samedi 26 septembre 2020

"Nature humaine"

 J'ai découvert Serge Joncour avec son très bon roman "Chien-loup", publié en 2019. Le revoilà dans cette rentrée littéraire avec "Nature humaine". Le romancier décrit une France rurale, des années 76 jusqu'à l'an 2000. La famille Chabrier, des paysans du Lot, vit dans la vallée de la Rauze à une vingtaine de kilomètres de Cahors. Les grands-parents habitent dans un petit pavillon dans la vallée, les parents tiennent la ferme avec l'aide de leur fils, Alexandre, qui va prendre la suite. Les deux sœurs n'ont qu'un rêve : fuir la compagne et rejoindre les grandes villes. Le fils aîné rencontre une jeune Allemande de l'Est qui est la colocataire de sa sœur, partie faire ses études de lettres à Toulouse. Il tombe fou amoureux de cette jeune femme avec qui il va vivre une histoire intermittente pendant des années. Cette fréquentation amoureuse l'entraîne aussi dans un groupe d'activistes politiques antinucléaires d'extrême gauche. Ils ont besoin d'un engrais, l'ammonitrate, pour préparer des explosifs. Alexandre, jeune homme naïf et indulgent, se laisse influencer et donne ce produit courant dans les fermes. Le jeune homme se heurte aussi à la modernisation de l'agriculture avec les normes, la construction de bâtiments pour le rendement, l'élevage intensif, les dettes, la transformation de sa ferme en "usine à vaches". Il se débat entre ses soucis d'agriculteur et un amour impossible avec la jeune Allemande. Celle-ci ne veut pas s'installer ni dans la vie, ni dans un couple. Elle part vivre en Inde en militant pour l'agriculture biologique. Alexandre finira par trouver une compagne plus accessible mais sans passion particulière. Il survit dans un territoire enclavé, comme il le ressent lui-même. L'époque était marquée par les scandales des hormones, de la vache folle, des pesticides. Serge Joncour raconte avec son talent habituel et sans nostalgie une France des années 80 avec l'effondrement du monde rural, condamné à une modernité déshumanisée. Il traite aussi de l'éclatement des familles, de l'exode rural, du militantisme révolutionnaire, du réchauffement climatique. Une France en mutation avec ses hypermarchés, ses viaducs, ses autoroutes, ses cafétérias : une société de consommation irréversible. Le roman se termine avec la tempête du siècle en 1999, quand des millions d'arbres ont été déracinés comme un symbole d'un monde perdu et achevé. Au-delà de cette fiction bien ficelée, Serge Joncour évoque un société en décomposition, des destins contrariés par la tyrannie économique. Il rend hommage à tous ces ruraux qui choisissent de rester dans leur ferme, fidèles à leurs traditions et les pieds bien appuyés sur leur terre. Serge Joncour avec son regard acéré nous offre un des meilleurs romans de cette rentrée littéraire.