jeudi 28 novembre 2013

"Je ne retrouve personne"

Arnaud Cathrine a déjà écrit des bons romans. Je citerai surtout "Le journal intime de Benjamin Lorca", édité en 2010 et disponible en Folio. Son dernier opus de cet automne est passé un peu à la trappe face à la marée des prix littéraires, des nouveautés de la rentrée et des poids lourds incontournables. Son "Je ne retrouve personne" mérite bien notre attention de lecteur(trice). Le personnage principal, Aurélien Delamare, écrivain (le double d'Arnaud ?), tient un journal intime. Il quitte Paris et se réfugie dans la maison de famille en Normandie. Ses parents retraités sont partis vivre à Nice et ils veulent vendre cette villa de bord de mer. Le narrateur doit se charger de la mettre en vente. Il accepte cette mission familiale et cette fuite loin de Paris lui permet de faire le bilan de sa vie. Il traverse une crise de la "quarantaine". Sa compagne l'a quitté car il ne voulait pas d'enfant. Il retrouve en Normandie son passé grâce à un agent immobilier qui s'avère être un ancien copain de lycée. Que sont-ils devenus ? Ils ont vieilli, ont fondé une famille, travaillent. Sa proche voisine, amie de ses parents, le reçoit pour renouer des liens d'amitié, mais cette rencontre s'avère décevante. Il apprend que son meilleur ami, Benoît, est mort jeune, après avoir séjourné en hôpital psychiatrique. Sa solitude lui permet de comprendre qu'il a lui-même changé, que sa vie d'écrivain à Paris l'a transformé et l'a définitivement éloigné de son passé normand. Alors qu'il sombrait dans l'amertume, sa ex-compagne lui confie sa fille pour quelques jours et cette relation de quasi père avec cette petite fille va combler son sentiment de solitude. Son frère le rejoint pour concrétiser la vente de la maison et le narrateur va enfin "tourner la page" sur un passé qui, au fond, n'a pas tenu ses promesses. Ce roman doux-amer illustre le sentiment que l'on peut ressentir quand on revient sur les traces de son enfance, de son adolescence. Les liens d'amitié et d'amour se sont perdus au fil du temps et sans aucun espoir de retour. Une lecture agréable, empreinte de nostalgie et de regret, un roman "saudade"... Arnaud Cathrine cite un écrivain qui a certainement influencé son univers, Georges Perros... Et j'apprécie cette fidélité littéraire.

mercredi 27 novembre 2013

Rubrique cinéma

Le film de Guillaume Gallienne, "Les garçons et Guillaume, à table !", se laisse voir avec plaisir et intérêt. Réalisateur et acteur, Guillaume nous offre une performance dans son double rôle de fils efféminé et de mère bourgeoise, autoritaire et tranchante. Guillaume se sent "fille" depuis qu'il est né. Ses deux frères ont bien une identité masculine conforme et normale : ils aiment le sport, possèdent un physique musclé, ne font pas de sentiment, etc. Des hommes parfaits comme son père.
Lui aime Sissi, le personnage le plus mièvre d'une féminité exacerbée jusqu'à se déguiser en jeune fille totalement kitsch. La mère à la personnalité forte et omniprésente désirait une fille, d'où le titre du film, "Les garçons et Guillaume, à table" tellement son Guillaume semblait vivre une vie à part dans une recherche identitaire féminine. Il part en Andalousie et apprend le flamenco comme une femme. Le monde masculin l'attire : il est envoyé dans une pension anglaise où il tombe amoureux d'un beau garçon mais cette attirance n'est qu'unilatérale. Le réalisateur raconte avec humour et cocasserie les quiproquos et les malentendus d 'un garçon à la recherche de son identité sexuelle. Ses tentatives d'intégration dans un milieu homosexuel "macho" ne font que le déstabiliser. Sa féminité désarmante l'éloigne des hommes, homos ou hétéros... Ce film dénonce avec humour et légèreté le malaise du conformisme sexuel et revendique un certain romantisme dans les relations amoureuses. Je ne dévoilerai pas le dénouement un peu surprenant,  va-t-il enfin rencontrer son âme sœur du côté des hommes ou du côté des femmes ? Ce n'est pas le grand film de l'année mais il a le mérite d'aborder la délicate et éternelle question de l'identité sexuelle, sujet à la fois psychologique, sociétal et philosophique. La lecture du film peut déboucher sur une analyse psychanalytique du rôle maternel dans la construction de la personnalité, mais on peut aussi prendre le film à la "légère" sans trop se poser de questions. Le réalisateur-comédien nous laisse le choix...

