lundi 22 décembre 2014

"Le vrai lieu"

Il est toujours intéressant de découvrir les entretiens que les écrivains accordent à des journalistes. C'est pour ces raisons que je lis régulièrement la presse littéraire. Je viens de finir "Le vrai lieu" d'Annie Ernaux, édité chez Gallimard en 2014. Michelle Porte avait filmé cette écrivaine dans sa maison, dans sa ville à Cergy et dans sa région natale en Normandie. La réalisatrice nous a offert aussi des documentaires passionnants sur Virginia Woolf et sur Marguerite Duras. Dans cet ouvrage, Annie Ernaux évoque son enfance, sa vie d'adulte, de professeur de français, sa formation littéraire, ses liens familiaux surtout avec ses parents, car son œuvre se nourrit de ses expériences personnelles. Elle ne peut écrire que dans sa maison qu'elle habite depuis 1977 et elle a besoin de la "couleur du silence ici" pour composer ses textes. Elle apprécie particulièrement son jardin pour "sentir le passage des saisons, à voir les premières perce-neige, la première jonquille". Elle raconte sa ville, sans caractère particulier mais qui bouge sans cesse avec ses nombreux brassages de population. Son enfance à Yvetot révèle une personnalité solitaire et déjà très attirée par les livres. Le café-épicerie de ses parents, fréquenté par des gens modestes, l'amène à réfléchir sur les différences sociales qu'elle remarque très tôt. Elle se sentira "déplacée" quand elle deviendra professeur, vivant cette promotion comme une trahison de "classe". Elle écrit à la page 27 : "Cette accession au savoir s'accompagne d'une séparation. Au fond, je ne m'y résous pas, à cette séparation, c'est peut-être pour ça que j'écris." Annie Ernaux raconte avec une émotion discrète cette déchirure, fondatrice de son écriture. Elle rend un hommage à sa mère, figure autoritaire et caractérielle qui a initié sa fille à la lecture, initiation essentielle pour une future écrivaine. Ce livre d'entretiens apporte un éclairage nouveau sur des éléments biographiques que l'on retrouve dans ses romans. J'ai lu toute l'œuvre d'Annie Ernaux et je recommande en priorité "La place" sur le sentiment de décalage social et "Les Années", son meilleur ouvrage pour moi...Une formidable écrivaine à lire, à relire ou à découvrir d'urgence.