lundi 15 février 2021

"L'homme aux trois lettres"

 Pascal Quignard poursuit son œuvre singulière, "Le Dernier Royaume", en publiant son onzième volume, "L'homme aux trois lettres", aux Editions Grasset. Depuis "Les Ombres errantes", le premier tome, dix-huit ans sont passés et cet ensemble "océanique" fascine tout lecteur(trice) curieux, passionné de littérature. Pascal Quignard appartient à la catégorie des écrivains que l'on relit sans cesse, dans une tentative de compréhension et d'éclaircissement. Dans ce dernier opus, l'écrivain rassemble dans ce tome comme dans tous les précédents, des fragments en mélangeant toutes sortes d'ingrédients : étincelles autobiographiques, mythes, recherches étymologiques, réminiscences, commentaires, références littéraires,  lectures, contes. Il est impossible de résumer cette œuvre protéiforme parfois lumineuse, souvent obscure. La prose "quignardienne" suit les méandres de sa pensée complexe. Certains lecteurs(trices) rejettent d'emblée ce "charabia" littéraire, ne comprennent pas l'intérêt de cette planète de mots, une planète étrange, originale, énigmatique. D'autres (et j'en fais partie) se laissent bercer, captiver, séduire par ce conteur hors pair, cet amoureux de la pensée sinueuse et musicale. Lire Quignard avec les yeux et un crayon à la main demande un effort certain mais une fois la difficulté franchie, la récompense advient. Dans ce volume, l'auteur s'interroge sur l'origine de la littérature : "Le mot littérature est sans origine. J'aurai consacré ma vie à une proie insaisissable. Dont le nom n'avait aucun sens. Ni usage, ni fonction, ni dessein, ni origine, ni but".  Au mot littérature, s'attache le mot lecture. Pascal Quignard déclare sa flamme habituelle pour les livres : "J'aime les livres. J'aime leur monde. J'aime être dans la nuée que chacun d'eux forme qui s'élève, qui s'étire. (...) J'aime vieillir dans leur silence, dans la longue phrase qui passe sous les yeux. ". Que provoque l'acte de lire et d'écrire ? : "un retrait, une plongée, un écart et un passage". Dans une époque qui revendique l'esprit collectif, de groupes, d'identités diverses, l'auteur affirme son credo : l'écriture, la lecture, la littérature demeurent des expériences solitaires et asociales. La figure de l'écrivain-lecteur s'apparente à un voleur, un voleur du langage qu'il détourne de son usage social. Ce récit érudit rend hommage à la littérature qui ne se laisse pas facilement qualifier, ni définir. Pascal Quignard emporte son lecteur(trice) dans ses obsessions : l'origine, le corps, l'inspiration, l'écart, le décalage et tant d'autres sujets qu'il traite avec une curiosité insatiable comme la lecture, le silence, l'amour, la solitude. Pour les amateurs de l'écrivain, ce onzième opus se lit avec un bonheur sans fin. Son univers ressemble à un kaléidoscope littéraire et philosophique sous le signe de l'énigme.  Encore une dernière citation pour entrer dans ce texte : "Le lecteur est sans époque, sans âge, sans temps. Lire n'est pas rêver, mais lire est comme rêver en ceci qu'il perd le temps. Toute vraie œuvre ignore le temps dans le temps". A méditer.