lundi 6 juin 2022

"Vider les lieux"

 Olivier Rolin vient de publier un ouvrage autobiographique passionnant, "Vider les lieux", paru chez Gallimard au début de l'année. Cet écrivain français, septuagénaire, ancien militant d'extrême-gauche, voyageur baroudeur, a composé une œuvre originale au service d'un cosmopolitisme joyeux. Son dernier opus tranche avec les précédents récits. Le cercle s'est rétréci car l'auteur doit tout simplement vider son appartement au 10, rue de l'Odéon à Paris. Le propriétaire veut récupérer son bien et Olivier Rolin n'a pas le choix. Pourtant, il ressent une certaine amertume de quitter un lieu où il a vécu plus de trente ans : "Voilà, on s'en va, on déguerpit, on dégage, on prend ses cliques et ses claques, dans les cent cinquante cartons de livres, entre autres". Cet appartement comme l'immeuble possède une histoire particulière. Tom Paine, un acteur de la Révolution française, a vécu dans ce lieu emblématique. L'auteur conte avec malice ses deux voisines âgées, envahies par leurs poubelles, des squatters susceptibles, des souvenirs liés à cette rue si célèbre de l'Odéon, rue des éditeurs où ont vécu les iconiques libraires, Adrienne Monier et Sylvia Beach dans les années 30, l'une dirigeait La Maison des Amis des Livres et l'autre, Shakespeare and Company. Le plus touchant dans ce livre concerne le rapport de l'écrivain à ses livres, plus de 7 000 qu'il a accumulés depuis des décennies. Vider les lieux se résume surtout à vider sa bibliothèque. Quelle épreuve pour tout amoureux (se) de ces sacrés compagnons de papier ! Chaque fois qu'il range un ouvrage dans un carton, les souvenirs affluent dans sa mémoire littéraire : Chalamov, Calvino, Lobo Antunes, Sabato et surtout James Joyce. Il a aussi conservé des lettres, des timbres, des journaux, symboles d'un monde disparu. Dans cette rue parisienne, Luc, le coiffeur bavard, règne en maître avec Sarah et Thierry, patrons du bar. Le récit est écrit pendant la pandémie, une période rude pour l'écrivain, contraint à l'immobilité alors qu'il ne rêve que de départs continuels même si sa tanière de l'Odéon lui servait de base, enracinée dans cet espace si livresque. Il évoque un oncle tué pendant la guerre d'Indochine, la dictature en Argentine et évidemment la Russie en rappelant une citation de Joseph Brodsky : "Aucun pays n'a mieux maîtrisé l'art de la destruction de l'âme de ses citoyens que la Russie".  Un récit qui se lit d'une traite  : émouvant, nostalgique et aussi teintée d'un humour tonique et combatif malgré sa mise en demeure de "vider les lieux".