilisme psychique". Grâce à Agnès et à mes lectures, je creuse un sillon même modeste dans la forêt des idées et cet univers me fascine depuis ma philo en Terminale… Quelle chance pour tous ceux qui partagent cet atelier ! 

jeudi 6 décembre 2018

Les 100 livres de l'année

La revue Lire de décembre-janvier propose une sélection de 100 livres de l'année. A ma grande satisfaction, l'ouvrage de Philippe Lançon, "Le Lambeau" a été choisi à l'unanimité comme Le Livre de l'année 2018. Dans un entretien, l'écrivain dresse son portrait et raconte ses lectures d'enfance : le Club des Cinq, la collection "Mille Soleils". Il aimait les romans d'aventures (Kessel et Stevenson) et il déclare que "la littérature est une mer intérieure". Il rentre à Libération dans les années 80 après des études de journalisme. Il apprend tout dans ce journal original, insolent et militant qui bouscule la tradition journalistique. Philippe Lançon se passionne pour la littérature sud-américaine et devient critique littéraire au sein du journal. Dans une de ses réponses, il évoque la matrice de son livre quand il a commencé à concevoir ce témoignage écrit en Ecosse et à Rome entre juillet 2017 et janvier 2018. Son témoignage bouleversant de l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2015 et sa reconstruction physique et morale ne peuvent que toucher des millions de lecteurs. La revue distingue aussi les écrivains des prix littéraires dont le Goncourt, très bon cru. Je citerai aussi Agnès Desarthe et son roman "La chance de leur vie", "ça raconte Sarah" de Pauline Delabroy-Allard. En littérature étrangère, la revue a choisi "My absolute darling" de l'américain Gabriel Tallent, Nicole Kraus, "Forêt obscure", le quatrième tome d'Elena Ferrante, "Le monarque des ombres" de Javier Cercas et d'autres titres à suivre. Dans la catégorie "essais", un ouvrage de Christophe Guilluy annonce la fin de la classe moyenne occidentale dans "No society". Une prémonition éclairante dans le conflit d'aujourd'hui. D'autres documentaires figurent dans la sélection : Michel Foucault, Pierre Rosenvallon, Yuval Noah Hariri, Régis Debray, Danièle Sallenave, Michelle Perrot, etc. Quand j'ai  feuilletté la revue avec ces cent références, je me suis rendue compte que l'année éditoriale a comblé mon appétit insatiable de lectures… Que l'année 2019 nous apporte aussi de très belles et bonnes lectures… 

mardi 4 décembre 2018

Eloge des bibliothèques

Cet après-midi, j'ai redécouvert le plaisir d'arpenter la ville de Chambéry pour diverses courses. Après quinze jours de confinement chez soi, le "sortir de chez soi" prend une couleur vive, tonique et se balader à son rythme constitue une parenthèse enchantée dans cette belle cité savoyarde. J'ai enfin échangé mes livres à la Médiathèque Jean-Jacques Rousseau et quand je suis entrée dans le hall d'accueil, le silence régnait et un calme serein flottait dans l'air. Quand on traverse une ville, des milliers de bruits pénètrent notre peau : voitures, bruits des travaux, scooters, etc. A la Médiathèque, un havre de paix. Les lecteurs installés dans les fauteuils et autour d'une table respectent absolument la consigne : le silence fait partie du contrat entre le lieu et l'usager. Un homme dormait même la main posée sur un dictionnaire. Personne ne le dérangeait. Chacun vaque à ses intérêts de lectures. Je regarde l'arrivage des romans sur la table des nouveautés. Je feuillette la presse littéraire et je note des références. Je cherche des ouvrages sur la mythologie, la philosophie. Parfois, en consultant les sommaires, je renonce à l'emprunter à cause de la complexité du texte. J'ai pris l'habitude de farfouiller dans les chariots des retours. Je vérifie ainsi que certains écrivains ont encore l'adhésion du public. Une bibliothèque ressemble à une malle à trésors. On peut chercher une pépite littéraire par hasard, et la trouver, abandonnée sur une table. Cet ouvrage m'attendait et je l'ai mis dans mon sac. Au deuxième étage, l'espace de la presse quotidienne et hebdomadaire rassemble beaucoup de retraités et de personnes seules. J'ai travaillé pendant trente ans dans ces lieux d'une importance capitale pour se sentir citoyenne, pour participer à un projet d'une société éducative et culturelle. En ce moment, certains de nos concitoyens souffrent de la confiscation fiscale et la notion d'impôt n'a pas bonne presse. Je pensais à ce service public, une bibliothèque, et j'étais vraiment heureuse de payer des impôts pour permettre la permanence de ces services publics comme une école, un hôpital, une mairie, un théâtre, etc. Quand je pense aux économies que j'ai effectuées en fréquentant la Médiathèque depuis quinze ans, je crois que j'ai bien équilibré mes comptes… Je suis repartie avec un sac plein de livres. J'ai aussi rencontré des lecteurs qui forment une communauté universelle et ouverte à toutes les idées, les pensées, diffusées par les livres. Et cerise sur le gâteau, l'usager peut emporter vingt cinq documents pour un mois. D'autres supports audiovisuels complètent le charme indéfinissable du papier. J'avais envie de relater ces moments passés au sein de la bibliothèque municipale (je préfère ce mot…), des moments de paix et de sérénité, bien appréciables dans ce monde en conflit permanent. 

lundi 3 décembre 2018

"Leurs enfants après eux"

Nicolas Mathieu, jeune écrivain trentenaire, a écrit en 2014 son premier roman dans la collection "Actes Noirs". Ce livre a déjà été adapté en série télévisuelle, "Aux animaux, la guerre". Pour son second roman, Nicolas Mathieu décroche le Prix Goncourt en 2018 à la surprise des critiques car le jury penchait pour d'autres titres. Ce roman résonne très fort en ce moment car il aborde la déréliction des classes populaires dans une France des années 90. Le cadre géographique confirme le diagnostic sociologique d'une Lorraine périphérique à l'abandon, une région désindustrialisée où les hauts-fourneaux ont été rayés de la carte.  L'été étouffant saisit ce paysage à l'arrêt. Anthony, quatorze ans, traîne avec son cousin et il s'ennuie. Ils décident de voler un canoé pour s'approcher d'une plage de nudistes près du lac de loisirs. A partir de cette escapade, il rencontre une jeune adolescente, Stéphanie,  qui représente son idéal amoureux. Mais, Anthony se sent enfermé dans le huis clos familial ouvrier : il voit son père s'enfoncer dans l'alcool, sa mère toujours usée, déprimée. Stéphanie et Clem, son amie, appartiennent à la classe moyenne un peu aisée et vivent dans des pavillons. Elles forment un duo complice et rêvent de quitter leur 'trou". Un quatrième personnage, Hacine, est un enfant d'immigré algérien, vend de la drogue et a honte de son père. Cette fresque sociale évoque ces quatre destins d'adolescents pendant quatre années. Il m'est impossible de résumer chaque trajectoire de vie tellement le roman décrit avec une précision de sociologue les années 90 dans sa dimension culturelle et politique. Chaque famille se débat dans des difficultés sans nom : chômage, alcool, divorce, maladies. Chaque adolescent se bat pour survivre dans cet enfer d'un ennui profond. Les deux jeunes femmes semblent comprendre que travailler à l'école peut leur permettre d'échapper à une détermination sociale. L'une réussira le concours de médecine et l'autre une école de commerce. Cette traversée d'une catégorie sociale abandonnée comme des Indiens dans des réserves est portée par un style construit, élaboré, imagé, voire diapré. Je citerai cette phrase : "Les hommes parlaient peu et mourraient tôt ; les femmes se faisaient des couleurs et regardaient la vie avec un optimisme qui allait en s'atténuant. Une fois vieilles, elles conservaient le souvenir de leurs hommes crevés au boulot, au bistrot, silicosés, de fils tués sur la route, sans compter ceux qui s'étaient fait la malle". Ce tour de force littéraire se transforme en épopée élégiaque d'une classe sociale ouvrière oubliée, sacrifiée et ce livre deviendra un classique du XXIe siècle pour comprendre les colères d'aujourd'hui. 

