mardi 28 février 2017

"Un saint homme"

Anne Wiazemsky a tissé une œuvre d'une délicatesse toute "mauracienne", (son grand-père n'est autre que François Mauriac) et autofictionnelle car elle s'est souvent inspirée de la vie de ses proches (ses parents, son ex-mari célèbre, Jean-Luc Godard, Bresson). A ses portraits intimes, elle ajoute "Le saint homme", un prêtre qu'elle a rencontré dans son enfance. Cet homme discret, simple et modeste est le premier lecteur des textes de l'écrivaine. Il l'a toujours encouragée à poursuivre cette voie particulière. Malgré son statut d'homme religieux, une amitié profonde va les lier malgré les vicissitudes et les éloignements que la vie impose. Le père Deau vit près de Bordeaux, le fief des Mauriac. Car Anne Wiazemsky détient un héritage inestimable : l'amour de la littérature. Elle évoque la propriété familiale, Malagar, que ses parents ont confiée à l'Etat pour la transformer en maison d'écrivain. La relation amicale entre le Père Deau et l'écrivaine est née au Venezuela, terre d'accueil de ses parents. Le Père Deau enseignait le français et le latin dans le collège des frères de Chavannes à Caracas et sa mission s'est terminée quand Anne, son élève, avait quinze ans. Ce lien singulier et distendu a duré des décennies malgré leur éloignement géographique. A chaque étape de la vie privée et de la vie littéraire de l'écrivain, le Père Deau se manifeste avec discrétion et cette présence à la fois légère et fondamentale lui apporte un réconfort salutaire et une bienveillance douce. Leur amitié se nourrit d'une longue correspondance, entrecoupée de visites ponctuelles, surtout à l'occasion des publications de l'écrivaine. Il faut parfois un déclic pour se lancer dans l'écriture et Anne Wiazemsky a assumé cette vocation avec son héritage familial et avec son amitié singulière avec cet homme d'église si ouvert au monde profane de la littérature. Ce beau témoignage sur une relation entre un "croyant" et une "athée" m'a donné envie de redécouvrir le monde nostalgique d'une écrivaine française, héritière d'une tradition littéraire, imprégnée de clarté, d'élégance et de pudeur. Cet hommage amical se lit avec plaisir et curiosité...

lundi 27 février 2017

"14 juillet"

Dans le jeudi des livres, j'ai découvert Eric Vuillard et son "14 juillet", publié dans la belle collection "Un endroit où aller" chez Actes Sud. Nos rencontres mensuelles autour de la littérature permettent l'échange et le partage amical provoquant des découvertes inattendues et imprévisibles. Le roman, "14 juillet" évoque un des événements les plus importants de l'histoire de France : la Prise de la Bastille en 1789. Cette date fétiche, ce séisme historique marquent la naissance de la République et de la démocratie. L'auteur déclare dans un article de la revue Page son projet : "En 1789, il n'y a pas de héros. Les héros, c'est le peuple en entier. Or il est peut-être plus curieux et plus difficile pour la littérature de parler d'une collectivité, d'une foule, de quelques personnages." Eric Vuillard s'est inspiré de Michelet, des archives et des témoignages saisissants des protagonistes de l'événement. Cette nuit-là, quatre-vingt dix huit morts ont été déclarés (j'imaginais beaucoup plus...) et le roman évoque ces morts comme des hommes et non comme des chiffres froids et indifférents. Son défi littéraire relève de l'incarnation d'un fait historique intellectualisé par les livres d'histoire. Des personnages, "incarnés" dans des métiers oubliés, se retrouvent dans cette journée avec la révolte chevillée au corps. Le petit peuple misérable de Paris se bat avec bravoure et ne s'imaginait pas vivre la Révolution française. L'anonymat rendait invisible cette foule d'hommes et de femmes et le romancier leur donne enfin une voix, un corps, une espérance. J'ai surtout apprécié dans cette épopée historique le style précis, précieux, original : "De toutes parts, la ville abonde, ruisselle. On se cache des coups de feu. (...) La Bastille est enveloppée par l'humanité. Mais ce ne sont pas les hordes débonnaires qui vont au champ de foire et s'en reviennent ; c'est une multitude armée de piques, de broches, de sabres rouillés, de fourches, de vieux canifs, de mauvais fusils, de pilum et de tournevis. Les armes étincellent, dans un brouhaha extravagant, confusion de voix et de cris." Ce livre singulier souffle un air révolutionnaire venu tout droit de 1789 et rend un hommage puissant aux anonymes modestes et invisibles de l'Histoire de France. Un roman halluciné, historiquement vrai et diablement romanesque...

