mardi 27 juin 2017

Atelier lectures, 2

Régine a terminé la séquence des coups de cœur avec un roman très sensible et très émouvant, "Le bleu entre le ciel et la mer" de Susan Abulhawa, publié chez Denoël. En 1947, la famille Baraka doit quitter son village en Palestine. Ils sont exilés à Gaza et l'une des descendantes, Nour, qui vit aux Etats-Unis, décide de suivre son mari, médecin en Palestine. Ce voyage va lui permettre de renouer avec ce passé douloureux en retrouvant sa famille d'origine. Un coup de cœur original, à découvrir cet été. J'ai ensuite démarré le débat sur le roman sulfureux de Michel Houellebecq, "Soumission", paru en livre de poche. J'ai retracé la trame du livre : un universitaire, spécialiste de Huysmans, vit dans une France en proie aux tensions sociales et religieuses. Son regard sur notre monde contemporain semble d'un pessimisme noir dans sa prédiction d'un avenir catastrophique où le pays bascule dans la "soumission" aux lois islamistes. Ce roman n'a pas attiré l'empathie de mes amies lectrices... Bien au contraire, certaines ont souligné le machisme et la misogynie du personnage central. D'autres ont exprimé leur désaccord sur la vision pessimiste et alarmiste de l'écrivain. Cette fable morale et politique a-t-elle gardé son actualité ? Houellebecq se saisit d'un thème contemporain ultra sensible . Il ne faut pas oublier que la parution du livre en 2015 coïncide avec l'attentat de Charlie Hebdo... Cette littérature d'anticipation sociale dérange, bouscule, agace, fâche, mais, ne faut-il pas aussi connaître des écrivains qui sont contraires à nos univers ? La fiction permet ainsi de pénétrer des mondes divers et de les comprendre. Michel Houellebecq crée une fiction romanesque désespérante avec un personnage sans repères et sans idéal, qui mène une vie sexuelle, dénuée de sentiment. Il finit par se convertir par lâcheté, par intérêt et par cynisme. Ce roman dérangeant appartient au registre de la satire sociale où les idées religieuses sont devenues totalitaires. Cet écrivain polémiste n' a pas déclenché l'enthousiasme des lectrices présentes. Mais, la curiosité est un des moteurs de la découverte littéraire et  "Soumission" incarnait ce défi... 

lundi 26 juin 2017

Atelier lectures, 1

Dans la dernière séance de la saison, nous nous sommes donc retrouvées autour d'une grande table du restaurant, O Pervenches, à Chambéry, près des Charmettes. Malgré la canicule que les parasols essayaient d'atténuer, nous avons évoqué les coups de cœur, futures lectures de l'été. Evelyne a tout de suite pris la parole pour recommander avec enthousiasme, les deux romans de Christophe Ono-dit-Biot, "Plonger" (paru chez Folio) et "Croire au merveilleux". L'univers romanesque de cet écrivain comble les attentes de tous ceux qui aiment la passion amoureuse, l'art, les paysages magnifiques, l'océan, l'aventure. Dans la suite, "Croire au merveilleux", l'auteur-narrateur aborde le thème du deuil après avoir perdu sa compagne et il trouve dans la Grèce antique, une possibilité de résilience, une thérapie heureuse. Un très bon choix pour un bonheur de lecture estivale. Mylène a beaucoup apprécié un premier roman, "Farö" de Marie-Christine Boyer. Dans une Scandinavie imaginaire, un homme, retiré du monde, devra sortir de sa solitude grâce à une rencontre fortuite. Un beau récit à lire aussi cet été pour se rafraîchir... Véronique a présenté "Amon. Mon grand-père m'aurait tuée" de Jennifer Teege. Ce témoignage difficile raconte le destin particulier d'une jeune femme allemande qui découvre, à 38 ans, une vérité éprouvante : être la petite fille d'un bourreau nazi. Il faut dire que son père était africain, ce qui aurait fortement hérissé ce grand-père horrible... Danièle aime beaucoup la nature et elle a lu avec un grand intérêt, "La vie secrète des arbres" de Peter Wohlleben. Ce forestier écrivain raconte la sociabilité des arbres, leur solidarité et leur fraternité... Un exemple à suivre pour leurs voisins, les humains. Dany a choisi le beau roman de Philippe Besson, "Les passants de Lisbonne" et un récit de Stéphanie Bodet, "A la verticale de soi". Le premier livre parle d'amour perdu, de crise de couple, de séparation dans une prose musicale. Le second raconte les bienfaits salutaires de l'escalade où "la grimpeuse vit l'ascension comme un acte poétique, une voie d'intrépidité et de sagesse". Marie-Christine a cité Antoine Laurain et son roman charmant, "La femme au carnet rouge". Un libraire se transforme en détective quand il trouve un sac à mains où se cache un petit carnet rouge. Qui est donc cette femme ? La suite des coups de cœur, demain.