samedi 1 décembre 2018

L'ardoise magique

J'ai offert récemment à mon petit-fils une valisette de puzzles avec une ardoise magique. Il adore griffonner sur cet espace blanc en dessinant son nom et d'un coup de main, il efface avec un embout les gribouillis multicolores. Il est enchanté de ce miracle permanent… Les enfants nous offrent souvent un sentiment d'éternité car ce jeu traditionnel continue à survivre dans notre culture. En me souvenant de mes séances de jeu avec cette ardoise magique, jouet d'une tradition imperturbable, j'ai pensé à la situation politique que l'on vit actuellement en France. Je regarde beaucoup les informations concernant les Gilets Jaunes et dès que certains ont commencé à prendre la parole dans des émissions de télévision, un événement incroyable a eu lieu sur ces plateaux parisiens : de vraies personnes simples, sincères et modestes prenaient la parole. Se passait devant mes yeux un choc social et culturel à Paris dans ces médias édulcorés, où tous les journalistes polis, enjoués, habillés à la mode compose une planète surprotégée de privilégiés à Paris. Bien au contraire, les Français de la campagne, de la périphérie, la marge modeste et travailleuse de la population crient leur malaise de ne plus boucler la fin du mois. On assiste ainsi à une explosion de rage, de colère, de dépit et de découragement. Ils affrontent jour après jour une insécurité économique et culturelle. Et en face, faillite des partis, des syndicats, de l'organisation de l'ancien monde. Mais, le numérique a bousculé ces relations instituées par le système politique. Les élites politiques et économiques se sont détournées de ces gens de "peu" qui se sentent méprisés par les paroles plus que maladroites de notre Président. Ils ne parlent pas anglais, ne connaissent pas l'ouverture au monde, les grands écoles, le baratin des managers, etc. Le type de société qu'on leur propose ne correspond plus à leurs compétences. Notre Président s'enkyste dans sa détermination pour la cause écologique et surtout pour remplir les caisses de l'Etat. Aucun geste de sa part et tout peut partir en vrille. Je reviens à mon ardoise magique : il faut tout effacer et repartir dans un dialogue entre la France d'en haut et celle du bas, entre les élites méprisantes et une partie du peuple invisible et souffrante. La raison semble déserter les deux camps. Quand notre pimpant président prend la parole, sa matrice technocratique devient inaudible et pathétique. Entre celui qui prêche son programme et ceux qui attendent un geste pour stopper les augmentations, un gouffre abyssal s'installe et se creuse de jour en jour. Un sociologue, Jean-Christophe Guilluy,  avait alerté les politiques de ce phénomène, la France des marges, de la périphérie depuis cinq ans. Ce moment sociologique donne le vertige et ce tangage remue les plaies à vif des inégalités sociales, de la richesse captée par une minorité. Sans être démagogue, je comprends le ras-le-bol des Gilets jaunes, souvent maladroits et irréalistes dans leurs revendications. Mais, ils tentent de s'organiser en dehors des partis, projet courageux. La démocratie s'en ressortira peut-être plus forte quand ces problèmes récurrents des classes moyennes appauvries par la mondialisation seront vraiment considérés comme la priorité des priorités. Je vais offrir une ardoise magique à notre jeune président… Je regarde en ce moment les infos : Paris en ébullition. Et pendant ce temps, notre Président danse le tango avec les Grands de ce monde en Argentine...

jeudi 29 novembre 2018

Rubrique cinéma

La Quinzaine du cinéma italien s'est terminée cette semaine, mais j'ai été empêchée d'assister à quelques séances à cause d'une perturbation saisonnière courante à cette période où j'ai enregistré un "choc thermique" à Besançon. A mon retour, je rapportais dans mes bagages un état grippal, une toux, une bronchite. Adieu les films italiens, mes balades, mes plaisirs de sortir. La maladie pas du tout grave empêche la poursuite d'une vie normale. Confinée dans ma maison, j'ai retrouvé après quelques jours brouillardeux l'extrême chance de m'adonner à mes passions de toujours : la lecture et la musique. Avant de sombrer dans cette hibernation forcée, je suis allée voir le dernier film de Paolo Sorrentino, "Silvio et les autres". Le réalisateur de la série "The Young Pope", et de "La Grande Bellezza" démarre son film avec un mouton dans une très belle propriété de Sardaigne. Ce mouton mystérieux et incongru porte un symbole fort que l'on découvre au fil du film. On plonge alors dans une ambiance euphorique quand apparaît Silvio, le Silvio Berlusconi, délirant, tonitruant, clownesque, un des épisodes les plus lamentables de la politique italienne. Ce film dresse une fresque des années "bunga-bunga" où régnaient la fête, la drogue, le sexe. Paolo Sorrentino montre le système qui structurait la cour de cet homme pathétique. Les intrigues circulent à un rythme infernal. L'acteur Tonio Servillo joue ce rôle à merveille en portant le masque d'un sourire triomphant qui ne fait plus rire sa femme. Les maîtresses du Cavaliere se succèdent dans cette vie d'oisif privilégié. Au fond, ce milliardaire des médias est devenu son propre metteur en scène pendant vingt ans en Italie. Il a propulsé la société consumériste où la publicité a pour objectif de "vider les cerveaux"... Son sourire éternel illusionnait ses fans et illustrait cette société du spectacle. Le film révèle aussi les failles de ce personnage flamboyant qui le rend plus humain comme sa solitude, entourée de tant de présences serviles autour de lui. Manifestement, Silvio Berlusconi a fasciné le réalisateur qui admirait sa vitalité jubilatoire et son optimisme béat. Il explique lui-même dans un article de Télérama : "Certains de ses comportements anormaux, d'une virilité parfois violente sont toujours des signes d'un malaise et d'une peur. Mon travail est de les pointer". Un très bon film, une comédie italienne aigre-douce.. 

mardi 27 novembre 2018

Gérard de Nerval

Une belle après-midi d'automne de novembre, je suis partie me balader à Aix-Les-Bains. Du petit port au grand port, j'ai traversé l'esplanade, l'allée magnifique des peupliers aux couleurs d'écureuils, des voiliers voguaient au loin et les mouettes virevoltaient allégrement devant moi. J'aime capter avec mon téléphone les mouvements de ces oiseaux dont j'admire la grâce et la vitalité. Je me rêve en mouette, libre et indocile, dans le ciel et sur le lac, symbole de la beauté naturelle. Ce spectacle me réjouit toujours quand une d'entre elles passe au dessus de ma tête comme une flèche blanche éblouissante. Je collectionne depuis longtemps des clichés sur ses oiseaux de mer et de lac, une manie qui s'est développée au cours de mes voyages, mouettes de Venise, de Copenhague, de Grèce, de ma Côte basque, et de bien d'autres rivages. A mi-chemin, je prends connaissance du contenu d'une cabine téléphonique transformée en bibliothèque gratuite. Je n'ai rien trouvé d'intéressant et je suis repartie bredouille. Ensuite, mes pas m'ont menée vers le Grand Port où cliquètent les mâts des voiliers. La vue devient encore plus majestueuse vers Brison-Saint-Innocent et Hautecombe. Une fois parvenue au Jardin Vagabond dont j'ai déjà parlé dans le blog, je me dirige vers ma deuxième cabane à livres. Je détaille tous les titres à la recherche de la pépite d'or livresque. Mais, constat fait, pas de bonne surprise. Aucun donateur n'a déposé un livre qui pourrait me plaire. Je repars vers la baie de Mémard et je retourne vers mon point d'ancrage, Par curiosité, je revisite ma première cabane. Je rencontre alors un monsieur avec deux livres à la main. Il me les montre : un guide des oiseaux et un livre sur le self-défense. Je les prends avec plaisir et je pense les donner à mon entourage. Quelle solidarité dans ces gestes entre les passionnés de lecture ! Cela me remplit d'optimisme envers l'humanité… Je redonne un coup d'œil par hasard dans la cabine et j'aperçois alors à ma grande surprise, mélangée à des ouvrages reliés ordinaires, ma pépite d'or : une Pléiade ! J'aime beaucoup ces ouvrages malgré leur prix car ils représentent la quintessence de la littérature mondiale. Et pas n'importe quelle Pléiade, j'avais dans mes mains le tome 2 des Œuvres de Nerval, édité en 1962 contenant "Le Voyage en Orient, "Lorely", "Les Illuminés" qui manquait à ma collection. Ma mère, elle aussi lectrice, m'avait offert le tome 1 quand j'étais étudiante à Pau. J'avais  "Les Filles du Feu" au programme et il me fallait cette édition commentée. J'adore ce type de coïncidence heureuse comme une espace temporel qui se boucle dans cet instant. Voila comment une balade agréable se termine en beauté avec ce don inhabituel. Qui est ce lecteur ou lectrice mystère qui dépose un tel livre dans cette cabane téléphonique ? Je ne le saurai jamais, mais je vois que la lecture rend généreux !  

lundi 26 novembre 2018

"Tous les hommes désirent naturellement savoir"

Nina Bouraoui a publié à la rentrée son dernier opus, "Tous les hommes désirent naturellement savoir". Je trouve dommage qu'elle n'ait obtenu aucune récompense littéraire mais les jurys ont préféré les auteurs hommes, un vrai record cette année. Evidemment, le talent prime d'abord et la parité féminin-masculin n'existe pas dans le monde de la littérature. Pourtant, la voix sensible, féminine, empathique de Nina Bouraoui commence à se faire entendre. Cette écrivaine évoque son homosexualité assumée dans ce livre au titre tiré chez l'antique philosophe Aristote. Les cours chapitres s'enchaînent avec une harmonie musicale et s'intitulent le "devenir", "se souvenir", "être", "savoir". Elle évoque son enfance algérienne, ses parents dont la mère bretonne ose défier sa famille et a le courage de se marier avec un étudiant algérien dans les années 60. Petite fille, elle se sentait singulière ne correspondant pas aux canons de la féminité qui régnait à cette époque. Elle assiste un jour au retour de sa mère, bouleversée par son agression dans la rue dans un pays non reconciliée. En 1981, Nina quitte l'Algérie pour rejoindre la France. La répression religieuse s'installe pendant dix ans et ses parents anticipent leur départ. Accueillies par ses grands-parents à Rennes, Nina et sa sœur terminent leur scolarité et avec son bac en poche, elle part faire ses études à Paris et fréquente une boite de nuit où elle espère rencontrer l'amour de sa vie, une femme. Mais, elle observe aussi dans ce milieu interlope les ravages de l'alcool, les envies de suicide, la cruauté des amours malheureuses, le malaise de cette identité difficile à porter. Surtout, l'auteur vit une double différence avec ses origines algériennes et son orientation sexuelle. Dans les années 90, on était encore très loin du mariage pour tous. Elle raconte avec émotion sa rencontre avec Julia qui pourtant se joue d'elle. Elle découvre un univers féminin complexe où le mensonge peut régner comme partout. Dans ce récit autobiographique d'une poésie sensuelle, l'écrivaine avoue son amour pour les mots, la littérature et ce combat quotidien l'aide à surmonter les obstacles de sa différence sexuelle. Quel dommage que cet ouvrage lumineux et courageux n'ait pas obtenu le prix Médicis ! Trop féminin, trop sensible, pas assez violent et pourtant, elle évoque les violences de l'Algérie, du racisme, de l'homophobie qui ont eu de l'influence dans sa vie de femme. Il faut découvrir son œuvre singulière et ce livre publié chez Lattès confirme son parcours de combattante pour révéler avec clarté et audace que la différence peut se vivre aussi comme une richesse existentielle.   

