jeudi 29 juin 2023

Les 120 ans de Marguerite Yourcenar

 J'étais étonnée de voir que France Culture s'intéressait à nouveau à Marguerite Yourcenar. Dans l'émission, "Les Nuits de France Culture" que j'ai écoutée en podcast, l'écrivaine, première femme des lettres académicienne en 1980, s'exprime dans une langue française remarquablement datée, ce qui est d'une originalité folle aujourd'hui. Son récit culte, "Mémoires d'Hadrien", publié en 1951, est devenu un classique contemporain et "L'Œuvre au noir" a reçu le prix Femina en 1968. Quand je pense qu'elle n'a pas reçu le prix Nobel de littérature ! Pour moi, elle le méritait cent fois plus qu'Annie Ernaux !  Au sommaire de cette émission, "Paris à l'heure du monde" d'André Parinaud, réalisée en 1968 où l'écrivaine évoque le personnage de Zénon. D'autres entretiens suivent avec sa voix si particulière. La comédienne Renée Faure lit "Comment Wang-Fô fut sauvé", enregistré en 1980. Il est aussi question de son théâtre peu connu encore aujourd'hui. Son roman, "Le Denier du rêve" permet de connaître l'Italie mussolinienne. Marguerite Yourcenar, une "Antique" dans la modernité, évoque aussi les musiques de Grèce, diffusés en 1984. La dernière émission de cette "Nuit", "Une vie, une œuvre", réunit Josyane Savigneau, sa biographe officielle, l'universitaire Michèle Sarde,  un égyptologue avec des interventions de l'écrivaine. Après ces archives sonores passionnantes, j'ai écouté l'émission de Géraldine Mosna-Savoye, "Sans oser le demander" sur l'écrivaine, "Marguerite Yourcenar aurait eu 120 ans. Vous voulez de ses nouvelles ?". J'ai retenu cet extrait de Bruno Blanckeman : "L'écriture est pour Yourcenar une manière de dépasser la douleur, d'en faire le lieu d'un travail littéraire sur le style, le rythme et la richesse de la langue. L'écriture fait basculer la douleur dans une durée qui n'est plus celle de la souffrance humaine, mais celle de l'art". Ecouter ces émissions de France Culture m'a donné envie de relire Marguerite Yourcenar en particulier "Le Denier du rêve" et "Feux", deux récits que je vais redécouvrir avec beaucoup d'intérêt. Cet été, je vais amorcer un retour vers le "classique" et Marguerite Yourcenar appartient à cette catégorie d'écrivains et d'écrivaines du XXe siècle que j'aime tout particulièrement comme Colette, Jean Giono, Virginia Woolf, Julien Gracq, Milan Kundera, Philip Roth sans oublier "mon" Pascal, Pascal Quignard !  

mercredi 28 juin 2023

"L'eau du lac n'est jamais douce", Giulia Caminito

 Pour l'Atelier Littérature de juin, j''avais choisi le thème de l'eau car l'été est une saison chaude et vivre au bord de l'eau, ou prendre ses vacances au bord de la mer, symbolisent la fraîcheur souhaitée. Cet élément célébré par Gaston Bachelard dans son ouvrage, "L'eau et les rêves" m'a guidée dans cette liste sur l'eau. Je reviens sur ce roman très apprécié par Pascale dans l'Atelier Littérature pour prolonger le plaisir de la découverte. "L'eau du lac n'est jamais douce" de Giulia Caminito explose sous nos yeux : un roman colère, un roman volcanique. Cette histoire familiale se déroule à Rome dans les années 2000 et raconte l'esprit de révolte des "gens de peu" comme le disait un sociologue, Pierre Sansot. La mère, Antonia, ressemble à Anna Magnani au cinéma, une matriarche survoltée, fière et têtue, droite et honnête, ne capitulant jamais. Elle cherche un logement décent pour abriter sa famille. Sa détermination l'emporte et elle obtient un appartement social. Il lui faut un sacré courage pour assumer sa famille dans une pauvreté extrême : un mari handicapé et quatre enfants. Sa fille, Gaia, la narratrice du roman, relate dans ce texte les péripéties de cette famille en difficultés. Suivant les conseils de sa mère, (ne faire confiance à personne et se méfier de tout le monde), la jeune adolescente affronte les tourments de son âge impossible dans une solitude qui rappelle celle du personnage de Carson McCullers dans "Frankie Adams". Ces deux adolescentes vivent mal ce passage de l'enfance à l'adolescence et Gaia subit une telle pression que ses colères rentrées l'étouffent et la brident dans son élan vital. Sans estime de soi, elle ne fait que s'enfoncer dans un rejet des autres, ses amies comme son amoureux. Pourtant, elle a compris qu'il fallait étudier, lire des livres, apprendre à grandir. Mais sa colère intérieure prend le dessus jusqu'à quand ? Le lac dans le récit tient un rôle stratégique dans la vie de l'adolescente, celui de ses rencontres sociales et amicales. La misère sociale est un terreau de violence sociale autant que les inégalités et Giulia Caminito  suit les traces de son aînée, Elsa Morante, qui décrivait aussi le monde des "perdants", de ceux qui n'arrivent pas à vivre une vie digne et sécurisante. Pour un deuxième roman, l'écrivaine italienne, Giulia Caminito, fait preuve d'un talent certain et désormais, son troisième roman porte une grande promesse. 