jeudi 23 février 2017

Escapade à Bilbao, 2

Je ne veux pas terminer l'évocation du musée Guggenheim sans parler d'un tableau que j'ai vu dans une salle consacrée à Anselm Kiefer. J'avais découvert cet immense artiste allemand à Berlin et à Vienne. Et quand, je suis entrée dans cette rotonde, j'ai été saisie d'admiration pour ses trois tableaux gigantesques : "Les tournesols" (7m sur 7), "The land of two rivers" (10m sur 6m) et "Les ordres de la nuit" (8,5m sur 6). La démesure des toiles, leur gigantisme procurent un sentiment d'espace, de profondeur et j'avais envie de pousser une porte invisible dans la toile pour me rapprocher de l'artiste afin de comprendre ses intentions artistiques. Un tableau m'a littéralement impressionnée car l'homme nu, étendu sur la terre, observant un ciel étoilé symbolise notre solitude extrême et fondamentale face au mystère de l'univers, au sens de la vie et au vertige du temps. Le très beau titre, "Les ordres de la nuit", pose la question métaphysique de notre présence au monde. Ce tableau m'a rappelé une phrase de Kant : "Le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale au fond de mon cœur". Un grand moment de contemplation et d'admiration pour l'art d'Anselm Kiefer. Bilbao semble vraiment agréable à vivre, car, entre son centre ancien et le Guggenheim, j'ai pris le tramway qui traverse la ville avec un silence remarquable. J'ai arpenté les rues du centre ancien, remplies de commerces divers qui ont souvent disparu en France (drogueries, épiceries, bars en quantité, restaurants). On ressent une vie vibrante car les Basques comme les Espagnols adorent déambuler dans les rues (le paseo) et se restaurer de "pintxos" dans les nombreux bistrots autour de la place principale. J'ai visité deux belles églises et le musée archéologique où les objets de la Préhistoire sont très biens présentés. Un groupe de scolaires écoutait religieusement une animatrice qui leur parlait en basque... La Biscaye a même accueilli des Romains car les archéologues ont retrouvé des traces de leur passage. Je me sens toujours chez moi dans cette cité portuaire car n'oublions pas que le Pays basque s'étend de Biarritz à Bilbao en passant par Donosti (San Sébastian). L'art a transfiguré cette cité industrielle, peu attrayante dans les années 70 et lui a donné un charme incontestable...

mercredi 22 février 2017

Escapade à Bilbao, 1

Quand je retourne dans mon beau Pays Basque, je me renseigne sur le programme du Musée Guggenheim de Bilbao. En remarquant la mise en place de deux expositions nouvelles, j'ai pris le chemin du musée, à une heure et demie de Biarritz. En 1997, ce musée contemporain, situé sur la boucle du fleuve Nervion, est une création architecturale de Frank Gehry. Dès que l'on s'approche du site "titanesque", ce monument "déconstructiviste" de pierre, de verre et de titane avec ses formes arrondies, ondulantes, provoque le regard et attire une curiosité toujours renouvelée.  Le musée est devenu un des bâtiments contemporains les plus connus et appréciés au monde, transformant la ville basque à la réputation industrielle, en centre culturel majeur en Espagne. L'art se manifeste déjà sur les abords du musée avec l'araignée géante "Mother" de Louise Bourgeois (1999), ou bien encore le chien géant Puppy habillé de fleurs, œuvre de l'artiste Jeff Koons (1992) situé à l'entrée. "L'Arc rouge" de Daniel Buren frappe aussi l'imagination des visiteurs. J'ai passé une grande partie de l'après-midi à découvrir l'impressionnante exposition sur l'expressionnisme abstrait avec des toiles géantes de Pollock, Motherwell, Rauschenberg, De Kooning, Rothko, Mitchell. Cette peinture contemporaine peut entraîner la méfiance et l'incompréhension des visiteurs, mais, pour éprouver une émotion esthétique, il vaut faire un détour documentaire sur tous les peintres américains exposés. Ensuite, l'œil scrute avec intérêt les couleurs, les formes et les surfaces pour interpréter les tableaux en toute liberté en oubliant les références contextuelles des oeuvres d'art. J'avais déjà vu dans d'autres musées quelques œuvres éparpillées mais le grand mérite de l'exposition consiste à regrouper tous ces artistes dans ce lieu unique. La deuxième exposition concerne la collection Rupf, un mécène suisse, le premier acheteur de Picasso, Braque, Gris, Derain, Léger, Kandisky, etc. Cette très belle collection est installée au Musée des Beaux Arts de Berne. C'était donc une belle opportunité d'admirer des toiles aussi différentes du cubisme à l'expressionnisme abstrait. Comme j'aime beaucoup Braque et Juan Gris, j'étais heureuse de revoir ces artistes. Le Guggenheim de Bilbao m'a toujours réservée des belles rencontres...

