mercredi 3 novembre 2021

"Une année avec mon père"

 Geneviève Brisac raconte dans un récit autobiographique, "Une année avec mon père", la perte de ses parents. Paru en 2013 chez l'Olivier, ce texte émouvant, percutant et intimiste rappelle ces moments de deuil quand la vie bascule dans l'irrémédiable. Ses parents ont pris leur voiture pour rejoindre leur résidence secondaire. Un automobiliste les percute et la mère de l'écrivaine, gravement accidentée, perd la vie. Son père se retrouve seul et il doit tout réapprendre. Sa fille, la narratrice, va l'accompagner et l'aider à surmonter cette épreuve de deuil. Son père, juif laïque et républicain, né dans les années 20, a traversé le XXe siècle avec un cran infini. Il n'a jamais confié à sa famille les événements de sa vie mouvementée. Dans ce drame, la relation père-fille se joue à cache-cache, tout en délicatesse. La narratrice se sent investie d'une mission de protection envers ce père discret et indépendant qui n'en demande pas tant. Quand son père était hospitalisé après l'accident mortel, Geneviève Brisac écrit : "La semaine défile dans un non-temps, dans un hors-temps, où plus rien n'existe que ces trajets, ces appels, ces listes, ces tâches". Une fois remis sur pieds, son père veut retrouver son chez-soi malgré ses problèmes de santé: "Il veut me montrer comme il est autonome. Un homme libre qui a envie qu'on le laisse vivre en paix. Un homme. Pas un animal domestique. Ou un vieillard infantilisé". Ce souhait légitime embarrasse ses filles mais elles ne peuvent pas s'opposer à cette décision. Heureusement, la concierge de son immeuble s'occupe de lui, de ses repas, de son linge et du ménage. Les rapports entre père et fille sont tissés de délicatesse, de respect et d'amour même si l'écrivaine ne connaît pas vraiment les secrets de cet homme discret et secret. Il a toujours caché aux siens sa double vie avec une autre femme. Ils partagent ensemble des promenades dans Paris, vont au théâtre, dans les librairies et les restaurants. Ces moments d'intimité familiale ressemblent à un "tableau de mémoire" que la narratrice consultera plus tard dans une nostalgie heureuse. Son père survivra un an à sa femme : "L'ancre était levée, le bateau a dérivé lentement, en se cognant souvent à la douleur, mourir fait autant mal que vivre. Et c'est aussi long". Ce récit lumineux, souvent cocasse, évoque la mort des proches, mais, toute imprégnée d'un ode à la vie grâce à une écriture subtile et sensible.