mardi 27 juin 2023

Atelier Littérature, 4

 Annette a lu le roman d'Eric Reinhardt, "L'amour et les forêts", paru en Folio en 2016. Un film tiré du livre vient de sortir, ce qui donne envie de découvrir à la fois le film et le texte. L'auteur raconte une histoire d'emprise amoureuse entre Bénédicte et son mari. La jeune femme, agrégée de lettres, enseigne dans un collège. Elle rencontre un écrivain qu'elle admire et lui raconte son enfer conjugal. Chaque instant de sa vie est contrôlé par son mari et elle n'a pas le droit d'avoir son propre portable. Ce bourreau se met souvent en colère et gère le ménage d'une main de fer. Cette maltraitance psychologique ne peut que se terminer mal. Ce récit poignant d'une tentative d'émancipation avait déjà conquis beaucoup de lectrices (et de lecteurs) et le film va certainement vivifier les ventes du Folio. Agnès a beaucoup apprécié un roman policier, "Dans les brumes des Capelans" d'Olivier Norek. L'histoire se passe à Saint Pierre et Miquelon, archipel français près du Canada. Le fameux capitaine Coste est dans une résidence surveillée pour interroger des repentis et protéger d'un monstre, une victime et témoin. Frissons assurés, intrigues originales, écriture soignée, ambiance brumeuse, Agnès a même dit que ce thriller fait partie des meilleurs romans policiers que l'on peut lire aujourd'hui. Voilà pour la partie "Coups de cœur" du mois de juin. La saison 2022-2023 s'est avérée bien passionnante à mes yeux (et j'espère aussi aux yeux de mes lectrices de l'Atelier Littérature). Durant la saison, j'ai animé 9 ateliers. J'ai choisi des thèmes comme l'été en littérature, l'influence d'Internet sur l'écriture, les objets, les prénoms dans les titres des romans, l'eau. J'ai aussi proposé deux grands écrivains du XXe siècle : Colette et Milan Kundera. Les écrivaines françaises étaient à l'honneur : Michelle Perrot, Gaëlle Josse, Véronique Ovaldé, Marie-Hélène Lafont, et d'autres voix singulières. Nous avons lu les nouveautés de la rentrée littéraire : Brigitte Giraud, Laurent Gaudé, Lionel Duroy, Emmanuelle Favier, etc. Je n'oublie pas les excellents coups de cœur égrenés tout au long de la saison et qui enrichissent nos programmes de lectures. Je remercie vivement toutes mes amies lectrices avec lesquelles je partage l'amour de la lecture et des livres et ces moments de rencontre mensuelle se passent dans une belle convivialité et dans le respect d'une écoute attentive. Pour la saison prochaine, je prépare les séances durant l'été, une manière de rester en contact avec mes lectrices que je retrouverai le jeudi 28 septembre, date de la première séance de l'année 2023-2024 ! Bel été ensoleillé de lectures rafraichissantes !

lundi 26 juin 2023

Atelier Littérature, 3

 Mylène a démarré la séquence "coups de cœur" avec le roman, "Ame brisée" de l'écrivain japonais, Akira Mizubayashi, publié chez Gallimard en 2019. L'histoire se passe à Tokyo en 1938. La guerre sévit au Japon. Un quatuor de musiciens sino-japonais interprète Schubert. Le petit Rei, le fils d'un musicien, 11 ans, assiste à la répétition quand des soldats surgissent en étant persuadés que le groupe complote. Le père de l'enfant est arrêté et son fils ne le reverra jamais. Rei est sauvé grâce à un lieutenant, grand mélomane qui lui confie le violon brisé de son père. Le jeune garçon va consacrer sa vie à la musique en devenant luthier et vivra en France. Ce livre émouvant, sensible et lumineux, est un hommage à la musique et à la fidélité familiale. "Ame brisée" est disponible dans la collection Folio et peut très bien éclairer notre été de lectures. Il a obtenu le Prix des Libraires en 2020. Odile a choisi un roman, "Paradis" de l'écrivain tanzanien, Abdulrazak Gurnah, Prix Nobel de littérature en 2021. Yusuf, 12 ans, est vendu par ses parents pour régler une dette. Aziz, l'acheteur, est un riche marchand qui a besoin du garçon comme esclave. Cette histoire se déroule au début du XXe siècle dans le cadre de la colonisation. Dans ces étendues désertiques, des lentes caravanes sillonnent le pays dans sa rudesse et dans sa beauté aussi. Le jeune garçon découvrira une vie d'aventures rocambolesques dans le tourbillon d'une Histoire qu'il ne comprend pas. Un roman initiatique qui a fait voyager Odile loin de la Savoie ! Pascale a choisi aussi un roman japonais, "Le crépuscule de Shigezo" de Sawako Ariyoshi (1931-1984), paru en Folio. Considérée comme la Simone de Beauvoir du Japon, son œuvre évoque la condition féminine. Dans ce livre, Akiko travaille comme dactylo à Kyoto et gère son foyer en s'occupant de son fils adolescent. Son mari comme beaucoup d'hommes dans les années 60 s'intéressaient peu à leur famille. Sa belle-mère meurt brusquement et elle doit prendre en charge son beau-père, Shigezo, autoritaire et conservateur. Comme le vieil homme devient sénile et glisse dans une seconde enfance, Akiko va découvrir une nouvelle relation affective avec son beau-père. Ce roman pose le problème de la vieillesse, de la charge qu'elle représente dans une famille. C'est évidemment aux femmes (au Japon comme ailleurs) qui doivent assumer ces fins de vie. L'écrivaine parle de l'abnégation, du sacrifice, d'adaptation de cette héroïne du quotidien dans un pays de traditions séculaires. Deux coups de cœur de la littérature japonaise. Le Japon, une destination très lointaine en kilomètres mais heureusement très proche grâce aux livres !    