mardi 26 novembre 2013

"Les complémentaires"

Dès que le dernier roman de Jens Christian Grondahl arrive en librairie, je me fais un plaisir de le découvrir. J'ai écrit quelques billets sur l'œuvre de ce grand écrivain qui nous vient du Danemark. Dans "Les complémentaires", paru en octobre chez Gallimard, dans la classique et éternelle collection "Du monde entier", je retrouve des thèmes "grondahliens" comme une musique pénétrante et obstinée : la crise du couple, la difficulté de comprendre l'évolution inéluctable de ses enfants, la coupure des générations, le poids de la famille, les liens  fragiles,  la mélancolie du temps qui passe... David Fischer, avocat bien installé dans sa vie, remarque avec effroi une croix gammée sur sa boîte aux lettres. Il est bouleversé par ce geste qu'il ne comprend pas. Il cache ce forfait à sa femme, Emma, artiste amateur, anglaise d'origine. Elle aussi traverse une crise dans sa vocation d'artiste non reconnue. Ils reçoivent un soir leur fille Zoë, vidéaste, inscrite aux Beaux Arts, et son petit ami, Nabeel, Pakistanais, étudiant en médecine. Cette soirée va s'avérer lourde de non-dits et de maladresses pour les quatre personnages du roman. Comment accepter que leur fille fréquente un musulman alors que David est lui-même juif ?  Les identités se disloquent au fil des pages et mettent en péril les relations tissées dans la famille. Les parents sont invités au vernissage de Zoë où elle présente une performance dans une vidéo,  la mettant en scène avec Nabeel, exposés dans leur nudité. Le père de Nabeel, chauffeur de taxi, invite David chez lui et lui fait part de sa réprobation concernant la vision du couple étalé dans le film. Les certitudes des parents concernant leur propre relation vacillent et ils remettent en question leur mode de vie à l'aune des préjugés religieux et culturels. Ce roman, au cœur de notre époque en crise, pose la question de l'appartenance, de l'héritage familial, du multiculturalisme, de l'immigration, sans apporter des réponses. "Chacun fait comme il peut", semble nous dire Jens Christian Grondahl. Un beau roman mélancolique, profond, intimiste et grave. A lire, sans tarder...

lundi 25 novembre 2013

"L'identité française"

Alain Finkielkraut s'avoue très inquiet, même malheureux face à un monde occidental qui change, change beaucoup et tellement vite. Il s'interroge sur la perte du monde d'avant, du monde d'hier où l'identité française était liée à la culture française, à une certaine idée de la nation homogène et rassemblée. Son essai, "L'identité française", peut crisper, dérouter, irriter le lecteur(trice) mais il faut écouter ce cri d'amour d'Alain Finkielkraut pour une France littéraire et éternelle, inscrite dans les valeurs universelles, la laïcité et les Droits de l'homme. Je ne vais pas évoquer les nombreux chapitres concernant sa peur du communautarisme, du voile intégral, d'un Islamisme fasciste, et de la non-mixité, de la fragilité démocratique. La presse et les interviews nombreux de ce philosophe contesté ne parlent que de cet aspect de sa pensée. On retrouve dans l'essai de nombreuses anecdotes alarmistes sur ce "vivre ensemble" compromis par l'intolérance et l'incompréhension. J'ai surtout été intéressée par les passages où il déclare son pessimisme radical sur l'héritage patrimonial et la transmission culturelle. Ce que j'apprécie chez Alain Finkielkraut, c'est son amour inconditionnel pour les livres, l'écrit sur "papier", pour un monde culturel classique. Je cite ce passage : "Le livre propose un monde ; l'écran fluidifie le monde ; lire un livre, c'est suivre un chemin ; la lecture sur écran est un sport de glisse. Le livre déploie un temps où il est interdit au présent de pénétrer". Toutes les réflexions sur la place du livre dans notre société me semblent lumineuses et tant pis, si les gardiens du "temple" frôlent la ringardise et l'archaïsme. Alain Finkielkraut fait partie comme il dit des "étrangers", des "empotés", des "culs-terreux"  "que les "digital natives regardent du haut de leur cybersupériorité incontestable". Le philosophe décrit donc un monde clivé où la culture classique, ancienne, ne trouve plus sa place. La médiocrité et l'égalitarisme ont produit ce monde fluide et sans profondeur où tout se vaut, aussi bien un air des Rolling Stones qu'une cantate de Bach... Son essai n'apporte pas de solutions, la crise du vivre-ensemble s'installe et s'accentue et il va bien falloir accepter ce nouveau monde, comme en 1492, quand Christophe Colomb a posé un pied en Amérique. Nous sommes donc des Indiens du livre, si j'ose m'exprimer ainsi... en gardant mon humour et ma passion intacte.  Mais les geeks, les internautes et les fans de l'écran ne peuvent pas s'imaginer comme ils sont privés d'une culture "livresque" essentielle pour comprendre notre monde et "nous-mêmes"... Tant pis pour eux !