vendredi 17 février 2017

Jeudi des Livres, 5

Dans le groupe de lectrices, quelques titres de J.-B. Pontalis ont été lus et toujours appréciés. Je ne vais pas les résumer car il est impossible de cerner avec précision cette pensée chatoyante, ces textes proches du rêve éveillé. Je vais quand même conseiller quatre ouvrages qui me paraissent emblématiques de l'univers "pontalisien". Dans chaque ouvrage, l'écrivain-psychanalyste traite d'un thème majeur qu'il interprète tel un grand pianiste avec des variations, allant de l'humour à la dérision, de la mélancolie à la gravité, du doute au nihilisme. "Le songe de Monomotapa" aborde le thème de l'amitié avec un constat sceptique sur l'amour, passion périssable alors que l'amitié peut durer toute une vie. Mais, il avoue qu'il est difficile de rencontrer l'ami "idéal" comme Montaigne avec La Boétie.  Dans "Frère du précédent", J.-B. Pontalis analyse la relation fondamentale des frères (et non des sœurs) en partant de Caïn et d'Abel et il avoue que son propre frère lui a voué une haine incompréhensible et douloureuse. Ses confidences personnelles affleurent parfois certains textes tissant une forme d'autobiographie éclatée. "Dans "Le dormeur éveillé", publié en 2004,  l'écrivain nous embarque dans ses rêveries : "Ce livre-ci n'aura été qu'une navigation sans but et sans boussole, qu'une promenade rêveuse". Il évoque avec émotion cet "'enfant au regard perdu" devant la mer, un événement cocasse avec ses parents, une visite à Arezzo pour admirer les fresques de Piero della Francesca dont ce soldat songeur près de l'empereur, suscitant l'imagination rêveuse. "Marée basse, marée haute" est pour moi le livre le plus touchant car J.-B. Pontalis l'a écrit avant de mourir : "Je me dis que ces coquillages, ces coques, ces palourdes, ces moules en grappes, ces bouts de bois rongés par le sel marin, ces morceaux de corde tombés d'un bateau de pêche, figurent ce qui est déposé dans ma mémoire : de petits restes, comme ils me sont précieux ! Qui seront tout à l'heure recouverts par la marée haute mais qui réapparaîtront, ceux-là ou d'autres, quand la mer de nouveau se retirera. Marée basse, marée haute, cette alternance est à l'image de ma vie, de toute vie peut-être. La vie s'éloigne, mais elle revient". Ce très beau texte résume à lui seul l'œuvre de cet écrivain-psychanalyste et je ne passe pas une année sans ouvrir un de ses ouvrages. Je terminerai l'évocation de J.-B. Pontalis avec cette phrase extraite de "L'amour des commencements" : "Tant qu'il y aura des livres, personne, jamais, n'aura le dernier mot"...

mardi 14 février 2017

Jeudi des Livres, 4

Les titres des ouvrages de J.-B. Pontalis évoquent les thèmes majeurs de son œuvre littéraire  imprégnée de psychanalyse : "Perdre de vue", "Ce temps qui ne passe pas", "Fenêtres", "Traversée des ombres", "Un jour, le crime", etc. De "Loin" (1980) à "Marée basse, marée haute" (2013), quinze textes "hybrides" s'intercalent et forment un ensemble cohérent. Toutes ces livres sont publiés dans la collection Folio. J'ai profité de la rencontre pour relire, crayon à la main :  "En marge des jours", "Le dormeur éveillé", "Le songe de Monomotapa", "Marée basse, marée haute". Et, pour compléter mes lectures, j'ai découvert un essai formidable sur l'écrivain : "Le royaume intermédiaire, Psychanalyse, littérature, autour de J.-B. Pontalis", publié dans la collection Folio essais. Ces contributions sont issues d'un colloque à Cerisy où poètes, romanciers, psychanalystes se rencontrèrent en 2006, une semaine durant, pour évoquer l'œuvre de J.-B. Pontalis et son influence sur eux. J'ai remarqué que nous étions toutes sensibles à son style clair, cristallin et simple sans jargon psychanalytique car il "s'adresse au lecteur comme à un ami inconnu". Ecriture de l'amitié, écriture de l'intime, l'écrivain établit un contact direct avec son interlocuteur dans un chuchotement discret et authentique :  "Ecrire pour soi, de soi, avec soi-même devient, par une mystérieuse opération intérieure, écrire pour l'autre". En bon psychanalyste, l'écrivain s'empare de nombreuses anecdotes qu'il a certainement entendues dans son cabinet et tous ces opus ressemblent à des carnets de notes prises sur le vif et retranscrites ensuite dans un langue littéraire élégante avec une interrogation, une question, un commentaire en fin de chapitre comme une conclusion suggestive. D'autant plus que le comportement des protagonistes relèvent souvent de l'inconscient selon Freud : "L'obscur, l'étrange, la zone d'ombre habitent l'écriture de J.-B. Pontalis". J'ai essayé d'évoquer la méthode intuitive, rêveuse, allégorique des textes de cet écrivain singulier, dont le talent essentiel consiste à nous avouer cette vérité complexe : "Etre toujours le même et l'autre, se quitter soi-même pour devenir un autre, aller de l'un à l'autre"...