mercredi 21 novembre 2018

"Idiss"

Je regarde régulièrement la Grande Librairie, émission littéraire de grande qualité, animée par François Busnel. La semaine dernière, il avait invité Robert Badinter, ministre de la justice de 1981 à 1986, et Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995. Tout le monde se souvient de sa plaidoirie pour l'abolition de la peine de mort. Cet homme remarquable, âgé aujourd'hui de 90 ans, était reçu par François Busnel pour évoquer la publication de son ouvrage sur Idiss, sa grand-mère maternelle. Tout au long de l'émission, Robert Badinter a retenu son émotion avec difficulté quand il évoquait la figure émouvante de cette femme, née en Bessarabie en 1863 dans le Yiddishland. Ce monde juif, disparu à tout jamais avec la Shoah, ressurgit dans ce livre intimiste. Sa grand-mère a vécu dans la misère, l'oppression, l'antisémitisme, les pogroms et elle fuit son pays pour s'installer à Paris en 1912. A cette époque, la capitale française représentait le symbole de la liberté, de la culture et surtout de la tolérance. La République offrait un foyer pour tous ces immigrés juifs venus de l'Est. Idiss était analphabète, parlait le yiddish et pourtant, se sentait bien intégrée. Son petit-fils admire profondément cette femme d'une bonté exceptionnelle. Elle se marie avec amour, fait de la contrebande, donne naissance à deux garçons et une fille. Robert Badinter raconte la vie de sa famille : les frasques de ses oncles, le mariage de ses parents, la réussite commerciale dans les fourrures. Les souvenirs de son enfance forment une fresque sociale et historique dans la France des années 30 et 40. Un leitmotiv revient souvent sous la plume de l'auteur : ses grands-parents et ses parents lui ont montré l'exemple, une attitude dans la vie imprégné de courage, du sens de l'effort, de l'amour de la culture. L'auteur a déclaré dans l'émission : "J'ai eu des gens bien comme mes parents".  Alors que la société française leur avait permis de vivre normalement sans subir l'antisémitisme, la guerre de 39 se profile, la famille d'Idiss se sépare de peur des rafles à Paris. Robert Badinter et son frère échapperont à la déportation et c'est à Cognin qu'ils se cacheront. Idiss reste à Paris mais mourra d'un cancer.  A travers Idiss, Robert Badinter rend hommage à ses parents, à sa culture d'origine, (une Atlantide disparue). Malgré l'horreur des événements concernant la situation des Juifs en France, Robert Badinter constate les faits, témoigne sans émotion, décrit son monde familial dans l'univers glaçant du nazisme et du pétainisme. Idiss ne devait pas tomber dans l'oubli et grâce à son petit-fils, elle vivra dans nos mémoires. Un beau portrait émouvant, un témoignage historique, un livre indispensable pour comprendre les dégâts de l'antisémitisme.  

mardi 20 novembre 2018

Atelier Lectures, 3

Au programme des lectures "conseillées", j'avais proposé la découverte de quelques romans nordiques en choisissant deux écrivains par pays : le Danemark, la Norvège, la Suède, la Finlande et l'Islande. Pour le Danemark, Karen Blixen et Jens Christian Grondahl s'imposaient. Deux lectrices, Dany et Marie-Christine, ont donné des avis négatifs sur la légendaire Karen Blixen, la fascinante femme de "La ferme africaine". Elles ont essayé de lire "Le festin de Babette", mais la magie blixenoise n'a pas surgi au fil des pages : style vieillot, histoire ennuyeuse, personnages falots. Peut-être que la réputation de cette écrivaine dépasse son œuvre littéraire datée. Dommage pour l'écrivaine danoise… Par contre, Jens Christian Grondahl a conquis deux autres amies lectrices, Pascale et Janelou, qui ont beaucoup apprécié "Les Portes de fer", un roman bilan, le bilan d'une vie. Le narrateur raconte sa jeunesse, ses relations amoureuses, sa paternité, ses amitiés. Un beau récit intime d'une lucidité élégante par un grand écrivain danois. Pour la Finlande, nous avons évoqué un auteur très connu qui vient de disparaître, Arto Paasilinna et son roman,  "Le meunier hurlant". Dans un petit village du Nord de la Finlande, Gunnar, le meunier possède un défaut singulier : il hurle à la lune dès qu'il est contrarié. Son comportement gêne les villageois qui veulent l'envoyer à l'asile. Mais, notre meunier veut se battre pour rester libre. Un écrivain finlandais très original à découvrir. Janine a beaucoup aimé la saga de l'Islandaise, Kristin Marja Baldursdottir, "Karitas, l'esquisse d'un rêve". Karitas vit dans sa ferme familiale et dessine comme son père le lui a appris. Une mystérieuse artiste révèle son talent et l'envoie à Copenhague pour sa formation d'artiste. Ce destin d'une femme artiste se déroule au début du XXe siècle et montre la solidarité de la vie sociale. Une belle fresque islandaise. Evelyne a choisi Jon Kalman Stefansson, "Entre ciel et terre". Dans le milieu des pêcheurs à la morue, un jeune garçon orphelin intègre un équipage et rencontre un marin poète qui adore Milton. Quand le marin meurt de froid car il a oublié sa vareuse, le jeune garçon veut rapporter le recueil de poèmes à son propriétaire. Ce roman d'éducation ressemble aussi à un hymne aux mots et je cite l'écrivain : "Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d'autres des notes de violon". Il faut lire ce très beau roman. Pour terminer l'évocation des romans littéraires venus de Scandinavie, Véronique a bien aimé l'écrivaine norvégienne, Herbjorg Wassmo, et son livre "Un long chemin". Pendant l'hiver 1944, sous l'Occupation allemande, une famille fuit pour gagner la Suède. Cette traversée périlleuse montre les horreurs de la guerre. Sur les dix romans nordiques, cinq titres ont donc retenu l'attention bienveillante des lectrices. Rien ne vaut la littérature pour connaître l'âme profonde d'un pays. En décembre, l'atelier Lectures se penchera sur Philip Roth, le grand écrivain américain, disparu en mai dernier. 

vendredi 16 novembre 2018

Atelier Lectures, 2

Je poursuis l'évocation des coups de cœur avec Mylène (et je partage ce choix) : celui du récit de Robert Badinter sur sa grand-mère, "Idiss". Le portrait de cette femme courage, venue de la Bessarabie, est tracé avec une sincérité émouvante de la part de cet homme si respectueux qui, à l'âge de quatre-vingt dix ans, raconte son enfance et son adolescence dans une France accueillante des années 20. Idiss vivra toujours au sein de sa famille à Paris jusqu'à sa mort. Pour échapper à la déportation des Juifs, sa fille et et ses petits-fils (dont Robert Badinter) quitteront Idiss et Paris pour se réfugier en province. Cette séparation tragique assombrira la fin de sa vie. Je reviendrai sur ce livre dans mon blog tellement il me semble important aujourd'hui. Sylvie a retenu le récit autobiographique d'Edouard Louis, "Pour en finir avec Eddy Bellegueule". Cet ouvrage coup de poing peut déranger ou enthousiasmer les lecteurs(trices). L'auteur dénonce sa famille homophobe, la misère sociale et intellectuelle et revendique hautement sa liberté de vivre sa différence sexuelle. Pascale a recommandé la lecture d'un auteur soudanais, Abdelaziz Baraka Sakin, "Le Messie du Darfour", publié chez Zulma. Le personnage féminin, Abderahman, porte un prénom masculin et veut se venger des terribles milices Janjawids. Avec son mari, elle décide de passer à l'acte. Cette épopée dans un pays en plein chaos révèle une situation historique inextricable. L'auteur a obtenu l'asile politique en Autriche. Marie-Christine a évoqué le roman autofictif d'Eric Fottorino, "Questions à mon père", publié en 2010 chez Gallimard. Dans cet ouvrage, l'auteur va à la rencontre de son père biologique, Juif marocain, qui ne l'a pas élevé. Il découvre la vérité sur cette famille inconnue du Maroc et se met à reconnaître ce père mystérieux. Un récit émouvant et très bien écrit. Evelyne a redécouvert Louis Pergaud, écrivain bien oublié aujourd'hui. Franc-comtois, il croque les paysans dans ce recueil de nouvelles, "Les Rustiques". Evelyne, pourtant savoyarde de cœur, n'a jamais oublié ses racines franc-comtoises. La suite sur les romans nordiques, la semaine prochaine.  

