mercredi 10 juin 2020

"La leçon des ténèbres"

Ecrivaine et violoniste, Léonor de Recondo est née dans une famille d'artistes. Ses six romans portent tous en eux une certaine ferveur : "Pietra viva", "Amours", "Point cardinal", "Manifesto". Dès que l'on ouvre un de ses livres, on ne les quitte pas des yeux et la magie de la lecture opère. Chacune de ses œuvres ressemble à une partition musicale. Son dernier opus, "La leçon des ténèbres" s'intègre dans la collection très originale, "Ma nuit au musée" chez Stock. J'avais évoqué dans ce blog l'ouvrage de Lydie Salvayre, "Marcher jusqu'au soir" où elle racontait sa nuit dans le musée Picasso. Leonor de Recondo est invitée à Tolède à la rencontre de Doménikos Theotokopoulos, dit El Greco, (1541-1614), l'un des peintres les plus marquants du XVIe siècle. Elle n'oublie surtout pas son violon : "Le violon pour faire vibrer l'espace vide, pour mettre en transe les particules de l'air, pour les mettre en danse afin que Doménikos me rejoigne. Et je ne doute pas de sa venue, comme il ne doute pas de mon désir. Mon seul désir". L'écrivaine aime particulièrement l'Espagne, le pays de ses ancêtres, la langue, les saveurs, les paysages. Arrivée à Tolède dans une chaleur suffocante, elle relate les petits imprévus de son projet. Les gardiens vont l'observer, les tableaux du peintre ne seront pas éclairés, les alarmes ne favoriseront pas les déplacements. Elle interpelle le Greco en l'associant constamment dans son texte, brossant par touches éparses une biographie sensible. Le peintre, né en Crète, s'est exilé à Venise et à Rome. Il s'installe à Tolède où son talent sera enfin respecté et admiré. Les heures au musée se déroulent au rythme de ses rencontres avec les tableaux de l'artiste. Reviennent aussi ses souvenirs d'enfance, des moments passés avec ses parents en Espagne, surtout avec son père artiste peintre, un père qui lui manque cruellement. Déambuler dans ce musée apaise son chagrin. L'écrivaine avait retrouvé dans son carnet un dessin inspiré d'une toile d'El Greco. Le titre du livre, la leçon des ténèbres, était un genre musical du XVIIe accompagnant les messes de Pâques. Son double hommage à un peintre ancien et à son père devient un chant d'amour pour l'art et pour la création artistique. Après avoir lu cet ouvrage, je n'avais pas le même regard sur les œuvres mystiques d'El Greco, un génie novateur dans l'expression des visages, des couleurs, des attitudes corporelles. Ferveur et ascétisme caractérisent la vie du peintre espagnol d'adoption. Leonor de Recondo ne pouvait pas mieux choisir ce compagnonnage à travers les siècles. Son récit de fascination se lit avec un plaisir certain.