vendredi 23 juin 2023

Atelier Littérature, 2

Geneviève a lu pour sa part, "L'eau qui passe" de Frank Maubert, publié chez Gallimard en 2018. L'auteur, écrivain et essayiste, spécialiste de l'art moderne, se confie sur son enfance entre un père disparu mystérieusement et une mère indifférente. Elevé tour à tour en famille d'accueil très chaleureuse puis chez ses grands-parents très peu aimants, sa mère le "récupère" à son adolescence mais cette vie familiale retrouvée ne guérit pas sa blessure de l'abandon. Ces confidences intimes sont décrites avec pudeur et avec beaucoup de délicatesse. Sa solitude d'enfant se poursuit dans sa vie d'adulte mais elle est peuplée d'art, de culture et de livres. Ce beau récit, mélancolique et charmant, est nimbé d'une poésie discrète. Quand sa mère, un jour, s'annonce dans sa maison, il refuse de la voir et lui tourne le dos. Enfin, il n'attendra plus, ni son père, ni sa mère. Frank Maubert évoque son enfance ainsi : "C'est ainsi que j'entrai en contact direct avec la nature, habité par un sentiment d'être primitif, persuadé que l'absence de parents était une chose positive. Et j'ai grandi avec le sentiment d'être mon propre enfant. Sans me poser de questions, j'ai habité la vie, vêtu de cette solitude que j'ai tout de suite adoptée. Plus tard, j'apprendrai qu'il n'y a de solitude que dans l'attente". Annette a beaucoup aimé le récit de Jean Giono, "La rondeur des jours", le premier tome de "L'eau vive". Les textes de ce recueil appartiennent à la période lyrique de Jean Giono : un ode à la vie, au quotidien, à la nature omniprésente. Il écrit : "La vie, c'est de l'eau. Mollis le creux de la main, tu la gardes. Serre le poing, tu la perds". Quel régal de lire et de relire Jean Giono et il ne faudrait jamais oublier cet écrivain majeur, magnifique et tellement passionné par la vie ! Méditons aussi cette citation : "Nous avons oublié que notre seul but, c'est vivre et que vivre nous le faisons chaque jour et tous les jours et qu'à toutes les heures de la journée nous atteignons notre but véritable si nous vivons". Annette nous a lu un extrait du livre pour nous donner vraiment envie de retourner à la source vive de la prose gionesque ! Pour terminer la première partie de la rencontre, j'ai relaté le roman de Françoise Sagan, "Un peu de soleil dans l'eau froide", paru en 1969. Gilles, un brillant journaliste parisien, décide de quitter Paris pour le Limousin. Sa dépression attire l'attention d'une femme mariée, Nathalie. Ils s'aiment et Nathalie quitte tout pour vivre avec Gilles à Paris. Mais, Gilles ne supporte plus la passion de cette femme trop exclusive. Il se lasse d'elle et l'histoire se finit mal. Ce roman "vintage" se lit avec curiosité et même avec un plaisir certain. Cette France des années 60 à Paris et en province n'existe plus et Françoise Sagan décrit avec justesse ce monde disparu. (La suite, lundi)

jeudi 22 juin 2023

Atelier Littérature, 1

Ce jeudi 15 juin, nous étions une dizaine de lectrices pour la dernière rencontre de l'Atelier Littérature de la saison 2022-2023. J'avais choisi le thème de l'eau dans quelques romans pour nous rafraîchir avant la canicule estivale. Danièle a ouvert le bal avec un roman "policier" de Donna Leon, "Les eaux dangereuses", publié dans la collection "Points" en 2022. Dans un hospice vénitien, une patiente au moment de mourir veut témoigner à propos de son défunt mari. Pour elle, il a été assassiné. Le commissaire Brunetti lui promet de mener une enquête. Son mari travaillait pour une compagnie de contrôle de la qualité des eaux à Venise. Ce travail serait-il le mobile du meurtre ? Danièle a beaucoup apprécié l'ambiance du roman, la présence permanente de la cité magique, les personnages attachants. Pour tous ceux et pour toutes celles qui aiment Venise, il faut absolument lire Donna Leon et sa trentaine de romans avec le Commissaire Brunetti. Cela tombe bien pour une lecture d'été. Odile a choisi un roman plus ambitieux, celui d'Emmanuelle Favier, "Le courage qu'il faut aux rivières", publié en Livre de Poche. Dans un pays des Balkans, des femmes font le serment de renoncer à leur condition. Elles peuvent mener une vie d'homme et se réaliser dans le travail et dans une indépendance assumée. Manushe est l'une de ces "vierges jurées". Un jour, arrive Adrian, un homme au passé mystérieux qui va troubler la jeune femme. On ne se dépouille pas aussi facilement de sa nature féminine. Odile nous a donné envie de découvrir ce premier roman envoûtant et original d'Emmanuel Favier. Nous avons évoqué cette écrivaine dans l'Atelier avec son dernier roman remarquable, "La part des cendres" sur la  vol de œuvres d'art pendant la Deuxième Guerre Mondiale. Pascale a découvert le livre de Giulia Caminito, "L'eau du lac n'est jamais douce", paru en 2023. Un véritable coup de poing, ce roman italien, selon Pascale. L'héroïne, Gaïa, une jeune adolescente en crise permanente, suit à la lettre le conseil de sa mère : ne compter que sur elle-même. Cette famille quelque peu dysfonctionnelle (un père chômeur et handicapé, une mère révoltée par sa pauvreté) ne favorise pas son émancipation, mais, elle ne se plaint jamais, lit, se cultive, apprend à se défendre. Dans ce milieu problématique, Gaïa est malgré tout en proie à ses pulsions de violence dans ses relations amicales et amoureuses. Ce roman très fort sur le mal-être d'une adolescente s'inscrit dans une filiation romanesque, propre à Elsa Morante et à Elena Ferrante.  (La suite, demain)