vendredi 22 novembre 2013

"Vertiges"

Lionel Duroy poursuit son aventure littéraire en exploitant avec un stylo-scalpel, les relations amoureuses. Les 468 pages de son dernier opus, "Vertiges", suit la veine de son œuvre autofictionnelle. Il gagne de l'argent en louant son talent aux autres en composant des mémoires, des récits et des autobiographies de gens connus. Au début du roman, Cécile, sa femme, le quitte car elle a choisi de vivre avec son amant, ami de son mari.  Il se sent trahi par cette infidélité mais, cet échec ne l'empêche pas de nouer une nouvelle relation avec Esther, une femme qui lui semble mystérieuse et troublante. Lui, qui ne voulait plus d'enfants (car il était déjà deux fois père), lâche prise et donne naissance à deux petites filles. Familles séparées, familles recomposées, construction et  déconstruction, fonder des liens et les voir s'écrouler, départs et arrivées, le roman brasse des moments de vie familiale et amoureuse, parfois cocasses, parfois angoissantes. Le narrateur se noie souvent dans son discours sur sa mère qu'il vit comme une mante religieuse et sur ses épouses qui le quittent. Il ressent un sentiment d'angoisse en analysant, en disséquant son attitude de fuite avec les femmes aimées. Je cite un passage de son livre très éclairant sur son projet littéraire : "J'ai besoin d'écrire sur ce qu'il y a d'infiniment douloureux, dans une disparition, l'interruption, sans que rien ne soit formulé, de désirs et de sentiments qu'on imaginait éternels dans notre bêtise, ou notre ingénuité. Bien sûr, il y a de la souffrance de ne  plus pouvoir se toucher, de ne plus pouvoir s'embrasser ni faire l'amour, mais le plus cruel, et le plus mystérieux aussi, c'est le basculement du souci permanent qu'on avait de l'autre dans un vide abyssal où l'on doit s'accoutumer à ne même plus savoir s'il est vivant ou mort. (...) Est-ce que ça n'est pas la chose la plus stupéfiante qui soit ? Celle qui nous renvoie le mieux l'image de notre insignifiance, de la précarité de nos attachements, et sur laquelle nous n'aurons jamais fini d'écrire ?". Lionel Duroy maintient constamment l'intérêt du lecteur(trice) en utilisant l'écriture pour comprendre, se comprendre et s'accepter. La description de son univers amoureux et familial pourrait servir la sociologie contemporaine... Un roman à découvrir si on apprécie l'analyse pointilliste d'un homme tourmenté par les échecs amoureux...