vendredi 23 juin 2017

Rencontre autour des livres, bilan

Aujourd'hui, malgré la canicule, nous avons fêté la fin de la saison 2016-2017. J'anime avec un très grand plaisir ce groupe de lectrices depuis quatre ans au sein de la Maison de quartier du centre ville de Chambéry. La formule a changé au fil des années. Quand j'ai démarré, je proposais des coups de cœur dans la première partie de la séance. Ensuite, je choisissais à la Médiathèque un lot d'une dizaine de romans. Chaque lectrice tirait au sort un roman et devait en rendre compte à la séance suivante. Cette "pêche aux livres" a duré deux ans et la contrainte d'aller chercher les livres, de les emprunter et de les récupérer à temps m'a un peu pesée. J'ai donc décidé de me priver des collections de la médiathèque. Et j'ai utilisé les ressources du livre de poche, économique et offrant un choix considérable dans le domaine littéraire. Depuis, j'applique ce mode d'emploi : j'établis une bibliographie sélective et les lectrices achètent ou empruntent les volumes. Pendant cette saison, d'octobre à juin, j'ai organisé huit rencontres autour des livres et de la littérature. Nous étions toujours de 6 à 12 lectrices par séance et même quand nous sommes peu nombreuses, nous prenons le temps d'évoquer les coups de cœur du mois et nous terminons par le thème choisi. Pour mémoire, nous avons lu Pascal Quignard, Virginia Woolf, Pontalis, la littérature scandinave, le thème de l'enfance, Romain Gary et pour terminer la saison, le roman polémique de Michel Houellebecq, "Soumission". J'éprouve un sentiment de gratitude envers "mes lectrices", motivées, disciplinées et très ouvertes à mes propositions parfois périlleuses. Je n'ai qu'un objectif quand j'aborde un écrivain, une thématique, un roman : transmettre ma passion des livres, de la littérature et des écrivains. Comme j'éprouve une admiration toujours renouvelée aux créateurs de mots, d'histoires, d'idées, je veux transmettre ce goût de la lecture qui, souvent, nous sauve de tout. Sans lecture, la vie serait un peu fade car lire amplifie les sentiments, aiguise les idées, tue l'ennui, éloigne la solitude, suscite la curiosité, étanche la soif de connaître. Depuis que ma petite enfance, quand j'ai su lire et déchiffrer les signes cabalistiques de l'alphabet, je n'ai jamais plus quitter le monde des livres... J'ai reçu en cadeau par mes amies lectrices, le coffret de Georges Perec dans la Pléiade : un écrivain qui m'a toujours fascinée. J'ai reçu cet hommage avec beaucoup d'émotion. Je poursuis donc cette aventure littéraire, le premier mardi du mois à partir d'octobre avec mes amies de lecture et au programme pour octobre, la collection Folio Sagesses, en novembre, Milan Kundera et en décembre, quelques poètes français contemporains... Je rêve aussi de retrouver le chemin des classiques avec une envie de partager quelques chefs d'œuvre de notre patrimoine... Lire, échanger, partager dans une convivialité amicale, voilà l'objectif de ces mardis des livres...

mercredi 21 juin 2017

Rubrique Philosophie

La revue Philosophie magazine du mois de juin propose un dossier spécial sur l'enfance : "Quelle part d'enfance gardons-nous ?" Alexandre Lacroix, le directeur de la rédaction, explique qu'au fond, on ne change guère et qu'il faut "se coltiner toute une vie sa propre voix". Il ajoute : "Nous devons nous tenir compagnie jusqu'à la fin de nos jours, donc autant faire la paix avec nous-mêmes". Le dossier comprend le point de vue des psychologues, des sagesses orientales, des philosophes dans leur enfance et des écrivains. Un article raconte l'immersion des enfants dans des ateliers de philo. Un entretien entre Raphaël Enthoven et Claude Ponti complète le thème central. Leur conviction commune sur l'enfance repose sur une certitude : "l'enfance est une puissance qui éclaire notre vie d'adulte". Dans la rubrique "Déchiffrer l'actualité", la revue se penche sur le cas "Emmanuel Macron", "un imprévu historique et un ovni politique"... Claude Habib, écrivain et philosophe, évoque la délicate question de la tolérance en France et aux Etats-Unis. J'ai découvert un écrivain portugais très original, Gonçalo M. Tavares qui "n'a de cesse de vouloir saisir où passe la frontière entre les animaux, les hommes et les machines". J'ai lu avec intérêt les rubriques habituelles sur les nouveautés dans les sciences humaines, les chroniques de Sylvain Tesson et de Tobie Nathan. La revue offre comme à son habitude un livret détachable sur le philosophe Arthur Schopenhauer et les âges de la vie. Je cite une de ses phrases célèbres : "En réalité, tout enfant est dans une certaine mesure un génie, et tout génie est en quelque façon un enfant." Cette revue ne concerne pas seulement les amateurs de philosophie, car elle met cette discipline exigeante à la portée de tous les lecteurs(trices) curieux(ses)... Je conserve les numéros depuis trois ans et il m'arrive de les consulter pour mieux connaître un philosophe ou un concept... J'espère qu'elle poursuivra son aventure éditoriale longtemps car, si Philosophie magazine disparaissait, elle me manquerait sans aucun doute... 