lundi 13 février 2017

Jeudi des Livres, 3

Je m'attendais à des commentaires mitigés concernant Jean-Bertrand Pontalis. J'imaginais que certaines lectrices, peu attirées par la psychanalyse, ouvriraient un de ses livres en se disant que l'univers de Pontalis leur était étrange, peu familier, même un peu complexe. Tous mes doutes se sont envolés dès que nous avons démarré la rencontre autour de l'écrivain. j'avoue même que leur "devoir de lecture" s'est transformé en "plaisir de lecture". Chacune a pris la parole pour exprimer surprise et étonnement devant ces textes fragmentaires, mêlant faits divers anodins et anecdotes, issues de sa pratique de psychanalyste, sans oublier les remarques psychologiques, morales et philosophiques en fin de chapitre. Mais, après réflexion et relecture, cet écrivain leur a révélé des vérités sur l'intime, sur la vie, sur l'amour, sur le temps qui passe, sur les relations familiales, sur le destin. J.B. Pontalis nous tend un miroir dans lequel ses lecteurs se retrouvent, s'interrogent, se découvrent, se cherchent, se perdent, se mettent à rêver. A chaque ouvrage résumé, toutes ont eu envie de lire des extraits à voix haute et nous nous écoutions dans le silence. J'étais heureuse de partager mon  amitié littéraire pour cet écrivain singulier, modeste et tellement bienveillant sans naïveté et mièvrerie. Comme "Jibé" (son surnom chez Gallimard) était peu connu des lectrices, j'aborde quelques éléments de sa biographie : ce "grand monsieur"  est né en 1924 à Paris, dans une famille de la haute bourgeoisie (il est le neveu du constructeur Renault). En 1945, il obtient un diplôme de philosophie à la Sorbonne. Puis, il participe à la revue des Temps Modernes et devient l'ami de Sartre. Dans les années 60 et après des expériences professorales, il quitte l'enseignement et se lance dans le monde de la psychanalyse (il fera une analyse avec Lacan). Il publie le celèbre "Vocabulaire de la psychanalyse" et crée la "Nouvelle Revue de Psychanalyse". En 1979, il intègre le comité de lectures des éditions Gallimard où il dirige une collection très originale, "L'Un et l'Autre". Il commence à écrire ses ouvrages, mêlant la littérature et la psychanalyse. En 2006, il reçoit le prix Médicis pour "Frères du précédent" et en 2011, le Prix de l'Académie Française pour l'ensemble de son oeuvre. Il meurt le 15 janvier 2013, le jour de son anniversaire...

