mardi 7 décembre 2021

"Notre solitude"

 Yannick Haenel, écrivain et chroniqueur au journal satirique, "Charlie Hebdo" a couvert le procès des attentats terroristes de janvier 2015 durant deux mois et demi. Dans ce journal de bord, "Notre solitude", l'écrivain raconte son expérience : "J'ai en effet assisté au procès des attentats de janvier 2015, qui s'est tenu de septembre à décembre 2020. Cet événement a bouleversé mes façons de sentir et de penser car j'y ai vu, chaque jour, les ténèbres et la lumière s'affronter concrètement à travers les paroles échangées à l'audience". Il a tenu une chronique quotidienne sur le procès, disponible sur le site internet du journal. Ce journal intime relate ses nuits d'insomnie et d'écriture, son engagement solidaire avec Charlie hebdo, son amitié avec Riss, Coco, Sigolène Vinson et Simon Fieschi. Son témoignage exceptionnel, émouvant, puissant, rappelle sans cesse ce devoir essentiel : "Je m'étais fait le serment de ne jamais oublier les morts". Plus loin, il explicite le rôle de la justice : "A travers la répétition des témoignages, on entendait battre leurs cœurs et on retrouvait leur voix". Yannick Haenel analyse ce  rapport avec les disparus comme une mission sacrée : "Ecouter les morts, cette éthique du silence s'appelle littérature". Ecrire une chronique quotidienne le remplit d'une angoisse particulière. Il craint la panne d'inspiration tellement cet exercice impose une ascèse difficile à vivre et un sacrifice familial. Il fallait tenir ce rythme d'écriture pendant deux mois et demi, le temps des audiences.  Sa mission d'écrivain, il la conçoit de cette façon : "Les écrivains sont des créatures étranges qui ont l'absolu pour ambition, qui se rendent malade pour une virgule mal placée et n'écrivent en réalité pour personne, sinon pour la littérature elle-même, en laquelle ils voient une déesse aussi ardente qu'inaccessible". Il évoque souvent Riss, son compagnon de devoir qui a écrit un magnifique témoignage inoubliable sur l'attentat terroriste de Charlie Hebdo, intitulé "Une minute quarante neuf secondes". Cet homme "côtoie le néant des choses et supporte patiemment la connerie des hommes : la présence de la mort dans votre vie vous sépare de toutes les vanités". Il décrit les dix terroristes, ces accusés qui représentent la quintessence du mal selon lui. Malgré les passages terribles sur ces sinistres individus, tous imbibés d'une idéologie islamiste totalitaire apocalyptique, l'auteur met à l'honneur les survivants de ce cauchemar français, en particulier les journalistes de Charlie Hebdo qui ont vécu cet atroce attentat. Ce texte ne peut se résumer d'une façon exhaustive tellement il possède une intensité constante. Yannick Haenel prouve par son livre que les mots demeurent indispensables pour décrire l'horreur de la mort mais aussi la force de vie chez les survivants : "J'insiste, c'est important, il y a toujours quelqu'un qui témoigne pour le témoin. Cela s'appelle la littérature". Un beau récit, lumineux et sombre à la fois, un témoignage indispensable pour ne jamais oublier cette semaine de janvier 2015 où le temps s'est arrêté pour ces journalistes de Charlie Hebdo. "Notre solitude", un titre symbolique sur la communauté des témoins, des vivants qui, grâce à ce procès, "ont donné aux disparus une dernière fois, la place qu'on leur a prise". Une méditation profonde sur cet événement impensable.