lundi 19 juin 2017

Ma bibliothèque dévoilée

Cet été, je vais créer dans mon blog,  une rubrique "Ma bibliothèque dévoilée". J'avais apprécié une initiative de ce type dans le blog professionnel, Le Tiers Livre,  de François Bon qui racontait l'histoire de sa bibliothèque et je m'étais rendue compte que nous faisions partie de la même génération dans nos goûts littéraires. J'ai donc envie de reprendre cette idée et je commencerai aujourd'hui par un livre de références : "La Bibliothèque idéale", de la revue Lire dont le rédacteur en chef se nommait Bernard Pivot. Je consulte cet ouvrage original depuis 1988 (déjà)... Il a été publié chez Albin Michel, puis repris dans le Livre de poche, dans la collection "Encyclopédies d'aujourd'hui". Dans la préface, Pierre Boncenne, critique littéraire de la revue Lire, explique ce projet colossal : offrir aux lecteurs une "utopie de deux mille quatre cent un livres". Les lecteurs se demandent souvent, "devant la profusion des livres : quoi lire ? Que choisir ? Par où commencer ? Quel écrivain ? Quel titre ?". La Bibliothèque idéale répond à toutes ces questions. Il suffit de découvrir les quarante neuf meilleurs livres des littératures européennes, asiatiques, américaines, africaines avec un classement amusant à trois niveaux : en 10 livres, en 25 livres, en 49 livres et le comité de la revue demande au lecteur de choisir son cinquantième. Les littératures de tous les pays du monde sont évoquées, mais une thématique très judicieuse permet une connaissance approfondie dans les domaines hors littérature : mémoires et autobiographies, les correspondances, arts de tous les temps, de la photographie au cinéma, la musique, l'Antiquité et nous, la guerre, la politique, la philosophie, etc. Même si les références n'ont pas été actualisées depuis trente ans, on retrouve les plus grands classiques, les romans les plus emblématiques d'un genre littéraire (le roman d'amour, policier, fantastique, d'aventures, historique). Dans les annexes, tous les prix littéraires sont déclinés depuis leurs origines ainsi que les vingt meilleurs livres de l'année selon Lire de 1977 à 1991. Une postface, écrite par Alain Jaubert, évoque l'histoire du mot bibliothèque qui est à la fois un meuble, un lieu, une collection et une institution. Je partage sa fascination pour le mythe de la bibliothèque idéale et quand je pratiquais mon métier de bibliothécaire, la constitution des collections me ravissait et m'obligeait à choisir tel ouvrage au détriment d'un autre (pour des raisons budgétaires). Mais, j'avais l'obsession de composer un ensemble diversifié en littérature, et cohérent sur le plan encyclopédique. Cette Bible des livres m'a souvent aidée à composer un fonds équilibré (jeunesse et adulte, fiction et documentation).  Je n'ai jamais abandonné cet ouvrage, feuilleté des centaines de fois,  qui me rappelle mes années professionnelles. Livre de souvenirs, livre de ressources, livre de chevet, livre de connaissances, il m'arrive encore de trouver une pépite littéraire que je n'avais pas encore remarquée...

jeudi 15 juin 2017

"Une bobine de fil bleu"