mercredi 21 juin 2023

"La fièvre Masaccio", Sophie Chaveau

 Sophie Chauveau s'est spécialisée dans la Renaissance italienne. Après Léonard de Vinci, Botticelli et Lipi, elle propose une biographie romanesque de Masaccio, beaucoup moins célèbre que ces trois génies de la peinture italienne. Le jeune homme arrive à Florence en 1418. A cette époque, le monde de l'art et de la peinture s'organisait autour d'ateliers où étaient formés des jeunes artistes. Il est adopté aussitôt par le sculpteur Donatello et l'architecte Brunelleschi, deux artistes de la Renaissance. Sophie Chauveau expliquait son choix ainsi : "Avec le recul du temps, j'ai voulu rendre à Masaccio tout ce que l'histoire de la beauté lui doit. Sans lui, sans son passage sur la terre toscane si fertile en génies à cet instant, ni Michel-Ange, ni le Vinci n'auraient été ce qu'ils furent. Non plus Boticelli, Raphael, le Titien et tant d'autres qui l'ont salué et ont reconnu leur dette". Ce peintre mort si tôt à l'âge de 27 ans a réalisé 27 œuvres. Coïncidence troublante. L'écrivaine plante le décor d'une Florence en proie au renouveau après le cataclysme de la peste. Une sorte de fièvre joyeuse s'empare de la population et les peintres accompagnent cette euphorie traduite dans l'art. Le jeune Masaccio, solitaire et introverti, n'a qu'une obsession : peindre, peindre et peindre ! Rien ne l'intéresse : ni l'amour, ni la famille. Il se jette à corps perdu dans ses fresques dont celles de Saint Pierre de la Chapelle Branciatti dans l'église Santa Maria del Carmine. Adam et Eve, chassés du Paradis, symbolisent le malheur de l'humanité dans une dramaturgie inouïe.  Cet artiste donne de la chair aux personnages de ses fresques et annonce un retour à l'humain, le propre de la Renaissance. Parmi ses œuvres, on peut citer une Crucifixion, analysée par Paul Veyne dans son ouvrage sur la peinture italienne (un livre de référence quand on aime l'art italien !). Masaccio (son nom signifie "l'empoté" en italien) est surdoué sans avoir reçu une formation particulière mais il possède ce don des couleurs, des formes et de la perspective. Premier artiste à signer ses tableaux, Masaccio présente des personnages dans leur simplicité et n'hésite pas à leur donner des traits de ses amis. Sophie Chaveau s'empare du personnage Masaccio avec empathie et avec admiration. Ce peintre qui vit l'art comme une ascèse ne connaît ni la richesse, ni le carriérisme. Après dix ans de labeur, il meurt à Rome et sa mort reste nimbée de mystère. Ce roman historique divertissant et instructif se lit avec plaisir et il intéressera tous ceux et toutes celles qui ont la passion de l'Italie, de la Renaissance et de l'art. 