jeudi 21 novembre 2013

Rubrique cinéma

Ce film de Martin Provost ne manque pas d'audace. Le réalisateur s'était déjà intéressé à une femme originale, "Séraphine", femme de ménage et peintre amateur de grand talent, interprétée par la comédienne Yolande Moreau. Il nous offre dans le film "Violette" un regard attachant sur deux femmes écrivaines singulières, Violette Leduc et Simone de Beauvoir. On connaît la vie de Simone de Beauvoir, jouée par Sandrine Kiberlain, mais le public méconnaît celle de Violette Leduc dont l'œuvre est peu lu de nos jours. Le film raconte une histoire d'amour et de malentendu entre ces deux femmes. Violette est malheureuse dans ses relations amoureuses. Elle s'entiche de Maurice Sachs, un écrivain homosexuel, qui la rejette. Ils vivent ensemble à la campagne pour fuir la pénurie alimentaire de Paris. Quand il part, elle retourne en ville où elle organise un marché noir qui lui permet de survivre. Elle aperçoit Simone de Beauvoir dans un café et cette rencontre changera sa vie. Elle lui confie un manuscrit, "L'asphyxie", qui sera accepté chez Gallimard grâce à l'appui indéfectible de Simone de Beauvoir. Violette se prend de passion pour son mentor en littérature qui ne cesse de l'encourager dans les projets d'écriture. Elle est même aidée par Jean Genet et le parfumeur Jacques Guérin. Martin Provost montre comme un leitmotiv l'extrême solitude de Violette Leduc, dans son studio, à la campagne, auprès d'une mère difficile et même avec ses soutiens amicaux. Seule, l'écriture la maintient en vie. Elle finira par connaître un certain succès à la fin de sa vie, ou du moins une estime littéraire certaine. Ce film, en quelque sorte, réhabilite cette femme écrivaine, qui mérite vraiment d'être lue, en particulier son ouvrage le plus fort, "La bâtarde", disponible en librairie. Violette, écrivaine sulfureuse à son époque, faisait partie des "maudits" de la littérature, ceux et celles qui évoquent des sujets tabous comme l'homosexualité, la marginalité, la difficulté d'aimer, la violence des relations, la non-reconnaissance. La performance d'Emmanuelle Devos apporte un souffle à ce film un peu austère dans sa construction et dans ses images. Le cinéma n'exploite pas assez le monde de la littérature, surtout celui des années 50, et ce film retrace avec justesse l'ambiance de cette période quand Simone de Beauvoir défendait une certaine idée de la littérature, fondée sur la vérité, la lucidité et le courage.

lundi 18 novembre 2013

Doris Lessing

Doris Lessing vient de disparaître à l'âge de 94 ans, à Londres. Elle avait enfin obtenu le prix Nobel de Littérature en 2007 et avait conservé tout son humour en s'exclamant : "Oh ! mon Dieu!, Ils ont pensé, là-bas les Suédois : celle-là a dépassé la date de péremption, elle n'en a plus pour longtemps. Allez, on peut le lui donner !".  Pourtant, le jury Nobel a longtemps hésité à lui offrir ce prix car Madame Doris Lessing présentait un profil quelque peu iconoclaste et radical. Elle est née en 1919 en Perse dans une famille de la classe moyenne et immigre en Rhodésie du Sud. Elle quitte l'école à 13 ans pour se former sans influence extérieure. Elle se marie à 19 ans, divorce, se remarie avec un certain Lessing dont elle gardera le nom. Et redivorce plus tard. Elle s'éloigne du parti communiste de son pays après les événements de Hongrie.
à l'annonce de l'obtention du prix Nobel de littérature, le 11 octobre 2007. | AFP/SHAUN CUR
En 1949, elle quitte l'Afrique pour Londres et commence pour elle, sa carrière littéraire : une soixantaine de romans, des poèmes, des pièces de théâtre et même des opéras. Son cycle romanesque en cinq volumes, le plus connu, s'intitule "Les Enfants de la violence", publié de 1952 à 1965. Son regard sur la condition des femmes à travers le personnage emblématique de Martha Quest  marquera des générations de lectrices (dont moi, évidemment). Je me souviens surtout de ma lecture fascinante du "Carnet d'or" dans les années 70 (prix Médicis étranger en 1976). Mon féminisme a pris racine avec Simone de Beauvoir et, peut-être aussi avec Doris Lessing. Il ne faut pas cantonner cette immense écrivaine au  féminisme. Elle refusait de s'enfermer dans cette école de pensée. Pour beaucoup de ses lecteurs fidèles, elle représente un souffle de liberté, de non-conformisme et d'indépendance. A travers ses ouvrages, elle construit une critique fondamentale contre un monde injuste, violent et patriarcal. S'il fallait choisir un livre pour la connaître, je conseille "Le Carnet d'or", mais aussi "La Terroriste", publié en 1985. A la fin de sa vie, elle s'est tournée vers le soufisme et a composé des romans plus courts mais tout aussi dérangeants.  Ce billet s'est inspiré d'un excellent article de Josyane Savigneau dans le monde d'aujourd'hui, article très instructif à base de citations de Doris Lessing. La fin d'une époque littéraire, celle des années 70 à 90, une époque fertile pour la littérature.
La romancière britannique Doris Lessing à Londres, le 30 janvier 2008. | REUTERS/TOBY MELV