J'ai retrouvé avec un très grand plaisir la romancière américaine, Anne Tyler. Elle vient d'écrire son vingtième roman, "Une bobine de fil bleu", chez Phébus. L'histoire se passe à Baltimore en 1994. Les Whitshank habitent depuis deux générations une belle maison d'un quartier chic. Abby, la mère, assistante sociale, et Red, le père, chef d'entreprise, vivent au rythme des réunions familiales heureuses. Cette tribu formidable " semblait ignorer les déceptions. C’était une autre de leurs singularités : ils avaient le don de faire comme si tout allait bien. Ou peut-être cela n’avait-il rien de singulier, justement. C’était peut-être la preuve supplémentaire que les Whitshank étaient une famille comme les autres ». Cette culture de l'optimisme et de la convivialité cache bien des contrariétés douloureuses. Leur fils, Denny, se comporte "bizarrement" avec eux. Il ne supporte aucune réflexion et aucun conseil de ses parents et n'en fait qu'à sa tête. Il quitte Baltimore et se rend à New York. Il ne donne pas de nouvelles et un jour, il apprend à ses parents son mariage et la naissance de sa fille. Le rapprochement est de courte durée. Lors d'une visite, son père (qui s'inquiète de son avenir professionnel)  lui demande s'il va reprendre ses études, son fils rompt toutes relations pendant trois ans... Abby vit très mal ce problème avec ce fils difficile et tente souvent l'impossible pour renouer un lien avec lui. Mais les parents vieillissent dans cette grande maison, et Abby commence à souffrir de la maladie d'Alzheimer. Stem et sa femme avec leurs trois garçons décident de vivre avec eux pour les aider. Quand Denny apprend que son frère (adoptif) prend possession de la maison, il décide de rejoindre Baltimore et s'installe chez ses parents. Anne Tyler tisse une toile complexe, quasi freudienne entre tous les membres de la famille : jalousies, rancœurs,  colères, non-dits, mensonges, secrets. La maison de famille acquise malhonnêtement par le père de Red constitue un personnage central dans le livre. La dernière partie du livre concerne la vie de cet aïeul, qui, au fond, a réparé une erreur de jeunesse en se mariant sans amour. Anne Tyler dénonce le conformisme ambiant d'une Amérique trop figée dans ses certitudes. Abby est elle-même victime de ce carcan et elle commence à douter :  "A bien des égards, elle avait aujourd’hui moins de certitudes que lorsqu’elle était jeune. Et souvent, quand elle s’entendait parler, elle était consternée par le ton niais qu’elle prenait – elle paraissait écervelée et superficielle, comme si, d’une certaine manière, elle avait endossé le rôle de la mère dans une sitcom stupide". Chaque personnage possède une zone d'ombre et quand Abby meurt dans un accident de la route, la famille affronte une crise ultime... La romancière américaine capte notre attention de la première page à la dernière et cette saga "généalogiste" nous raconte  les crises que vivent beaucoup de familles...

mercredi 14 juin 2017

Des Classiques pour l'été

Souvent, les lecteurs(trices) motivé(e)s prennent des résolutions devant le temps disponible de l'été. Je dis disponible, sauf pour les ardents arpenteurs des montagnes savoyardes, les téméraires surfeurs des vagues océaniques, les grands-parents volontaires accaparés par leurs petits-enfants et tous les salariés de la terre qui ne sont pas en vacances... Pour moi, l'été représente une pause-lecture même si j'ai prévu de partir de temps en temps au bord de l'océan dans mon pays natal, la Côte basque. J'ai évoqué hier la collection Folio Sagesses pour le groupe de lecture. J'ai aussi établi une liste de classiques pour nourrir les séances de l'année à partir d'octobre. Il suffira qu'une lectrice redécouvre un de ses titres pour donner envie aux autres de le lire. J'ai donc hésité pour choisir dix œuvres emblématiques de l'esprit XIXe siècle. En définitive, j'ai retenu des souvenirs de lectures quand j'étais lycéenne et étudiante en lettres modernes où je dévorais les classiques. J'ai choisi Victor Hugo (Les Travailleurs de la mer), Honoré de Balzac (Le Père Goriot), Gustave Flaubert (Salammbô), George Sand (Un hiver à Majorque), Chateaubriand (Mémoires d'Outre-Tombe), Madame de La Fayette (La Princesse de Clèves), Stendhal (Chroniques italiennes), Guy de Maupassant (Fort comme la Mort), Emile Zola (Nana), Gérard de Nerval (Les Filles de Feu). Programme ambitieux, très ambitieux mais cette liste peut changer au fil des mois et chaque participante peut proposer un classique différent en restant dans le XIXe siècle. Je n'ai pas relu toutes ces œuvres depuis des années... Certains titres vont peut-être m'ennuyer, me décevoir, me tomber des mains, etc. Mais, aussi, la relecture va me permettre de dépoussiérer ces textes, de les ressentir très différemment. Mes années de lectrice ont engrangé dans ma mémoire, des couches géologiques de mots et je me sens comme une archéologue qui va fouiller dans la terre pour remettre au jour les œuvres enfouies par le temps... Je vais commencer cet été par Nerval, un poète-écrivain romantique très attachant. "Les Filles du Feu" m'avait laissé un souvenir merveilleux... Ensuite, je lirai "Salammbô" pour la prose de Flaubert... La presse littéraire abandonne souvent notre patrimoine immatériel. Il est temps de le visiter ou le revisiter...