jeudi 15 novembre 2018

Atelier Lectures, 1

Cet après-midi, nous étions toutes réunies pour partager nos lectures du mois. J'ai évoqué les prix littéraires de l'automne en mettant l'accent sur un très bon Goncourt, le roman de Nicolas Mathieu, "Les enfants après eux", édité chez Actes Sud. Je me suis réjouie du Femina pour "Le Lambeau" de Philippe Lançon qui aurait dû recevoir l'ensemble des prix… J'ai aussi remarqué l'attribution du prix Femina essai pour Elizabeth de Fontenay, "Gaspard de la Nuit" sur son frère malade. Je n'ai pas recommandé la lecture du prix Médicis avec "Idiotie" de Pierre Guyotat, un écrivain d'avant-garde, très peu lu et seulement apprécié des grands spécialistes d'une littérature confidentielle parisienne. Les coups de cœur ont démarré avec Geneviève qui a déniché un recueil de douze nouvelles d'Irène Nemirovsky. Elle a été étonnée par la modernité du style cinématographique, les portraits de femmes fragiles et ces textes teintés d'ironie ont été publiés en 1942 avant que l'écrivaine ne soit déportée à Auschwitz. Danièle a rencontré Charles Juliet et René Frégni lors d'une conférence à la librairie Garin. Elle nous a présenté le livre de René Fregni, "Je me souviens de tous mes rêves", publié en Folio. Au fil de descriptions évocatrices, l'écrivain qui vit à Manosque entraîne les lecteurs(trices) dans des promenades en Provence quand les touristes sont partis. Une belle écriture qui rend hommage à cette douce province. Odile a beaucoup aimé le roman de Philippe Lemaître, "Au revoir, là-haut", prix Goncourt en 2013. Cet ouvrage évoque les gueules cassées de la Guerre 14/18 tentant de survivre dans un monde qui ne veut plus d'eux. Nous avons commenté ce beau roman adapté au cinéma et qui continue à séduire de très nombreux lecteurs(trices). Agnès a évoqué le livre de Véronique Olmi, "Bakhita", une femme exceptionnelle, qui fut captive, domestique, religieuse et sainte. Ce grand succès de librairie avait obtenu le prix Fnac en 2017. Véronique a beaucoup apprécié "Les huit montagnes" de Paolo Cogneti, publié l'année dernière. Cette belle histoire d'amitié entre Pietro, l'enfant de la ville, et Bruno, l'enfant de la montagne, se déroule dans un cadre enchanteur au cœur du Val d'Aoste. Quelques coups de cœur ont déjà été mentionnés lors des ateliers des années précédentes mais, cela permet aussi de ne pas les oublier trop vite.  La suite, demain.  

mardi 13 novembre 2018

Rubrique cinéma

J'ai repris le chemin du cinéma vendredi dernier pour aller voir un film de la réalisatrice italienne, Alice Rohrwacher, "Heureux comme Lazzaro". Ce film avait obtenu le prix du scénario à Cannes en 2018.  Lazzaro, un petit paysan d'une bonté naturelle, vit au milieu d'une communauté à l'écart du monde. Une marquise gère ce domaine, une plantation de tabac, dans ce hameau, nommé Inviolata, perdu dans la montagne. Un pont qui le reliait à la vallée a été détruit et jamais reconstruit. La trentaine de paysans exploités comme des serfs du Moyen Age, abuse à leur tour du gentil Lazzaro qui travaille comme un forçat sans jamais se plaindre. Un été, Lazzaro rencontre le fils de la Marquise de Luna, Tancrède. Ce fils s'insurge contre sa mère esclavagiste qui n'a que du mépris pour ces paysans. Il se refugie dans la montagne avec l'aide de Lazzaro. Les autorités débusquent ce hameau hors du temps et conduisent les paysans en ville. La Marquise est arrêtée et emprisonnée. Dans la débâcle, le jeune Lazzaro tombe dans un ravin en allant voir Tancrède. Le film prend alors une tournure fantastique quand le jeune paysan se réveille quelques années plus tard. Il repart vers la propriété de la Marquise où des voleurs sont en train de la piller. Il se met à les aider et comme il comprend que tout a changé, il part avec eux en ville. Il retrouve dans un faubourg misérable ses anciens compagnons du hameau, devenus des marginaux, tous vieillis, usés, s'adonnant à la mendicité. Lazzaro s'intègre naïvement au groupe et quand il rencontre en ville Tancrède, évidemment changé, il se sent toujours proche de lui. Il comprend lors d'une visite chez lui qu'il est ruiné par sa banque. Lazzaro se rend donc dans une banque tout seul et le film s'arrête sur une image que je ne dévoilerai pas. Ce film évoque l'innocence à travers le personnage du "Saint idiot" qui ne peut envisager le mal, la méchanceté, la noirceur. Lazare, revenu des morts, rencontre des morts-vivants, ses compagnons d'infortune. Alice Rohrwacher considère Lazzaro comme "un ange de l'histoire" qui "veille, insondable, sur les vaincus et les damnés de la terre sans pouvoir soulager un tant soit peu leur fardeau". Un beau film, allégorique et mystique. 

lundi 12 novembre 2018

"Elsa, mon amour"

Quand des écrivains évoquent des écrivains, je me sens tout de suite attirée par cette démarche de reconnaissance, de gratitude, valeurs de plus en plus rares de nos jours. Simonetta Greggio a écrit un roman biographique sur la "divine" Elsa Morante (1912-1985) qu'elle idolâtre. Dans un article du Monde des Livres, paru en octobre dernier, l'écrivaine déclare avec humour que le monde se divise en deux : "ceux qui idolâtrent Elsa Morante et ceux qui ne la connaissent pas". Elle construit son livre en donnant la parole à l'écrivaine italienne, une femme libre et audacieuse, mêlant sa vie à celle d'Alberto Moravia (1907-1990). La vie culturelle de l'Italie des années 70 défile dans cette biographie romanesque. Elsa Morante côtoyait les intellectuels de cette époque : Visconti, Pasolini, Pavese, Rosselini  qui font des apparitions brèves mais intenses dans la vie d'Elsa Morante. Quand le livre commence, Elsa a soixante dix sept ans. Elle raconte son enfance difficile entre une mère enseignante dévoreuse et un père absent. Sa vocation d'écrivain nait très tôt (à onze ans !) et deviendra son destin unique. Simonetta Greggio scande cette passion d'écrire tout au long du récit : "La joie et la beauté, voilées de mes ciels lourds de pluie. Seul écrire est plus fort que vivre. Yeux fermés, je me souviens. J'écris". Plus loin, l'auteur ajoute : "Pourquoi croit-on que les écrivains écrivent, si ce n'est pour prêter leur voix à ceux qui n'en ont pas, ou qui n'en ont plus ?". Ainsi, Elsa Morane a écrit pour les "perdants" de la vie, comme on dirait aujourd'hui. Les gagnants ne l'intéressaient pas et quand elle se saisit d'un personnage comme dans "L'île d'Arturo" (1963), c'est une jeune adolescent en proie à ses tourments de famille et à son identité. Le roman, "La Storia" (1977) évoque le destin d'une femme, Ida, violée par un soldat allemand à Rome pendant la guerre. Cette fresque historique et sociale d'une Italie en proie au fascisme, à la collaboration au nazisme montre l'absurdité de l'Histoire dans les destins des "gens de peu". Simonetta Greggio aborde l'œuvre romanesque de l'écrivaine italienne pour inciter les lecteurs(trices) à lire ou relire ces romans inoubliables. J'ai lu Elsa Morante dans les années 70 et 80 et depuis ce temps là, je n'ai plus ouvert un roman d'Elsa Morante. Simonetta Greggio m'a vraiment montré le chemin des retrouvailles avec cette grande dame de la littérature italienne… Un beau roman poétique et bien documenté, un des meilleurs livres de la rentrée et pour ceux et celles qui aiment l'Italie, une lecture indispensable...

jeudi 8 novembre 2018

"Forêt obscure"