vendredi 10 février 2017

Jeudi des Livres, 2

Je poursuis le compte-rendu avec Janine et je me suis réjouie qu'elle ait choisi Elena Ferrante. La grande dame mystérieuse de notre belle Italie, qui serait une traductrice, vivant à Rome, a composé une fresque sociale et psychologique de quelques familles de Naples avec un regard attachant sur deux amies d'enfance qui s'aiment, se jalousent, se fâchent et se réconcilient avec une passion toute napolitaine, digne d'un opéra baroque. Les deux premiers tomes sont publiés dans la collection Folio et le troisième tome vient de paraître en janvier chez Gallimard. J'avais beaucoup aimé cette saga et je l'ai souvent évoquée dans ce blog. J'ai conseillé à toutes celles qui n'avaient pas encore découvert Elena Ferrante de se précipiter en librairie dès la fin de la réunion pour acquérir les deux titres en poche ! Quel bonheur de lecture ! C'est assez rare de savourer à ce point ce monde reconstitué, de se plonger dans les années 60 pour retrouver toutes les saveurs, toutes les couleurs, toutes les odeurs de l'Italie... Dany a présenté un roman de Jo Baker, "Une saison à Longbourn". La romancière a composé son livre en reprenant les protagonistes de l'emblématique classique anglais, "Orgueil et préjugés" de Jane Austen. Mais, ces personnages dont elle conte l'histoire sont les domestiques du domaine avec l'intendante chef, son mari, ses enfants et leurs rêves d'échapper à leur condition sociale. Un régal, selon Dany, avec une ambiance que l'on ressent dans la série anglaise, "Downtown Abbey". Geneviève a choisi un essai de Michel Onfray, "Esthétique du Pôle Nord", publié chez Grasset en 2002. Ce livre tient une place particulière dans son œuvre abondante. Il dresse un portrait très émouvant de son père, ancien ouvrier agricole,  qui l'a accompagné dans ce voyage au bout du monde, le Pôle Nord.  Le philosophe évoque avec poésie, le temps dans toutes ses dimensions : géologique, climatique, spatial, vital, figé, dissimulé, allogène, volé, épuisé... Ce bel ouvrage, illustré de photographies, rend hommage à ce père modeste et merveilleux sans oublier le peuple des Inuits et les paysages grandioses de ce lieu invivable...

jeudi 9 février 2017

Jeudi des Livres, 1

Aujourd'hui, le jeudi des livres de février a tenu toutes ses promesses. J'avais choisi d'évoquer un de mes écrivains fétiches : Jean-Bertrand Pontalis, psychanalyste de métier et médiateur singulier entre l'écriture et la science freudienne. Je consacrerai quelques billets sur lui la semaine prochaine. Je préfère rendre compte des coups de cœur de mes amies lectrices. Régine a démarré avec un roman de Pierrette Fleutiaux, "Destiny", publié chez Actes Sud en 2016. Une sexagénaire "BCBG" rencontre dans le métro, une femme réfugiée du Nigéria, Destiny. Elle lui vient en aide car la jeune femme est enceinte et complétement démunie. Elle a traversé le désert, la mer, a subi des violences et se retrouve échouée à Paris. Entre ces deux femmes, un lien fragile se tisse malgré les difficultés de communication, issues de leurs vies totalement différentes. Un beau coup de cœur qui dérange... Régine nous a présenté un roman de la romancière espagnole, Rosa Montero, "La chair", ou l'histoire d'une femme trompée par un mari qui préfère une femme plus jeune. Elle se venge avec en liant à un "gigolo", mais Régine a préféré les réflexions de Rosa Montero sur le vieillissement physique du corps et sur la jeunesse de l'esprit. Mylène a choisi un roman historique, "14 juillet" d'Eric Vuillard, une fresque humaine sur la prise de la Bastille en 1789. Les gens du peuple se retrouvent dans une révolution qui va les broyer eux-mêmes. Ce roman flamboyant sur le rôle des "gens de peu", aux multiples petits métiers de Paris, a conquis Mylène qui a aussi évoqué le style baroque de l'écrivain. J'ai noté cette phrase d'Eric Vuillard : "Les barrières brûlaient. Ce qui brûle projette sur ce qui nous entoure un je-ne-sais-quoi de fascinant. On danse autour du monde qui se renverse, le regard se perd dans le feu. Nous sommes de la paille." Comment survivre après une Révolution ? La réponse se trouve peut-être dans ce livre... Mylène a lu un classique de la littérature russe, "Le Docteur Jivago", publié en 1957. Boris Pasternak obtiendra le Prix Nobel l'année suivante. On se souvient du beau film tiré du roman avec le beau Omar Sharif, mais il vaut mieux revenir au texte, très riche, "extraordinaire" nous a dit Mylène... Pourquoi pas se lancer dans une épopée sentimentale et politique dans la Russie des années 20 aux années 40 ? Nous oublions trop souvent les grands classiques de la littérature mondiale. Mylène nous a donné envie de le relire ou de le découvrir... La suite des coups de cœur, demain.