 

vendredi 15 novembre 2013

Revue de presse

En ce mois de novembre, j'aime écrire mon billet sur la presse culturelle que je feuillette avec plaisir au fil des jours. Je lis donc des critiques de films, je saute les pages pour retrouver une critique sur un livre ou sur un écrivain. Je pourrais les consulter sur Internet, ou même dans le catalogue de la médiathèque qui propose la presse en ligne. Je suis décidément un cas à part, quelque peu archaïque, en avouant que les revues en papier me conviennent très bien, éparpillées dans la maison, avec une envie soudaine d'en ouvrir une pour consulter un article intéressant. Cela représente un petit budget mensuel d'une vingtaine d'euros et beaucoup moins quand on s'abonne annuellement (30 à 40 % de réduction). J'ai reçu Lire, qui, en ce mois de novembre, met en photo sur sa couverture un portrait dessiné de Camus avec un dossier central sur ses correspondances, ses amitiés, le témoignage de sa fille Catherine et d'André Brink. Je retrouve donc avec un plaisir immense un de mes écrivains préférés. On peut lire aussi un entretien avec Jaume Cabré, l'écrivain catalan, dont le "Confiteor" a été remarqué très favorablement à la rentrée littéraire. Le Magazine littéraire a choisi Denis Diderot, le philosophe heureux, car on fête son tricentenaire cette année, un anniversaire trop discret à mon avis dans les médias. Il est temps de découvrir l'œuvre de ce génie littéraire, éclectique, singulier, inspirateur des Lumières. La revue propose aussi un entretien avec Jaume Cabré comme son confrère Lire. Transfuge a mis l'accent sur les romans de New York, offre un grand entretien avec l'écrivain japonais Kenzaburo Ôé et beaucoup de critiques sur les nouveautés de la rentrée. Je salue le retour de la  Nouvelle Quinzaine littéraire avec une nouvelle maquette plus claire mais qui conserve son format traditionnel. Cette revue possède un charme particulier pour une lectrice fidèle depuis de nombreuses années. Je note le sérieux des articles, le souci de la découverte intellectuelle dans le monde de la littérature, de l'art, des sciences humaines. Je regrette quand même la disparition des dernières pages qui sélectionnaient les nouveautés éditoriales... J'espère que cette liste thématique reviendra dans les prochains numéros. 