mardi 13 juin 2017

Des Sagesses en Folio

En 2015, la maison Gallimard, d'une richesse littéraire incomparable, a eu la bonne idée de lancer une collection, Folio Sagesses,  d'un prix plus qu'abordable (3,50 euros). Cette initiative heureuse prend en considération "le souci de soi, la recherche de la sérénité et du bien-être"  et "propose de découvrir, grâce à de brefs volumes un choix de textes accessibles". Les trente-neuf titres représentent toutes les sagesses : l'Antiquité, la pensée chrétienne, la philosophie orientale, la philosophie occidentale. Le lecteur curieux et intéressé par les "grands penseurs" peut choisir Marc Aurèle, Cicéron, Sénèque, Epictète, Pascal, Bossuet, Montaigne, Voltaire, Thoreau, Gandhi, Lao-Tseu, Cioran, Alain, etc. J'avais envie depuis longtemps de diversifier le programme des lectures à mes "jeudis des livres". Nous évoquons en majorité la littérature romanesque, la poésie parfois. La fiction passionne, la philosophie fait peur... Il fallait donc que je trouve une "astuce" pour intégrer ce domaine, réputé trop sérieux et même compliqué à comprendre. J'ai établi une petite liste de neuf  titres, car j'ai la manie des listes en tous genres : livres à lire, à emprunter, courses, voyages à faire, idées pour ce blog, etc. J'ai choisi "mes" philosophes antiques, Marc Aurèle, Epictète et Sénèque, Pascal, Alain, La Rochefoucauld, Chamfort et Thoreau. J'ai envoyé "ce devoir de lecture" à chaque lectrice du groupe en leur demandant d'en lire au minimum un dans la liste indicative pendant l'été. Ce pari sur les textes philosophiques (j'ai bien mis Pascal) sera peut-être suivi par d'autres projets de lecture. Je rêve d'arpenter les chemins escarpés de quelques classiques français... Mon envie d'un retour aux grands auteurs du XIXe siècle sera-t-elle partagée ? J'ai encore sévi en leur proposant quelques titres emblématiques. J'en reparlerai dans ce blog... J'ai souvent l'impression que, seuls les lycéens et les étudiants, se penchent sur quelques textes classiques. J'avoue que je les abandonnais pendant des décennies pour lire des contemporains. Il est temps que je me baigne à nouveau dans les grandes eaux textuelles des siècles passés.

lundi 12 juin 2017

"S'émerveiller"

Belinda Cannone a publié sept romans et plusieurs essais dont "L'écriture du désir", "Le sentiment d'imposture", "La bêtise s'améliore" et "La tentation de Pénélope". Les titres de ces ouvrages ont attiré mon attention (on ne se rend pas compte de l'importance capitale d'un titre...). Dans ce dernier opus, l'écrivaine a choisi d'évoquer un sentiment passé de mode, parfois raillé, parfois moqué et appartenant à la catégorie des sentiments  de béatitude heureuse, une insulte pour les malchanceux, les grincheux, les fâcheux, les aigris et ma liste pourrait s'allonger sans cesse. Le verbe "s'émerveiller" peut se conjuguer à tous les temps et révèle un état d'esprit, une ouverture au monde, à l'instant présent, à une "délocalisation" de soi-même. Rien de spectaculaire dans la description de ces fulgurances exceptionnelles : il suffit de regarder autour de soi. Belinda Cannone écrit : "Souvent, c'est un état intérieur favorable qui nous permet de percevoir une dimension secrète et poétique du monde. Soudain, on vit pleinement, ici et maintenant, dans le pur présent". Elle raconte simplement ses émerveillements :  le chêne séculaire devant sa maison de campagne, un essaim d'étourneaux, le grain d'une peau, un haïku, un lied de Schubert (comme je la comprends...).  J'ai retrouvé dans un chapitre la référence du "sentiment océanique" de Romain Rolland dans une lettre qu'il adresse à Freud qu'elle qualifie de "summum" de l'émerveillement. Malgré le risque "d'enténèbrement" qui frappe notre époque (attentats, société fracturée, chômage de masse), il est pourtant salutaire de se sentir en vie, de ressentir ces éblouissements passagers et provisoires, souvent provoqués par des rencontres anodines ou rares. Cet ouvrage ouvre des horizons pour ceux qui aiment la lenteur, une certaine solitude, l'attention au monde qui nous entoure. L'essai propose en fin de chapitre une photo d'amateur que Belinda Cannone commente poétiquement. L'émerveillement doit se cultiver, s'apprivoiser et l'écrivaine propose un mode d'emploi pour "éprouver partout, devant toutes sortes de spectacles, un mystérieux ajustement entre l'univers et nous". Ce livre fait du Bien, dit le Beau et donne envie de voir notre quotidien, souvent trop prosaïque, d'un œil nouveau. Elle confie son secret de vie : "se défamiliariser", décaler son regard, s'étonner, bref, ouvrir son esprit et être surpris. Ce livre fourmille d'anecdotes, de références littéraires, de confidences intimes : un bonheur de lecture...

vendredi 9 juin 2017

"La nature exposée"

