jeudi 2 août 2018

"Journal d'Irlande"

Dans mes années de libraire, les années 70, j'ai beaucoup vendu le best-seller de Benoite Groult, "Ainsi soit-elle". Ce pamphlet gentiment féministe (et pas militant, dommage !) dénonçait le machisme ambiant, les violences et les viols subis, l'injustice des salaires, la soumission, etc. Mais, l'écrivaine nous semblait à l'époque une "grand-mère" alors qu'elle avait la cinquantaine !  Ses romans dits "féminins" se lisaient avec plaisir et souvent avec légèreté. Son dernier ouvrage, "Touche étoile", abordait un thème fort, l'euthanasie, qu'elle défendait avec vigueur. J'éprouve une tendresse particulière et une certaine nostalgie quand je pense à cette époque formidable où certaines femmes se sont éveillées à la liberté et à l'indépendance. Elles ont ouvert les livres de Benoîte Groult, Marie Cardinal, Françoise Mallet-Joris, Simone de Beauvoir, Françoise Sagan, etc. La littérature féministe a bien changé de nos jours quand je pense à Virginie Despentes. La fille de Benoite Groult a voulu rendre hommage à sa mère en publiant les pages de ce journal irlandais, intitulé aussi "Carnets de pêche et d'amour, 1977-2003". L'écrivaine et son mari, Paul Guimard, avaient déjà une maison en Bretagne. Comme ils étaient fous amoureux de l'océan et de la pêche, ils ont acquis une résidence en Irlande où ils ont passé une vingtaine d'années. Ce journal intime évoque les moments heureux du couple : leurs parties de pêche mirifique, la visite d'amis connus comme Régis Debray, les Badinter, François Mitterrand, Eric Tabarly. L'écrivaine raconte sans pudeur sa relation amoureuse avec son amant américain Kurt, personnage que l'on retrouve dans "Les vaisseaux du cœur". J'ai surtout retenu dans ce journal intime les réflexions drôles, émouvantes, ubuesques sur la vie de son "trouple", ce trio hypermoderne formé par elle et ses deux hommes. Comme le journal se passe en vingt ans, Benoîte Groult décrit avec un humour décapant, les ravages du temps sur son corps, son visage et ce constat lucide donne au récit une gravité bien loin de son esprit de légéreté. Tout au long de ses pages qui sentent l'air salé de la côte irlandaise, une énergie folle se dégage de l'écrivaine, une énergie vitale, venue de cette mer d'Irlande. Ecrit simplement et sans effets de style, cet ouvrage recèle des vérités humaines sur le vieillissement, mais avec une ironie bienvenue, l'écrivaine remplace la décrépitude du corps par un amour total de la vie, de l'amour et de l'amitié...