Nicole Krauss, écrivaine américaine, signe son troisième roman, "Forêt obscure", après "L'histoire de l'amour" en 2006 et "La Grande Maison" en 2011. Cette jeune femme fait partie des auteurs les plus remarqués de la nouvelle génération aux Etats-Unis. Comme son titre l'indique, lire ce roman prend la forme d'une aventure littéraire peu commune, comme une marche vive à l'intérieur de cette forêt de mots. Le lecteur(trice) peut s'égarer dans ce texte subtil et opaque, un labyrinthe fascinant, mais, il suffit d'arpenter avec énergie ces sentiers pentus pour apprécier l'originalité de ce roman.  Deux personnages dominent le récit : un dénommé Epstein, un riche avocat américain, et la narratrice, une romancière en panne d'inspiration. Les chapitres s'entrecroisent selon les destins de ces deux protagonistes à la recherche de leur destin. Un lieu géographique les réunit : l'hôtel du Hilton à Tel-Aviv en Israël. La narratrice, écrivaine de "renommée internationale" constate qu'elle a perdu le goût d'écrire, de composer un texte et cette sécheresse romanesque s'accompagne d'une rupture annoncée avec son mari. Epstein, l'avocat richissime, abandonne sa famille à New York et dilapide sa fortune car il se lasse de cette possession matérielle. Partir en Israël symbolise une nouvelle vie spirituelle. Il s'intéresse à la mystique juive et se rapproche d'un rabbin. Il veut planter des milliers d'arbre (encore le thème de la forêt) à la mémoire de ses parents. Les deux personnages venus tous les deux des Etats-Unis, s'interrogent sur leur identité juive, une identité vécue différemment en Israël. La narratrice est reçue par un professeur d'université qui lui révèle un secret incroyable : Kafka aurait fui en Israël pour mener une seconde vie en tant que jardinier. Elle récupère une valise d'inédits de l'écrivain pragois et part sur ses traces avec l'aide de ce mystérieux professeur. Nicole Krauss évoque la notion de "multivers", non plus univers unique, mais multiple. L'identité pour l'écrivaine ressemble à un monde fluctuant, mouvant, changeant. La forêt "psychique" où chacun peut se reconnaître, symbolise une renaissance, une "contrevie" (Philip Roth), une paix intérieure, difficile à conquérir. La revue Transfuge a publié un interview de Nicole Krauss où elle explique sa démarche : "Les deux personnages cherchent un lieu de communion, un lieu de renouvellement d'eux-mêmes". Ce roman atypique et ambitieux représente un défi de lecture mais une fois que l'on franchit le cap, quel beau roman, étrange et merveilleux ! 

mercredi 7 novembre 2018

Mon escapade en Côte basque, 5

Comme je suis une "fan" de quelques séries de qualité, j'ai fait un détour à trente kilomètres de Bilbao sur la côte de la province de Biscaye. Ce lieu mythique, "Gastelugatxe", est une petite île appartenant à la commune de Bermeo. Un pont la relie au continent et au sommet de cet ouvrage, trône l'ermitage de Saint Jean Baptiste qui date du Xe siècle. Des scènes de Game of Thrones (saison 7) ont été tournées dans ce lieu incroyable et unique. Cette série culte, spectaculaire et visionnaire, est connue du monde entier et une foule compacte visite ce lieu tout l'été. Il faut même s'inscrire pour arpenter les deux cent quarante marches qui montent vers l'ermitage. En fin octobre, les touristes se font plus rares et j'en ai croisé encore quelques uns sur le chemin. J'avoue que le paysage laisse sans voix : la côte abrupte crée des tunnels, des grottes et des arches. D'autres rochers escarpés hébergent des oiseaux marins. Le cap Matxitxako se devine au loin. L'ermitage au bout de ce pont et des marches surplombe le Golfe de Gascogne. Au sommet de la falaise, il existe une tradition sympathique : il faut sonner la cloche trois fois et faire un vœu. J'ai descendu le chemin vers l'ermitage et j'ai admiré le panorama grandiose de Gastelugatxe mais quand je suis arrivée devant le pont, j'ai renoncé à grimper car il fallait que je remonte le sentier très abrupt que je venais de descendre. Je n'ai pas une âme de grimpeuse invétérée (sauf dans les sites archéologiques !). Ce coin du Pays basque espagnol est encore épargné du tourisme de masse et j'aime beaucoup ces paysages sauvages et authentiques d'une rugosité propre à la fierté affirmée des Basques. Le jour de mon départ, j'ai terminé mon escapade à Biarritz avant de prendre l'avion à Parme. J'ai donc amassé dans mon esprit des belles images de mon pays : le Phare et sa vue magique sur la ville, la Grande plage désertée, le Rocher de la Vierge, la Côte des Basques. J'avais le cœur un peu nostalgique quand j'ai survolé ma terre basque, mais, j'emportais sa douceur de vivre, la beauté de ses paysages, la vitalité de ses vagues océanes, les saveurs de ses traditions, la chaleur familiale…

mardi 6 novembre 2018

Mon escapade en Côte basque, 4

J'ai découvert à Bilbao une artiste portugaise d'exception, Joana Vasconcelos. Depuis le 29 juin, cette plasticienne a investi le musée car dès que l'on pénètre dans le hall, une pieuvre géante en tissu brodé envahit l'espace depuis le sommet du bâtiment et enserre les piliers avec ses tentacules. Cette rencontre inédite capte notre attention d'une façon particulièrement ludique. Cette artiste peu connue du grand public a exposé au Palais de Versailles et à la Biennale de Venise. J'ai eu beaucoup de chance de voir cette exposition originale, baroque, surréaliste, humoristique et loufoque. Les pièces exposées bougent, font du bruit, s'illuminent. Chaque œuvre délivre des messages que le visiteur doit décrypter à sa façon. L'artiste travaille avec une équipe de collaborateurs dans son atelier de Lisbonne. Elle utilise des matériaux de la vie quotidienne qu'elle transforme en œuvre d'art. Des fers à repasser deviennent des robots ménagers ; des dizaines de téléphones forment une sculpture sur la communication impossible ; des Tampax suspendus au plafond constituent un luminaire gigantesque ; un hélicoptère se retrouve habillé comme une danseuse de cabaret ; une burka repose sur  le sol et une grue pourrait la soulever ; des miroirs composent un masque de Venise ; des casseroles et des faitouts se transforment en escarpins argentés. Tout est gigantesque et ces installations-transformations intriguent, étonnent, fascinent : un festival de facéties, de trouvailles et de messages sur la féminité, l'enfermement des femmes, leur soumission volontaire ou subie (la burka, symbole de leur esclavage). Le monde de Joana Vasconcelos est coloré, joyeux, insolent, insolite et cocasse. Ces montages exigent la participation active du public et j'ai remarqué l'engouement des visiteurs, en particulier de nombreux enfants adhéraient et s'amusaient de ces installations remarquables. En sortant sur l'esplanade, un immense cop portugais de l'artiste portugaise me saluait avec ironie. Le musée expose aussi des sculptures dans ses alentours : tulipes de Jeff Koons, le chien Puppy en fleurs, l'araignée géante de Louise Bourgeois, et d'autres encore. Quel musée, incontournable, inoubliable et une découverte heureuse, Joana Vasconcelos !

lundi 5 novembre 2018

Mon escapade en Côte basque, 3

Je poursuis l'évocation des expositions au Musée Guggenheim avec la magnifique rétrospective consacrée à Alberto Giacometti. J'aime particulièrement ce peintre-sculpteur (1901-1966) qui fait partie de mon Panthéon personnel, aux côtés de Braque, Morandi, Chirico, Van Gogh, Kupka, et ma sublime Vieira Da Silva, pour citer quelques uns de mes contemporains du XXe siècle. La liste s'allongerait si j'ajoutais les artistes depuis les Grecs anciens… L'exposition de Bilbao présente un ensemble de deux cents pièces provenant de la Fondation Giacometti de Paris. Elle était à Londres en 2017 et la voilà à Bilbao, près de chez moi à Anglet. Toutes les périodes de l'artiste suisse sont représentées : cubiste, surréaliste, figurative. Tableaux, sculptures, dessins forment un panorama unique et complet sur son œuvre. La disposition des pièces constitue une mise en scène esthétique très appréciable. Je citerai les chefs d'œuvre les plus emblématiques : "L'Homme qui marche", "Femmes de Venise", "Le nez", "Le chat", etc. Giacometti me semble le plus littéraire des artistes car ses œuvres évoquent la solitude humaine, l'angoisse, le rêve, l'absurde. L'existentialisme et le surréalisme l'ont profondément influencé. Il a écrit cette belle phrase qui résume sa démarche : "Voir, comprendre le monde, le sentir intensément et élargir au maximum notre capacité d'exploration". Ses amis s'appelaient René Char, Francis Ponge, Jean Genet, Jean-Paul Sartre. J'apprécie aussi qu'il se soit inspiré des Etrusques dans la dimension de ses sculptures. Dans un entretien en 1958, le sculpteur évoque sa passion de l'art grec : "Dans l'art grec, ce qui m'arrête, c'est ce qui me semble le plus vrai par rapport au monde extérieur. Il y a des choses qui me touchent, me passionnent à la même mesure. Une tête de cyclade par exemple sur laquelle il y a juste le nez, me semble une des têtes les plus ressemblantes". L'art visionnaire du sculpteur s'enracine donc dans les époques les plus anciennes, et comme j'aime particulièrement l'art cycladique, je ne pouvais qu'apprécier cette très belle exposition qui se terminera en février 2019.