mercredi 8 février 2017

Les 40 ans de Beaubourg

Cette semaine, Paris fête les quarante ans d'une institution emblématique de la modernité : le Centre Pompidou, baptisé aussi Beaubourg ou BPI. Je suis "montée" à Paris en 1981 et cet anniversaire m'a replongée dans mon passé de "provinciale", attirée par la magie de notre capitale et à cette époque-là, la culture ne pouvait que se vivre pleinement qu'à Paris. Le pays ne s'était pas encore doté de grandes médiathèques, de musées rénovées, de librairies fascinantes. Je désirais respirer l'air du large culturel en accostant sur les rives de la Seine. Quand j'ai vu pour la première fois ce vaisseau industriel, réalisé avec des tuyaux bleus pour l'air, jaunes pour l'électricité, verts pour l'eau, rouges pour les ascenseurs, des façades en verre, j'ai été frappée par l'audace folle de cette architecture et même si certains esprits chagrins l'ont surnommé "raffinerie, méccano, bidule affreux", Beaubourg a tout de suite attiré des millions de visiteurs. Dès que je suis rentrée à l'intérieur, j'ai adoré le musée national d'Art moderne où j'ai commencé à vraiment aimer la peinture moderne et contemporain. Mais,  j'ai admiré tout de suite l'immense espace de la bibliothèque, avec un fonds de centaines de milliers de livres que l'on pouvait consulter sur place et en toute liberté sans être muni d'une carte de lecteur. Une révolution à l'époque pour la lecture ! Je me souviens d'avoir passé quelques après-midi dans ce lieu, bondé de jeunes et de moins jeunes aussi, un brassage d'étudiants, de curieux, de fouineurs heureux. Plus de vingt mille visiteurs par jour défilaient dans les escalators du centre, alors que le personnel en attendait cinq mille. Musée, bibliothèque, musique (IRCAM), Design, Grandes expositions, tous ces offres culturelles sont à la disposition du public en toute liberté. Dans un séjour à Paris en 2013, j'ai repris le chemin de Beaubourg pour revoir une toile de Vieira da Silva que je n'ai pas retrouvée, les conservateurs ayant choisi de la mettre dans la réserve... Le Centre avait perdu un peu de sa magie car je ne le voyais plus avec mes yeux de trentenaire... Mon esprit critique pointait des défauts : trop de monde, une offre saturée d'événements, des touristes attirés par la vue sur Paris plus que par la culture... Le temps nous change, transforme nos goûts et je pensais à Héraclite avec sa sentence célèbre : "Tout coule, tout change"... Le Centre Pompidou reste malgré tout une des institutions les plus visitées de Paris après la Tour Eiffel. Son hyper-modernité hybride correspond bien à l'air du temps. Et j'y retournerai un jour prochain ! Peut-être que ma Vieira da Silva sera de nouveau sur un mur du musée...

mardi 7 février 2017

Rubrique cinéma

"Jackie", film franco-américain-chilien du réalisateur Pablo Larrain, nous plonge dans un drame sans pathos et sans effet spectaculaire. Le 22 novembre 1963, John F. Kennedy a été assassiné à Dallas dans sa voiture, auprès de sa femme Jackie. A cette époque, j'avais une dizaine d'années et je me souviens encore de la scène quand ma mère est venue m'annoncer cette nouvelle incroyable : le président américain vient d'être assassiné... Pourtant, les événements politiques ne marquent pas les enfants et dans les années 60, la télévision ne diffusait pas de programme d'infos sans interruption. Les téléphones n'envoyaient pas d'alertes et chacun pouvait vaquer à ses occupations (école, loisirs, repas de famille) sans se noyer dans le flux constant des "nouvelles"... Le Moyen Age, pour les jeunes d'aujourd'hui ! Ce film raconte les quatre jours après la mort du président. Jackie reçoit un journaliste une semaine après la cérémonie funèbre. A partir de ce dialogue, les images du passé reviennent en boucle : la veille de l'assassinat, l'attentat sanglant dans la voiture, la sidération de Jackie, sa dignité, le retour en avion avec le cercueil, le rôle essentiel de son beau-frère, Bob Kennedy. Jackie protège ses enfants sans leur épargner la vérité. Cette femme avait compris l'importance des images et des symboles. Nous la voyons déambuler dans la Maison Blanche qu'elle voulait rénover en respectant le passé des présidents antérieurs. Elle organise les funérailles de son mari en exigeant la présence de ses enfants et la marche derrière le cercueil. Ce film rappelle l'aspect théâtral du monde politique et la tragédie des Kennedy a marqué l'Histoire. Nathalie Portman joue à la perfection le rôle de Jackie, femme forte et fragile, déterminée et flottante, amoureuse d'un mari pourtant volage. Ce film évoque la naissance d'une légende, une légende née dans l'esprit de Jackie, peut-être la seule et unique témoin d'un drame inoubliable... 

