lundi 10 août 2020

"L'Ignorance"

 L'été, je privilégie les grands écrivains contemporains. Les nouveautés de septembre représentent une tentation irrésistible car j'aime découvrir les romans et les récits qui évoquent notre temps actuel et je sais déjà qu'à partir de fin août, beaucoup de titres vont se bousculer sur les tables des librairies. Quel classique lire cet été ? J'ai appris récemment que Milan Kundera avait offert ses archives à la Bibliothèque de Moravie, située à Brno, la ville où il est né. Au même moment, un biographe tchèque a attaqué cette icône de la littérature mondiale sur plusieurs zones d'ombre de sa vie avant son exil en France en 1975. Pierre Assouline dans son blog, "La République des Livres", analyse le malaise "Kundera" et prend sa défense en décrivant avec une grande précision tous les apports de l'œuvre kundérienne. Cet article, intitulé "Œuvre et vies de Milan Kundera", explique la dimension universelle de sa littérature. Il est arrivé la même injustice à Julia Kristeva, qui était accusée d'espionnage dans sa jeunesse. La petitesse humaine n'a pas de frontières. J'ai donc relu un des romans les plus emblématiques de Milan Kundera, publié en 2003, "L'Ignorance".  Ce texte traite de deux Tchèques, Irena et Josef. Ils ont quitté leur pays en 1968 après le Printemps de Prague et vingt ans plus tard, ils reviennent dans leur Ithaque. Irena, veuve et remariée à un Suédois, effectue ce retour à contrecœur. Là, elle retrouve Josef, un homme qui avait tenté de la séduire alors qu'elle vivait en Tchécoslovaquie. Josef a choisi le Danemark comme terre d'accueil. Irena retrouve ses anciennes amies lors d'une soirée et organise une dégustation de vins français. Elle aimerait raconter sa vie d'exilée en France mais elle comprend vite qu'elle n'intéresse personne. En plus, ses amies préfèrent la bière. En vantant le vin, elle se situe comme une étrangère et aux yeux de ces femmes, elle a définitivement perdu son identité première. Josef vit la même expérience avec son frère et sa belle-sœur qu'il ne reconnaît plus. Ces scènes de retrouvailles explicitent le thème majeur du livre : la nostalgie. Peut-on rentrer dans un pays que l'on a fui ? Non, semble dire l'écrivain. Il cite Homère et Ulysse : "Le gigantesque balai invisible qui transforme, défigure, efface des paysages est au travail depuis des millénaires, mais ses mouvements jadis lents, à peine perceptibles, se sont tellement accélérés que je me demande : l'Odyssée aujourd'hui serait-elle concevable ? L'épopée du retour appartient-elle encore à notre époque ?". L'écrivain revient sur son expérience de la chute du communisme en utilisant Irena et Josef, ses doubles romanesques. Plus rien ne retient Irena qui propose à Josef de partir vers un ailleurs inconnu mais celui-ci préfère rejoindre le Danemark. L'illusion d'un retour édénique s'avère une expérience amère et Milan Kundera rappelle qu'il est impossible de refaire sa vie dans une Tchéquie méconnaissable. Prague devient aussi le troisième personnage du roman avec sa masse de touristes, son mercantilisme capitaliste et sa perte d'authenticité. Le passage sur la récupération "kafkakienne" mérite le détour. La nostalgie (du grec ancien nostos et algos) signifie la souffrance du retour. Ce sentiment peut se ressentir pour sa terre natale, un amour ancien, un enfant perdu, etc. Lire et relire Milan Kundera procurent un bonheur de lecture sans cesse renouvelé. Un écrivain français incontournable !