vendredi 2 novembre 2018

Mon escapade en Côte basque, 2

J'ai consacré une bonne journée à Bilbao, cette cité basque au caractère bien affirmé. Il existe dans cette belle métropole un musée magnifique, le Guggenheim,  que je visite une fois par an. J'effectue ce pélerinage culturel à une heure trente minutes de Biarritz avec un plaisir gourmand. En cette fin d'année, j'ai eu de la chance ! Trois expositions temporaires et la collection permanente m'ont permis de passer quelques heures au contact de l'art moderne et contemporain. Quand j'ai aperçu le bâtiment du musée, une véritable œuvre d'art, une sculpture gigantesque en titane et en verre, toute argentée et aux formes chaotiques, je me mets déjà en pause "admiration"... La première exposition vient du Guggenheim de New York. Le legs Thannhauser, "De Van Gogh à Picasso", réunit les plus grands peintres de l'Impressionnisme et du Postimpressionnisme : Manet, Degas, Cézanne, Picasso, Van Gogh, Le Douanier Rousseau, Renoir, Braque. J'ai surtout aimé le seul Van Gogh, "Montagnes à Saint Rémy" et un Picasso, "La femme endormie". Cette exposition dure jusqu'en mars 2019. Ensuite, j'ai revisité la collection permanente du musée dont la salle consacrée à un de mes artistes préférés : Anselm Kiefer. Dans ce lieu circulaire, trois immenses toiles absorbent l'attention des visiteurs et je voulais absolument me replonger dans "les ordres de la nuit", une toile métaphysique, qui montre l'artiste, couché sur une terre-écorce et au dessus de lui, un ciel étoilé, l'infini selon l'artiste allemand tourmenté par les horreurs du nazisme. Anselm Kiefer se met en scène sur ses toiles de cinq mètres de haut. Le monde de cet artiste incomparable et provocateur inquiète, interroge, bouscule les certitudes. L'art sert à briser le confort intellectuel et je l'ai vérifié avec les tableaux de Basquiat, Warhol, Klein, Rothko, Chillida. Un panorama essentiel des plus grands artistes du XXe. Une salle, une des plus emblématiques du musée, expose "la Matière du temps",  sept sculptures monumentales de Richard Serra. Quand on pénètre dans ces spirales métalliques, on éprouve la sensation vertigineuse du temps et de l'espace. Ce musée, un univers fantastique… 

jeudi 1 novembre 2018

Mon escapade en Côte basque, 1

Dès que j'ai atterri à Biarritz, j'ai humé l'air marin et je me suis dirigée vers l'océan comme si un aimant m'attirait irrésistiblement. Arrivée à la Chambre d'amour, mon coin préféré en Côte basque, j'ai aperçu mes chères vagues se déroulant éternellement sur le sable dans un fracas musical digne des plus grands compositeurs. Devant mes yeux toujours éblouis et jamais blasés, j'aime observer attentivement ce spectacle océanique quelque soit le temps qu'il fait. Ce mardi, le soleil automnal dorait les falaises environnantes, les plages et les digues. Autour de moi, touristes et autochtones se mélangeaient avec gentillesse et en toute tranquillité. Chacun de nous avait envie de cette parenthèse déambulatoire en bord de mer. Les surfeurs offraient un ballet tonique, rythmé par les cris des mouettes et quand l'un d'entre eux s'élançait sur sa planche, j'espérais qu'il chevauche deux à trois vagues pour défier l'océan. J'ai revu avec intérêt les sculptures de la Biennale d'art contemporain dont celle d'Anne Wenzer, la Pieta, en glaise grise, face au phare de Biarritz. Cette manifestation culturelle de très grande qualité honore la ville d'Anglet et offre ainsi aux visiteurs du site, un panorama de l'art contemporain, souvent décrié, critiqué, ignoré, marginalisé. Je me suis toujours intéressée aux artistes vivants qui me troublent, m'enchantent et me questionnent. Le matin, je pars marcher le long de la promenade de la Chambre d'amour à la Barre où j'aperçois l'Adour qui se jette dans la mer. Ces quelques kilomètres me permettent d'admirer ce panorama grandiose. Les plages se succèdent avec leur personnalité : les Sables d'or, Marinella, les Corsaires, la Madrague, les Dunes, les Cavaliers. Je les connais toutes par cœur et j'ai souvent goûté le sel de leurs vagues, la puissance de leurs remous, leurs courants dangereux depuis mon enfance. Parfois, les paysages autour de soi se banalisent et notre attention diminue. Mais, dans mon petit coin de paradis basque, les couleurs, les odeurs, les formes s'intensifient, imprègnent ma mémoire sensuelle et même si je les ai vus des centaines de fois, cet espace océanique provoque un choc esthétique à la façon du syndrome de Stendhal devant une œuvre d'art en Italie. Mon émotion reste intacte quand je me retrouve devant "mon" Océan atlantique, une véritable œuvre d'art de Dame Nature... 

vendredi 19 octobre 2018

"Un été avec Homère"

Dès que j'ai ouvert "Un été avec Homère", je savais que cette lecture m'apporterait une jubilation certaine. Et, vraiment, cet ouvrage hybride et original a encore conforté mon amour de la Grèce, d'Homère et de ses chants magiques. Ces textes proviennent d'une émission sur France-Culture. Evidemment, il vaut mieux lire "L'Iliade" et "L'Odyssée" pour apprécier les commentaires de Sylvain Tesson, mais, on peut aussi passer outre cette consigne, et se laisser bercer par l'atmosphère magique que l'écrivain-aventurier distille au fil des pages, imprégnées de la lumière grecque et de la culture antique. L'écrivain s'est isolé à Tinos face à Mykonos, dans les Cyclades pour comprendre ce miracle homérique. Il définit ce sentiment géographique ainsi : "Le génie des lieux nourrit les hommes. Nous sommes les enfants de notre paysage, disait Lawrence Durrell". Dans l'avant-propos, Sylvain Tesson présente son livre : "Ouvrir l'Iliade et l'Odyssée revient à lire un quotidien. Ce journal du monde, écrit une fois pour toutes, fournit l'aveu que rien ne change sous le soleil de Zeus : l'homme reste fidèle à lui-même, animal grandiose et désespérant, ruisselant de lumière et farci de médiocrité". Il évoque dès la première page le personnage emblématique, notre plus ancien contemporain, Ulysse, "notre frère", un homme, pétri d'humanité et d'héroïsme. Homère traverse les siècles avec la première œuvre littéraire et immortelle, composée de quinze mille vers pour l'Iliade et douze mille pour l'Odyssée. Pour Sylvain Tesson, "Tout se déploie en quelques hexamètres, la grandeur et la servitude, la difficulté d'être, la question du destin et de la liberté, le dilemme de la vie paisible et de la gloire éternelle, de la mesure et du déchainement, la douceur de la nature, la force de l'imagination, la grandeur de la vertu et la fragilité de la vie…" . L'ouvrage s'appuie sur les commentaires de l'écrivain qui décrypte à sa façon les aventures d'Achille, d'Ulysse, des dieux, de la guerre, de l'hubris sans oublier un hommage admiratif d'Homère. Il n'oublie pas aussi d'évoquer les fabuleux Hellénistes qui nous ont fait aimer la Grèce homérique : Jacqueline de Romilly, Paul Veyne, Victor Bérard, etc. L'écrivain met en parallèle le temps antique et notre période contemporaine et se permet de belles formules malicieuses et percutantes sur les travers d'aujourd'hui. Ce livre m'a enchantée comme si Sylvain Tesson s'était transformé en sirène et j'étais Ulysse, charmé par cet hommage enthousiaste pour Homère… Comme je revenais des Cyclades, j'avais ressenti tous ces paysages homériques, le vent fou, la lumière bleue, la mer étincelante et j'ai retrouvé ma Grèce éternelle. Quel beau récit, quel bel hommage littéraire ! A déguster, comme un vin de Santorin, sans modération...

jeudi 18 octobre 2018

Silence, on lit

Je suis tombée récemment sur un reportage de France 2 dans le cadre du 20H. Je remarque souvent que la lecture ne tient pas une grande place dans les journaux télévisés. En début de semaine, j'ai ressenti une agréable surprise en regardant ce reportage de trois minutes sur un collège français qui appliquait une consigne simple et salutaire. Pendant dix minutes, avant les cours de l'après-midi, les collégiens rentrent dans leur classe et prennent un livre : romans, documentaires, bandes dessinées, etc. Smartphones fermés (enfin), ils vivent un moment de grâce et ils lisent dans le silence. Le professeur de français déclarait que ces minutes de lecture ressemblaient à des minutes de méditation et de concentration. Quand les élèves reprennent leur cours, ils semblent plus calmes, moins agités. Qui a donc eu cette idée originale ? L'académicienne Danièle Sallenave, grande militante de la cause des livres. Cette écrivaine subtile et fortement républicaine constate depuis longtemps l'affaiblissement de la lecture chez les jeunes. Comment donner envie de lire à des générations conquises par la culture digitale ? Les téléphones portables ont remplacé nos bons bouquins. Pourtant, dans les bibliothèques municipales, la lecture jeunesse est un enjeu primordial. Je me souviens de beaux moments de partage avec les scolaires que je recevais régulièrement pour leur donner le goût de lire. Des générations de bibliothécaires ont mis leur énergie et leur passion pour cette cause si belle et si essentielle : lire ! L'association SOL ! (Silence on lit !) a concrétisé ce projet dans de nombreux collèges et le Ministère de l'Education encourage vivement ces initiatives. Je ne peux que me féliciter de cette intrusion des livres dans la vie scolaire. Les professeurs de français détiennent parfois la clé pour donner le goût de lire. Il suffit ensuite qu'une logistique se mette en place pour que les élèves se saisissent d'un livre. La journaliste signalait malheureusement la pauvreté des fonds dans les CDI et les bibliothèques scolaires. Les moyens doivent accompagner cette belle aventure. Danièle Sallenave mène un beau combat… Je suis persuadée que dix minutes par jour scolaire ne représentent pas grand chose dans une vie surchargée d'un adolescent. Mais, dans ces minutes reconquises dans le silence partagé, il suffit d'une rencontre avec un écrivain passionnant pour ouvrir les portes d'un paradis sur terre : celui des livres et de la lecture ! 

mercredi 17 octobre 2018

"Archives du Nord"

