vendredi 3 décembre 2021

"Comme un ciel en nous"

 Dans la collection "Ma nuit au musée" de la maison Stock, Jakuta Alikavazovic a choisi "le Louvre" qu'elle raconte dans "Comme un ciel en nous". Cet essai autobiographique a reçu récemment le Prix Médicis essai. L'éditeur lui donne toute la liberté et une nuit pour vivre cette expérience unique : "Je suis venue ici, cette nuit, pour redevenir la fille de mon père". Installée dans la section des Antiques, proche de la salle des Cariatides, la narratrice se souvient surtout de son père. Il l'emmenait au Louvre par amour de la France, car il venait d'un pays disloqué, la Yougoslavie. Il disait à sa fille : "Le Louvre est la première ville française où je me suis senti chez moi". Cet homme de vingt ans se refugiait  souvent dans ce musée extraordinaire pour lire, pour se former, pour connaître l'art. L'écrivaine se demande quel héritage elle a reçu de lui : "L'histoire de l'art, c'est ce qu'il m'a transmis à la place de son histoire à lui, savamment effacée et redessinée au gré du temps". Une question revient souvent dans le texte : "Et toi, comment t'y prendrais-tu, pour voler la Joconde ?". Elle soupçonne donc son père d'avoir été mêlé à une histoire de vol, un secret de famille bien conservé. Elle relate aussi son séjour nocturne dans les salles où elle danse parfois, glisse sur le parquet entre les sculptures muettes. Sans cesse, elle passe de son présent dans ce musée hanté par la beauté et le retour à son père, à cette relation fondatrice et fondamentale. Elle s'interroge aussi sur son rapport à son pays, à sa généalogie hybride, à son rejet d'une identité figée. Elle évoque des anecdotes sur le vol de la Joconde en 1910, sur la Vénus de Milo, sur la place de l'art dans la société. Cet essai autobiographique sur son père et sur sa vocation d'écrivain se lit avec beaucoup d'intérêt. Son écriture vivante et dynamique s'imprègne d'émotion quand elle pense à ce père mystérieux et bienveillant dont l'assimilation dans son pays adoptif est passée par le Louvre et le monde de l'art. Un parcours exemplaire pour cette petite fille à qui une maîtresse avait déclaré qu'elle n'apprendrait jamais le français ! Jakuta Alikavazovic signe dans cet ouvrage un bel hommage à la langue française.