mardi 20 juin 2023

Escapade en Sardaigne, Cagliari

Comme toute métropole européenne, l'offre de culture à Cagliari s'annonçait fort intéressante. J'ai donc visité le Musée archéologique national qui présente des collections du Néolithique au Moyen Age et j'ai retrouvé avec beaucoup d'intérêt les figures nuragiques en bronze découvertes dans un temple des environs. Ces statuettes fascinantes représentent des divinités, des guerriers, des athlètes, des animaux et même des bateaux. J'ai pensé à la civilisation étrusque car ces objets sacrés étaient utilisés pour les tombes afin de protéger les défunts. Une autre pièce m'a intriguée : la stèle de Nora, une tablette phénicienne où était inscrite la première inscription, "Sardaigna" ! Ce musée riche et pédagogique apporte un éclairage sur le passé de l'île. Un rendez-vous incontournable à Cagliari. La pinacothèque était fermée pour travaux... Un musée d'art moderne situé dans un beau parc était dans mon programme : la Galleria comunale d'Arte, installée dans une élégante bâtisse rose néoclassique. J'étais surtout heureuse de revoir trois natures mortes de mon cher Morandi, mais aussi, Carlo Carra, Pisis, Boccioni, etc. Je me suis baladée dans le jardin fleuri de bougainvilliers et de flamboyants bleus (Jacaranda mimosifolia), arbres subtropicaux venus d'Amérique du Sud. Ma dernière journée dans la ville avait deux objectifs : poursuivre ma découverte et profiter de la mer à Calamosca. J'ai donc découvert le site de Tuvixeddu, une nécropole punique la plus importante de la Méditerranée. Entre le IVe siècle et le IIIe avant notre ère, les Carthaginois avaient choisi cet endroit pour enterrer leurs morts. Nous étions les seuls touristes à voir ce site archéologique saisissant ! Avant de rejoindre notre hôtel, je voulais revoir mes flamants roses ! J'ai pris le chemin du parc naturel Molentargius-Saline, des anciens marais salants où se prélassaient quelques volatiles roses. Soudain, une dizaine d'entre eux ont pris leur vol et sont passés au dessus de ma tête : un moment d'euphorie totale ! On ne voit pas tous les jours une bande de flamants roses dans notre ciel savoyard... Mes derniers moments en Sardaigne ont été consacrés au bord de mer dans les environs de Calamosca au cap Sant'Elia. Une balade en pleine nature avec la mer comme décor immémorial. La Sardaigne, une île tranquille, simple et combinant une nature préservée avec une culture authentique et sans fioritures. Et comme cadeaux quotidiens, le soleil et le bon air marin ! 

lundi 19 juin 2023

Escapade en Sardaigne, Cagliari

Avant de partir pour Gagliari, je me suis promenée sur la plage tôt le matin (un délice) et sur la corniche proche qui me rappelait la Bretagne et ses caps. En passant devant des maisons modestes de vacances toutes fermées, j'ai observé des fouilles récentes sans barrière et ouvertes à tout promeneur. Il s'agissait certainement de tombes creusées dans la roche car le site archéologique de Tharros se situe à un à deux kilomètres de la plage. Aucun panneau ne signalait cette découverte surprenante et mystérieuse. J'ai quitté ce coin de Sardaigne avec nostalgie, un sentiment bien compréhensible devant tous ces paysages si idylliques. La traversée du pays d'Oristano à Cagliari se fait sans problème même si le système routier ne comporte pas d'autoroutes, si banales en France. J'ai loué une chambre vue mer dans la baie de Calamosca, à quelques kilomètres du centre ville. Je voulais profiter de la mer jusqu'au dernier moment, m'imprégner de l'horizon marin, de cette surface bleue si apaisante. Pour visiter la capitale sarde, il vaut mieux déposer sa voiture dans un parking et prendre un ascenseur vertigineux qui nous happe et nous dépose dans le cœur de la ville, le Castello. Cette ville de 160 000 habitants ne se livre pas d'emblée comme dans les cités du Nord de l'Italie. La ville fut créée par les Phéniciens mille ans av. J.-C. pour y faire du commerce. Leur petit port se nommait Karalis, qui signifiait cité de pierre. Les Carthaginois et les Romains ont succédé aux Phéniciens et il reste un bel amphithéâtre romain, très visible de la rue. Détruite à 80 % par les bombardements alliés en 1943, Cagliari offre aujourd'hui des longues avenues commerçantes situées près du port. Les venelles labyrinthiques du centre ancien montrent une vie quotidienne au parfum du linge exposé à la vue de tous. Le quartier de la citadelle présente un intérêt certain car il concentre des monuments impressionnants comme le Bastion de San Remy, la Piazza Palazzo et surtout le Duomo Santa Maria. Cette cathédrale fut une église pisane au XIe et XIIe siècle et possède une crypte tout en marbre qui abrite de riches tombeaux des princes de la Maison de Savoie ! Au Nord du Castello, se trouve la Citadelle des musées qui regroupe le musée archéologique, la Pinacothèque nationale, un musée ethnographique, un musée d'art asiatique, etc. La belle cité aux multiples origines historiques se dévoilait peu à peu au fil des heures de ma visite.

