mardi 4 mai 2021

"Le dernier été en ville"

 Gianfranco Calligarich, écrivain italien, a grandi à Milan et s'est installé à Rome en tant que journaliste et scénariste. Gallimard a choisi "Le dernier été en ville" publié dans son pays en 1973. Ce roman culte retrace la vie d'un jeune Milanais, Léo Gazzara, en proie à une crise existentielle : "Mes amis avaient des idées très précises, obtenir un diplôme, se marier et gagner de l'argent, mais cette perspective me répugnait". Son départ à Rome dans les années 60 ressemble à une fuite, loin de sa famille milanaise. Il mène une vie bohème dans cette ville magique, mais d'une magie maléfique. Sa "dolce vita" va donc se dérouler dans un milieu d'artistes, d'aristocrates déchus, d'intellectuels cyniques : "Des gens qui erraient comme moi, essentiellement des intellectuels aux têtes de réfugiés et aux yeux pleins d'attente". Il erre dans les soirées de fête arrosées à l'alcool et sa dérive nocturne se déroule dans une ville hallucinante de beauté. Léo cherche avec désespoir une raison de vivre. Il tombe amoureux d'une femme belle et fantasque, Arianna, avec laquelle il ne parvient pas à vivre un amour serein et solide. Sa quête amoureuse s'adresse aussi à la ville qui porte en elle "une ivresse particulière qui brûle les souvenirs". Il trouve un emploi précaire dans le journalisme sportif, traverse la nuit avec des amis occasionnels, s'agrège à des rencontres mondaines stériles. L'écrivain emploie un adjectif surprenant, "brancal", un concept pour définir une attitude d'un jeune homme sans désir, sans idéal, qui se laisse porter au gré des vents. Le trentenaire, grand lecteur de Proust, est habité par un désenchantement existentiel que rien ne n'atténue vraiment, ni l'amour d'Arianna, ni les relations amicales. Son âme ressemble aux murs délabrés des vieux palais romains dont il décrit la beauté troublante. Ce roman fellinien évolue comme une pérégrination cinématographique, du Campo di Fiori à la Piazza Navone, en passant par celle Del Popolo jusqu'au bord de mer. Cette déambulation urbaine donne au roman une ambiance mélancolique de rêve et de poésie. Pourtant, Léo cultive un certain amour de la vie dans ses contacts sensuels avec cette cité trois fois millénaire. Mais, Arianna, la fugitive proustienne, échappe sans cesse à son appel : "Elle arriva avec moins de vingt minutes de retard sur le trottoir écrasé de soleil. Ses talons s'enfonçaient dans mon cœur". Ce premier roman d'une clarté sombre scintille comme un diamant noir où chaque instant se vit dans une attente d'un bonheur introuvable. Rome est peut-être le personnage principal et évidemment fascinant de ce premier roman au parfum nostalgique des années 70. Un roman à découvrir pour Rome, évidemment...