Erri De Luca vient d'écrire "La nature exposée", édité chez Gallimard. Tous ses lecteurs connaissent son engagement politique en faveur des migrants et de l'écologie. Sa lecture quotidienne de la Bible influence son oeuvre. Son dernier opus, un conte contemporain, résume à merveille son monde poétique et religieux. Le personnage principal vit dans un petit village de montagne. Il organise des passages périlleux à travers les cols pour faire passer les réfugiés de l'Italie à l'Autriche. Mais, il ne demande rien à ces infortunés. Ce geste généreux le marginalise et l'oblige à quitter son village. Comme il est artisan sculpteur, il part chercher du travail sur la côte. Un curé lui confie une mission étrange : restaurer un Christ en marbre dont le pagne a été rajouté pour cause de décence. L'artiste qui a signé cette œuvre est mort dans la montagne et n'aurait pas supporter cette censure.  Faut-il réparer cet affront ? L'artisan demande de l'aide à un rabbin qui lui explique les Evangiles. Il reçoit d'un ouvrier musulman un bloc de marbre pour rénover la statue. Il rencontre une femme athée avec laquelle il noue une relation amoureuse. Erri de Luca utilise une histoire forte et simple pour parler de la place de la religion dans la société. Les trois religions monothéistes sont représentées sous une forme de dialogue ouvert établissant des passerelles fraternelles. Cet idéal de réconciliation entre religions et athéisme traverse le roman de la première page à la dernière. Le Christ crucifié va retrouver sa nudité naturelle. Mais, dans un roman de Erri de Luca, certaines phrases claquent comme des paroles philosophiques. Je citerai celle-ci : "J'entends le bruit amplifié de la vague qui passe et repasse sur le gravier. C'est le plus vieux bruit du monde, il est là depuis les premiers âges de la Terre. Il y était quand personne ne pouvait l'entendre. Il a mis des millions d'années avant de se glisser dans une ouïe. Ce sont des pensées qui montent de mes pieds nus sur le gravier de frontière entre la terre et la mer". Et un deuxième passage concernant les livres du rabbin quand le sculpteur en renverse quelques uns : "Ils ne sont pas fragiles, ils se laissent maltraiter. Ils résistent mieux que nous à l'usure, au gel, aux exils et aux naufrages. Leur prodige est de savoir prendre le temps de celui qui lit. On ouvre Homère et on le trouve à côté de soi. On le referme et il s'en retourne dans ses siècles". Simplicité, bonté, "confraternité", compassion,  Erri De Luca semble unique dans le monde de la littérature mondiale...

mercredi 7 juin 2017

Lire dans mon jardin

Il existe une relation intime entre la lecture et le jardin. Je passe souvent mes après-midi sur un transat dans mon jardin, un petit jardin de curé qui entoure ma maison, elle aussi, modeste par sa taille... Quel plaisir de lire à l'abri de mon olivier ! J'ai souvent l'impression que les branches se penchent vers moi pour partager mes bonheurs de lecture. J'aime particulièrement les oliviers et quand je me demande d'où me vient ce goût extravagant pour ces arbres méditerranéens, je trouve une réponse dans mes origines espagnoles (même aragonaises) du côté de mon père. Mes racines familiales et mes escapades dans l'Europe du Sud où poussent ces arbres tordus et passionnés expliquent cette attirance irrésistible. Je vis dans une région, la Savoie, encore froide l'hiver (malgré le réchauffement climatique)... Pourtant, j'ai planté trois oliviers, trois cyprès, un palmier et des massifs d'hortensias. La simplicité et l'harmonie me conviennent mieux que des jardins luxuriants, trop fleuris et qui demandent une main d'œuvre exigeante. Mon "olivier lecteur" est né en Andalousie et comme il ne devait pas donner assez d'olives à cause de son grand âge, plus de deux cents ans, il a été déplanté et mis en pot. Je l'ai acheté à Chambéry dans un jardin des plantes. Depuis cinq ans, il s'est accommodé du climat savoyard même si je le nourris avec des engrais au printemps. Quand je lis, j'éprouve le besoin de lever mes yeux vers le ciel, vers mon olivier et ce moment suspendu me permet de m'arrêter et de ressasser les pensées de l'écrivain. Il arrive parfois que les premières pages d'un livre trouvent un écho parfait dans ce moment béni de la lecture. J'ai commencé cet après-midi l'ouvrage de Belinda Cannone, "S'émerveiller", et elle évoque le chêne qu'elle voit de sa fenêtre dans "sa maison des champs". Ce chêne du texte rejoignait mon petit olivier andalou dans une ronde fraternelle... La littérature et le réel se sont épousés dans cette belle journée de juin et demain, je poursuivrai ma balade dans ce livre qui a déjà conquis mon attention alors que je n'ai lu que les premières pages. Lire dans son jardin avec le ciel au dessus de sa tête et avec mes arbres comme compagnons fidèles,  un plaisir apaisant et reposant...