jeudi 14 novembre 2013

Atelier de lecture, 2

Dans la deuxième partie de l'atelier, nous avons donc abordé les lectures dites "imposées" tirées au sort. J'ai demandé à Régine son avis sur "L'éducation libertine" de Jean-Baptiste Del Amo qu'elle a relu pour l'occasion avec le même plaisir. Elle a retrouvé l'atmosphère du Paris au XVIIIè avec les odeurs, les effluves caractéristiques de cette époque et un personnage central, un héros sans scrupules, immoral, ambitieux, qui ne songe qu'au pouvoir et à la réussite sociale. Elle a aussi lu "La femme aimée" d'Andréi Makine en nous conseillant de sauter les 80 premières pages, trop lourdes pour une lecture confortable. Le roman se rapproche de la biographie d'un personnage hors du commun, Catherine de Russie,  passionnante à découvrir. Marie-Christine a découvert "L'amant de Patagonie" d'Isabelle Autissier sans éprouver un emballement particulier. Véronique a parlé du roman difficile et curieux de Soazig Aaron sur la vie d'une rescapée des camps. Sylvie-Anne est allée sur Wikipédia pour rechercher des informations sur Marie Curie car le roman du suédois Per Olov Enquist traitait de la relation entre Blanche Wittman et Marie Curie. Marie se confie à Blanche, son assistante, et raconte sa liaison avec Paul Langevin : entre la réalité et la fiction, ce livre semble très singulier, à mi-chemin de l'essai, du reportage scientifique et du roman. Nicole a apprécié le "Némésis" de Philip Roth, histoire d'un jeune homme juif pendant la guerre de 39-45, réformé pour des raisons de santé et en proie à la culpabilité. Il diffuse malgré lui la polio dans un camp de jeunes, ce qui l'entraîne dans une spirale du renoncement pour le restant de sa vie. Un grand Philip Roth. Mais Nicole n'a pas aimé le roman de Clara Dupont-Monod, "La passion selon Juette", histoire d'une jeune fille au Moyen Age, trop religieuse, trop sainte à son goût. Janine a relaté avec précision et force détails intéressants le roman vraiment historique d'Anne Cuneo, "Le Maître de Garamond", ou la vie d'un intellectuel, Antoine Augureau, au XVè siècle à Paris, imprimeur, libraire, trop audacieux pour les théologiens de la Sorbonne qui ordonnent sa pendaison pour hérésie. Geneviève a évoqué le livre de Laurent Binet, "HHhH" ou l'histoire d'un criminel de guerre, Heydrich, chef de la gestapo, l'organisateur de la Shoah, que des Résistants tchèques veulent assassiner. L'écrivain intervient à tous moments pour construire son livre en vérifiant sans cesse l'exactitude des faits. Michèle avait tiré au sort "Le héron de Guernica" d'Antoine Chopin, ou l'histoire d'un jeune garçon, qui peint des hérons en aquarelle et qui se retrouve dans le rôle de témoin après le bombardement du village basque, Guernica, immortalisé par Picasso. Rencontre entre l'Histoire et l'Art. Danièle a beaucoup aimé "La Conquistadora" d'Eduardo Manet, un écrivain cubain, une histoire haute en couleurs d'une nonne, soldate dans l'armée espagnole et guerroyant dans le Nouveau Monde. Nous avons terminé avec Evelyne qui a lu avec intérêt le livre de Claude Pujade-Renaud, "Le désert et la grâce", où il est question de l'Abbaye de Port-Royal sous Louis XIV, avec des personnages emblématiques, luttant pour préserver leur héritage intellectuel, celui de Pascal et de Racine, ouvrage très érudit qui n'a pas effrayé Evelyne, sensible déjà à l'univers de la littérature classique. Le thème de la sélection concernait le poids de la Grande Histoire dans la littérature, et les romans  lus correspondaient bien à l'influence de l'Histoire sur les petites histoires individuelles. Des idées de lecture pour nos soirées hivernales qui se rapprochent...

mercredi 13 novembre 2013

Atelier de lecture, 1

En ce mardi 12 novembre, nous étions quatorze à nous rassembler autour des livres à la Maison de quartier du centre ville de Chambéry (AQCV). J'ai évoqué les résultats des nombreux prix littéraires décernés à l'automne dont le Goncourt à Pierre Lemaître pour son "Au revoir, là-haut", qui va certainement avoir beaucoup de succès auprès d'un large public sensible au thème de la guerre 14-18 et au retour difficile des soldats dans la France des années 20. Comme le veut la tradition, nous avons démarré par les coups de cœur. Geneviève a évoqué un ouvrage de Dany Laferrière, "Le charme des après-midi sans fin", paru en 1997, rempli d'anecdotes succulentes sur la vie à Haïti dans les années 50, avec des personnages truculents, dans une mosaïque d'instants de vie, propre à la culture de ce pays si touchant. Sylvie a découvert avec intérêt l'excellent roman de Tracy Chevalier, "Prodigieuses créatures", déjà évoqué dans l'atelier. Sylvie-Anne a voulu nous faire connaître un écrivain-chanteur du groupe Dionysos (?), Mathieu Malzieu, influencé par le monde onirique de Tim Burton dans son livre "Maintenant qu'il fait tout le temps nuit sur toi", un récit sur la mort de sa mère et sur la capacité de faire son deuil. Danièle a mentionné le roman de Claudie Gallay, "Une part du ciel", et un très bon roman policier japonais et "poétique", "Un café maison" de Keigo Higashino dans la collection Babel noir d'Actes Sud. Véronique a parlé de Nancy Huston et de son ouvrage "Les visages de  l'aube", avec des belles photos de nouveau-nés. Marie-Christine a aussi apprécié "L'immortelle randonnée" de Jean-Christophe Ruffin, où l'écrivain académicien relate son parcours sur plus de 800 kilomètres entre Saint Jean Pied de Port et Compostelle. Mylène a choisi "Quatre jours en mars" de Jens Christian Grondahl, paru en Folio. Elle a surtout apprécié la structure du texte, rythmée en quatre temps, le sujet (une femme en déplacement professionnel apprend que son fils a commis une agression sur un immigré), le portrait de notre époque contemporaine. Nicole a présenté un écrivain qu'elle aime bien, Marcello Fois, et son roman "Sang de ciel", qui se passe en Sardaigne. Régine a relaté sa déception concernant la lecture de plusieurs premiers romans (elle fait partie d'un comité de lecture du festival du Premier roman de Chambéry) et a montré un opuscule de Thomas Scotto, "Pensées en suspension" pour se détendre en souriant... Evelyne a relu des pièces de Racine, pour la beauté d'une langue française classique et intemporelle. Deuxième billet, demain pour la seconde partie de l'atelier.

