mercredi 15 août 2018

"Traversées"

Cet été, j'ai pris une grande décision : relire les classiques. Je les ai abandonnés depuis trop longtemps car les nouveautés avaient gagné la partie. Libraire, je devais lire tous les romans nouveaux pour les recommander à mes clients et bibliothécaire pendant vingt six ans, je devais aussi privilégier les parutions afin de les conseiller. Lire les auteurs contemporains me semble toujours une expérience fondamentale pour comprendre son temps. En fait, j'ai dévoré les classiques entre mes quinze et vingt cinq ans : dix ans consacrés à la découverte de la littérature française au lycée et surtout à l'université pendant mes études littéraires. Au programme : Balzac, Flaubert, Stendhal, Zola, Victor Hugo. Puis, j'ai ensuite "attaqué" le XXe et là, je suis devenue adepte de Proust, de Roger Martin du Gard sans oublier Giono, Gracq, Beauvoir et tant d'autres… Mais, une de mes plus grands découvertes littéraires restera l'immense et bouleversante Virginia Woolf. J'avais commencé par "Une chambre à soi", "Trois guinées", "Mrs Dalloway", "Au phare", "Orlando". Dans les années 70, mes années féministes, Virginia Woolf symbolisait la création féminine, l'indépendance, une écriture unique, un regard sur la vie, tissé de multiples sensations. Comme je possède les deux tomes de la Pléaide, j'ai décidé enfin de les ouvrir au lieu de les abandonner sur une étagère de ma bibliothèque. Quand j'ai ouvert dans les années 70, "La Traversée des apparences", j'avais beaucoup aimé le roman. Aujourd'hui, le traducteur Jacques Aubert a choisi un titre raccourci, "Traversées". Ce premier roman de Virginia Woolf a été publié en 1915 et j'avais l'impression de le lire pour la première fois. Rachel, jeune anglaise célibataire, accompagne sa tante Helen dans un voyage en Amérique australe afin de fuir le climat néfaste de Londres. Cette "traversée" est une promesse de bonheur pour la jeune femme car elle tombe amoureuse d'un jeune homme charmant, Terence. Ces Anglais privilégiés (une soixantaine) recréent à l'identique leur mode de vie dans cette île entre le tennis, les tea time, les soirées dansantes. Lors d'une excursion, Rachel et Terence s'isolent du groupe et s'avouent leur amour mutuel. Mais, dans un roman woolfien, la vie heureuse ne dure pas longtemps. Rachel contracte une fièvre qui la tuera. Le bonheur court et intense de cette relation amoureuse se termine en tragédie. J'ai retrouvé dans ce texte l'humour ravageur de l'écrivaine anglaise, les dialogues aiguisés de ses personnages parfois snobs, parfois pitoyables, tous mêlés les uns aux autres avec une maladresse réelle et une impossibilité de communiquer. Comme le disait Milan Kundera (un contemporain essentiel pour moi), "Personne n'écoute personne"... Dans cette comédie humaine à l'anglaise sous influence proustienne, seuls, Rachel et Terence conservent leur innocence et dérangent le groupe avec cet amour pur et impossible. Je ne pouvais pas passer mon été sans me retrouver en compagnie de ma très belle Virginia…