vendredi 16 juin 2023

Escapade en Sardaigne, Oristano et Tharros

Le mardi, direction Oristano, une ville moyenne de 32 000 habitants pour visiter en priorité le musée Antiquarium Arborense, installé dans un vieux palais du XVIIe. Un avocat de la ville, Efisio Pischedda, (1850-1930)  a eu la très bonne idée de réunir plus de 10 000 pièces antiques du site de Tharros, proche de la ville. Il a fait don de son héritage et ce musée présente une grande collection d'objets funéraires de la civilisation phénicienne : bijoux, amulettes, sceaux, flacons, poteries. J'ai aussi remarqué des masques grimaçants qui avaient l'objectif d'effrayer les démons. Une salle de retables du Moyen Age complète les collections. Ce musée très pédagogique propose aussi une salle pour les mal-voyants qui peuvent manipuler des fac-similés d'objets anciens. Mais la perle de ma journée se nomme Tharros, une cité antique phénicienne, sur la presqu'île de Sinis au Cap San Marco. J'avais trouvé une maisonnette près de la plage de Cabras au plus près du site archéologique. Quelle découverte, ce port phénicien fondé sur une ancienne implantation nuragique ! Dès que j'ai pénétré sur le site très peu fréquenté en cette période de juin, je vivais en 730 av. J.-C. : ce comptoir commercial durera plus de mille ans et sera détruit par les Vandales et par les pirates. Comme pour Nora, le charme de ces ruines tient à l'environnement de la mer de tous côtés. Bâti en pente douce, le site présente des traces au sol avec quelques murailles de thermes, de temples et de maisons de commerce. Seules, deux colonnes corinthiennes dominent l'esplanade centrale et je voyais des voiliers au loin traverser ce panorama magique. Une voie principale (cardo massimo) en blocs de basalte semble être construite par des géants ! Quelques vestiges d'habitat nuragique se remarquent aussi en amont de Tharros. En fin de journée, j'ai visité le musée archéologique de Cabras où j'ai surtout observé les fameux géants du Monte Prama, mis à jour à Sinis en 1974. Il s'agit de statues massives en pierre de l'époque nuragique avec des visages terribles dignes d'extraterrestres peu sympathiques ! J'ai retrouvé dans ce petit musée les objets et statuettes votives trouvés à Tharros. J'ai terminé ma journée par une baignade bienfaisante et revigorante après toutes ces découvertes archéologiques vraiment étonnantes. 

jeudi 15 juin 2023

Escapade en Sardaigne, Fluminimaggiore et Portu Maga

 Quand je note dans le titre de mon billet ces noms de village, j'éprouve le sentiment d'une exploratrice digne du XIXe siècle ! J'exagère un peu mais visiter la Sardaigne ne ressemble pas à une traversée de l'Italie continentale quand surgissent les noms connus de Milan, Florence, Rome, etc. Le lundi, je me suis arrêtée près de Fluminimaggiore pour découvrir le temple d'Antas, un joli petit temple dans un décor quasi grec, achevé au Ier siècle av. J.-C. et reconstitué pour le sauvegarder. Des Phéniciens aux Carthaginois en passant par les Romains, ils vouaient tous un culte à des dieux protecteurs. Près du temple, j'ai pris un chemin montagneux pour saluer un chêne multiséculaire impressionnant de vitalité. Décidément, la Sardaigne cultive l'art du temps. Dans le même lieu, j'ai remarqué une dizaine d'habitations nuragiques dont il ne reste que les soubassements. La civilisation nuragique (que je ne connaissais pas) m'intrigue beaucoup et au fil du séjour, je rencontrerai dans les sites archéologiques et les musées la trace de ce premier peuple de l'île sans écriture. Sur le guide du Routard, un vaste panorama de dunes, les Piscinas,  méritait le détour. Nous avons pris une route très peu fréquentée qui s'est vite transformée en chemin de terre et s'est avérée impraticable ! Il aurait mieux valu que je prenne un vrai cheval pour atteindre ces dunes mythiques. Cette partie de la Costa verde reste dans une nature sauvage qui ferait le bonheur de tous les Robinson écologiques du monde ! Comme notre petite Fiat Panda subissait des chocs dues aux crevasses, nous avons rebroussé chemin. Direction notre hôtel, le Corsaro Nero, dans un paysage de rêve. J'ai senti à ce moment-là que je ne possédais pas une âme d'aventurière ! Ce n'est pas à mon âge que je vais me lancer dans des explorations incertaines ! J'ai pris ma revanche en fin de journée en me baignant dans les eaux cristallines de Portu Maga. J'ai assisté à un magnifique coucher de soleil sur la plage déserte. Ce coin de Sardaigne, paisible et naturel, assez isolé et peu fréquenté par les touristes garde un charme certain loin du vacarme du monde. Une bulle de sérénité et de bien être... 

mercredi 14 juin 2023

Escapade en Sardaigne, Carbonia et San Pietro

Le dimanche, je suis partie à Carbonia, une ville de tradition minière, fondée par Mussolini en 1938. La ville ne présente aucun intérêt particulier sauf pour deux musées. Le premier, le musée archéologique dans la villa Sulcis, présente la période préhistorique avec une maquette de nuraghe, puis la période romaine symbolisée par des statuettes en terre cuite, des lampes à huile, des ustensiles de cuisine. Le musée contient aussi les vestiges du parc archéologique du Monte Sirai avec des urnes funéraires, des vases, des bijoux et autres objets. Le deuxième musée, le Museo del Paleoambianti sulcitani E. A. Martel, m'a vraiment impressionnée car je me suis retrouvée en face d'un gigantesque squelette de dinosaure, un tyrex ! C'est la première fois que j'en voyais un et ce spectacle visuel m'a beaucoup amusée. Heureusement que les humains ne cohabitaient avec ces animaux redoutables ! Dans ce musée scientifique, j'ai admiré une très belle collection de fossiles de la région du Primaire au Quaternaire avec toutes sortes de plantes et d'animaux captés dans la roche pour l'éternité. Ces fossiles se transformaient dans ma tête en véritables œuvres d'art de la nature. La pluie malheureusement s'est mise à tomber quand j'arpentais la nécropole phénicienne du monte Sirai, Et quand la météo se dégrade, les visites extérieures perdent beaucoup de leur intérêt. Dans mon séjour, je n'ai connu cet épisode pluvieux qu'une fois ! Dans l'après-midi, le soleil est revenu et j'ai pris un ferry de Calasetta pour l'île San Pietro. Sa capitale, Carloforte, fêtait le thon, source économique de la région. Car l'île est réputé par sa méthode contestée de pêche, la "mattanza" où les pêcheurs professionnels emprisonnent les thons dans des filets et les achèvent avec des harpons. Aujourd'hui, cette "mattanza" est réglementée pour préserver les ressources naturelles. La balade dans la vieille ville s'est révélée bien agréable dans une ambiance festive bon enfant. En revenant sur Calasetta, j'ai visité un petit musée d'art contemporain mais vraiment, je ressemble à ce dinosaure croisé à Carbonia qui, se figeant devant une œuvre contemporaine, se mettrait à courir pour échapper à cette réalité incompréhensible.  Comment terminer une soirée en Italie ? Devant un spritz, évidemment en songeant à cette terre de contrastes entre ciel et mer !  