lundi 6 février 2017

"Comment marchent les philosophes"

Roger-Pol Droit "vulgarise" depuis longtemps la philosophie. Le verbe "vulgariser" porte en lui une ambiguïté négative mais, la philosophie n'a rien de commun avec la vulgarité. Les purs esprits philosophiques ont parfois tendance à réserver pour eux-mêmes le monde des idées. Mais, avant de lire directement les grands philosophes dans leurs textes parfois difficiles à lire, il est préférable de prendre des chemins de traverse pour approcher à petits pas ce monde abstrait. L'ouvrage, "Comment marchent les philosophes", raconte à travers 27 chapitres courts, le rôle de la marche dans la vie des philosophes. D'Aristote dans son gymnase du Lycée à Kant dans sa promenade quotidienne à Königsberg, de Rousseau traversant la France à Nietzsche cheminant sur les crêtes de Sils-Maria, ces hommes (pas de femmes, comme d'habitude), pensent en marchant ou marchent en pensant... Roger-Pol Droit définit la marche ainsi : "Ce retour à la marche longue nous réinsère dans la nature, dans la lenteur de la progression corporelle, dans l'endurance des muscles et du souffle. Cette marche nous réintègre dans le paysage, nous fait prendre conscience concrètement des reliefs, des distances, des sols. Elle nous rend aux rythmes anciens, profonds, cosmiques, à la fatigue des déplacements, à la récompense des panoramas." L'auteur relie la marche à la pensée dans un même mouvement de "chutes et redressements permanents". Pour illustrer la démarche, (dé-marche), Roger-Pol Droit invite le lecteur(trice) à visiter une galerie de marcheurs philosophiques et à chaque portrait, il distille des informations très claires sur la pensée antique et sur les Modernes. L'auteur n'oublie pas les marcheurs d'Orient avec Bouddha, Confucius et d'autres moins connus. Ce livre-déambulation ouvre des fenêtres sur le monde de la philosophie et cette invitation à une promenade qui part du fond des âges à aujourd'hui, nous incite à d'autres rebonds dans les textes des philosophes choisis. La lecture ressemble à une marche mentale : de la première page à la dernière, du premier mot au dernier... Cet essai n'a que cette prétention : donner envie aux lecteurs(trices) de reprendre la marche physique et surtout de cheminer dans les textes philosophiques...

vendredi 3 février 2017

"La doublure"

L'été dernier, j'avais lu un très bon roman américain de Meg Wolitzer, "Les Intéressants". Je viens de terminer son dernier ouvrage, "La doublure", paru en janvier 2016. Joan, la narratrice, relate la vie de son couple. Son mari, Jo Castelman, a reçu un prix littéraire honorifique, venu de la Finlande pour couronner son œuvre : "Les critiques avaient toujours admiré le regard qu'il portait sur le mariage américain contemporain, qui semblait sonder la sensibilité féminine aussi profondément que la sensibilité masculine, mais, qualité sidérante, sans venin, sans rancune". Dans l'avion vers Helsinki, Joan prend une décision surprenante. Après quarante ans de mariage, elle décide de le quitter... Mais, elle hésite à lui déclarer cette décision irrévocable. Tout au long de ses pages, la détermination de Joan vacille et avant de franchir cette étape cruciale, elle relate la vie commune de son couple. Ils se sont rencontrés à l'université alors qu'il était professeur, marié et père de famille, et Joan suivait ses cours de littérature dans les années 50. Jo remarque cette jeune étudiante douée pour l'écriture. Ils tombent amoureux et Jo quitte sa femme et son enfant pour fonder un nouveau foyer. Ils s'installent à New York. Joan a trouvé un emploi chez un éditeur et Jo écrit son premier roman. Le succès littéraire comble le nouveau couple et ils mènent une vie newyorkaise intense entre romans et enfants. Cette complicité bien huilée comporte aussi ses trahisons car Jo ne résiste pas à la moindre conquête féminine. Sa femme accepte ses dérives avec dépit et rancœur. Que cache donc ce couple soi-disant idéal, complémentaire, solide ? Meg Wolitzer maintient le suspens jusqu'aux dernières pages et je ne vais pas révéler le secret de Joan. Le mari volage joue le rôle du prédateur, d'un imposteur pitoyable et l'humour ironique grinçant de Meg Wolitzer démolit les prétentions et les illusions que le milieu littéraire fait naître dans la tête de certains auteurs. Une critique salutaire du couple idéal, de l'ambition et un régal de lecture...