mardi 6 juin 2017

"Celle qui fuit et celle qui reste"

Dans la vie d'une lectrice, il faut se réserver des plages de temps pour savourer des romans prometteurs. J'ai donc réalisé cette promesse d'une lecture heureuse avec le troisième tome de la saga napolitaine "L'amie prodigieuse". Le premier tome, "L'amie prodigieuse" posait le décor où se déroulait l'histoire de deux adolescentes, Elena et Lila, dans une ville prodigieuse, Naples. Les deux jeunes filles appartiennent à la classe populaire de la ville et ne vont pas suivre le même destin. La volcanique Lila reste à Naples, arrête ses études, se refuse à s'émanciper de son milieu plus que modeste. Elena a compris que la réussite scolaire allait l'extirper de ce monde chaotique avec une envie de fuir cette vie traditionnelle souvent réservée aux femmes, victimes de la violence masculine. Dans le troisième tome, Elena a acquis une certaine aisance. Elle vient de terminer ses études à Pise et surtout elle a écrit un premier roman qui vient d'être publié. Dans ces années 60, les bouleversements sociaux et économiques bousculent les hommes et les femmes dans leurs habitudes. Les revendications politiques de l'extrême gauche surgissent dans une certaine violence et les femmes commencent à se révolter dans une ambiance chaleureuse. Elena s'est mariée avec un fils de bonne famille et ils ont deux petites filles. Professeur de latin, il est nommé à Florence. Lila travaille dans une usine de charcuterie à Naples et élève son garçon avec un ami. La distance géographique a séparé les deux amies. Elles ne se voient plus mais se téléphonent souvent. Leur relation amicale passionnelle se poursuit avec des variations fluctuantes. Elles s'aiment, elles s'oublient, elles se jalousent, elles s'épaulent... Chacune vit sa vie et quand elles se parlent, elles taisent leurs problèmes et leurs malaises. Ce troisième roman me semble aussi fort que les deux premiers. Elena, la narratrice, donne un témoignage intimiste sur l'Italie du XXe siècle sur un fond historique troublé (Brigades rouges, luttes féministes, ouvrières). Elena veut écrire et malgré un succès d'estime pour son premier roman, elle se noie dans le quotidien de sa famille. Lila commence à acquérir une conscience politique dans son usine, broyeuse de vies. Dès que vous ouvrez ce roman dense et puissant, vous ne pouvez plus le quitter... Cette formidable saga, venue d'Italie, comblera les amoureux de belles et bonnes histoires, les amateurs d'une littérature sans fard et sans mièvrerie avec deux portraits magnifiques de femmes rebelles... Le tome 4 sort en septembre...  

lundi 5 juin 2017

"Rendez-vous à Positano"

J'avais lu avec bonheur le roman-culte de Goliarda Sapienza (1924-1996), "L'art de la joie", paru en 1998 et traduit en France en 2005 chez Viviane Hamy. Ce grand livre raconte le destin de Modesta, une jeune sicilienne, née en 1900. Dans ces pages inspirées, l'écrivaine italienne cultivait l'art du foisonnement :  les personnages, les sentiments, les sens, les actions sont orchestrés d'une façon magistrale dans une Sicile ombre et soleil. J'en ai gardé un souvenir ensoleillé et je le relirai un jour prochain. J'ai donc ouvert  "Rendez-vous à Positano" et j'ai retrouvé le monde lumineux de Goliarda Sapienza dans ce petit village près de Naples et à une époque bénie des dieux quand les touristes n'avaient pas envahi et abimé  tous les plus beaux endroits du monde. Dans cet Eden amalfitain magique, la narratrice raconte l'histoire émouvante d'une amitié exceptionnelle entre elle et Erica, une femme "sublime" de la noblesse désargentée du pays. Dans les années 50, l'écrivaine découvre ce lieu secret alors qu'elle vit et travaille à Rome dans le milieu du cinéma. Ce petit village devait servir de décor pour un film. Quand elle rencontre Erica, elle éprouve un coup de foudre amical. Cette comtesse solitaire et un peu sauvage s'entiche aussi de Goliarda. Entre les balades en bateau, les baignades dans les criques et les plages, leur amitié exclusive se développe au rythme des repas pris en commun et des confidences denses. Mais, Erica n'est pas la femme solaire que l'on imagine : elle cache des secrets et des angoisses. Sa vie de famille ne présente pas une harmonie solide : sa sœur s'est suicidée, son mariage tangue fortement. Le seul événement heureux de sa vie se niche dans cette relation amicale avec l'écrivaine. Ce livre-confidence possède un charme envoûtant avec  la présence du soleil, de la mer et malgré ce lieu magnifique, Goliarda Sapienza écrit "Toutes les choses les plus belles contiennent une douleur secrète". Je ne dirai pas comment leur amitié se termine car lire ce roman d'amitié, c'est rencontrer deux femmes amoureuses d'un lieu, amoureuses de la vie malgré les douleurs qui surgissent parfois...