mardi 13 juin 2023

Escapade en Sardaigne, Sant'Antioco

 Ma deuxième étape se nommait Sant'Antioco, une bourgade qui porte le nom d'Antiochus, le fondateur martyr de la communauté chrétienne de Sardaigne. Il suffit de franchir un pont pour se retrouver sur les terres de la presqu'île. Dès que je me suis rapprochée de mon but, j'ai aperçu des flamants roses dans les marais salants entourant la presqu'île. Des flamants roses ! C'était un enchantement de voir ces volatiles si grâcieux ayant adopté la Sardaigne comme refuge. Leur alimentation, basée sur l'ingérence de crevettes roses, leur donne cette couleur si lumineuse. Lors de mon parcours en bord de marais salants, j'ai guetté avec l'âme retrouvée d'une petite fille curieuse, la présence des flamants roses, symboles de renouveau selon une légende. Sant'Antioco possède une atmosphère maritime avec ses barques bleues et ses bateaux de pêche, ses rues en pente. Connue sous le nom de Sulky, les Romains en ont fait la ville la plus prospère de la Sardaigne. Dès le matin, j'ai visité une catacombe avec une guide italienne et je comprenais son exposé ! Cela fait deux ans que j'apprends en solo cette si belle langue. Obligation de porter un casque pour pénétrer dans ces cavités creusées dans la roche. Une fresque surprenante m'attendait au détour d'un couloir très étroit et sur ce mur, le regard saisissant d'une femme, disparue il y a des siècles, m'a rappelé l'art du Fayoum qui présentait des portraits funéraires au niveau du visage de la momie égyptienne. Je me sentais toutefois oppressée dans ce souterrain et j'étais étonnée de cette prestation assez unique à Sant'Antioco. Les rites funéraires m'ont toujours intéressée car les anthropologues considèrent qu'ils sont un des fondements du passage à la civilisation. Pour compléter ma connaissance de la région, j'ai parcouru avec beaucoup d'intérêt le musée archéologique présentant des vestiges phéniciens, puniques et romains : bijoux, poteries, outils, statuettes votives, jouets, céramiques et mosaïques. J'ai surtout appris qu'il existait des stèles sculptées et dédiées aux enfants morts nommés Tophet, des sanctuaires particulièrement émouvants. A quelques kilomètres de la petite cité marine, j'ai loué une chambre dans un hôtel à Calasetta et à mon grand étonnement, le bâtiment était désert comme la plage ! Une impression d'un lieu improbable et irréel. Pourtant, les employés assez nombreux vaquaient à leurs occupations alors que la clientèle occupait dix chambres sur une centaine ! Peut-être que la saison estivale d'un coup de baguette magique remplit leur hôtel ! Cela ne doit pas être facile de trouver du travail dans ces lieux un peu abandonnés. Dès ma deuxième journée, je commençais à ressentir l'air du pays, un air iodé, léger malgré quelques nuages et le paysage s'affirmait dans la blondeur du sable et le bleu de la mer, un bleu scintillant sous le soleil. 