jeudi 2 février 2017

Rubrique cinéma

Le film, "La communauté", du réalisateur danois, Thomas Vinterberg, m'a vraiment intéressée. Son côté "vintage" et suranné convient bien à tous les "séniors" comme moi qui ont traversé les années 70 où vivre en communauté appartenait à la panoplie idéologique des "libertaires". Erik, un professeur d'architecture, hérite d'une maison immense. Sa femme, Anna, journaliste de télévision et sa fille, Freja, veulent vivre dans cette maison alors qu'Erik envisage de la vendre sur les conseils de son notaire. Il cède devant l'enthousiasme de sa femme qui lui suggère de partager l'espace avec des amis. Cette folle envie de vivre en communauté correspond bien à l'esprit utopique de l'époque. Pour former ce groupe, ils invitent un ami intime, un couple avec un enfant, un couple sans enfant, un immigré. Ils procèdent par vote et toutes les décisions sont prises de façon collégiale. Une ambiance bon enfant règne car tous pratiquent l'amitié, la bienveillance, la tolérance et partagent une culture "hippie" très prégnante à cette époque. Peace and Love, chantaient les icones du rock... Ils sont tellement en symbiose qu'il est impossible que cette harmonie sociale ne cesse un jour prochain. Mais, un petit grain de sable enraye la machine familiale et amicale. Erik noue une relation amoureuse avec une de ses étudiantes, très attirée par son mentor. Il la cache à sa femme mais finit par lui avouer cette liaison. Et comme ils prônent le partage des tâches et des amours, Erik demande aux membres de la communauté d'intégrer son amante. Ils acceptent avec plaisir la présence de cette jeune femme. Mais, Anna se sent délaissée et commence à comprendre que son mari l'a remplacée. Elle sombre de plus en plus dans la dépression et perturbe le groupe très soudé contre elle. Son état d'épouse trompée dérange et sa fille lui demande de quitter la maison pour s'en sortir seule et sans la communauté... L'aventure communautaire se poursuit sans elle mais le départ sonne le glas de cette expérience qui, malgré de grands moments de solidarité, ne peut pas perdurer dans le temps... Un bon film nostalgique et utopique.

mercredi 1 février 2017

Hommage à Emmanuelle Riva

Je me suis rendue compte que je ne consacrais pas de billet d'hommage à des comédiens(nes), mais je fais une exception pour la merveilleuse Emmanuelle Riva. Elle est partie à 89 ans, rejoindre les dieux querelleurs de l'Olympe et, connaissant leurs goûts pour la comédie et pour la tragédie, ils vont se réjouir d'accueillir cette déesse de l'art théâtral. J'ai regardé sa fiche biographique sur Wikipédia et je retiens de sa vie qu'elle est originaire d'une famille d'immigrés italiens, installée dans les Vosges. Elle était destinée à devenir couturière, mais sa soif de culture et de lectures a changé sa vie. Très jeune, elle fréquente une petite troupe amateur de théâtre. Son talent se manifeste déjà car elle est reçue au concours de l'école de la rue blanche. En 1953, elle obtient une bourse d'études et monte à Paris. Alain Resnais la remarque sur une affiche et la recrute pour le mythique film, "Hiroshima, mon amour". Ensuite, elle jouera un des rôles principaux dans "Léon Morin, prêtre" avec Gérard Depardieu et interprètera "Thérèse Desqueyroux". Cette actrice exigeante va se retirer du cinéma pour se consacrer au théâtre, le grand amour de sa vie. J'ai découvert qu'elle était poète et avait publié quelques recueils dans les années 70. Cette comédienne "littéraire" a toujours préféré s'effacer devant les textes et ne sera jamais "stariséé" comme de nombreuses actrices de sa génération. Sa modestie légendaire, son humilité et sa discrétion appartiennent à sa légende. Son génie théâtral se manifeste à la fin de sa vie dans le film extraordinaire de Michael Haneke, "Amour". Cette histoire d'un couple cultivé, vieillissant ensemble dans un bel appartement parisien, a bouleversé le public cinéphile. Le Festival de Cannes lui offre la palme d'or en 2012. Je n'oublierai pas sa voix, son élégance et sa beauté qu'elle a conservée jusqu'à sa mort. J'ai pensé aussi à Suzanne Flon, une sœur de cœur qui ennoblissait le monde théâtral et le cinéma d'auteur. Emmanuelle Riva est partie mais ses films nous permettent de la retrouver et lui ont donné une présence éternelle...