lundi 11 novembre 2013

Retour de Rome

Je reprends mon blog après une bonne semaine d'interruption. Après toutes mes lectures sur Rome, j'ai confronté les images concoctées dans mon cerveau à la réalité... J'avais réservé une chambre avec une petite terrasse dans le Campo dei Fiori, près du Tibre dans le centre historique. Tous les lieux que je voulais visiter étaient donc à ma portée en utilisant la marche ou les transports publics. Les quartiers prioritaires en cinq jours : Campo de Fiori,  Navona, Panthéon, Forum, Colisée, Capitole, Borghèse, Trastevere, Aventin et un peu de Vatican... Evidemment, j'éprouve une allergie à fleur de peau quand j'aperçois sur les sites les plus touristiques des hordes de Japonais et Chinois, toujours en groupe et jamais seuls, avec des appareils photos super perfectionnés qu'ils utilisent à chaque seconde, comme si la réalité concrète à base de pierre, de ciel et de pins parasol les intimidait. La fontaine de Trévi m'a donné un spectacle loufoque : on était loin de l'atmosphère "Dolce vita" avec des centaines de touristes qui jetaient des pièces par dessus l'épaule... Je me suis donc "refugiée" dans les beaux palais des cardinaux aux plafonds baroques pour admirer des peintures des écoles siennoise, florentine, lombarde, des Caravage puissants, des Raphaël, etc. L'amoncellement des richesses culturelles de l'art italien donne le vertige, un vertige délicieusement vécu. J'ai arpenté des musées-galeries (Spada, Pamphili, Corsini, Barberini, Altemps, le Palais des Conservateurs du Capitole) très peu fréquentés en ce mois de novembre, qui  recèlent des merveilles en fresques murales, statues, meubles, objets, toiles immenses, des Vierges et des Christs, des Saints et des Saintes, des gens du peuple, des paysages, des natures mortes, des œuvres profanes. J'ai visité une vingtaine d'églises, aussi belles les unes que les autres, avec des plafonds peints, des toiles de maître, une atmosphère recueillie et rafraîchissante. J'ai surtout été quasiment fascinée par la Rome antique, décrite dans les guides et les livres que j'avais lus avant de partir. Quand vous découvrez au détour d'une rue, l'Area  d'Argentina, le Forum romain, le Marché de Trajan, le Colisée, le Palatin, l'Aventin, les siècles s'effacent devant nous et on se prend à rêver des Empereurs romains, des Sénateurs, du petit peuple et aussi des millions d'esclaves qui ont élevé ces murs, ces colonnes, ces chapiteaux, ces fondations : un voyage dans le temps, un retour aux sources de notre patrimoine culturel, une ville merveilleuse, magique et pleine de charme... Pour boucler ce rapide parcours d'une amoureuse de l'Italie, j'avoue que j'ai évité le Vatican, trop de monde, trop d'attente pour voir la Chapelle Sixtine. J'ai quitté la ville éternelle avec regret et nostalgie et me suis jurée d'y retourner et de conserver dans ma mémoire ces pins parasol, qui s'élèvent dans le ciel comme des cierges verts ennoblissant les centaines de monuments qui forment le paysage romain.