Cet été, j'ai relu le deuxième tome du Labyrinthe du monde de Marguerite Yourcenar, "Archives du Nord", publié en 1977. J'ai déjà évoqué dans ce blog, "Souvenirs pieux" (1974) et je poursuis ainsi mon retour aux grands classiques de la littérature contemporaine. Parfois, quand on se lance dans la relecture d'un classique, la déception peut surgir car plus les années passent, plus nous changeons. Personne n'évite ce phénomène même si au fond, on a l'impression d'être la même personne depuis notre naissance. Quand j'ouvre un ouvrage de Marguerite Yourcenar, je retrouve la même admiration que j'éprouvais à l'époque de ma première lecture et je ne suis jamais déçue. Bien au contraire, ma lecture en ressort bonifiée, approfondie, encore plus intense que dans le passé. Pourtant, les ancêtres de Marguerite Yourcenar ne ressemblent pas du tout aux miens. Ce monde aristocratique (comme chez Marcel Proust) semble très éloigné de notre société contemporaine démocratique. Mais, si on aime l'Histoire, la lecture de ce livre ressemble à une plongée dans le XIXe siècle, dans la région du Nord, la Flandre. L'écrivaine, dans les premiers chapitres, se lance dans une réflexion sur le vertige du temps : "Ces gens-là nous ressemblent : mis face à face avec eux, nous reconnaîtrions sur leurs traits les mêmes caractéristiques, qui vont de la bêtise au génie, de la laideur à la beauté". Elle remonte au XVIe et cette aventure généalogique donne le tournis… Marguerite Yourcenar écrit plus loin : "C'est de la terre entière que nous sommes les légataires universels. Un poète ou un sculpteur grec, un moraliste romain né en Espagne, (…) nous ont peut-être davantage formés que ces hommes et ces femmes dont nous avons été l'un des descendants possibles, un de ces germes dont des milliards se perdent sans fructifier dans les cavernes du corps ou entre les draps des époux". Dans la deuxième partie, elle évoque son grand-père paternel, Michel-Charles, puis de son père, Michel. La narratrice ne se glorifie en aucun cas de sa parenté aristocratique, bien au contraire. Elle décrit les petitesses de sa classe sociale, l'hypocrisie religieuse, leur arrogance hautaine. Elle n'épargne pas son propre père, joueur et flambeur, amateur de femmes. A la fin de l'ouvrage, Marguerite Yourcenar révèle sa vision du monde, une vision sombre et lucide, sur le passé et le présent, et constate avec philosophie : "Ce qui danse aujourd'hui sur le monde est la sottise, la violence et l'avidité de l'homme". Les inquiétudes qu'elle ressentait sur la disparition des espèces, la pollution, la place du divertissement, les dégâts de l'industrie, se sont, hélas, confirmées. La lecture des classiques procure un sentiment d'éternité...

mardi 16 octobre 2018

"Dix sept ans"

Eric Fottorino, écrivain et journaliste, poursuit l'écriture de son roman familial, commencée depuis vingt cinq ans avec "Rochelle", puis "L'homme qui m'aimait tout bas" en 2010 et "Questions à mon père". L'ancien directeur du journal Le Monde a raconté dans la presse, ses deux pères naturel et adoptif. L'un a épousé sa mère et l'a adopté et l'autre a été rejeté par la famille de sa mère parce que juif marocain. Dans son nouvel opus, "Dix sept ans", l'écrivain décrit le lien difficile qu'il entretient avec sa mère, Lina. Il écrit : "Lina n'était jamais vraiment là. Tout se passait dans son regard. J'en connaissais les nuances, les reflets, les défaites. Une ombre passait dans ses yeux, une ombre qui fanait son visage. Elle était là mais elle était loin. Je ne comprenais pas ces sautes d'humeur, ses sautes d'amour". Lina convoque ses trois fils dont le narrateur pour leur avouer un secret de sa jeunesse : "le 10 janvier 1963, j'ai mis au monde une petite fille. on me l'a enlevée aussitôt". Lina avait déjà donné naissance au narrateur trois ans avant. Leur mère raconte cet épisode douloureux devant ses fils abasourdis par ce lourd secret. Le narrateur comprend alors qu'il ne connaît pas sa mère et il décide de partir à la recherche de cette jeune adolescente de dix sept ans. Il se rend à Nice sur les traces de cette inconnue pour reconstituer son passé opaque. Il avoue avec regrets : "L'amour de ma mère, je ne l'ai pas senti. Il a manqué une étincelle (…) Le silence. Il est devenu notre marque de fabrique". Ce lien primordial le hante tout au long de ce roman largement autobiographique. Il s'installe dans une pension, mène une enquête pour retrouver des témoins, se promène en ville pour revivre le décor de sa naissance. Le narrateur récapitule la vie de Lina à Nice à cette époque avec les pressions familiales qu'elle subissait. Il tutoie Lina en l'imaginant dans la ville et il prend conscience alors de la fragilité de cette mère-enfant. Au fil des pages, le narrateur se réconcilie avec elle et l'amour glacé qu'il ressentait fond littéralement quand il revient la chercher pour la conduire de nouveau à Nice. L'auteur vit cette renaissance avec le désir d'effacer toutes ces années de méfiance et de désamour. Il déclare à sa "petite maman", âgée de soixante quinze ans, qu'il devient enfin son fils ! Un des romans autofictifs les plus intéressants de la rentrée littéraire.  

lundi 15 octobre 2018

Rubrique cinéma

Le film, "Girl", du réalisateur belge, Lucas Dhont, aborde la délicate question de la transsexualité. La jeune adolescente, Lara, rêve de devenir danseuse étoile. Mais, Lara est née garçon. Avec le soutien de son père, Lara veut changer de sexe pour réaliser son projet. Beaucoup de séquences concernent son apprentissage au sein d'une école de danse très réputée. On se rend compte alors de l'extrême difficulté de cette discipline artistique : la danse classique. Son corps de garçon ne possède pas les qualités requises pour exécuter des exercices comme les pointes. Lara sacrifie tout pour atteindre son but : devenir femme… Elle suit un traitement d'hormones, passe une panoplie d'examens, mais son corps ne se plie pas toujours à cette discipline de fer. En particulier, elle cache son sexe avec du sparadrap qui la blesse quotidiennement. S'intégrer dans le groupe des filles lui pose des problèmes car elle ne veut pas prendre sa douche dans sa nudité. Ce personnage magistralement interprété par Victor Polster semble vivre une solitude inhumaine. Il ne veut se confier à personne, surtout pas à son père qui joue un rôle majeur dans sa transformation sexuelle. Son étrangeté singulière l'isole et il rejette l'amour ou l'amitié par peur de se déclarer différent. Dans les scènes de danse ou en famille, sa vie ressemble à un combat quotidien : devenir une jeune danseuse. La relation père-fils est vraiment d'une finesse remarquable. Le corps médical entoure Lara avec une bienveillance chaleureuse. Quand la chirurgienne lui annonce que l'opération finale est reportée car son corps n'est pas prêt à subir le changement, Lara prend une décision radicale. Je ne dévoilerai pas la fin du film, un film fort, dérangeant, sensible. Le réalisateur pose la question du genre, de l'identité sexuelle, du tumulte psychique et corporel de Lara, une jeune fille d'une force incroyable dans un corps de garçon… 

vendredi 12 octobre 2018

"ça raconte Sarah"

Pauline Delabroy-Allard a composé avec son premier roman symphonique, "ça raconte Sarah" une histoire passionnelle entre deux jeunes femmes. Edité chez Minuit à la rentrée de septembre, ce roman a déjà obtenu la reconnaissance du public et des critiques. Professeur de lycée, la narratrice vit seule avec sa petite fille car son mari a disparu "sans crier gare". Lors d'un réveillon, elle rencontre une violoniste, Sarah : "ça raconte Sarah, sa beauté inédite, son nez abrupt d'oiseau rare, ses yeux d'une couleur inouïe, rocailleuse, verte (…). Ca raconte le printemps où elle est entrée dans ma vie comme on entre en scène, pleine d'allant, conquérante. Victorieuse". Pourtant, dans sa "vie chagrine", elle ne s'attendait pas à éprouver une telle passion, ayant remplacé son mari par un compagnon. A partir de cette vision fulgurante, la narratrice a déjà compris que sa vie allait basculer dans un rythme infernal. Sarah, dans cette soirée, s'était comportée comme une gamine, parlant fort, fumant, riant, dans une exubérance surprenante. Sarah a remarqué la narratrice car elle lui envoie des invitations à des concerts et l'invite au restaurant. Lors d'une sortie au théâtre, Sarah lui avoue qu'elle est amoureuse d'elle. Puis, un amour fou, irraisonné, irrésistible naît entre elles comme se lève une tempête, une tempête des sens, des corps, des âmes. La narratrice écrit ainsi : "L'amour avec une femme :  une tempête". C'est aussi "une révélation, une lumière, une épiphanie". Elles se retrouvent dans des moments parenthèses car elles ne mènent pas la même vie. L'une est sage dans son métier d'enseignante, l'autre a choisi la musique de chambre et les concerts en Europe avec son quatuor. La narratrice est emportée dans un tourbillon de vie, dans une sarabande amoureuse passionnelle. A se brûler de jour en jour entre leurs retrouvailles et leurs éloignements, elles épuisent leur passion mutuelle. Mais, un soir, Sarah se découvre un cancer du sein. Leur histoire d'amour s'interrompt brutalement. La seconde partie relate la fuite de la narratrice à Trieste, à la fin de sa passion, dans une folie dépressive. Son errance solitaire dans cette ville emblématique de la nostalgie symbolise aussi un retour à la vie, "la vie sans elle mais la vie quand même". L'écrivaine, âgé de trente ans, a réussi un exercice littéraire de haute volée. Avec un sujet audacieux (la passion entre deux femmes) et un style original très influencé par Marguerite Duras et Annie Ernaux, Pauline Delabroy-Allard possède déjà un talent certain. J'attends son deuxième roman pour confirmer mon opinion… 