lundi 12 juin 2023

Escapade en Sardaigne, le site archéologique de Nora

 Je ne connaissais pas encore la Sardaigne et j'ai pris un billet d'avion pour Cagliari en préparant un parcours de Cagliari à Tharros, plus de 800 kilomètres en voiture (trop âgée pour prendre une bicyclette ou un aeronef décarboné !). Tant que l'avion n'est pas totalement interdit par les "talibans verts", j'en profite pour découvrir une petite partie géographique de notre planète. J'éprouve une gratitude permanente pour l'Italie : du Nord au Sud en passant par la Sicile, terre de beauté naturelle et de culture éternelle. Tous les ans, je pars en pèlerinage dans cette contrée proche où je me sens chez moi dans une deuxième patrie choisie. La Sardaigne présente des atouts combinant une nature préservée et une culture archéologique assez mystérieuse. Ma première étape concernait la petite ville de Pula où se situe le site de Nora à une heure de Cagliari, côté Sud-Est. Avant de parcourir Nora, j'ai posé ma valise chez Fabrizzio et Danisia, mes hôtes sardes d'une gentillesse toute naturelle. La solution d'une chambre chez l'habitant présente des avantages pour palper l'atmosphère d'une région. Un repas succulent nous a été servi sur la terrasse de leur maison et j'ai goûté un des plats traditionnels sardes : les "malloreddus ou gnocchetti" aux palourdes et aux poissons (qui n'a rien à voir avec les gnocchi). Le pain se nomme "carasau" et il ressemble à des crêpes fines. Mais, avant de déguster ce repas, j'ai visité le site archéologique de Nora, Au VIIe siècle avant notre ère, les Phéniciens ont bâti ce comptoir de commerce au bord de la mer Méditerranée. Ces ruines ont aussi connu des Carthaginois, des Romains (qui ont conquis la Sardaigne en 238 avant J.-C.), et la cité sera rasée par les Vandales au Ve siècle. Cité prospère à une époque donnée, cité disparue mille ans plus tard... Toutes les civilisations sont mortelles disait Paul Valéry. Se balader sur les chemins pavés de cet espace me ravit toujours autant (je ressens le poids du temps et de son évanesce) et deviner des thermes, des temples, des maisons avec des mosaïques au sol et des espaces publics demande beaucoup d'imagination. Qu'importe ! La magie du lieu demeure et laisse des traces dans toute mémoire humaine. Comble du bonheur pour moi : les vestiges étaient investis par des mouettes qui virevoltaient dans le ciel et se posaient sur les murailles édentées. Peu de touristes arpentaient le lieu et ces deux heures passées dans ces ruines phéniciennes et romaines m'ont offert une parenthèse temporelle que je ressens toujours sur un site archéologique. Il faut savoir fermer les yeux devant un bâtiment comme des thermes et aussitôt des personnages apparaissent vaquant à leurs occupations quotidiennes. Peut-être que ces ancêtres qui vivaient dans ce port de commerce regardaient l'horizon comme moi, se pressaient pour se baigner ou pour aller à l'amphithéâtre. Ils ont marqué les murs de leurs habitations et quand j'arpentais les ruelles pavées, leurs pas résonnaient dans ma tête. Si l'on croit comme Platon à la survivance des âmes, le site de Nora semble habité par des esprits, vieux de 3000 ans, des esprits bienveillants comme tous les Sardes que j'ai rencontrés. Mon escapade s'annonçait riche en surprises diverses et variées. 

jeudi 1 juin 2023

"Déplacer la lune de son orbite", Andrea Marcolongo

Pour tous les amoureux et amoureuses de la Grèce antique, il faut lire "La langue géniale, 9 bonnes raisons d'aimer le grec" paru en 2018 d'Andrea Marcolongo. Cette essayiste helléniste d'origine italienne a aussi publié "L'art de résister" en 2021 sur le mythe d'Enée. Quand j'ai appris qu'elle publiait "Déplacer la lune de son orbite", chez Stock dans l'excellente collection "Ma nuit au musée", j'ai "couru" chez Garin pour l'acquérir. Quel régal de lecture ! Andrea Marcolongo a vécu un privilège inouï : passer une nuit au sein du Musée de l'Acropole à Athènes : "Nous avons tous dérobé quelque chose à la Grèce : ses idées, à partir desquelles nous avons forgé nos racines occidentales". Le récit révèle surtout le vol des marbres du Parthénon, exposés au British Museum à Londres. Ce rapt de la frise, ce pillage invraisemblable, a été organisé par un ambassadeur anglais, Lord Elgin, entamé en 1801. L'écrivaine est obsédée par cette perte irrémédiable et elle relate avec une précision historique et un esprit de révolte indignée, la démolition des fresques en marbre (plus de 17 mètres linéaires) effectuée par les "pilleurs" anglais sous la protection des Turcs, maîtres de la Grèce à cette époque. Ces Turcs n'avaient que mépris pour l'héritage patrimonial grec antique et avaient autorisé ce démontage scandaleux. Pourtant, Lord Elgin n'était pas un pirate, ni un cynique car il désirait "importer" l'art grec pour former sur le plan esthétique les artistes anglais. Mais le saccage a eu lieu : marbres découpés, morcelés, dispersés, fracassés. Des naufrages entre la Grèce et l'Angleterre ont causé aussi la disparition de ces œuvres uniques au monde. Le Lord anglais n'a pas profité de son forfait car il n'a rencontré que des échecs en se ruinant, en tombant malade et en étant abandonné par sa femme. Athéna, la déesse,  l'a puni, nous dit Andrea Marcolongo. Lord Byron a dénoncé en son temps le scandale des frises du Parthénon. L'écrivain pose l'épineuse question de la restitution des œuvres d'art, détenues par des musées d'anciennes puissances coloniales. Le récit n'évoque pas seulement l'histoire folle du Parthénon, l'autrice se confie sur son père d'origine modeste qui était très fier du parcours sans faute de sa fille. Le mot "gratitude" convient parfaitement à l'attitude d'Andrea Marcolongo : gratitude envers ses parents, gratitude envers la culture humaniste latine, gratitude envers la Grèce antique, berceau de notre civilisation occidentale. Les frises du Parthénon symbolisent aussi les idées, la philosophie, l'art, les dieux, la démocratie, la mythologie et ce patrimoine culturel sera, je l'espère, éternel. Ce beau récit pourrait se résumer ainsi avec les mots d'Andrea Marcolongo : "Alors que l'Antiquité est bien et bel ce que nous possédons de plus important. Elle est l'étoffe même de notre âme. En la bradant, nous errons à travers la vie, privés de notre capacité à articuler une pensée comme les statues sans tête du Parthénon". Comme je partage son avis !