vendredi 2 juin 2017

Revues littéraires de Juin

J'aime bien ce moment du mois quand je reçois mes deux revues littéraires. Je les lis depuis de nombreuses années et si elles cessaient de paraître, je serais en "manque". Ce rite me rassure et comble ma curiosité quasi "maladive" pour les nouveautés du monde éditorial. Certains aficionados du sport lisent "L'Equipe" pour se tenir sans cesse informés de tous leurs gladiateurs des temps modernes... Mon Zidane à moi ressemble plus à Pascal Quignard qui a sorti ce mois-ci deux nouveautés que j'ai déjà acquis en librairie... La lecture des revues m'est indispensable pour découvrir tous les talents nouveaux, les écrivains plus que confirmés et mes stars des lettres à moi... Le Magazine littéraire de juin a eu la bonne idée de mettre la Méditerranée à l'honneur : trente écrivains témoignent de leur amour de cette mer intérieure, berceau de notre civilisation. De Sète à La Ciotat, de Beyrouth à l'Algérie, de Naples à Portopalo, les articles donnent un aperçu panoramique superbe de la Grande Bleue. La revue évoque Cannes, lieu mythique où 70 romans ont donné naissance à 70 grands films ou comment la littérature nourrit le cinéma. On retrouve les rubriques habituelles sur les romans et sur les essais du moment. Un bon numéro qui sent déjà la période estivale. La revue Lire propose un dossier très intéressant sur "Ce que la littérature doit aux femmes : de Jane Austen à Elena Ferrante. Un spécial Poche sera bien utile pour l'été avec un choix de 50 livres dans ce format si pratique et si économique. Les rubriques nouveautés complètent bien celles du Magazine littéraire. Et ce mois-ci, j'ai eu la surprise de lire un grand entretien avec Pascal Quignard qui dévoile un peu "Ses vies secrètes". Je cite ce passage : "J'avais la chance d'avoir, grâce à mes grands-parents, une bibliothèque fabuleuse, que je pillais naturellement. J'avais un besoin de découverte et j'ai compris que les livres étaient un rempart, une digue, une montagne, une spéculation. Le mot "spéculation" vient d'ailleurs de là : c'est un phare sur lequel on monte pour pouvoir guetter, pouvoir spéculer au-dessus de l'océan." Encore une fois, cet écrivain somptueux et profond me parle vraiment et je l'écoute toujours avec une attention "océanique"...

jeudi 1 juin 2017

"Croire au merveilleux"

J'avais lu en 2013, le roman de Christophe Ono-dit-Biot, "Plonger", avec délectation. Le personnage féminin, Paz, était l'amour fou du narrateur. Cette femme-sirène, solaire et libertaire,  pratiquait la plongée et l'art comme une recherche de l'absolu. "Plonger" raconte l'histoire passionnelle de leur amour impossible.  Ils donnent naissance à un garçon que l'on retrouve dans la suite, "Croire au merveilleux".  La jeune femme est retrouvée morte sur une plage et laisse son compagnon anéanti. César perd le goût de vivre et songe à se suicider malgré la présence du petit garçon. "J'ai longtemps cru que j'y arriverais. Cru tout ce qu'on m'a raconté : l'apaisement qui suit l'acceptation de la mort de l'être aimé, suivi de sa renaissance sublimée sous forme de souvenirs. Tu parles. (...) La nuit, on tend les bras et il n'y a plus personne, plus rien." Alors qu'il préparait son départ pour le néant, il entend sonner à sa porte. Une jeune femme se présente comme sa nouvelle voisine. Etudiante en architecture, grecque, elle va peu à peu s'immiscer dans la vie de César tout en conservant son mystère. Elle semble attirée par la bibliothèque de son voisin désespéré. La jeune femme emprunte quelques classiques grecs édités dans la légendaire maison d'édition Budé. César diffère son projet mortifère et se laisse guider par cette jeune "déesse" grecque. La lecture du roman peut se lire comme une nouvelle Odyssée : César-Ulysse après une terrible épreuve rencontre une déesse et la vie recommence, son cœur se remet à battre pour son fils qui n'attend qu'un père aimant. Dans un article du bulletin Gallimard, Christophe Ono-dit-Biot confie sa passion de la Grèce antique, de la mythologie comme le fil conducteur du roman. Il écrit : "César se vit comme l'un des derniers représentants d'une civilisation humaniste, branchée sur l'Antiquité, dont notre époque nous dit qu'elle aurait fait son temps. (...) Le merveilleux est aussi un instrument de connaissance qui doit être transmis". Ce roman "merveilleux" ressemble à un conte antique d'une modernité éternelle. A lire sous le soleil et sous la protection des dieux grecs...