mercredi 10 octobre 2018

Atelier Lectures, 2

Agnès a évoqué le livre de Philippe Lançon qu'elle a lu deux fois cet été. J'ai déjà parlé de cet exceptionnel récit autobiographique que je considère comme le Meilleur Livre de l'année. En lisant "Le Lambeau", Agnès a partagé avec empathie le témoignage de cet écrivain, rescapé miraculeux qui a échappé aux balles des terroristes islamistes de janvier 2015. Un débat a surgi entre nous sur ce livre inclassable. Certaines lectrices ne tentent pas cette expérience car elles estiment que "c'est trop dur"... Evidemment, ce journal intime raconte un drame épouvantable, mais aussi un retour à la vie dans une longue reconquête de son visage reconstruit. Philippe Lançon se confie intimement sur ses béquilles symboliques : Proust, Bach, son entourage familial, amical, sa relation privilégiée avec sa chirurgienne, les échos de la société… Ce livre unique nous fait partager la guérison physique et la rédemption psychique de Philippe Lançon sans pathos, sans haine, avec une élégance et un humour inégalés. Marie-Christine a beaucoup aimé le roman d'Alice Ferney, "Les Bourgeois". Elle a retrouvé le goût de son enfance, des souvenirs de famille similaires, une ambiance de grande famille unie. Pascale a choisi un roman de Philip Roth, "La Tâche". Un professeur de lettres est accusé d'avoir tenu des propos racistes envers ses étudiants. Il préfère démissionner plutôt que de livrer le secret qui pourrait l'innocenter. Philip Roth dresse le portrait d'une Amérique puritaine, victime du politiquement correct. Pour cet écrivain génial, frère spirituel de Milan Kundera, la pureté et la candeur n'existent pas car "la tâche" (ou l'erreur) définit la condition humaine… Régine a beaucoup apprécié le roman de Karine Tuil, "L'invention de nos vies". Le personnage principal, Sam Tahar, brillant avocat à New York, est au sommet de la réussite : fortune, célébrité, beau mariage. Mais, sa réussite repose sur une imposture. Il s'est fabriqué une identité d'un ami juif, écrivain raté. Son passé va resurgir et sa vie confortable va exploser. Karine Tuil interroge le poids des origines, le mensonge, le déni. Un roman fort et puissant comme tous les romans de cette écrivaine d'un caractère bien trempé dans l'encre noire de la vie. Janine a évoqué le roman de Philippe Grimbert, "Le secret" que nous avons souvent cité dans l'atelier Lectures. Evelyne a terminé les coups de cœur avec le facétieux Sylvain Tesso et son "Un été avec Homère", ouvrage délicieux d'un amoureux de la Grèce antique et d'Homère. Comme j'avais imposé un seul coup de cœur de l'été à cause du manque de temps, chaque amie lectrice a bien respecté la consigne… L'écoute et la bienveillance règnent au sein de l'atelier et pour ma part, c'est avec un immense plaisir d'animer un cercle de lectrices motivées et bien présentes !

mardi 9 octobre 2018

Atelier Lectures, 1

Ce mardi 9 octobre, l'Atelier Lectures a tenu sa première réunion de la saison 2018-2019. Nous étions presque au complet, une bonne dizaine d'amies lectrices. J'ai souhaité la bienvenue pour ces nouvelles rencontres en établissant le calendrier de l'année. J'ai abordé les différents thèmes des séances futures : littératures nordiques, les livres préférés, Philip Roth, le journal intime et un tirage au sort en duo. J'aime bien prévoir un programme car pour animer cet atelier, j'effectue un travail en amont, des recherches bibliographiques, des lectures de critiques littéraires. Cette préparation prolonge mon métier de bibliothécaire qui me colle encore à la "tête"... Comme nous sommes assez nombreuses, chaque lectrice a décliné un seul coup de cœur de l'été et nous avons ensuite dévoilé les listes des dix livres préférés dans leur vie de lectrice. Geneviève a démarré par un coup de foudre tellement elle a aimé le roman d'Alessandro Baricco, "La jeune épouse". L'histoire se situe en Italie au début du XXe siècle dans une famille quelque peu baroque et extravagante. La jeune épouse intègre cette famille alors que son futur mari vit en Angleterre et envoie des cadeaux en se faisant attendre. L'auteur intervient dans l'écriture de cette histoire et délivre ainsi une réflexion sur l'art du roman. La jeune épouse attend donc ce Fils et découvre les secrets de cette famille. Mylène a choisi "Mille femmes blanches" de l'écrivain américain, Jim Fergus. En 1874, le président Grant accepte la proposition du chef indien Little Wolf : troquer mille femmes blanches contre des chevaux et des bisons ! Quelques femmes se portent volontaires, la plupart venant des pénitenciers et des asiles. L'une d'elles, May Dodd décrit dans ses carnets sa nouvelle vie de squaw car elle est mariée à un puissant guerrier. Elle comprend alors qu'elle assiste à l'agonie de son peuple d'adoption. Paru en 2000 en France, ce premier roman a eu beaucoup de succès et on peut lire aussi la suite, "La vengeance des mères". Danièle s'est lancée dans les Œuvres complètes de Marguerite Yourcenar dans la Pléiade. Elle a lu "Le coup de grâce", "Les mémoires d'Hadrien" et "L'Œuvre au noir" qu'elle a vraiment appréciée. Pour découvrir le monde yourcenarien, je recommande plusieurs conditions : le goût de l'Histoire (La Renaissance en Flandres pour "L'Œuvre au noir"), l'envie d'apprendre, la passion des mots, l'amour de la littérature. Danièle avait découvert "Un homme obscur" et depuis cette rencontre, elle semble ne plus quitter cette grande dame de la littérature française aux œuvres intemporelles. Comme je la comprends ! Dany a beaucoup aimé le roman de Patrick Grainville, "Les Falaises des Fous". L'écrivain entraîne le lecteur dans une sarabande artistique de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle. On rencontre Monet, Manet, Degas, Boudin, Maupassant, Flaubert, Hugo, etc. Il faut donc découvrir cette belle fresque historique et en même temps, une saga familiale et amoureuse. La suite, demain.

lundi 8 octobre 2018

"La chance de leur vie"

Dès la première phrase du livre, "Hector avait une femme.", Agnès Desarthe invite son lecteur(trice) à suivre Hector, professeur universitaire, Sylvie, femme au foyer et Lester, leur adolescent de fils dans leur nouvelle vie en Caroline du nord, Etats-Unis. Cette famille française franchit un grand saut en s'installant en Amérique… Une aventure, un renouveau, une espérance selon les trois personnages du roman. Hector, philosophe et poète, a accepté cette proposition pour conforter sa position au sein de l'université. Sa réputation lui attire la bienveillance très rapprochée de ses collègues femmes américaines. Sylvie cultive avec son flegme habituel l'art de ne rien faire, un art de vivre, basé sur son choix initial : prendre soin de son mari et de son fils. Lester comme beaucoup d'adolescents se cherche et son intégration dans le lycée de la ville va lui donner l'opportunité de se trouver une nouvelle tribu amicale. Ils ont accepté de partir dans cette ville américaine pour fuir une atmosphère pesante, étouffante et triste qui règne à Paris après les attentats de 2015. Rejoindre une société apaisée (C'est le temps d'Obama), leur semble une bonne solution. Lester décide de changer de prénom : il veut qu'on l'appelle Absalom, Absalom en hommage à Faulkner. Hector saisit sa chance pour séduire et il entame une double liaison avec la directrice de son département et avec une jeune professeure. Sylvie prend conscience de la métamorphose maritale mais elle se tait et laisse faire. Elle s'inscrit à un cours de poterie animé par une femme artiste. Lester se transforme en petit gourou d'un groupe d'ados, leur imposant une vision sectaire de la vie. Il veut lutter contre l'influence d'internet et des réseaux et finit par confisquer les téléphones dans son groupe. "La chance de leur vie", Agnès Desarthe évoque ce nouveau départ pour ces trois personnages tout en démythifiant ces changements provoqués par leur vie américaine. Je ne dévoilerai pas la fin du roman, un roman qui se lit d'une traite, tant le style de l'écrivaine sautille avec une allégresse communicative. Le donjuanisme tardif et ridicule d'Hector met la famille en danger.  La crise mystique de Lester fragilise les relations parentales. Sylvie cherche toujours sa voie et la découvre peut-être dans cet atelier de poterie. Chacun chemine à sa façon. Agnès Desarthe manie l'ironie avec une intelligence redoutable et elle nous  rappelle qu'il n'est nul besoin de partir pour changer, la métamorphose peut naître à tous moments de l'existence et dans tous les lieux possibles et imaginables… Un roman français excellent, qui se lit comme un "roman américain", un compliment pour cette écrivaine subtile, profonde et originale.